Le miroir transformant 4 : transgression
Transgressions…
Estampe japonaise, vers 1850 | Calendrier (e-goyomi) pour l’année Bunsei 1, 1818, British Museum |
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L’estampe de gauche expérimente l’effet érotique de la découpe avec trois types de miroirs circulaires : à chevalet, à manche, ou suspendu, sans se préoccuper de la position de la dame.
A droite, le miroir posé sur la table est plus compatible avec un auto-érotisme…
Gerda Wegener, miroirs intimes, vers 1920
…qu’il faudra attendre un bon siècle pour le voir montré en Occident.
Le miroir de Lady Chatterley, Eduardo Luiz, 1969
Isoda Koryusai Twelve Bouts of Sensuality ca. 1775-77 | Achille Deveria, vers 1830 |
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L’effet excitant du miroir est bien connu, mais se heurte à un problème de représentation. Il faut en effet choisir entre montrer ce qui excite l’acteur (à gauche) ou ce qui excite le spectateur (à droite). Le point de vue subjectif est rarissime : la plupart du temps, c’est le point de vue voyeuriste qui est choisi, le miroir fournissant sous un autre angle un duplicata pour le même prix.
Julian Mandel, années 1930
Le miroir montre ce que l’objectif ne montre pas ; le chat noir suggère c que le miroir ne montre pas.
Exemple moderne de cette démultiplication de l’image, où l’écran de l’ordinateur apparaît comme un miroir, en plus moderne.
Le miroir voyeur
Démangeaison
(extrait de la série des Cent légers croquis pour réjouir les honnêtes gens ; 1878-1881)
Félicien Rops , Namur, Musée Rops
Le miroir explique doublement le titre : il montre le bras de la femme qui se gratte, et la face barbichue du client, attiré ici par une autre démangeaison.
Réduit à une tête, presque à un oeil vers lequel convergent les fuyantes, celui-ci représente la figure quasi-théorique du voyeur : comblé par le miroir, qui lui présente, simultanément, le recto et le verso de l’objet de son adoration.
Les traitrises du miroir 1907, Prejelan | Un Incident fâcheux Icart, 1912 |
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Même principe, réduit à l’essentiel…
Madame est servie, Auguste Roubille, vers 1900
Le but est ici de montrer en une seule vue les zones « servies » par le domestique quelque peu satanique de cette sorcière Belle-Epoque.
Le miroir opposant
Quelquefois, le miroir qui inverse tout prétend renverser une fausse évidence : la transgression consiste alors à montrer la vérité rectifiée.
Otto Dix, 1921, tableau détruit |
Dans le miroir (Am Spiegel) Otto Dix, 1922, gravure |
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En plus du sexe décourageant de la laideronne, le miroir exhibe implacablement ces deux tue-l’amour que sont la clope au bec et la houppette à la main.
Le voyeurisme est en peinture une transgression bénigne, mais la transgression de cette transgression ne l’est pas, d’où le procès que valut à Dix cette toile. Peu après la Seconde Guerre Mondiale, elle eut un destin semblable à son sujet, puisqu’elle finit transformée en sac à patates par un paysan.[1]
Tracts de propagande allemande, 1940
Le mécanisme est le même que dans la composition d’Otto Dix,au point qu’on peut se demander s’il ne s’agirait pas là d’une sorte de retour du refoulé. La photographie est bien plus percutante que la version dessinée. Elle ajoute :
⦁ l’opposition blonde/brune qui avait échappée au dessinateur,
⦁ la nudité, plus excitante qu’un chiffon de papier, et qui fait ressortir l’érotisme pioupiou du casque de Tommy associé aux escarpins.
Dans les deux cas, les reflets du S et du E sont faux, pour faciliter le décryptage aux moins lettrés.
Blanche Neige au miroir,
Julius Zimmermann, 2001
On pourra consulter ici https://hentaidatabase.blog.br/hqs/quadrinhos_eroticos_branca_de_neve.html une série de croquis du même tonneau, montrant que Blanche Neige n’est pas si blanche et pas si froide qu’on le dit.
On comprend au détail de la boîte à outils que l’ouvrier en casquette vient d’être embauché comme mannequin de mode. Et le miroir nous montre que cette reconversion ne lui déplaît pas.
En photographie (sauf montage), le miroir est scotché à la réalité : son pouvoir de transformation se limite à une utilisation voyeuriste de cet oeil déporté, qui offre au spectateur un point de vue transgressif.
Carte postale érotique, vers 1920 |
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Bien sûr, en première instance, le miroir est là pour nous montrer ce que la jupe cache : en ce qui concerne la cuisse , la fille coquine est celle du miroir. Mais en ce qui concerne la tête, c’est la fille du miroir qui lit et celle en dehors du miroir qui aguiche.
Dans cette drôle de photographie, le miroir ne sépare pas un monde licite et un monde interdit : il prend scrupuleusement le contrepied de ce que la réalité lui soumet.
Helmut Newton, Vogue Paris, Mai 1997
Ici, le miroir montre ce que cachent le chapeau et le manteau.
Helmut Newton
Réciproquement, ici, le miroir habille ce que la réalité déshabille.
« Autoportrait avec June et modèles », Helmut Newton, 1981
Dans cette composition plus complexe, le miroir révèle le côté face de cette beauté sculpturale, le photographe, mais aussi une seconde femme, visible seulement par ses jambes dans le reflet.
Ainsi la partie inférieure qui , dans la réalité, manque au modèle principal, pourrait être récupérée dans le virtuel.
A côté du miroir, June contemple en direct, derrière ses lunettes rondes, exactement ce que son mari voit dans le miroir au travers de son objectif rond .
Mais elle ne peut pas voir ce que nous, nous voyons, dans le champ un peu plus large de la photographie :
un homme miniaturisé qui rentre la tête dans sa gabardine,
coincé entre le coude de la Beauté Nue et celui de sa femme qui le surveille,
et garde la porte marquée « Sortie ».