La vocation de Saint Mathieu
Imaginons deux personnages en toge faisant irruption dans un bar de la City, où cinq traders en costard-cravate énumèrent leurs stock-options. C’est l’idée-choc de Caravage…
La vocation de Saint Matthieu
Caravage, 1599-1600, Eglise de Saint Louis des Français, Rome
..à droite Jésus et Saint Pierre dans des habits antiques aux couleurs ternes, à gauche cinq hommes vêtus à la dernière mode, débordant d’argent et de sex appeal.
De part et d’autre, deux emblèmes résument la confrontation : à droite le bâton de l’Apôtre ; à gauche l’épée du jeune soldat.
Une composition efficace
La verticale qui sépare les cinq percepteurs attablés et le couple des saints personnages est très fortement marquée : par le montant de la croix que dessine la fenêtre, et par la main droite de Jésus qui traverse cette ligne de démarcation entre le divin et l’humain. Tout le monde a bien vu dans ce geste une citation de la main de Dieu tendue vers Adam, dans la fresque de Michel-Ange à la chapelle Sixtine.
A remarquer, dans l’ombre, un détail bien moins visible : la main gauche de Jésus, ouverte vers le haut comme pour accueillir celui que la main droite va chercher.
Une seconde verticale, qui passe également par des mains superposées (celle du vieillard à lorgnon, et les deux mains accolées sur la table), divise le groupe de la table en deux camps : les deux qui regardent les pièces, et les trois qui regardent Jésus.
Ajoutons à cela le plumet blanc, qui fait écho au geste de Jésus comme pour le propager par ricochet, et l’index pointé du barbu, qui semble prolonger celui de Saint Pierre, et nous comprendrons l’efficacité de cette composition : à la fois structurée statiquement par deux cloisons verticales, et traversée dynamiquement par des flux de droite à gauche.
Le sens de la lecture
Cette direction de l’appel de Jésus, de droite à gauche, contredit le sens naturel de la lecture (nous verrons d’autres exemples où, plus logiquement, les peintres ont placé Jésus à gauche).
Cette complication se résout dès que l’on regarde le tableau in situ, sur le mur gauche de la chapelle Contarelli.
Depuis le fond de la chapelle, l’appel de Jésus s’adresse non seulement à Matthieu, mais aussi au visiteur qu’il invite à avancer vers lui.
Certains pensent que la lumière naturelle de la chapelle fait ressortir d’autant plus le spot de lumière divine qui, en provenance de l’autel, désigne Matthieu dans le tableau.
L’identification du Saint
Depuis quatre siècles, on s’accorde à reconnaître Matthieu dans le personnage barbu qui occupe le centre du groupe des cinq contemporains.
En 2012, une interprétation à contre-courant a été proposée, selon laquelle Matthieu serait le jeune homme à l’extrême gauche. Nous avons résumé, en annexe, les arguments et contre-arguments de la très intéressante controverse Lev/Magister. On y trouvera également la défense à mon avis décisive, par Irving Lavin, de l’identification traditionnelle.
Une composition volontairement ambigüe
Un détail très significatif est que les mains qui, sur la table, se frôlent pour trier les pièces, sont deux mains droite : celle du barbu et celle du jeune homme (qui tient de sa main gauche une bourse contre sa poitrine) :
du point de vue de l’appétit pour l’or, les deux personnages semblent à égalité (voir en annexe ce que dit Lavin sur ces mains).
Une dernière ligne très marquée est l’oblique entre la lumière et l’ombre qui, frôlant l’auréole divine de Jésus (que l’ombre permet de rendre visible), descend vers la bouche de l’homme barbu, puis frôle le crâne du jeune homme :
du point de vue de la lumière qui convertit, ces deux-là sont encore à égalité.
Une manière élégante de dépasser la controverse serait de faire confiance à la subtilité de Caravage. Si l’identification du converti hésite entre les deux personnages, c’est peut être parce le tableau représente non pas une , mais deux conversions :
- la conversion présente de Matthieu, l’homme barbu, haussé vers la lumière par la main de Jésus pour rejoindre le camp des Apôtres debout (en bleu) ;
- la conversion à venir du jeune homme que Pierre puis Matthieu désignent, à son insu, non comme Apôtre, mais comme chrétien potentiel (en vert).
