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Les pendants de Wilkie

31 mars 2020

David Wilkie, un des peintres les plus côtés de la période de la Régence, commença à faire fortune avec des scènes de genre imitées des hollandais (Teniers, Van Ostade). Il réalisa ainsi plusieurs pendants pour le Régent (devenu ensuite le roi George IV), qui appréciait beaucoup cette formule. Après 1828, son style évolua vers un romantisme à la Delacroix, sans qu’il cesse pour autant de sacrifier à la mode des pendants.

 

 

Wilkie 1809 The sick lady gravure de Engleheart 1838La jeune malade (The sick lady), gravure de Engleheart, 1838 wilkie 1809 The cut finger coll privLe doigt entaillé (The cut finger), collection privée

Wilkie, 1809

Conçus comme des pendants, les deux tableaux n’ont été ni exposés ni vendus ensemble. Le premier réalisé montre une maladie grave dans une demeure bourgeoise, le second un bobo dans une cuisine  campagnarde :

  • le docteur prend d’un air soucieux le pouls de la jeune malade, tandis que la grand mère panse le doigt du benjamin (qui s’est taillé en confectionnant des petits bateaux) ;
  • le chien empathique contraste avec le chat indifférent  ;
  • les objets suspendus se répondent par symétrie ; aux objets manufacturés et futiles (le vide-poches d’où s’échappe un ruban, la guitare, le baromètre et la cage à oiseaux) font écho des objets simples et utiles (la flasque de vin, la lanterne, l’ardoise et la volaille)  ;
  • au lit clos qui sent déjà la mort, avec sa bougie coiffée d’un éteignoir, s’oppose  la cheminée avec sa marmite qui chauffe.


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Edward Bird 1810 Village Choristers Rehearsing an Anthem for SundayChoeur villageois  répétant un hymne pour le Dimanche (Village Choristers Rehearsing an Anthem for Sunday)
Edward Bird, 1810, The Royal Collection
Wilkie 1812 Blind Man BluffLe Colin-Maillard (Blind Man Bluff)
Wilkie,  1812, The Royal Collection

Wilkie peignit  le Colin-Maillard pour faire pendant au tableau de Bird, que le Régent possédait déjà. Le thème commun est celui d’une communauté villageoise qui s’organise autour d’un meneur de jeu, soit pour chanter (le bedeau) soit pour s’amuser (l’homme aux yeux bandés).

D’amusantes scènes secondaires sont à découvrir :

  • chez Bird :
    • le marmot qui ne veut pas aller au lit,
    • la cage à serin collée au plafond et aveuglée par un linge pour ne pas gêner les chanteurs ;
  • chez Wilkie :
    • le gamin qui s’est fait mal au pied avec la chaise renversée,
    • le chien écrasé, l’homme au balai attendant sa proie,
    • le gamin plaqué contre le mur,
    • le couple qui profite du tohu-bohu pour s’embrasser.


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Wilkie 1812 Blind Man BluffLe Colin-Maillard (Blind Man Bluff)
Wilkie,  1812, The Royal Collection
Wilkie 1818 The Penny WeddingLe mariage à  un  Penny (The Penny Wedding )
Wilkie,  1818, The Royal Collection

En 1813, pour remplacer le tableau de Bird, le prince demanda un nouveau pendant à Wilkie qui, submergé par les commandes, ne le livra qu’en 1818. Le titre fait allusion à la coutume écossaise de donner un penny par invité, pour contribuer aux frais du mariage et à l’installation du jeune ménage.


Wilkie 1818 The Penny Wedding detail

Le marié incite la mariée à rentrer dans la danse, tandis qu’une fille se penche pour rajuster son soulier. Derrière eux , un second trio leur fait écho : un jeune homme remet son gant d’un air entendu en proposant de danser à une fille dubitative , tandis que son amie assise la pousse à y aller. Entre les deux trios de jeunes gens, une vieille femme s’intéresse surtout à la boisson.

Ce nouveau pendant insiste sur la cohésion et la gaieté naturelle d’une communauté de gens simples, toujours prêts à pousser les chaises pour se réjouir tous ensemble.

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Wilkie-1850-the-gentle-shepherdLe doux berger (The gentle shepherd)
Wilkie, 1823, National Galleries of Scotland, Edimbourg
Wilkie-1850-the-cottage-toilet.La toilette à la ferme (The cottage toilet)
Wilkie, 1824, The Wallace Collection, Londres

Ces tableaux sont inspirés de la comédie pastorale écossaise de Allan Ramsay, The gentle shepherd (1725). La composition est très simple : dans chacun,  deux filles au premier plan à gauche,  un homme et un chien en arrière-plan à droite. Ces pendants en parallèle, et non en miroir, sont fréquents chez Wilkie, et laissent toute liberté pour l’accrochage.

