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2 Les pendants de Boilly : du Directoire à la Restauration

Boilly n’adoptera jamais les courants dominants du néo-classicisme, ni du romantisme. Fidèle à ses sources flamandes, il passera des salons aux cabarets en louvoyant entre les modes, sans rien perdre de sa méticulosité ; ce qui en fait un témoin irremplaçable des bouleversements de l’époque.

Pour les pendants du début de la carrière, voir 1 Les pendants de Boilly : Ancien Régime et Révolution.


Boilly 1793-94 Autoportrait Dedie a l'amitie grisailleAutoportrait dédié à l’Amitié Boilly 1793-94 Portrait de la mere Chenard Dedie a la nature grisaillePortrait de la mère Chenard, dédié à la Nature

Boilly, 1793-94, grisailles, localisation inconnue [0] 

Ces deux trompe-l’oeil à la vitre cassée, offerts à son ami le chanteur Simon Chenard, ont probablement été réalisés par Boilly au plus fort de la Révolution. Le même pendant existe également en version couleur [0a].

De manière doublement iconoclaste, l’artiste brise la vitre et la convention du pendant marital : il représente non pas un couple légal, mais un couple d’affection, lié à Chenard d’un côté par l’amitié, de l’autre par l’amour maternel.


Le chanteur Simon Chenard en costume de sans-culotte, portant un drapeau à la fête de la liberté de la Savoie, le 14 octobre 1792Portrait du chanteur Simon Chenard en costume de sans-culotte, portant un drapeau à la fête de la liberté de la Savoie, le 14 octobre 1792, Musée Carnavalet, Paris Boilly Portrait aavc Chenard PBA LillePortrait avec Chenard, Palais des Beaux Arts, Lille

Boilly, 1792

Dans son autoportrait avec pipe et bicorne à cocarde, Boilly fait ouvertement référence au grand portrait patriotique de spn ami, qu’il vient de réaliser.


Les Incroyables

Deux pendants satiriques sont consacrés par Bailly à la mode excentrique des Incroyables et des Merveilleuses, qui se développe en réaction à la Terreur. Les gravures issues des tableaux, parues en mars avril 1797, font partie d’une série d’une vingtaine, par différents artistes, caricaturant les moeurs du jour : leur format commun est l’absence de décors et la présence de deux ou trois personnages au maximum. ([1], p 73)


boilly 1797 A2 Faites la paixFaites la paix Boilly 1797 A2 Les CroyablesLes Croyables

Boilly, 1796

  • Après s’être affrontés avec leurs cannes, un Muscadin et un Patriote en sont à tirer l’épée : une Merveilleuse s’interpose entre eux.
  • Un jeune dandy qui tente de revendre ses « Mandats territoriaux » dévalués est escroqué par un spéculateur tandis que par derrière un complice lui vole son mouchoir. Le spéculateur est habillé en homme de tous les régimes, avec à la fois la cocarde tricolore et le « bâton démocratique » des royalistes ([1], p 74).

Le thème commun est ici celui de l’ingénue ou du naïf, pris en sandwich entre deux terribles.


boilly 1797 A1 La folie du jour Staedel MuseumLa folie du jour, Staedel Museum boilly 1797 A1 Point de Convention (Absolutely no agreement)Point de Convention (Le désaccord)

Boilly, 1796

  • Un violoneux aviné lève un archer concupiscent vers une Merveilleuse en tenue extrêmement provocante, qui danse avec un Merveilleux. « La folie du jour » est le nom d’un danse à la mode, et d’une pièce jouée en 1795.
    .
  • Tout en faisant décrotter ses bottes, un Merveilleux tend une pièce à une Merveilleuse en robe si transparente qu’il la prend pour une prostituée : et celle-ci lui répond comme telle, en faisant des deux index le signe que quelque chose est trop court (la bourse ou la virilité du jeune homme). « Point de Convention » est un titre à double-sens : il exprime le refus de la fille  (Pas d’accord !) , mais est aussi un slogan des Muscadins ( Non à la Convention !).