Une mise en scène définitive
Cette subtilité s’est perdue. Mais la leçon que les successeurs de Caravage vont retenir et reproduire pendant un bon siècle, tient aux cinq rôles qu’il introduit de manière définitive dans l’iconographie de la Vocation. A savoir :
- l’Apôtre, second rôle auprès de Jésus ;
- le Publicain, second rôle auprès de Matthieu ;
- l’Obstacle : celui qui s’interpose entre Jésus et Matthieu, faisant barrage à la conversion.
Dans le tableau-princeps de Caravage, nul doute que l’Obstacle n’est pas l’Argent étalé sur la table :
mais ces deux magnifiques jeunes gens rutilants de velours, de plumes et d’acier, qu’il faut beaucoup d’argent pour habiller, séduire et retenir.
Nous allons voir comment, dans les années immédiatement postérieures, des peintres ont repris et modulé cette mise en scène inaugurale.
Commençons par Ter Brugghen, dont on connait au moins trois Vocations de Saint Matthieu. On ne sait pas s’il a rencontré Caravage en personne lors de son voyage en Italie. Mais bien sûr, il en a étudié les oeuvres et le style, dont il rapportera les principes à Utrecht.
La vocation de saint Matthieu
Hendrick ter Brugghen, 1616, Magyar Szépmüvészeti Múzeum, Budapest
Pour ce premier essai, Ter Brugghen se limite à trois rôles : pas d’Apôtre à côté de Jésus, aucun Obstacle entre Jésus et Matthieu.
La tableau pousse à la limite deux idées de Caravage : l’âge de Matthieu (maintenant un vieillard à la barbe blanche) et sa surprise : alors qu’il est habitué à recevoir les contribuables par l’avant (on devine le dossier d’un fauteuil), Jésus surgit par l’arrière en contournant le rideau . Des pièces tombent, Matthieu a le réflexe de sauver le petit coffre portatif d’une main, tout en rajustant sa toque de l’autre.
La subtilité du tableau réside dans ce jeu des quatre mains, qui se répondent en se croisant :
- à l’inverse de Caravage, c’est de la main gauche que Jésus pêche Matthieu : main nue qui fait contraste avec la toque de velours ornée d’un médaillon d’or, que retient la main droite du riche percepteur…
- réciproquement, la main droite de Jésus, qui serre son manteau de voyageur, s’oppose visuellement et symboliquement à la main gauche de Matthieu, encore crispée sur son coffre.
Nous sommes à l’instant de stupeur qui précède la conversion.
La vocation de Saint Matthieu
Hendrick ter Brugghen – 1620, Musée des Beaux-Arts, Le Havre
Une composition rationnelle
Dans ce deuxième opus, Ter Brugghen reprend la composition de Caravage, en la rationalisant :
- le Christ passe à gauche (le sens de l’appel est maintenant cohérent avec le sens de la lecture)
- le nombre de personnages monte à huit (un de plus que Caravage), ce qui équilibre la distribution des rôles : deux Apôtres, deux Publicains, deux Obstacles.
Des symétries fortes
Aussi se créent de manière quasi-automatique des symétries entre ces couples :
- les deux Apôtres debout, qui sortent sur la gauche derrière Jésus, équilibrent les deux Publicains debout derrière Matthieu ;
- les deux Obstacles, le jeune et le vieux , s’imitent – même posture des jambes encaleçonnées, même dos courbé – tout en s’opposant – l’un porte plumet, l’autre est déplumé ; l’un fixe Jésus, l’autre scrute une monnaie au travers de ses lorgnons (citation directe de Caravage).
Une faiblesse
Une autre citation est moins heureuse : en exagérant la taille du plumet, Ter Brugghen minimise le geste de Jésus, et affaiblit la cloison de séparation entre le sacré et le profane : d’où le chien de garde, malencontreusement rajouté en bas.
Une bonne idée
Une bonne idée, malheureusement peu visible : à la petite balance posée sur la table s’oppose la grande balance du mur du fond – justesse humaine contre justice divine.
