Daily Archives: 15 février 2020

L'âge classique : pendants formels

15 février 2020

 Ces pendants privilégient la symétrie formelle, peu importe le sujet.

 Sujets divers : Pays-Bas

Hendrick Sorgh 1654 THE FISHMARKET Gemaldemuseum KasselLe Marché aux poissons Gemaeldegalerie Alte MeisterLe Marché aux légumes

Hendrick Sorgh, 1654, Gemäldemuseum, Kassel (40,1 x 30,5 cm)

On suppose, sans certitude, que le pendant prend prétexte des deux types de marchés pour montrer deux vues de Rotterdam, vers le port et vers la cité. Sorgh a décliné plusieurs fois le sujet des marchés.

 

Sorgh 1650-70 Marche aux poissons Rijksmuseum 47,5 cm × 65Le Marché aux poissons, Rijksmuseum, Amsterdam (65. x 47,5 cm) Sorgh 1650-70 Marche aux volailles a Rotterdam Musee BA de Bale 49,5 x 65 cmLe Marché aux volailles à Rotterdam, Musée des Beaux Arts de Bâle (65 x 49,5 cm)

Sorgh, 1650-70

On ne sait a si ces deux variantes très proches constituaient elles-aussi des pendants.

 

sb-line

Netscher la_lecon_de_chant 1664 LouvreLa Leçon de chant Netscher la_lecon_de_basse_de_viole 1664 LouvreLa Leçon de basse de viole

Netscher, 1664, Louvre, Paris

En ce temps où les pendants constituaient encore une nouveauté visuelle, le caractère systématique et didactique de celui-ci  lui confère un côté candide. Malgré les efforts de l’artiste pour perturber la symétrie, nous voyons bien que chacun se compose d’une musicienne assise, en robe blanche, entourée par un maître de musique en habit noir et par un tiers, grande soeur ou petit frère.

Non content d’opposer le Chant à la Musique instrumentale, nous avons pour le même prix l’Extérieur et  l’Intérieur, la Sculpture et  la Peinture et , de manière plus discrète, l’Eté et l’Hiver :

  • à gauche des verres sont posés à terre dans le rafraîchissoir, des pêches et des raisins sur la table ;
  • à droite, le pied gauche de la musicienne est posé sur une chaufferette.



sb-line

Samuel van Hoogstraten, 1660 - 1678 The Anemic Lady RikjsmuseumLa dame anémique, Rijksmuseum Samuel van Hoogstraten Two_Women_by_a_Cradle_The Quadrangle , Springfield Museum of Arts WGA11722Deux femmes près d’un berceau, The Quadrangle, Springfield Museum of Arts

Samuel van Hoogstraten, 1670

Ce pendant très inhabituel a été expliqué par Wayne E. Franits [1] : je résume ici son analyse, plus quelques compléments sur le rôle comparé des deux trios, et sur la symbolique des objets (sur l’art consommé d’Hoogstraten pour faire parler les décors, voir 2.2 Le Corridor : scène à quatre).


La dame anémique

Elle n’a pas fait venir le docteur dans l’espérance d’être enceinte, comme certains l’ont proposé. E. Petterson [2] a montré que la visite du docteur à une femme visiblement anémiée sous-entend que celle-ci souffre de « fureur utérine » : les médecins de l’époque pensaient qu’en l’absence de grossesse, cet organe devenait dévorant, au détriment des organes vitaux.


Samuel van Hoogstraten, 1660 - 1678 The Anemic Lady Rikjsmuseum detail femme Samuel van Hoogstraten, 1660 - 1678 The Anemic Lady Rikjsmuseum detail chat

Comme le note Wayne E. Franits , Hoogstraten a multiplié les indices en faveur de cette lecture : les doigts contractés de la patiente, sa posture analogue à celle du chat jouant avec la souris – figure habituelle de la libido féminine exacerbée (voir Pauvre Minet).



Samuel van Hoogstraten, 1660 - 1678 The Anemic Lady Rikjsmuseum detail tableaux
Ajoutons que l’oeil-de-boeuf dévoilé (impudeur) et barré (infertilité), qui donne sur un corridor décoré de tableaux galants, va dans le sens d’une lubricité ne trouvant pas d’exutoire. A contrario le tableau de l’arrière-salle – un fragment de l’Ecole d’Athènes de Raphaël, au dessus d’une cheminée éteinte – invoque l’état d’esprit de sagesse, de piété et de désir maîtrisé qu’elle est bien incapable d’atteindre.