Le thème est l’Accord et le Désaccord du couple ; mais au delà, la critique est féroce contre ces riches jeunes gens qui arborent leur tenue ridicule devant la misère du petit peuple : musicien étique ou gamin des rues.

Il faut remarquer que, pour faciliter la vente, les appariements sont assez lâches. On pourrait tout aussi bien remonter les pendants comme suit :

Boilly 1797 A2 Les CroyablesLes Croyables boilly 1797 A1 Point de Convention (Absolutely no agreement)Point de Convention

« La transaction inéquitable »

boilly 1797 A1 La folie du jour Staedel MuseumLa folie du jour boilly 1797 A2 Faites la paixFaites la paix

« Le Couple encouragé, Le Couple menacé »


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boilly 1797-98 Jeune femme en train de moudre du cafeJeune femme en train de moudre du café Boilly 1797-98 Le chien cheriLe chien chéri

Boilly, 1797-98, collection privée [0] 

Sous un aspect de peinture fine à la hollandaise, ce pendant recèle probablement un message sur les bouleversements du temps.

Dans une belle chambre avec lit clos et secrétaire en bois précieux, la ménagère broie son café (un met de luxe) et fait chauffer son repas sur un petit brasero ;


Boilly 1797-98 Le chien cheri The Ramsbury Manor Foundation - Photo (c) courtesy the Trustees

Le chien chéri
Boilly, 1797-98,  The Ramsbury Manor Foundation – Photo (c) courtesy the Trustees

Dans une soupente à la cheminée éteinte, une jeune fille se console avec son bichon de son maigre repas (du pain et deux oeufs). Le bougeoir doré (avec une bougie éteinte et une autre trop courte posée sur la table) et la chaise de style suggèrent qu’elle a dû connaître des jours meilleurs. La paire de ciseaux suspendue au dossier semble indiquer que son seul moyen de subsistance est la couture.

Les ustensiles identiques (carafe d’eau, bougeoir, cafetière, poêlon en poterie, malle) servent de motif de jonction entre les deux tableaux.


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Boilly 1801-03 Jeux de jeunes gens loc inconnueJeux de jeunes gens (localisation inconnue) Boilly 1801-03 Rendez-vous d'amour (Conversation dans le parc) Horvitz Collection WilmingtonRendez-vous d’amour (Conversation dans le parc), Horvitz Collection , Wilmington

Boilly, 1801-03 [0] 

Bien qu’ils aient été mentionnés comme pendants dans une vente en 1812, on ne discerne aucune continuité entre les deux tableaux :

  • d’un côté trois enfants jouent avec trois chiens (les filles avec des petits, le garçon avec un grand) ;
  • de l’autre deux soeurs viennent interrompre la discussion galante de la mère (ou plus vraisemblablement de la grande soeur) sous la statue de Cupidon.

Ni le nombre de personnages ni les tailles ne correspondent (comparer par exemple celles de la petite fille blonde en robe grise, seul personnage commun aux deux scènes). Il s’agit donc probablement d’un faux-pendant.


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Boilly 1806 ca La jeune mere Musee de Boulogne sur merLa jeune mère, Château-Musée de Boulogne sur Mer Boilly 1806 ca Le marchand d'oiseaux detruitLe marchand d’oiseaux, probablement détruit

Boilly, vers 1806 [0] 

On n’a pas d’indication sur ce portrait de famille, où la même jeune femme est représentée deux fois, accompagnée de cinq enfants.



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Boilly 1804 Mes petits soldats The Ramsbury Manor Foundation - Photo(c) courtesy the TrusteesLes petits soldats, 1804, The Ramsbury Manor Foundation – Photo(c) courtesy the Trustees Boilly 1809 Les petites coquettes gravure de Jacques-Louis BanceLes petites coquettes, 1809

Exposé au salon de 1804 (l’année du camp de Boulogne), le premier tableau montre trois des fils de Boilly, Julien, Edouard et Alphonse (il aura au total dix enfants de deux mariages, dont cinq survivront). Réalisé cinq ans plus tard, le second ne montre pas ses filles, qui n’ont jamais atteint cet âge.