Les deux grands plateaux mettent en correspondance les deux principaux protagonistes : Jésus et Matthieu. Mais pas en équilibre : car le fléau penche légèrement côté Jésus, comme poussé vers le bas par sa main légère.
Le choix est fait, la conversion a eu lieu : Matthieu n’a plus désormais qu’à se laisser glisser le long de cette pente qui le conduit, par dessus l’Obstacle, à la suite des deux Apôtres.
La Vocation de Saint Matthieu
Entourage de Bassan, XVIème- XVIIème siècle, Phototèque Zeri
A titre de curiosité, voici un autre exemple d’une grande balance dans la Vocation de Saint Matthieu, qui aurait pu donner son idée à Ter Brugghen.
La Vocation de Saint Matthieu
Claes Cornelisz Moeyaert, première moitié du XVIIème siècle, Collection privée
Probablement à la suite de Ter Brugghen, ce tableau exploite le thème de la balance équidistante entre Matthieu et Jésus, et qui penche du côté de ce dernier.
La Vocation de Saint Matthieu
attribuée à Charles Wautier, fin XVIIème, Musée des Augustins, Toulouse
Dans ce tableau particulièrement elliptique de la fin du siècle, l’influence de Caravage s’éloigne sans se perdre totalement.
Dans le rôle de l’Apôtre-témoin, on trouve ici une vieille femme qui regarde le Christ. Dans le rôle de l’Obstacle séduisant, le jeune homme assis qui fixe Matthieu. La séparation entre la Profane et le Sacré est assurée par la colonne cannelée.
Ce qui rend le tableau alambiqué, c’est que Jésus ne regarde pas Matthieu, mais le Publicain situé derrière lui. La balance est en équilibre, le percepteur est un homme juste qui croit à l’égalité des pièces.
Seul le dialogue des mains (celle qui tient la balance humaine et celle qui esquisse l’appel divin) et l’harmonie en bleu des vêtements permettent d’identifier le futur Apôtre, donnent à voir le travail souterrain de la conversion.
La Vocation de Saint Matthieu
Hendrick ter Brugghen – 1621, Centraal Museum, Utrecht
Dans ce troisième opus, Ter Brugghen se limite à six personnages. Des deux Obstacles du tableau de 1620, n’est resté que le plus faible : le vieillard à lorgnon, déporté sur l’extrême droite et affublé d’une armure pour faire bonne figure : autant dire que le champ est libre pour le dialogue direct entre Jésus et Matthieu.
Quatre index se font donc face dans l’espace vide central :
- le vieux soldat et un des publicains montrent les pièces et le registre (ici, on vient pour payer) ;
- Jésus et Matthieu montrent le futur Apôtre (ici, on vient pour racheter).
C’est là l’idée originale du tableau : la Rédemption contre la Dette.
Car on voit bien, au mur, les cratères laissés par d’innombrables reconnaissances qui y furent punaisées,
rien d’autre désormais que de vieilles paperasses déchirées.
La Vocation de Saint Matthieu
Matthias Stomer, vers 1629, Museum of Fine Arts, San Francisco
Stomer reprend quasi à l’identique la composition à huit personnages de Ter Brugghen.
L’innovation principale est que le second Obstacle (le vieux) s’est redressé, porte beau et a changé de nature : ce n’est plus un publicain décati, mais un rôle nouveau introduit par Stomer : le riche contribuable, le Payeur. Il toise l’importun et pourrait, au premier regard, être pris pour Matthieu, tant le rouge et le bleu de ses vêtements font écho à ceux de Jésus.
Mais le regard de ce dernier ne laisse aucun doute : celui qu’il fixe, c’est le vieillard en brun qui tient la balance, laquelle, malgré la contribution conséquente de l’homme riche, penche dans la bonne direction.
La Vocation de Saint Matthieu
Jan van Bijlert, 1620-29, Museum Catharijneconvent, Utrecht
Autre caravagesque d’Utrecht, van Biljert reprend fidèlement la composition du maître italien, en renforçant le camp de Jésus par un Apôtre supplémentaire.
