Lune-soleil : autres thèmes

Ce dernier article est consacré à des inversions médiévales particulières :

  • autour du Dieu Annus ;
  • dans les monnaies et sceaux (princes, ecclésiastiques, cités) ;
  • dans des récits de voyage (au Paradis ou auprès des arbres oraculaires).

Article précédent : Lune-soleil : Crucifixion 3) en Occident 

Les inversions Lune-Soleil dans les représentations d’Annus

La représentation de loin la plus courant est celle où Annus, trônant au centre du cercle des Mois ou des Signes du Zodiaque, tient le Jour dans sa main droite et la Nuit dans sa main gauche (voir 4 Paires de globes). Nous allons analyser en détail les deux seuls cas connus d’inversion.

En aparté : le sens des deux roues d’Isidore de Séville (SCOOP !)

Le lien entre Saisons et Eléments découle entièrement de deux célèbres schémas du « De rerum natura « , le Livre des Roues, compilé vers 612-13. Ces schémas sont été recopiés à l’identique dans un grand nombre de manuscrits : voici un des plus anciens exemplaires, de l’époque carolingienne.


La roue ANNUS

Roue des Points Cardinaux Isidore de Seville 800 ca BSB Clm 14300 fol 5v Munich completeRoue des Points Cardinaux, fol 5v
Isidore de Seville, De rerum natura , vers 800, BSB Clm 14300, Münich

Le premier schéma établit, à la suite d’Aristote, que chaque Saison se compose d’un mélange de deux qualités élémentaires (chaud, froid, humide et sec), et identifie chacune à un point cardinal (l’Est étant en haut, associée à VER, le Printemps). Les Saisons sont disposées autour d’ANNUS dans le sens des aiguilles de la montre, ce qui place les points cardinaux comme dans la marche apparente du Soleil (Est, Sud, Ouest, Nord) : le premier point, l’Est, se trouve naturellement placé en haut, comme dans l’orientation des églises (le choeur en direction de Jérusalem).

Voici le texte que le schéma illustre :

« Puisqu’en précisant leurs différences nous avons résumé la succession des saisons suivant les définitions des anciens, exposons maintenant de quelle manière ces mêmes saisons sont unies entre elles par des liens naturels. Le printemps se compose d’humidité et de feu, l’été de feu et de sécheresse, l’automne de sécheresse et de froid, l’hiver de froid et d’humidité. Par suite, les saisons (tempora) tirent leur nom du mélange (temperamentum) de ce qui leur est commun, dont voici la figure » Barbara Obrist ( [1], p 114)


La roue MUNDUS-ANNUS-HOMO

Roue des Elements Isidore de Seville 800 ca BSB Clm 14300 fol 8r MunichRoue des Eléments et Tempéraments, fol 8r
Isidore de Seville, De rerum natura , vers 800, BSB Clm 14300, Münich

Dans le second schéma, les points cardinaux sont omis. Comme l’indiquent au centre du carré les mots MUNDUS et HOMO qui se rajoutent autour d’ANNUS, le schéma comporte désormais les quatre Eléments du Monde et les quatre Tempéraments de l’Homme. Les Eléments se trouvent présentés dans l’ordre « harmonieux » Terre, Air, Eau, Feu, comme l’explique le texte associé :

« … L’air, lui aussi intermédiaire entre deux éléments naturellement en lutte, l’eau et le feu, se concilie à l’un et à l’autre de ces éléments, car il est uni à l’eau par l’humidité et au feu par la chaleur. Le feu également, étant chaud et sec, se rattache à l’air, mais sa sécheresse l’allie et l’unit intimement à la terre, et c’est ainsi que par cette ronde, comparable à celle d’un choeur de danse, les éléments s’assemblent en une harmonieuse alliance. » Barbara Obrist ([1], p 114)

Le sens de lecture est maintenant celui des Eléments (en sens inverse des aiguilles de la montre).


Un compromis astucieux (SCOOP !)

On aurait pu placer TERRA  en haut de la roue (comme l’EST) : mais cette position aurait contrarié l’idée platonicienne que TERRA est l’élément le plus lourd, et IGNIS le plus léger. Le compromis trouvé positionne IGNIS à sa place naturelle, au « ciel » du schéma, et TERRA à gauche, au « début » dans le sens habituel de la lecture.

D’où le décalage et l’inversion du sens de rotation par rapport au premier schéma.



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En prélude : les tissus de Sankt Kunibert de Cologne

La datation de ces tissus, qui enveloppaient les corps des deux martyrs Ewald, est incertaine (entre 880 et 950). Deux de ces tissus présentent des figurations du Jour et de la Nuit, non inversées, mais qui comportent d’autres anomalies significatives.


Le premier tissu

900 ca ewald decke sankt kunibert cologne schema 2
Le premier tissu dispose, autour du Jour (DIES) et de la Nuit (NOX) tenant des flambeaux, les douze signes du Zodiaque, séparés en quatre saisons par les diagonales. L’inversion de deux signes (en rouge) s’explique par des raisons de symétrie par rapport à la verticale :

  • mettre en pendant les deux caprins : le Bélier (3) et le Taureau (4) ;
  • faire apparaître le signe double des Gémeaux (5) juste à l’aplomb du couple Jour/Nuit;

Plutôt que la lecture cyclique, c’est la lecture gauche-droite qui est ici privilégiée.

A cette haute époque, les symboles de l’Année peuvent donc être vus comme des éléments purement décoratifs, que l’on peut librement agencer sans se soucier de l’exactitude astronomique.