L‘aîné(e) joue dans les deux cas un rôle paternel (maternel) par rapport au (à la ) plus jeune, rectifiant la position de la tête ou celle du ruban. Et le chien prend part à l’action, avec bâton ou bonnet.


Boilly 1825 ca Le bonnet de la grand mere litho de DelpechLe bonnet de la Grand mère Boilly 1825 ca La perruque du Grand pere litho de DelpechLa perruque du Grand père

Boilly, vers 1825, lithographies de Delpech

Le thème des enfants et du chien en bonnet réapparaîtra bien plus tard dans cette paire de lithographies, qui fait partie de la série des Grimaces (édition Aubert 1837).


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Boilly-1803-04-La-petite-chapelle-32.4-×-40.3-cm-The-Ramsbury-Manor-Foundation.-Photo-c-courtesy-the-TrusteesLa petite chapelle (La Fête des petits autels) Boilly-1803-04-Peage-urbain-31.7-×-39.8-cm-The-Ramsbury-Manor-Foundation.-Photo-c-courtesy-the-Trustees.jpgPassez-payez (ou L’averse)

Boilly 1803-04 , The Ramsbury Manor Foundation.

Ce pendant existait en peinture, mais le premier a été détruit lors du bombardement du musée de Douai durant la Seconde Guerre Mondiale. Je présente ici les deux aquarelles préparatoires.


La petite chapelle

Durant la Fête des petits autels dans les Flandres, les enfants construisaient de petites chapelles dans la rue et faisaient la quête auprès des passants. Le père donne une pièce en caressant le menton de la mignonne, tandis que la grande soeur incite son petit frère à faire la charité à un couple de vieux mendiants peu ragoûtants.


Passez-payez

Vu l’état des rues après la pluie, un petit métier de Paris consistait à proposer des planches pour passer à sec. A gauche une femme du peuple donne la pièce (ce n’est pas la servante, comme le propose Wikipedia ([1a]), tandis que la famille riche est déjà passée sans se mouiller les pattes (y compris le chien) et que le père fait semblant de ne pas voir le gagne-petit qui demande son dû.


Boilly 1805 ca Passez Payez Louvre

Passez-payez (ou L’averse)
Boilly, vers 1805, Musée du Louvre, Paris

 Dans la peinture, Boilly renforce le message de condamnation morale, avec le geste de la main et le regard sévère du riche, qui refuse clairement de payer.

Il en profite aussi pour en rajouter sur l’anecdote, , en nous montrant trois solutions au problème de voirie :

  • l’ignorer (le patriote en bonnet phrygien et en bottes qui marche tranquillement au milieu),
  • se faire porter par un Savoyard costaud (la vieille femme à droite),
  • passer sur la planche.


La logique du pendant

Certains voient une ambiguïté volontaire dans « Passez-payez » ([1], p 87 et ss) : Boilly critiquerait non pas le riche, mais la mendicité intrusive, tout en valorisant dans La petite chapelle la charité lorsqu’elle est encadrée par l’Eglise.

Autant Boilly pratiquait volontiers l’ambiguïté dans ses oeuvres galantes, autant il était capable de critiques virulentes envers les outrances des riches, comme on l’a vu à l’encontre des Merveilleux. De plus le personnage de la femme du peuple qui paye son péage sert clairement de contre-exemple à l’avarice du riche.

J’en reste donc à un pendant binaire : la Dureté et la Charité.



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Boilly-1808-The-Card-Sharp-on-the-Boulevard-National-Gallery-of-Arts-Washington1Le tricheur du boulevard, 1806, National Gallery of Arts, Washington BOILLY 1808 SAVOYARDS-MONTRANT-LA-MARMOTTE.-UNE-SCENE-DES-BOULEVARDS.Coll priveeSavoyards montrant la marmotte, 1806, Collection privée

Ces deux tableautins (24 X 33 cm) ont été présentés au Salon de 1808, puis à celui de 1814, où ils ont été acquis par le Duc de Berry. Véritable prouesse technique, ils peuplent cette petite surface d’une scène de rue à multiples personnages.