Dans le premier tableau, en extérieur, Roger joue de la flûte pour Jenny. On a de la peine aujourd’hui à comprendre l’émotion intense qu’a pu produire cette oeuvre chez les contemporains en proie à la scottishmania  :

« Je n’y ai jeté qu’un coup d’oeil ; mais j’ai vu la nature si joliment représentée, qu’en dépit de tout, , les larmes jaillirent de mes yeux, et les impressions qu’elle me fit sont aussi puissantes maintenant qu’alors. […] Jamais rien de ce genre ne m’a fait une telle impression. [1]


Dans le second  tableau, en intérieur, Glaud, son chien entre les jambe, regarde ses filles qui font la toilette .

« Tandis que Peggy lace son corsage,
Avec un noeud bleu Jenny attache sa chevelure.
Glaud près du feu du matin jette un oeil
Le soleil levant brille à travers la fumée
La pipe en bouche, les chéries le réjouissent,
Et de temps en temps il ne peut s’empêcher
une plaisanterie.’ »
 « While Peggy laces up her bosom fair,
With a blew snood Jenny binds up her hair;
Glaud by his morning ingle takes a beek,
The rising sun shines motty thro’ the reek,
A pipe his mouth; the lasses please his een,
And now and than his joke maun interveen.’ »
The Gentle Shepherd, Act V, Scene II

Ainsi, sous le rustique béret écossais,  la  pipe de l’amour paternel fait écho au pipeau de l’amour pastoral.

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Wilkie 1826 The pifferrariLes  pifferrari
Wilkie, 1826, The Royal Collection
Wilkie 1827 A Roman Princess Washing the Feet of PilgrimsPrincesse romaine lavant les pieds des pélerins (A Roman Princess Washing the Feet of Pilgrims)
Wilkie, 1827, The Royal Collection  

Encore un pendant en parallèle : deux escaliers, en extérieur et en intérieur, montent de droite à gauche vers une image sainte.

Dans le premier tableau, deux femmes s’agenouillent devant la Madonne, but de leur pélerinage. Des pifferari lui rendent hommage avec leur musique lancinante que Wilkie avait pu comparer, les entendant jouer à Rome pour Noël, avec les cornemuses écossaises.

Dans le second tableau, deux autres femmes pèlerin, avec leur coiffe plate caractéristique, se retrouvent  maintenant assises en position dominante, tandis qu’une jeune fille noble s’agenouille pour leur  laver les pieds, une autre debout tenant la serviette. La scène est censée se passer dans l’église de la Sainte Trinité des Pèlerins, à Rome, la fille agenouillée serait  la princesse Doria. Deux des femmes essuient leur visage en sueur, preuve d’un chaleur qui les accable même dans l’église.

Ce pendant est typique du renouvellement radical de Wilkie tant pour le style – qui rompt complètement avec le fini à la hollandaise, que pour le sujet – qui abandonne le folklore écossais pour l’exotisme méditerranéen, assaisonné de piment catholique.

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Sir David WilKie The guerilla departure 1828 Royal Collection TrustLe départ pour la guérilla
Sir David Wilkie, 1828
Sir David WilKie The guerilla return 1830 Royal Collection TrustLe retour de la guérilla
Sir David Wilkie, 1828

Royal Collection Trust

D’un voyage sur le continent, Wilkie ramène en 1828 un changement de style (plutôt Delacroix que Teniers) et des scènes de genre participant à l’hispanophilie ambiante, qui évoquent la guerre contre Napoléon avec un parti-pris espagnol.


Le départ

« La  référence au jeune mendiant de Murillo assure la couleur locale… Devant une église, un moine carmélite, peut-être son confesseur, donne du feu à un guérillero. Le geste est une couverture leur  permettant de chuchoter . Peut-être s’agit-il d’informations secrètes ou d’instructions venant du moine. Ou bien est-ce une confession privée, le guérillero se voyant accorder une sorte d’absolution a priori. L’allumage du cigare suggère également la mise à feu d’une mèche, comme si le moine était par procuration l’auteur de l’ explosion ». Notice du Royal Collection Trust.