Deux femmes près d’un berceau (SCOOP !)

Le trio formé par le médecin, le mari, et patiente – celui qui sait, celui qui aime et celle qui a besoin d’aide – est remplacé par un trio équivalent, mais aux sexes inversés : la compagne plus âgée, la mère et l’enfant.

La fenêtre garnie d’un bouquet, la pièce arrière tapissée d’un luxueux cuir de Cordoue doré, et le berceau débordant de fourrures sont autant d’images d’un utérus comblé, opulent et douillet.


La logique du pendant

Laissons la conclusion à Wayne E. Franits :

« Si « La visite du docteur » représente l’utérus enflammé, alors « Deux femmes près d’un berceau » représente l’utérus rétabli par la grossesse et par l’enfantement« .


 Sujets divers : Italie

Manfredi 1614-16 Soldats jouant aux cartes FlorenceSoldats jouant aux cartes (pratiquement détruit lors de l’attentat à la bombe de 1993) Manfredi 1614-16 A Concert Offices FlorenceUn Concert

Manfredi, 1614-16 Offices, Florence

Les deux composition sont construites en parallèle :

  • au centre, la table avec la partition ou le jeu de cartes ;
  • de part et d’autre, un groupe de trois plus un personnages impliqués dans le jeu : musiciens (violoniste, luthiste, chanteur en face du flûtiste) ou joueurs de carte (celui qui est assis sur la table est probablement un tricheur) ;
  • à droite, deux personnages debout, qui ne jouent pas.

Le très mauvais état des deux tableaux empêche d’aller plus loin dans la compréhension des deux scènes, mais il est douteux que le pendant repose sur autre chose que sur ces correspondances purement formelles.



sb-line

boncori-1675 joueurs cartes Chrysler Museum of Art, NorfolkJoueurs de cartes boncori-1675 musiciens Chrysler Museum of Art, NorfolkGroupe de musiciens

Boncori, 1675, Chrysler Museum of Art, Norfolk

A gauche, dans un bouge, le jeune homme en velours rouge croit tenir la carte gagnante pendant qu’une fille lui soutire sa bourse (sur ce thème, voir Vol simple, vol en réunion).

A droite, dans un extérieur noble, de  jeunes musiciens  jouent ensemble,  sous l’égide d’une statue de Pan avec sa flûte.

On compte une femme et quatre hommes de chaque côté (en incluant  la statue), dans des attitudes très symétriques :

  • les deux joueurs de cartes du premier plan font écho au luthiste et au  contrebassiste (ils ont d’ailleurs les mêmes pantoufles rouge et blanche et les mêmes couvre-chefs) ;
  • le spectateur en pourpoint vert qui observe le jeu de cartes d’en haut (et qui tient d’ailleurs un violon) correspond au violoniste debout, qui penche sa tête vers le groupe ;
  • la voleuse et la claveciniste  rivalisent de dextérité.

Ainsi ce  pendant fortement charpenté oppose l‘intérieur et l’extérieur, le divertissement et l’art, les cartes et la partition, le jeu futile et le jeu habile, la discorde et l’harmonie.


sb-line

Giordano Mort de Caton Musee de CHamberyMort de Caton, Musée de Chambéry Giordano 1684-85 Mort de Seneque LouvreMort de Sénèque, , Louvre, Paris

Giordano, 1684-85

Le pendant dispose face à face deux nobles vieillards entourés de disciples montrant toutes les expressions de l’affliction, côté politique, et de l’attention, côté philosophie.

On ne sait pas grand chose du suicide de Caton, sinon qu’il se plongea une épée dans la poitrine pour ne pas survivre à la République, après avoir lu une dernière fois le Phédon de Platon (sans doute le livre tenu par le jeune homme en bleu).

En revanche le suicide de Sénèque, qui s’ouvrit les veines sur l’ordre de Néron, est raconté en détail par Tacite :

« Et, même au moment fatal, gardant toute la maîtrise de son éloquence, il appela ses secrétaires et leur livra longuement ses réflexions. » Tacite, Annales XV

Dans les deux sujets, la dignité de la Peinture d’Histoire impose de faire l’impasse sur les effets grand-guignols : pas de glaive côté Caton, et bandage côté Sénèque.