Dans Le tricheur, la foule au fond fait la queue devant une pâtisserie à la mode. Au premier plan, deux groupes se distinguent :

  • à droite, le tricheur est en train de faire entrer dans son jeu une élégante ;
  • à gauche, un couple composé d’un homme âgé (inspiré d’un portrait d’Oberkampf) et d’une jeune femme passe dignement à distance.

Boilly 1808 4

Comme souvent, chez Boilly, des thèmes secondaires viennent déjouer la moralité apparente : à la droite du digne vieillard, un gamin est visiblement en train de lui faire les poches ; à sa gauche, un chien renifle l’arrière-train d’un autre, sous-entendant un rapport à la fois intéressé et animal entre la belle et le bourgeois.




Boilly 1808 The Card Sharp on the Boulevard National Gallery of Arts, Washington detail
Une petite fille, qui se retourne pour observer les canidés, crée un lien entre le groupe du tricheur visible, et celui des deux tricheurs cachés : le pickpocket et la prostituée.

Dans l’autre pendant, la composition s’organise autour d’un seul groupe central, dans lequel la marmotte remplace le jeu de cartes comme point d’intérêt principal. On retrouve certains personnages : la fillette en robe longue, les deux élégantes, le musicien avec un bicorne à plumet à l’emplacement du tricheur. Le mendiant avec son bâton et son chapeau s’est transformé en un colporteur qui s’éloigne vers le droite.

Mis à part ces quelques correspondances et le fait qu’ils représentent tous deux,  devant le mur d’un jardin,  une scène de la rue parisienne, les deux pendants fonctionnent essentiellement en solitaires.


Le peintre de genre Ancien Régime – avec ses types de personnages limités, impliqués dans des interactions raffinées et complexes, s’est transformé maintenant en un peintre reconnu du spectacle des rues, dans lequel d’innombrables personnages cohabitent avec simplicité. « Conteur réjoui de la réalité », Boilly travaillait à la loupe chaque détail : les spectateurs appréciaient son rendu réaliste des matières et la variété des expressions, facilement reconnaissables.

Exploitant un autre veine flamande que la « peinture , b nde », celle des scènes populaires, Boilly va désormais transporter en intérieur son habileté de metteur en scène.


La fête de la grand-mère (localisation inconnue) Boilly 1818 La fete du grand pere Galleria Nazionale d'Arte Antica RomaLa fête du grand-père, Galleria Nazionale d’Arte Antica, Roma

Boilly, 1818

Le fête du grand-père fédère tous les âges, avec tendresse et sans ironie : tout le monde trinque, même les enfants avec l’eau de leur gobelet en étain.


Boilly 1826 ca la premiere dent coll priveeLa première dent Boilly 1826 ca la derniere dent coll priveeLa dernière dent

Boilly, vers 1826

C’est ici un événement trivial qui rassemble la famille, dans un cadrage serré où chaque tableau  devient une véritable étude d’expressions
2] :

  • attendrissement et inquiétude chez la nourrice qui touche du doigt et la mère qui la retient ;
  • surprise et mélancolie côté grands-parents, tandis qu’un nourrisson endormi est encore bien loin de ces problèmes.



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Boilly 1824 Mon pied de boeuf Palais des Beaux Arts LilleMon pied de boeuf, Palais des Beaux Arts, Lille Boilly 1824 La main chaude Musee de ChateaurouxLa main chaude, musée de Chateauroux

Boilly, 1824

Ce pendant est consacré à deux jeux familiaux qui ne demandent d’autre accessoire que les mains :

  • dans l’un on les dépile soudainement et le moins rapide se fait prendre ;
  • dans l’autre on frappe celle de la victime, qui doit deviner le coupable parmi tous ces bras tendus.