Le retour

« Le Guérillero revient blessé sur sa mule, le bras gauche en écharpe. Il est accueilli par sa femme horrifiée, tandis qu’une autre femme agenouillée près d’une cuvette se prépare à laver ses plaies. Le confesseur l’aide à descendre pour qu’il puisse se  cacher dans la maison (ou est-ce l’église) avant le jour. Comme pour beaucoup de ces scènes de genre, il existe de curieuses réminiscences  religieuses : ici, un écho ironique de l’Entrée du Christ à Jérusalem. » Notice du Royal Collection Trust


La logique du pendant

Départ le matin, retour le soir, sans doute pas le même jour puisque le guérilléro a changé de pantalon. Parti debout à côté du moine assis, il rentre assis à côté du moine debout. Le jeune garçon armé seulement d’un balai (le pauvre peuple qui rêve de balayer l’étranger) est remplacé par une autre figure du nettoyage et de l’absolution : la femme à la cuvette. Au feu qui allume les combats s’oppose l’eau qui lave les blessures  : toute la question de la guerre résumée en deux tableaux.


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Wilkie 1837 Grace before meat Birmingham Museums TrustLe bénédicité (Grace before meat)
Wikie 1837 Birmingham Museums Trust
Wilkie, David, 1785-1841; The Cottar's Saturday NightSamedi soir chez les cotters (The Cotter’s Saturday Night)
Wikie 1837

Ces deux pendants rembranesques sont inspirés par un poème de Robert Burns,  Address to the Haggis (Hommage à la panse de brebis farcie) [2]. La composition est  toujours en parallèle : à  gauche la cheminée, à droite la table familiale où l’on dit le Bénédicité à midi, et où l’on lit les Ecritures le samedi soir.

« Le thème est celui des « cotters », paysans auxquels le propriétaire fournissait un cottage en échange de travail,  plutôt que d’un loyer. Ce système avait disparu dans les années 1820. avec la réforme agraire. Il était lié  à la tradition du culte à la maison, qui disparaissait tout aussi rapidement. En 1836, l’Église d’Écosse avait distribué à tous ses ministres une lettre pastorale les invitant à encourager parmi leurs paroissiens cette pratique mourante. Au cœur du presbytérianisme se trouvait l’aspiration de laisser  la gouvernance de l’Eglise au soin des chefs de famille , plutôt qu’aux propriétaires fonciers locaux,  comme c’était, grossièrement parlant, le cas dans la pratique anglicane. Ces tableaux , comme d’autres  de Wilkie, mettent en valeur la vertu domestique comme une caractéristique particulière et spéciale des Ecossais. » [3]


Références :
[1] « I got only one short look of it; but I saw nature so beautifully depicted, that in spite of all I could do the tears burst from my eyes, and the impressions made by it is as powerful at this moment as it was then. […] There was never anything of the kind made such an impression on me25. » Hogg, The Art-Union, mai 1839, no 4, p. 74.
[2] On trouvera une traduction documentée dans http://www.address-to-a-haggis.c.la/

Les pendants d'Ochtervelt

31 mars 2020

 Parmi les sept pendants d’Ochtervelt, seuls deux sont totalement confirmés [1]. L’originalité des sujets mérite néanmoins ce court article.

Ochtervelt, Jacob, 1634-1682; The Embracing CavalierLe cavalier qui embrasse (The Embracing Cavalier) (44.6 x 35.6 cm) Jacob-Ochtervelt-1660-65-The-Sleeping-Cavalier-Manchester-Art-Gallery-46.0Le cavalier qui dort (The Sleeping Cavalier) (46 x 37.7 cm)

Jacob Ochtervelt, 1660-65, Manchester Art Gallery

Malgré la légère différence de taille, il est probable que ces deux tableaux, qui montrent les mêmes personnages, aient été conçus comme pendants.


Le cavalier qui embrasse

L’ardoise au mur, biffée de nombreux traits, et la pipe cassée sur le sol, indiquent que le cavalier et son compagnon – qui dort affalé sur le jeu de backgammon – ont largement bu et fumé. La cage à oiseau identifie l’auberge comme un bordel (voir La cage hollandaise) : tandis que la tenancière amène un dernier verre, l’entraîneuse, tout en évitant un baiser, lève le bras gauche du cavalier pour vérifier qu’il est à point.


Le cavalier qui dort

Au matin, il s’agit de vider les lieux : la tenancière approche probablement une braise sous le nez du cavalier, tandis qu’un compère lui corne à l’oreille. Le coussin a été replacé sur le tabouret, et un chien dort par terre à sa place, rappelant avec humour le joueur assommé par le vin.