De plus, la cloison, marquée par la main de Jésus et par la balance, a dangereusement progressé vers le centre, dépassant l’inoffensif Publicain à lorgnon et ne laissant qu’un dernier Obstacle à franchir , le soldat en jaune.
Matthieu, ce superbe homme mûr, poivre et sel, porte d’ailleurs déjà la main sur son coeur, en signe d’acceptation.
Pour conclure, il est intéressant de jeter un coup d’oeil sur l’évolution du thème en Italie.
La Vocation de Saint Matthieu
Bernardo Strozzi, 1620, Art Museum, Worcester, Massachusetts
Peint à Gênes la même année que celui de Ter Brugghen à Utrecht, ce tableau à huit personnages conserve l’ordre de Caravage (le Christ à droite), réinvente de son côté le personnage du Payeur, mais pas la balance – qui semble bien être une innovation hollandaise.
L’intéressant est que le rôle de l’Obstacle a disparu, remplacé au premier plan par le couple Receveur-Payeur. Du coup, c’est sans aucune ambiguïté que se développe en parallèle l’appel de Jésus vers Matthieu.
A noter que le Payeur se situe du côté « Jésus » de la cloison, qui se trouve comme d’habitude à l’emplacement de la main tendue.
L’idée ingénieuse est de doubler la cloison par le regard mélancolique du vieillard, sur la pièce qu’il vient de sortir de sa bourse.
En transgressant cette limite pour « prendre » Matthieu, la main de Jésus vient compenser, en quelque sorte, tout ce que ce dernier a pris aux pauvres.
En annexe, voici la synthèse des sept arguments principaux de la controverse Lev/Magister de 2012, d’après l’article http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350300?fr=y:
- selon Elizabeth Lev (et tous les commentateurs durant 4 siècles) : Matthieu est le personnage barbu assis au centre
- selon Sara Magister (et le pape François) : Matthieu est le jeune homme assis en bout de table
1) Le témoignage des contemporains
« entre lesquels le Saint est en train de compter la monnaie…un jeune homme qui attire vers lui cette monnaie, assis dans l’angle de la table » |
« tra le quali il Santo lasciando di contar le monete…un giovine che tira a sé quelle monete assiso nell’angolo della tavola »Giovani Pietro Bellori, « Vite dei Pittori, Scultori ed Architetti Moderni Descritte da Gio. Pietro Bellori » (1672), I, Pise 1821, pp. 212-213) |
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En faveur du barbu (+2) : Giovanni Bellori et tous les peintres qui ont imité Caravage
« Les observateurs du temps du Caravage ont estimé que saint Matthieu était l’homme assis au centre, y compris son biographe, Giovanni Bellori ». Elizabeth Lev |
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En faveur du jeune homme (0) : Bellori s’est trompé « Comment Bellori peut-il identifier Matthieu avec le personnage qui, selon ses propres dires, est en train de verser et non pas de recueillir l’argent, ce qui est fait par le jeune homme qui se tient, tête baissée, au petit bout de la table ? » Sara MagisterArgument faible : Bellori ne dit pas que le Saint verse l’argent, mais qu’il le compte.