Le premier jeu rassemble toute la maisonnée, sauf les plus jeunes (la fillette au chien, le bébé dans les bras), les plus vieux (le vieux qui fume près de l’âtre) et les plus indépendants (le chat qui chipe dans l’assiette).

En revanche le second jeu passionne tout le monde, y compris la grand-mère (trop loin pour frapper dans la main) et la jeune femme dont les bras sont occupés par le bébé.

Exposé lors de la dernière participation de Boilly au Salon, ce pendant attachant, mais dans le style démodé des scènes flamandes à la Teniers, ne trouva pas d’acheteur.



A côté des scènes familiales et de l’intimité de la maison, Boilly déploie la même verve dans la description minutieuse des lieux publics : ceux qui lui conviennent le mieux, car tous les âges conditions sociales et humeurs s’y rencontrent, sont les cabarets.

Boilly 1818-_Les_Hommes_se_disputent coll priveeLes Hommes se disputent Boilly 1818-_Les Femmes se battent coll priveeLes Femmes se battent

Boilly, 1818, collection privée

Dans la pénombre du cabaret, sous l’effet de la boisson, les hommes s’affrontent du regard, mais les femmes s’empoignent férocement.


Boilly 1818-_Les Femmes Les hommes se battent schema

Mis à part la partie gauche perturbée par le combat, le reste de la composition s’ordonne rigoureusement. On trouve ainsi, de droite à gauche :

  • un couple de portefaix attablés, formant repoussoir (en rose) ;
  • un(e) combattant(e) retenu(e) par sa moitié (en bleu) ;
  • des figures d’interposition : le cabaretier avec sa toque et l’enfant (en blanc) ;
  • un résumé à quatre pattes : le chien que le simulacre n’inquiète pas, mais que le vrai combat terrorise (en jaune).



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Boilly 1792 Cafe de la Regence
Au café de la Régence
Boilly, 1792

Boilly aurait observé cette partie d’échec au café de la Régence et elle montrerait les deux meilleurs joueurs de l’époque : Philidor le joueur de gauche et Legall le vieil homme en manteau vert debout sur la droite [3].


BOILLY 1810 Le jeu des echecsLe jeu d’échec Boilly 1810 Le jeu de cartesLe jeu de cartes

Boilly, 1810-20, lithographies de Lemercier [4]

Vers 1810, Bailly la déclina en une série de quatre jeux de société. Ces deux scènes comptent chacune douze personnages.


Boilly 1810 Le jeu de dames Le jeu de dominos lithos de Lemercier

Le jeu de dames Le jeu de dominos
Boilly, 1810-20, lithographies de Lemercier

Les deux autres, à treize personnages cette fois, apparient elles-aussi un jeu à deux et un jeu à quatre.


Boilly 1845 La partie de damesLe jeu de dames Boilly 1845 La partie de cartesLe jeu de cartes

Boilly, 1845

L’année de sa mort, Boilly reviendra une dernière fois sur cette opposition, dans ces deux magnifiques lavis.


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Boilly 1828a Le jeu de billardLe jeu de billard Boilly 1828a Le jeu de l'ecarteLe jeu de l’écarté (gallica)

Boilly, 1828, lithographies de Villain

Après les jeux d’hommes, Boilly illustre ici deux jeux où s’affrontent un homme et une femme C’est l’occasion d’une comparaison d’éclairage (lumière zénithale brutale contre lueurs des bougies, du feu et de la salle de bal) ; mais aussi de deux lieux contrastés :

  • une salle de jeux ouverte à tous les âges, aux bourgeois comme aux serviteurs (vour les nourrices sur le banc du premier plan) ;
  • un hôtel particulier où l’on vient en habit et en couple, pour s’ennuyer à danser avec des vieux messieurs, et où le jeu de cartes constitue une distraction intéressante.



Boilly 1828a Le jeu de billard detail
On notera l’enfilade centrale, délimitée au fond par la carte de géographie, où s’étagent les trois âges du couple.