La logique du pendant (SCOOP !)

 L’événement mis entre parenthèses est non pas une nuit d’amour dans les bras d’une fille – comme le cavalier l’espérait – mais un sommeil lourd seul sur la chaise.



Ochtervelt 1668 Cavalier in a window Staedel Museum, Frankfurt am MainCavalier à sa fenêtre, Städel Museum, Francfort (29 X 23 cm) Ochtervelt 1668 Young woman singing in a window collection priveeFemme chantant à sa fenêtre, collection privée (26 X 19,5 cm)

Ochtervelt, 1668

Ce pendant probable (malgré la légère différence de taille) se rattache à la formule des demi-figures de l’Ecole d’Utrecht, et en particulier aux musiciens vus dans une fenêtre de Honthorst, en 1623 (voir Les pendants caravagesques de l’Ecole d’Utrecht).

L’ordre d’accrochage héraldique est le plus intéressant d’un point de vue narratif, puisque l’homme au béret rouge apparaît écoutant la main sur le coeur, et sans qu’elle ne s’en doute, le chant de la jeune femme qu’il aime.


Ochtervelt 1666–70 Violonist in a window coll priv 26,9 x 19,5Violoniste à sa fenêtre, collection privée  (26,9 x 19,5 cm), Ochtervelt 1668 Young woman singing in a window collection privee

Une autre possibilité est d’apparier la chanteuse avec un violoniste peint par Ochtervelt à la même époque : à noter que la fenêtre du violoniste, abîmée, a été restaurée récemment sur le modèle de l’autre, ce qui force artificiellement la ressemblance. [2]


Ochtervelt 1668-69 Poultry seller at the door loc inconnueVendeur de volailles à la porte, localisation inconnue (77,5 x 62 cm) Ochtervelt 1668-69 Cherry seller at the front door Museum Mayer van den Bergh, AntwerpVendeuse de cerises à la porte, Museum Mayer van den Bergh, Anvers (78 x 62,9 cm)

Ochtervelt, 1668-69

Dans les deux tableaux,la lumière vient du même point, en haut à gauche. Les compositions sont symétriques :

  • la maîtresse de maison, debout, paye le marchand ou supervise la pesée ;
  • une servante présente une volaille (interceptée par le chien) ou un plat vide pour les cerises (interceptées par la petite fille) ;
  • deux objets circulaires se répondent en pleine lumière : le paillasson et le panier de cerises.



Ochtervelt 1668-69 Cherry seller schema
Le système perspectif montre une différence notable, et probablement délibérée, de point de vue :

  • dans le premier tableau, le spectateur regarde la scène du point de vue de la maîtresse de maison ;
  • dans le second, il la regarde du point de vue de la vendeuse agenouillée.

A noter que les deux portes, rectangulaire à battant plein ou en arc de cercle à demi-battant, ont la même largeur et à peu près le même position, ce qui contribue fortement à l’unification des deux scènes.


Ochtervelt 1669 Grape seller at the door ErmitageVendeuse de raisins à la porte (81 x 66,5 cm) Ochtervelt 1669 Woman selling fish at the door of a house ErmitageVendeuse de poissons à la porte (81,5 x 63,5 cm)

Ochtervelt, 1669, Ermitage, Saint Pétersbourg

Ce second cas en revanche me semble très douteux du point de vue du fonctionnement en pendant :

  • trop d’éléments redondants (la vieille marchande, le chien, le panier par terre, la servante qui présente le plat vide) ;
  • éclairage incohérent : venant de la gauche puis du centre (voir les ombres convergentes du baquet et du chien).



Ochtervelt 1669 Woman selling fish schema
Enfin le système perspectif, très approximatif dans chaque tableau (les erreurs sont en rouge) ne montre aucune intention d’ensemble.

Je pense donc que ces deux tableaux ne sont vraisemblablement pas des pendants, mais des variantes sur le thème de la vente sur le pas de la porte.

Ochtervelt 1670-74 Merry company with a violinist. Chrysler Museum of Art, NorfolkJoyeuse compagnie avec un violiniste, Chrysler Museum of Art, Norfolk (115 x 102 cm) Ochtervelt 1670-74 Music making company and woman with tray in a garden coll privMusiciens et femme avec un plateau dans un jardin, collection privée (118,7 x 107 cm)

Ochtervelt, 1670-74 ou 1655 (Kuretsky 1979)

Ce pendant présumé met en scène deux joyeuses tablées, en intérieur et en extérieur.