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2) Le texte des Evangiles
Après cela, il sortit et il remarqua un publicain (collecteur d’impôts) du nom de Lévi assis à son bureau de publicain. Il lui dit : « Suis-moi. »Luc (5, 27)
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« et post haec exiit et vidit publicanum nomine Levi sedentem ad teloneum et ait illi sequere me
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En faveur du jeune homme (0) : « Dans les Évangiles, Matthieu est celui qui perçoit les impôts. Mais, dans le tableau du Caravage, qui recueille l’argent ? Un seul personnage, parmi tous ceux qui sont présents. Bellori lui-même nous l’indique : c’est le jeune homme à la tête baissée qui se tient au petit bout de la table et qui, d’une main, prend l’argent, ou plutôt le rafle, tandis que, de l’autre, il tient d’un geste avide un petit sac, que la tradition artistique indique d’ailleurs comme un attribut habituel du saint, symbole négatif de son avidité avant sa vocation.« Sara MagisterArgument faible : le texte de l’Evangile est très court et emploie seulement le terme « publicain », sans préciser les détails de la collecte. Comme l’a vu Bellori, le barbu compte les pièces, ce qui fait bien partie du rôle de percepteur. |
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3) Un visage emblématique
En faveur du barbu (+1) : un converti célèbre
« La commande spécifiait que la toile devait être achevée pour l’année jubilaire 1600… L’historienne d’art Helen Langdon rappelle …qu’Henri IV de Navarre, né huguenot, se convertit au catholicisme en 1594 et épousa Marie de Médicis en 1600, l’imprévisible roi rentrant ainsi au bercail pontifical. En raison de cet extraordinaire exemple d’un monarque « qui voit la lumière », l’église Saint-Louis était le lieu idéal pour une prédication de conversion pendant toute la durée de l’année jubilaire. …Henri IV avait 47 ans en 1600 et son portrait représente un homme élégamment vêtu, portant une barbe qui commence à grisonner. Les années saintes sont un appel à changer de vie, à devenir des hommes nouveaux, en dépit du poids des années et des péchés. » Elizabeth Lev |
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En faveur du jeune homme (0) : « Si Matthieu est l’homme barbu au doigt pointé, alors pourquoi son visage est-il si différent de celui qu’il a dans les deux autres œuvres du Caravage, qui le représentent écrivant l’Évangile et subissant le martyre, dans la chapelle Contarelli ? » Sara MagisterArgument faible : le jeune homme ne ressemble pas non plus au Mathieu des deux autres tableaux
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4) L’âge de se convertir
En faveur du barbu (+1) : un converti âgé est plus édifiant
« Le Matthieu mûr, un « businessman » ayant réussi, parvenu au sommet de sa vie, ayant travaillé pendant de longues années pour se procurer des vêtements luxueux, une position sociale et de grandes richesses, offrait aux fidèles un formidable exemple de la difficulté qu’il peut y avoir à renoncer aux vanités de ce monde. » Elizabeth Lev |
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En faveur du jeune homme (0) : un exemple de jeune Matthieu « Dans la Dernière Cène de Léonard qui se trouve à Milan (ville où le jeune Caravage avait fait son apprentissage) Matthieu est représenté jeune, même si, plus souvent, la tradition l’avait représenté déjà parvenu à l’âge mûr » Sara MagisterArgument faible : Léonard n’a pas représenté une conversion. Aucune Vocation ne montre un Matthieu jeune.
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5) Le geste du doigt
En faveur du barbu (+1) : Se désigner soi-même est un geste compréhensible de crainte
« La réaction inquiète de Matthieu rappelle et évoque des précédents littéraires et artistiques, dans lesquels les héros les plus célèbres, d’Ulysse à Moïse, tremblent devant le fait d’être choisis pour des entreprises grandioses. » Elizabeth Lev |
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En faveur du jeune homme (+1) : le doigt le désigne « L’observation attentive du faisceau de lumière qui court le long du bord supérieur du doigt pointé par le barbu, qui nous fait comprendre que celui-ci pointe le doigt non pas vers lui-même, mais vers son voisin. La lumière ne s’interrompt pas et ne s’amincit pas dans la partie finale du doigt, comme ce devrait être le cas pour un geste tourné vers soi, mais elle reste nette et linéaire jusqu’au bout du doigt » Sara Magister |
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En faveur du barbu (0) : le doigt est mal dessiné
« On peut trouver la réponse dans la manière de travailler du Caravage. Le dessin n’était pas son fort. Il dessinait peu ou pas, ce qui lui posait souvent des problèmes de raccourci. » Elizabeth Lev |