Références :
[1] Wayne E. Franits, « Dutch Seventeenth-century Genre Painting: Its Stylistic and Thematic Evolution », Yale University Press, 2004, p 147
https://books.google.fr/books?id=LjI6JJqjX3gC&pg=PA147&lpg=PA71&dq=%22pendants%22#v=onepage&q=%22pendants%22&f=false
[2] E. Petterson, Amans Amanti Medicus: Die Ikonologie des Motivs ,Der ärztliche Besuch’, in: Holländische Genremalerei im 17 Jahrhundert: Symposium Berlin 1984, hrsg.v. H. Bock u. T.W. Gaehtgens, Berlin 1987, S. 193-224

Les précurseurs : 1 sujets religieux et mythologiques

15 février 2020

Sujets religieux

Découverte du cadavre d’Holopherne Retour de Judith à Béthulie

Sandro Botticelli, 1472, Offices

Cette paire de très petits tableaux (31 × 25 cm) explore déjà des oppositions qui deviendront bientôt classiques :

  • scène d’intérieur / scène d’extérieur ;
  • scène statique / scène en mouvement.

Elle ne cherche pas à équilibrer le nombre de personnages, mais exploite une idée tout à fait originale : la tête d’Holopherne, coupée en bas à gauche, se retrouve exhibée en haut à droite.


sb-line

Raphael 1503-05 St_Georges et_le_dragon LouvreSaint Georges et le dragon
Raphael 1503-05 Petit St_Michel LouvreSaint Michel et le dragon (Petit Saint Michel)

Raphaël, 1503-05, Louvre

Contraint par l’iconographie standardisée des deux archanges, Raphaël n’a pas tenté de mettre en correspondance un combat équestre et un combat à pied. Il s’est contenté de placer à gauche la scène d’espérance (la princesse sauvée du dragon) et à droite la scène de désolation, retrouvant ainsi la polarité habituelle des Jugements derniers (les Elus à la droite du Seigneur, les Damnés à sa gauche).


sb-line

1509-13 Mariotto_Albertinelli a_The Temptation of Adam and Eve_1959.15.13a_-_Yale_University_Art_GalleryLa tentation d’Adam et Eve 1509-13 Mariotto_Albertinelli b_-_The_Sacrifice_of_Isaac_-_1959.15.13b_-_Yale_University_Art_GalleryLe sacrifice d’Isaac

Mariotto Albertinelli, 1509-13, Yale University Art Gallery

Sur ce pendant, voir Le sacrifice d’Isaac : 2 type solidaire


sb-line

Rosso Fiorentino copie Rebecca et Eliezer au puit Musee National PiseRebecca et Eliezer au puits (Genèse 24, 15-27), Musée National, Pise (copie) Rosso Fiorentino 1525 ca Moses_defending_the_Daughters_of_Jethro OfficesMoïse prenant la défense des filles de Jethro (Exode 2, 15-17), Offices, Florence

Rosso Fiorentino, vers 1525

Je suis ici l’analyse de John F. Peluso, selon laquelle ces deux tableaux sont des pendants [0] .

Malgré l’enchevêtrement des formes, on relève de forts parallélismes entre les deux compositions :

  • au premier plan, deux corps allongés, l’un vu de dos et l’autre de face, tête en haut et tête en bas ;
  • sur la gauche, un homme debout avec une cape rose ;
  • en face des bêtes, chameaux ou moutons ;
  • au centre le héros masculin : Eliezer recevant de l’eau (à l’arrière, vu de dos), Moïse frappant un des bergers (à l’avant, vu de face) ;
  • plus haut, à droite du puits, le héros féminin : Rebecca et une des filles de Jethro.

Le thème commun de ces deux histoires bibliques est celui du puits et de l’eau : donnée d’un côté, reconquise de haute lutte de l’autre. Ainsi la générosité de Rebecca est mise en balance avec l’égoïsme des bergers, qui voulaient interdire le puis aux filles de Jethro.


sb-line

Hondius 1597 d apres Karel Van Mander Judicium SalomonisLe Jugement de Salomon Hondius 1597 d apres Karel Van Mander Judicium Christi La femme accusee d'adultereLe Jugement du Christ (La femme accusée d’adultère)

Gravure de Hondius d’après Karel Van Mander, 1597

Le pendant apparie deux scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament montrant le Jugement d’un femme. L’accusée se trouve au centre, désignée par une grande colonne. La table des changeurs et l’escalier montant vers le Temple, à droite, essaient de créer une symétrie avec la balustrade des soldats et le trône de Salomon, à gauche Si l’idée d’une structure homogène est déjà là, elle est encore balbutiante.