Un antécédent célèbre

Boilly 1808 Le jeu de billard Ermitage
Le jeu de billard
Boilly, Salon de 1808, Ermitage, Saint Peterbourg

La lithographie reprend, dans le goût Restauration un des tableaux de Boilly qui avait fait sa célébrité sous l’Empire, du temps de la sensualité moulante des longues robes à la grecque.



Boilly 1808 Le jeu de billard Ermitage centre
Dans le triangle central, les deux groupes du premier plan (le petit chien posant ses pattes sur le grand, le petit garçon enserrant dans un même cerceau une petit fille et son chien) font un écho charmant à l’enfant qui enlace son père entre ses bras.


Boilly 1808 La partie de billard dessin preparatoire
Le jeu de billard (dessin préparatoire)
Boilly, 1808, collection privée

Par rapport au dessin préparatoire, avec son splendide effet de lumière oblique, on note la suppression d’éléments parasites (le lustre éteint et la fresque du fond – un loup attaqué par des chiens) ; et l’ajout de deux détails : un troisième chien sous la table et un chariot-jouet au premier-plan, qui attire l’oeil sur la femme en train de viser.

Boilly 1808 La partie de billard dessin preparatoire detail

Boilly 1808 Le jeu de billard Ermitage detail

Vue de profil dans le dessin préparatoire, elle est maintenant penchée vers la table, ce qui la fait paraître plus petite tout en mettant en valeur ses appas : de mère indiscutable, elle est devenue grande fille. Si l’on ajoute la substitution du fils qui enlaçait son père par une petite soeur, on constate que ces discrètes modifications vont toutes dans le même sens : remplacer la symétrie familiale de la scène centrale (un couple montre à ses enfants comment on joue au billard) par une scène plus sensuelle et beaucoup plus équivoque : un homme puissant entouré de jeunes filles, toutes séduisantes et élégantes. Pour desserrer l’étreinte devenue trop ambigüe, Boilly a néanmoins déplacé la canne de la main droite à la main gauche de l’homme, sans illogisme puisqu’il attend son tour pour jouer.

Au final, les deux pseudo-couples du premier plan apparaissent moins charmants que troublants   :

  • désir canin (accentué par le regard du troisième chien sous la table) ;
  • désir enfantin (le garçon a laissé tomber son chariot pour prendre la petite fille avec son propre cerceau).

Cette toile magistrale nous laisse dans l’expectative : salon privé ou lieu public ? vertu publique ou vice privé ? libération de la femme (jouant au billard comme les hommes) et libération de son corps ? Sous-entendus sexuels propres à ce jeu ?


Boilly 1808 Le jeu de billard Ermitage femme Boilly 1828a Le jeu de billard femme

Il est en tout cas flagrant que le pendant de 1829 normalise le sujet, éradiquant consciencieusement toute lecture déviante.


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Boilly 1828 Le jeu de tonneauLe jeu du tonneau Boilly 1828 L'interieur d'un cabaretL’intérieur d’un cabaret

Boilly, 1828, lithographies de Villain

C’est sans doute par association d’idée que Boilly a situé son « jeu de tonneau » à l’entrée d’un cabaret, pour un classique pendant Extérieur / Intérieur.



Boilly 1828 Le jeu de tonneau detail

Son talent pour la narration de la comédie humaine se lit dans la direction des regards : tous se concentrent sur le palet qui va être lancé (même le chien), sauf les buveurs et les amoureux à l’arrière-plan, qui ont d’autres préoccupations.



Boilly 1828 L'interieur d'un cabaret detail

Dans le second tableau au contraire, les regards vont de tous côtés, et une scène secondaire, sous la table, occupe les enfants et le chien : un petit savoyard joue de la vielle en faisant danser des marionnettes avec son pied.