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En faveur du jeune homme (0) : le doigt est bien dessiné « Il a été démontré récemment que les études de lumière mises en œuvre par le Caravage lorsqu’il peignit les œuvres de la chapelle Contarelli avaient été très soignées et sophistiquées, et aussi qu’un peintre de très grande maîtrise technique comme lui savait bien représenter, sans erreurs, les raccourcis dont il avait besoin, depuis l’époque de sa première production de jeunesse. » Sara Magister |
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6) Le moment culminant
En faveur du barbu (+1) : l’instant de la conversion
« Alors que Michelangelo Buonarroti représentait souvent le moment qui précède l’événement – David avant de tuer Goliath, Adam avant la divine étincelle – ce n’est pas la manière de procéder de Michelangelo Merisi, dit le Caravage… La principale caractéristique du Caravage, en dehors de l’usage spectaculaire qu’il fait de la lumière, est qu’il préfère saisir sur la toile le moment culminant…Le Matthieu stupéfait, au corps rejeté en arrière tandis que ses yeux s’ouvrent à la lumière du Christ, surpris au moment où tout son monde bascule, est bien plus en accord avec la façon de procéder récurrente du Caravage : frapper et impressionner. » Elizabeth Lev |
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En faveur du jeune homme (0) : l’instant du choix « La scène représente vraiment le moment culminant de la vocation de Matthieu… Matthieu doit choisir entre le pouvoir de l’argent et la vie pauvre mais authentique des apôtres de Jésus… La lumière le touche, la main de Dieu le désigne. À lui de décider, maintenant, s’il va lever la tête pour répondre à l’appel du Christ ou s’il va rester le regard baissé sur les pièces de monnaie qu’il est en train de saisir avidement sur la table. » Sara Magister |
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7) La lumière
En faveur du barbu (0) : la lumière comme un jet de graines
« J’ai toujours perçu la « Vocation de saint Matthieu » comme une illustration de la parabole du semeur, en Marc 4, 3-8…. Jésus entre dans la boutique du collecteur d’impôts en semant sa lumière de révélation. Deux hommes ne lèvent même pas les yeux, trop pris qu’ils sont par les plaisirs de ce monde : ici la graine ne germe même pas. Deux autres jeunes gens se tournent vers la lumière, fascinés et impulsifs, et leur intérêt germe rapidement même si le terrain est peu profond : il ne s’agit pour eux que d’une curiosité passagère. Matthieu, au centre, est le terrain fertile, dans lequel la graine produira la plus grande quantité de fruit, grâce à son apostolat et à son Évangile. » Elizabeth Lev |
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En faveur du jeune homme (+1) : la lumière comme grâce de Dieu « Mais la lumière, qui se pose sur sa joue et sur son nez, fait comprendre que Jésus regarde celui qui est en face de lui et non pas sur le côté….La lumière qui nous fait lire l’événement dans toutes ses significations, ce n’est pas la lumière naturelle, mais c’est la grâce de Dieu qui survient à l’improviste dans l’histoire des hommes, les obligeant à faire un choix. » Sara Magister |
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La défense d’Irving Lavin, en résumé
Voir Irving Lavin, “Caravaggio’s Calling of St. Matthew: The Identity of the Protagonist”,dans « Past–Present: Essays on Historicism in Art from Donatello to Picasso (1993) » p 85 https://www.academia.edu/7364078/_Caravaggio_s_Calling_of_St._Matthew_The_Identity_of_the_Protagonist_
- La profession de percepteur de Matthieu est indiquée par la pièce de monnaie qu’il porte en broche sur son chapeau.
- Chapeau et barbe identifient Mathieu comme un homme mür et socialement installé, ce qui rend d’autant plus éclatante sa conversion.
- Sa rousseur souligne sa judéité (il appartenait aux Levi) ;
- L’index qu’il pointe vers lui-même est la réponse à l’index de Jésus qui le désigne : comme la toile s’inspire de l’interaction entre Dieu et Adam dans la fresque de la Sixtine, il serait inconcevable que Mathieu soit le jeune homme qui ne répond pas.
- Les gestes des mains qui se frôlent sont en fait bien différents : le jeune homme engrange les pièces, tandis que Mathieu les compte : il vient de poser la dernière sur la table, autre marque de sa conversion ; roux comme le traître aux trente deniers, Mathieu apparaît ici comme une sorte d’anti-Judas.
- Dès le XVIIème siècle, Sandrart avait remarqué que Caravage avait trouvé l’idée de son jeune homme captivé par les pièces dans cette gravure de Holbein : le personnage principal, le joueur que les démons viennent chercher, est bien celui d’à côté.