 Sujets mythologiques : de Mantegna  à Corrège

La naissance des pendants mythologiques peut être datée assez précisément à partir des ouvres exposées dans le Studiolo d’Isabelle d’Este à Mantoue.

Mantegna Bataille des dieux marins (gauche) Mantegna Bataille des dieux marins (droite)

Bataille de dieux marins
Mantegna, avant 1481

Inspirées de bas-reliefs antiques, ces deux gravures à l’iconographie énigmatique [1] ne constituent pas encore des pendants, mais deux moitiés destinées à se raccorder l’une à l’autre pour former une frise panoramique (voir la queue serpentine du triton., qui se prolonge loin dans la gravure de gauche).


sb-line

Mantegna 1481 av baccanale_con_un_tinoBacchanale à la cuve Mantegna 1481 a _baccanale_con_silenoBacchanale au Silène

Mantegna, avant 1481, [2]

Le statut de ces deux gravures est moins assuré, puisqu’il n’y a pas de motif de raccordement aussi flagrant : cependant la flaque de vin s’échappant du tonneau, qui se prolonge dans l’autre gravure, semble bien destinée à indiquer que les deux sont, là encore, les deux moitiés d’une frise [3]. Aucune symétrie évidente ne suggère, a contrario, qu’il ait pu s’agir de pendants.


sb-line

Mantegna Allegory of the Fall of Ignorant Humanity Virtus Combusta British Museum

Allégorie de la Chute de l’Humanité ignorante (Virtus Combusta)
Dessin inachevé de Mantegna, 1490-1500, British Museum

A gauche, un couple représentant l’Humanité avance vers la chute : la femme aveugle est menée par un être aux oreilles d’âne, symbolisant l’Erreur ou la Folie ; son compagnon, aveuglé par un sac et mal guidé par un chien en laisse, suit la musique du satyre aux pieds palmés qui symbolise la Luxure.

Mantegna Allegory of the Fall of Ignorant Humanity Virtus Combusta British Museum detail Mantegna 1499-1502 Minerve chassant les Vices du jardin de la Vertu Louvre detailMinerve chassant les Vices du jardin de la Vertu (détail)
Mantegna, 1499-1502, Louvre, Paris

A droite, la femme obèse tenant un gouvernail et assise sur le globe représente l’Ignorance gouvernant le Monde, entre l’Ingratitude aux yeux bandés et l’Avarice au corps émacié (à en croire les inscriptions du tableau du Louvre).

Le sens général semble être que, sous l’emprise de l’Ignorance, qui s’appuie sur le Hasard et non pas l’Art pour atteindre la Prospérité (symbolisée par les sacs et le trou rempli de pièces), la Vertu périt (le laurier en flammes, Virtus Combusta) et l’Humanité aveugle va à l’abîme.


Un second dessin, aujourd’hui perdu, nous est connu par une gravure. Il était destiné à être placé non pas en pendant, mais en dessous :

Allégorie de la Chute de l’Humanité ignorante (Virtus Combusta)
Giovanni Antonio da Brescia 1500-05 Allegory of the Fall of Ignorant Humanity Virtus CombustaGiovanni Antonio da Brescia 1500-05 Allegory of the Rescue of Humanity Virtus Deserta
Allégorie du Salut de l’Humanité (Virtus Deserta)
Gravures de Giovanni Antonio da Brescia, 1500-05

La seconde gravure montre des cadavres entassés devant une porte verrouillée. Un homme au premier plan est secouru par Mercure. La substitution de feuilles de laurier aux ailes de ses pieds le désigne ici comme le Dieu de la Vertu (ordinairement, c’est Minerve). Mais Mercure a sans doute été préféré à cause de son rôle de psychopompe : en tant que messager des Dieux, il a la possibilité de passer d’un monde à l’autre, et notamment d’escorter vers les Enfers les âmes des morts. La présence des deux portes (la grande verrouillée et la petite derrière Mercure) semble impliquer qu’il est possible d’échapper à la fosse commune de l’Ignorance, maiss eulement pour les Elus.

