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2.2 1957 Freeman : un chef d'oeuvre aux Cloisters

L’article de 1957 de  M.Freeman [1] a le mérite de faire un état des lieux de la recherche, en ces tous débuts de l’étude du retable, qui nous évitera de nous référer aux articles antérieurs.  Elle ne propose pas une interprétation d’ensemble, mais considère l’oeuvre comme un puzzle, dont elle présente successivement toutes les pièces, éclairées par les  citations adéquates.



Porte ouverte pour montrer le spectacle pittoresque de la rue

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Porte ouverte pour montrer le spectacle pittoresque de la rue

Le rosier contre le mur symbolise les souffrances du Christ en Croix, mais la "rose sans épines"est également un symbole de Marie

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Le rosier contre le mur symbolise les souffrances du Christ en Croix, mais la "rose sans épines"est également un symbole de Marie

Les myosotis sont souvent appelés "yeux de Marie", les violettes et les marguerites sont des symboles de son humilité

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Les myosotis sont souvent appelés "yeux de Marie", les violettes et les marguerites sont des symboles de son humilité

Sept rayons = sept Dons du Saint Esprit. Enfant Jésus portant sa Croix : manière de représenter le mystère de l'Incarnation (préfiguration de la Crucifixion)

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Sept rayons = sept Dons du Saint Esprit. Enfant Jésus portant sa Croix : manière de représenter le mystère de l'Incarnation (préfiguration de la Crucifixion)

Lavabo : pureté de Marie

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Pureté de Marie

Lys : chasteté de Marie

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Lys : chasteté de Marie

Bougie qui fume : extinction de la Divinité de Jésus

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Bougie qui fume : extinction de la Divinité de Jésus

Livre : connaissance des Saintes Ecritures par Marie

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Livre : connaissance des Saintes Ecritures par Marie

Banc : trône de Salomon

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Banc : trône de Salomon

Coussin sur le sol : humilité de Marie

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Coussin sur le sol : humilité de Marie

Souricières : piège pour le Démon (cf Schapiro)

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Souricières : piège pour le Démon (cf Schapiro)

Planche à trous : bloc de pointes pour la Passion du Christ (voir 3.3 L’énigme de la planche à trous)

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Planche à trous : bloc de pointes pour la Passion du Christ (voir 3.3 L’énigme de la planche à trous)

 Synthèse de cette interprétation (Balayer pour voir les légendes.)



La chambre de Marie

« Lorsque l’ange Gabriel fut envoyé pour montrer l’Incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ, il la trouva seule, enfermée dans sa chambre où, comme dit Saint Bernard, les filles et les vierges ont à habiter dans leurs maisons, sans courir à l’extérieur. » Jacques de Voragine, Légende Dorée

« Voici ma petite chambre, si jolie et si propre. Pour servir Dieu mon Créateur et pour mériter sa Grâce, je voudrais lire mon psautier, un psaume après l’autre, jusqu’à ce que je les aies tous lus. » Mystère de Marie, XVème siècle


Les livres de Marie

« Elle comprenait très bien les livres des prophètes et les Saintes Ecritures… Elle tirait profit de les lire et de comprendre leur sens. » Speculum humanae salvationis

En particulier, elle connaissait la prophétie d’Isaïe.


L’humilité de Marie

Le peintre « a placé la Vierge Marie sur le sol, non pour qu’elle puisse lire les textes plus facilement, ni parce que, vu sa jeunesse, elle aimait s’asseoir par terre, mais parce que c’est la position convenable pour  la Vierge de l’Humilité. » C.Freeman, p131



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On devine d’ailleurs  sous sa robe un coussin bleu, analogue à celui qui est posé sur le banc.


Le banc

« Il a été interprété (Panofski) comme symbolisant le trône de Salomon, un des prototypes de la Vierge Marie dans l’Ancien Testament ». C.Freeman, p131

« Le trône du sage roi Salomon  est la Vierge Marie, dans lequel s’est trouvé et a vécu Jésus Christ, la vraie sagesses…. Ce  même trône  avait deux grands lions qui signifiaient que Marie avait retenu dans son coeur… les deux tablettes des dix commandements de la Loi ». Speculum humanae salvationis


Bench XVth s Cloisters Museum

Banc XVème siècle, Metropolitan Museum, New York

« Le banc de la peinture a deux petits lions et deux petits chiens… Il est difficile de savoir si Campin a voulu ici suggérer le siège de Salomon, ou a simplement équipé la petite chambre avec un banc très similaire a celui qui se trouve aux Cloisters, et qui lui aussi a deux petits lions et deux petits chiens comme fleurons ». C.Freeman, p 131


Le lys de la chasteté

« Marie est la violette de l’humilité, le lys de la chasteté, la rose de la charité et la gloire et la splendeur des cieux ». Saint Bernard

« Le lys est une herbe avec une fleur blanche, et bien que les pétales de la fleur soient blanches, elle brille au milieu à l’image de l’or ». Bartholomaeus Anglicus

« Ainsi, le lys est le symbole de Marie elle-même, le pur écrin pour cet « or » qui est le Christ ». C.Freeman, p 131


Le lavabo, le bassin et la serviette

Ce sont des symbole de la pureté de Marie.

Le bassin « rappelle le lavage  liturgique des mains du prêtre avant et pendant la messe. On peut aussi le considérer, selon Erwin Panofski, comme l’équivalent à l’intérieur de la « fontaine des jardins » et du « puits d’eau vive », images poétiques du Cantique des Cantiques qui s’appliquent à Marie ».  C.Freeman, p 132


Le vitrail

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C’est une des allégories les plus connues de la virginité de Marie.

