5.7 Un procédé rare : les drôleries recto-verso
Il arrive qu’au détour d’une page, une drôlerie se transforme en une autre, obtenue par décalque. Ce procédé rare n’est utilisé que dans quelques manuscrits luxueux de l’école ganto-brugeoise, entre la fin du XVème siècle et le début du XVIème.
Le Livre d’Heures de Marie de Bourgogne
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Maître de Marie de Bourgogne, 1467-1499, Vienne, ÖNB, Cod 1857
En tournant la page, la baigneuse pudique, qui cache son sexe sous une serviette, se transforme en une femme sauvage ; les deux tiges de fraisier se séparent et se plantent comme des arbres.
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La sauterelle dissimulée sous une fleur est débusquée par un héron.
Le Livre d’Heures de Jeanne de Castille
Master of the David Scenes (Bruges ou Gand), 1496–1506 BL Add Ms. 18852 fol 78v-79v
Dans le bifolium 78v-79r (lignes pointillées), le singe au miroir fait face à un homme-cornemuse au miroir. En tournant la page (ligne continue), la cornemuse se transforme en alambic et le foulard change de couleur.
Plus loin apparait une autre transformation du singe : le plat qu’il récure devient une plaque sur laquelle il broie les couleurs.
Sur le thème du miroir et de la mort dans ce manuscrit, voir 3 Fatalités dans le miroir
Les Heures de Croy
Heures de Croy, 1510-20, Vienne, OBN 1858 fol 31r 31v
La femme sauvage avec queue de cheval tenant un miroir se transforme en une femme-cornemuse tenant une claquette.
Heures de Croy, 1510-20, Vienne, OBN 1858 fol 168r 168v
Cette transformation quasi surréaliste fait écho à l’expression placé juste au dessus de chaque drôlerie :
- le lézard retourné et attaché sur un soulier fait écho à « lacéré par d’innombrables calomnies » ;
- la femme souris aux pieds ligotés par une corde en forme de queue fait écho à « en perforant tes pieds délicieux »
Le principe n’est pas l’illustration littérale, mais l’association quasiment poétique entre mots et images.
Le singe au miroir du folio 111v accompagne ironiquement un passage sur la permanence divine :
Tu les changeras comme un manteau, et ils seront changés Mais toi, tu restes le même, et tes années n’ont point de fin. Psaume 101,27
Ces deux miroirs annoncent le clou du manuscrit, le miroir macabre du folio suivant , qui tombe à pic sous les mots « apud dominum misericordia (auprès de la Miséricorde divine) ». Il n’est toujours pas question ici de la mort subjective, mais de la Mort éternelle à laquelle permet d’échapper le Pardon de Dieu.
Le bijou en losange du verso a pour commentaire l’inscription « memor fui dierum antiquorum » (je me souviens des jours antiques) » : il propose une sorte de retour en arrière au temps de la Croix, qui referme le miroir et accorde la miséricorde espérée.
Sur le thème du miroir et de la mort dans ce manuscrit, voir 3 Fatalités dans le miroir