Sujets sociaux

boilly 1804 premiere scene-de-voleurs coll priveePremière scène de voleurs boilly 1804 seconde scene-de-voleurs (les voleurs arretes)Seconde scène de voleurs (l’arrestation)

D’après les toiles de Boilly exposés au Salon de 1804, collection privée

Pour une fois, Boilly nous montre une histoire en deux temps ; mais, privilégiant le graphisme au réalisme, il inverse les décors :

  • les trois voleurs dévalisent une pauvre femme et à son fils endormis ; une voisine terrorisée observe la scène par le vasistas mais heureusement des secours se profilent dans l’escalier ;
  • une petite fille (sans doute est-ce elle qui a donné l’alarme) se jette dans les bras de sa mère (qui se réveille avec terreur) et de son frère (que tout ce vacarme n’a pas dérangé) tandis que les trois malandrins sont désarmés (pistolet, sabre) et mis à mal par les sauveteurs et le chien. Le rideau du vasistas est retombé.

Malgré leur côté théâtral et forcé, ces pendants, qui eurent un grand succès, reflètent les inquiétudes des contemporains quant à l’insécurité.


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boilly 1825-30 premiere scene_de_voleursPremière scène de voleurs boilly 1825-30 scenes_de_voleursSeconde scène de voleurs (l’arrestation)

Boilly 1825-30, collection privée, 23,8 x 32,4 cm6]

Boilly reprendra la même séquence une vingtaine d’années plus tard, cette fois sans inverser les décors, avec des costumes remis au goût du jour et quelques modifications significatives :

  • dans la première scène, les sauveteurs arrivent désormais de partout (de tous les étages et par le vasitas) et les voleurs sont pauvres (habits rapiécés) et faiblement armés (un seul pistolet pour trois) ;
  • dans la seconde, maintenant que tout danger est écarté, des voisines se pressent dans l’escalier et dans le vasistas ; le personnage émouvant de la petite fille a disparu ; et le troisième voleur tente de sauver sa peau en se réfugiant sous le canapé.

La caricature évolue ici dans le sens d’une double charge :

  • contre les voleurs, dont les trognes reflètent plus la bêtise que la cruauté ;
  • mais surtout contre les bourgeois, toujours prêt à rappliquer en surnombre quand leurs intérêts sont menacés.


boilly 1804 avant la scene-de-voleurs coll privee
Les voleurs dans le jardin Collection privée

Boilly a également peint cette scène préliminaire de la même taille, expliquant comment les voleurs se sont introduits dans la pièce et comment les voisins ont été prévenus : ce qui explique incidemment pourquoi le personnage de la petite fille n’était plus nécessaire.



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Boilly 1830 Une Loge Musee Lambinet VersaillesSpectacle gratis (Une loge) Boilly 1830 L'effet_du_melodrame Musee Lambinet VersaillesL’effet du mélodrame

Boilly, 1830, Musée Lambinet, Versailles

Comme le remarque avec finesse Susan L. Siegfried ([1], p 163), Boilly invente un théâtre fictif où le peuple et les bourgeois seraient dans des loges adjacentes (et non au poulailler et au balcon). Ce qui lui permet de caricaturer simultanément les deux classes :

  • une bourgeoise réclame des sels, dans une pose plus mélodramatique que le spectacle en cours ;
  • le populaire se tourne vers ce « spectacle gratis » (avec toutes les expressions de la curiosité à la jalousie)au lieu lui-aussi de s’intéresser à ce qui se passe sur scène.

Le spectateur qui observe les deux pendants se trouve du même coup inclus dans ce théâtre, et placé dans la situation inconfortable de l’acteur dont tous les regards se détournent.



Suite et fin dans 3 Les pendants de Boilly : humour et caricature

Références :
[0] Etienne Bréton, Pascal Zuber, « LOUIS–LÉOPOLD BOILLY (1761–1845) », éditions Arthena 2019
[1] Susan L. Siegfried, « The Art of Louis-Leopold Boilly – Modern Life in Napoleonic France »
[4] Le Palamède: revue mensuelle des échecs et autres jeux, Cercle des échecs, 1845, p 402 https://books.google.fr/books?id=5f0lMil7n0wC&pg=PA402

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