« Tout comme l’éclat du soleil emplit et pénètre une fenêtre de verre sans l’endommager, et perce sa forme solide avec une subtilité imperceptible, sans la blesser en pénétrant et sans la détruire en émergeant, ainsi le Verbe de Dieu,  la Splendeur du Père, entra dans la chambre de la vierge puis ressortit de ses entrailles fermées. » Saint Bernard de Clairvaux


Les sept rayons

La représentation la plus courante de l’Annonciation est celle d »une colombe, le Saint Esprit, envoyée par le Père sur un faisceau de rayons.



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Annonciation, Van Eyck, 1434-36, National Gallery of Art, à Washington

Lorsqu’il sont sept, comme chez Van Eyck, ils représentent les sept Dons du Saint Esprit.


L’Enfant-Jésus

Campin a gardé les sept rayons pour symboliser le Saint Esprit, et remplacé la colombe par un Enfant-Jésus minuscule, portant sa croix.

« Cette manière plutôt directe  de représenter le mystère de l’Incarnation était désapprouvée par l’Eglise, mais avait été populaire en Italie et reprise un peu partout pendant le siècle précédent notre tableau. Le fait que le petit Enfant porte sa croix souligne la signification de l’Annonciation : que Dieu devient Homme pour souffrir et mourir afin de racheter l’Humanité du péché originel d’Adam ». C.Freeman, p 134



Les éléments problématiques



La chandelle de la table

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Pour Freeman, elle pose problème, car elle vient juste d’être  éteinte, comme le montre la spirale de fumée. Dans les Annonciations, une bougie allumée représente la chair du Christ.

Selon Durandus, la cire« qui a été produite par les abeilles virginales, représente l’humanité ou la chair du Christ… la mèche dans la cire représente son âme… La lumière de la chandelle représente sa divinité. »

« Jésus, le fils de Marie, est la véritable chandelle allumée, offerte  à Dieu le Père pour la race humaine… Et Marie est le chandelier.«   Speculum humanae salvationis

Une première solution, proposée par Millard Meiss, est que la bougie éteinte fasse référence à la vision de Sainte Brigitte, selon laquelle, au moment de la Nativité « le rayonnement divin… annihila totalement la lumière naturelle« . Mais d’une part nous sommes au moment de l’Annonciation, d’autre part dans toutes les Nativités influencées par la vision de Sainte Brigitte, la chandelle est représentée allumée (voir Fils de Vierge)



campin - The Nativity (detail). 1425. Panel. Musee des Beaux-Arts, Dijon

Nativité (détail), Campin, Dijon, Musée des Beaux Arts

Une seconde solution, explique Freeman,  est que

« Campin ait délibérément éteint la flamme, qui symbolise la Divinité du Christ, pour souligner le fait que, lors de l’Incarnation « le Verbe se fit Chair » et Dieu devint un homme... Il semble être dans le tempérament de Campin, malgré que cela le place sur un terrain théologique dangereux , qu’il ait ainsi souligné le côté humain du Christ. Et il semble presque que la figurine de l’Enfant Jésus, dans notre tableau, par la rapidité de sa descente depuis les Cieux, soit responsable de l’extinction de la chandelle. » Freeman, p 135

Cette explication est pour le moins contre-intuitive puisqu’elle implique que, durant toute sa vie terrestre, le Christ devrait être symbolisé par une chandelle sans flamme.

Nous reviendrons sur ce problème dans 4.6 L’énigme de la bougie qui fume .


La porte ouverte

Traditionnellement, la pièce de l’Annonciation était totalement close :

« Où la trouva-t-il ? C’était, je crois, dans l’intimité de la pièce où, la porte close, elle s’était retirée pour prier son Père.. Il n’était pas difficile pour l’Ange de pénétrer la porte fermée de la retraite de Marie, sa nature subtile le rendait capable d’entrer à sa guise sans même que les verrous de fer ne lui fassent obstacle. » Saint Bernard.

De plus, la porte fermée est un symbole de Marie.

« Campin a-t-il représenté la porte ouverte pour que ses patrons,  les donateurs agenouillés, participent à l’événement ?… Ou avait-t-il en tête le symbolisme de Voragine : « La porte du Paradis qui à cause d’Eve fut fermée à tous les hommes est maintenant ouverte par Marie, la Vierge bénie. » ? … En fait, bien peu d’Annonciations suivent à la lettre  la description de Saint Bernard… Il se peut bien que la porte ouverte soit simplement le moyen trouvé par l’artiste pour intégrer le panneau gauche et le panneau central, tout en créant une mince barrière entre les deux, la scène sacrée et la profane. »  Freeman, p 136


Le jardin

Le rosier contre le mur symbolise les souffrances du Christ en Croix, mais la « rose sans épines »est également un symbole de Marie. Les myosotis sont souvent appelés « yeux de Marie », les violettes et les marguerites sont des symboles de son humilité.


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Le jardin clos est aussi un symbole marial.

« Pour être parfaitement consistant, Campin aurait dû fermer le jardin, mais il n’aurait alors pas pu peindre la petite scène de rue derrière, où un chevalier en veste rouge et grand chapeau noir monte un cheval blanc, où une femme s’assoit pour bavarder sur un banc devant une échoppe, qui présente des pièces de vêtement claires, qui semblent être des dessous pour l’hiver ».



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Références :
[1] Freeman, Margaret. « The Iconography of the Merode Altarpiece. » The Metropolitan Museum of Art Bulletin, n.s., 16, no. 4 (December 1957). pp. 130-139.

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