A gauche, la figure aux bras de lauriers et au tronc entouré d’épines évoque Daphné, qui préféra se transformer en laurier pour échapper à Apollon. Le panonceau Virtus deserta (la Vertu dont personne ne se soucie) complète l’autre inscription gravée au milieu des décombres VIRTVTI·S·A·I. Elle correspond probablement à une maxime écrite à deux reprises par Mantegna, dans des lettres adressées au marquis Francesco Gonzaga, en 1489 et 1491 : Virtuti semper adversatur ignorantia : « L’Ignorance s’oppose toujours à la Vertu ».


sb-line

Mantegna 1497 Le Parnasse LouvreLe Parnasse, 1497 Mantegna 1499-1502 Minerve chassant les Vices du jardin de la Vertu LouvreMinerve chassant les Vices du jardin de la Vertu, 1499-1502

Mantegna, Louvre, Paris

Je n’entrerai pas ici dans l’iconographie de ces deux toiles très complexes [4]. Elles ont été réalisées, à cinq années de distance, pour être accrochées face à face dans le premier Studiolo d’Isabelle d’Este : la direction de la lumière (venant de la gauche dans le premier, de la droite dans le second) est cohérente aavec la position de la fenêtre du studiolo. Mis à part ce point, aucun des spécialistes qui ont étudié ces deux toiles sous toutes les coutures n’a mis en évidence d’éléments qui se feraient écho d’un tableau à l’autre et dénoteraient une conception en pendants.

Le contraste entre les deux compositions, l’une statique et centrée autour d’une arche, l’autre dynamique dans un mouvement vers la droite, contrarient toute lecture en pendant.


Mantegna 1459 Le Jerdin des Oliviers Musee des BA ToursLe Christ au Jardin des Oliviers Mantegna 1459 La résurrection Musee des BA ToursLa Résurrection

Mantegna, 1459, Prédelle de San Zeno, Musée des Beaux Arts, Tours

On peut remarquer d’ailleurs que ce contraste existe déjà entre deux panneaux antérieurs de Mantegna, destinés non pas à être lus en pendants, mais en triptyque séquentiel : ils formaient le prélude et la conclusion de part et d’autre d’une Crucifixion,


sb-line

Concluons que, malgré de nombreuses expérimentations graphiques (paires de se recollant horizontalement ou verticalement), Mantegna, le grand redécouvreur de la mythologie antique, n’a réalisé aucun pendant sur ce thème.

Il faudra attendre une trentaine d’années pour qu’une nouvelle génération s’en charge, dans le second Studiolo d’Isabelle d’Este (voir Les pendants de Corrège)

sb-line

Veronese 1580 ca Venus and Adonis PradoVénus et Adonis Veronese 1580 ca Cephale et Procris Musee des BA StrasbourgCéphale et Procris

Veronèse, vers 1580, Prado, Madrid

Ce pendant raconte deux histoires d’amour tragique – et deux accidents de chasse – tirés des Métamorphoses d’Ovide.

Dans le premier, Vénus, qui évente son amant Adonis allongé sur elle, pressent sa mort prochaine, la cuisse transpercée par un sanglier.

Dans le second, Céphale pleure son amante Procris, qu’il a par erreur transpercée de son javelot magique (qui ne manquait jamais son but) alors qu’elle l’épiait, cachée derrière un buisson. Le chien au dessus d’eux est Laélaps, qui rattrapait toujours sa proie. Le tableau illustre fidèlement le texte d’Ovide :  » Je la vois retirer de son sein ce javelot que j’avais reçu d’elle. Je soulève dans mes bras criminels ce corps qui m’est plus cher que le mien » .


La logique du pendant (SCOOP !)

Le trio horizontal chien debout / femme assise / homme couché  s’inverse en un trio vertical chien couché / homme assis / femme couchée.