Il est vrai que certains éléments se répondent :

  • le violoniste en cuirasse, debout vu de dos ou assis vu de profil :
  • la porteuse de plat et le porteur d’huîtres.

Mais la composition ne révèle aucune forme d’unité :

  • d’un côté le violoniste se situe en position centrale, entre deux couples ;
  • de l’autre il est intégré dans un trio musical.

La taille et la provenance différente militent également en faveur d’un faux pendant


Ochtervelt 1671-73 Man in cuirass, offering a young woman money loc inconnueHomme en cuirasse offrant de l’argent à une jeune femme (89 x 73 cm) Ochtervelt 1671-73 Young woman at the virginal and a lute player loc inconnueJeune femme au virginal avec un joueur de luth (89,5 x 69 cm)

Ochtervelt, 1671-73, localisation inconnue

Ce pendant confirmé montre en revanche une grande symétrie :

  • la même jeune femme (ou du moins portant la même robe) est vue de trois quart arrière ou de trois quarts avant ;
  • le même chien est vu de face, puis de dos.

En revanche l’homme assis ne porte pas les mêmes vêtements dans les deux scènes : en cuirasse, bottes et chapeau dans la première, en habits d’intérieur dans la seconde.


La logique du pendant

Pour Cornelia Moiso-Diekamp ([1], p 404) le pendant serait à lire chronologiquement :

  • d’abord l’accueil (une pièce contre un verre de vin… ou plus) ;
  • ensuite la partie de musique.

Je pencherais quant à moi plutôt pour une interprétation morale, qui rend mieux compte des habits différents de l’homme, et de la position du chien :

  • la relation vénale (ou l’union charnelle) : la femme s’est avancée entre les cuisses du soldat, le chien assis derrière son maître souligne la subordination de l’homme, réduit à tendre la patte à sa belle maîtresse ;
  • la relation amicale (ou l’union spirituelle) : les deux sont séparés par la table et ne se touchent que par le regard et la musique de leurs cordes ; au beau milieu le chien lève son museau vers le haut, symbole de fidélité et de désir d’élévation.



Ochtervelt 1675 The gallant drinker coll privLe buveur galant, collection privée (63,5 x 51,4 cm) Ochtervelt-1675-Doctors-visit-Manchester-Art-GalleryLa visite du docteur, Manchester Art Gallery (62,5 x 50 cm)

Ochtervelt, 1675

Terminons par un pendant confirmé, pour lequel les symétries sont flagrantes :

  • la servante pétant de santé, debout et décolletée se transforme en une jeune fille riche, assise et frileuse ;
  • le soldat assis en médecin debout ;
  • la vieille femme complaisante en mère inquiète ;
  • le chien intéressé par le verre de vin en chien dégoûté par le pot de chambre ;
  • la flasque de vin en fiole d’urine ([3], N° 26).

Une première lecture consistait à voir dans le pendant une admonestation moraliste contre la débauche, en montrant sa conséquence désastreuse : la grossesse.



Ochtervelt-1675-Doctors-visit-Manchester-Art-GalleryLa visite du docteur, Manchester Art Gallery (62,5 x 50 cm) Ochtervelt 1675 The gallant drinker coll privLe buveur galant, collection privée (63,5 x 51,4 cm)

Mais comme l’a montré Laurinda S. Dixon [4], la lecture est en fait inverse :

  • le premier tableau montre la furor uterinus, maladie causée chez les jeunes filles de bonne famille par une abstinence trop prolongée ;
  • et le second son remède facile.



Ochtervelt 1675 Doctor's visit Manchester Art Gallery detail

Le galon de la robe, qui conduit le regard de la main posée sur l’entrejambe à la chaufferette béante, avec son fourneau repli de braises, donne une bonne idée de la source du problème.



Références :
[1] Liste des pendants étable d’après la thèse de Cornelia Moiso-Diekamp, « Das Pendant in der holländischen Malerei des 17. Jahrhunderts ».
[3] Susan Donahue Kuretsky, The Paintings of Jacob Ochtervelt, 1634-1682: With Catalog Raisonné
[4] Laurinda S. Dixon, « Perilous Chastity: Women and Illness in Pre-Enlightenment Art and Medicine », p 166 et ss https://books.google.fr/books?redir_esc=y&hl=fr&id=jE7Sz7oDKbwC&q=pendants#v=snippet&q=pendants&f=false