Veronese 1580 ca Venus and Adonis Prado detail Veronese 1580 ca Cephale et Procris Musee des BA Strasbourg detail

Dans chaque tableau, un groupe secondaire augmente la tension dramatique :

  • au premier plan, Cupidon retient le chien pour retarder le moment fatal ;
  •  à l’arrière plan, la femme accompagnée de deux chiens et d’un taureau est Artémis, déesse de la chasse : c’est elle qui avait justement donné les deux armes magiques (le javelot et le chien) à Minos (d’où le taureau) lequel les avait offertes à Procris, laquelle à son tour en avait fait cadeau à Céphale : d’où le tragique de l’histoire [6].

 Sujets mythologiques : le Maniérisme

Toussaint Dubreuil 1580-1600 Leda et le cygne LouvreLéda et le cygne Toussaint Dubreuil 1580-1600 Angelique et Medor LouvreAngélique et Médor

Toussaint Dubreuil, 1580-1600, Louvre

On ne sait pas si ces deux tableaux constituaient un pendant sur chevalet – auquel cas le thème commun serait la passion amoureuse, ou bien les fragments d’un décor consacré à un cycle plus large, partant de la naissance d’Hélène de Troie (fille de Léda) jusqu’à un des descendants d’Hector, Roger, héros du Roland furieux de l’Arioste.


Angélique et Médor

« Médor inscrit le nom d’Angélique, avec qui il vient de s’unir, sur le rocher. Au fond, Roland arrive, poursuivant Angélique qu’il aime : la découverte de l’inscription le rendra fou. La composition de Dubreuil articule donc deux épisodes nettement séparés dans le récit de l’Arioste : la fabrication de l’inscription au chant XIX du Roland furieux et la découverte de l’inscription à la fin du chant XXIII. La peinture conserve le souvenir des compositions narratives : plus on s’avance vers le fond, plus on avance dans la narration. Mais la logique est déjà scénique : c’est le couple formé parAngélique et par Médor qui constitue l’espace restreint de la scène, espace barré pour l’œil du spectateur par la posture d’Angélique, qui nous tourne le dos et, dans le même temps, baissant des yeux attentifs vers l’inscription que grave Médor, constitue pour nous l’embrayeur visuel vers le point focal de la représentation. Roland est relégué dans l’espace vague, dans le lointain de la forêt, du paysage. » Stéphane Lojkine [8]


Léda et le cygne

Jupiter s’est transformé en cygne pour s’accoupler avec Léda. Le second cygne en haut à droite représente probablement le Dieu remontant vers le ciel : ainsi, exactement comme dans le second panneau, la composition nous montre deux temps de l’histoire, avec le futur à l’arrière-plan.


La logique du pendant (SCOOP !)

Cette juxtaposition du présent et du futur à l’intérieur de chaque scène, ainsi que la pose symétrique de Léda de face et d’Angélique de dos, militent en faveur d’un pendant se suffisant à lui-même.

Ajoutons que c’est près d’un fleuve que Léda et Jupiter s’accouplent, et à côté d’une fontaine que se trouve le fameux rocher près duquel Angélique et Médor font l’amour : c’est peut-être elle qu’on croit deviner en bas à gauche, dans le coin obscurci du tableau.


sb-line

Pour un spécialiste des pendants mythologiques au point culminant du maniérisme, voir Spranger : Pendants de couple pour Rodolphe II.

Références :
[0] John F. Peluso, « Rosso Fiorentino’s Moses Defending the Daughters of Jethro and Its Pendant: Their Roman Provenance and Allegorical Symbolism », Mitteilungen des Kunsthistorischen Institutes in Florenz, 20. Bd., H. 1 (1976), https://www.jstor.org/stable/27652393
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Bacchanales_(Mantegna)
[3]  Michael Vickers a même fait l’hypothèse que les deux gravures panoramiques étaient le reflet de fresques ou de toiles qui encadraient, à gauche ou à droite, la série des Triomphes de César. Michael Vickers , « The Intended Setting of Mantegna’s ‘Triumph of Cæsar’, ‘Battle of the Sea Gods’ and’Bacchanals », The Burlington Magazine, Vol. 120, No. 903, Special Issue Devoted to the ItalianQuattrocento (Jun., 1978), pp. 360+365-371
[5] Guido Rebecchini, « New Light on Two ‘Venuses’ by Correggio » , Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 60 (1997), pp. 272-275 https://www.jstor.org/stable/751238
[6] Pour l’histoire complète et ses détails croustillants, voir https://mythologica.fr/grec/cephale.htm ou
http://www.jcbourdais.net/journal/procris_fin.html