Le deuxième tissu

900 ca ewald decke sankt kunibert cologne
Le deuxième tissu miniaturise DIES et NOX et les met dans les mains d’ANNUS, au centre de deux anneaux concentriques de médaillons :

  • le premier anneau comprend les quatre Saisons (indiquées par les diagonales), entre lesquelles viennent s’intercaler les quatre Eléments ;
  • le second anneau comporte les douze signes du Zodiaque, répartis cette fois sans erreur dans le sens des aiguilles de la montre.

On notera dans les écoinçons deux autres couples classiques :

  • en haut Alpha et Omega ;
  • en bas Oceanus et Tellus.

Cette tapisserie est remarquable par la mise en correspondance, très rare, des Signes et des Saisons avec les quatre Eléments.


L’origine de la roue révélée par ses anomalies (SCOOP !)

900 ca ewald decke sankt kunibert cologne schema
Les Signes sont placés dans le sens des aiguilles de la Montre avec le Verseau (2, Janvier) en haut. Cette disposition est inhabituelle car l’année commençait le jour de Pâques, donc entre le 22 mars et le 25 avril et ce sont en général ces deux mois qui se trouvent en haut de la roue. Autre anomalie : parmi les médaillons des Saisons insérés dans l’anneau des Eléments (cercles bleus), deux (A et C) ne sont pas consécutifs à l’Elément qui leur correspond (traits bleus).


Roue des Points Cardinaux Isidore de Seville 800 ca BSB Clm 14300 fol 5v Munich complete Roue des Elements Isidore de Seville 800 ca BSB Clm 14300 fol 8r Munich

Le concepteur est parti du premier premier schéma isidorien, où le Printemps est en haut et où les saisons tournent  dans le sens des aiguilles de la montre (le décalage des Signes a pour but d’inscrire les trois premiers, en haut, dans le secteur Printemps).

Comme les Eléments ne figurent pas dans ce schéma, il les a rajoutés dans l’anneau interne en utilisant la correspondance Saisons-Eléments du second schéma. Enfin, pour « boucher les trous » de l’anneau interne avec les médaillons des Saisons, il a placé correctement l’Hiver (D) au début de l’Année (entre entre les signes 12 et 0)  mais a rajouté les autres en suivant le second schéma, où les Saisons tournent dans  l’autre sens. 

C’est pourquoi de manière erronée, le médaillon de l’Automne (C) se retrouve à la fin des signes du Printemps, et réciproquement.


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Première inversion : le Sacramentaire de Fulda

Sacramentarium fuldense Xeme Cod. theol. 231 fol 250v Universitatsbibliothek GottingenAnnus
Sacramentarium fuldense, Xème siècle, Cod. theol. 231 fol 250v, Universitätsbibliothek Göttingen

Dans ce sacramentaire ottonien tout à fait contemporain des tissus de Cologne [2], le frontispice du calendrier reprend les mêmes éléments avec trois différences notables :

  • l‘inversion, dans les mains d’Annus, de NOX (figuré par la Lune) et de DIES (figuré par le Soleil) ;
  • le remplacement des douze Signes par les travaux des douze Mois (identifiés par leur nom) ;
  • l’inclusion des quatre médaillons des Saisons, non dans l’anneau interne des Eléments, mais dans celui des Mois.



900 ca Ewald Fulda comparaison
Les Signes/Mois sont placés identiquement dans les deux compositions, ainsi que la croix des Eléments (cercles bleu clair).


Les Saisons par rapport aux Mois

Dans le Sacramentaire, les Saisons sont placées dans le bon ordre, puisqu’elles s’insèrent à l’intérieur des Mois de chaque Saison (par exemple VER entre FEBRUARIUS et MARTIUS). Une complication tient au fait qu’au Haut Moyen-Age, les limites des saisons (pointillés blancs) ne coïncident pas avec les solstices et équinoxes (pointillés jaunes) : ainsi le Printemps (VER) commence vers le 7 février ( [3], p 37), d’où la position choisie pour le médaillon, juste après le mois de Février.


Les Saisons par rapport aux Eléments

Pour l’association entre Saisons et Eléments, le copiste du Sacramentaire n’a pas utilisé l’association isidorienne mais un schéma plus moderne dans laquelle les Saisons s’intercalent entre deux Eléments, comme dans ce diagramme du siècle suivant :

vDiagramme de Byrhtferth
Comput de Ramsey , vers 1090, Oxford MS 17 fol 7v


L’inversion Nuit / Jour

L’inversion de la Nuit et du Jour dans le Sacramentaire traduit le même souci de rationalisation : comme les Saisons correspondent aux quatre quadrants de le roue, il est logique de mettre le Jour/Soleil dans la moitié droite (avec les deux saisons où la lumière augmente) et la Nuit/Lune du côté des deux saisons où la lumière diminue. Sur ce thème de la lumière croissante et décroissante, voir Majestas et astronomie.


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Seconde inversion : le bifolium des Chroniques de Zwiefalten

1142 Zwiefalten Stuttgart WSB Cod.hist.fol.415 fol 17v schema1142, Chroniques de l’abbaye de Zwiefalten, Stuttgart WSB Cod.hist.fol.415 fol 17v

Cette roue présente les Mois en coïncidence avec les Signes du Zodiaque, toujours dans le sens des aiguilles de la montre, mais sans les Eléments.



1142 Zwiefalten Stuttgart WSB Cod.hist.fol.415 fol 17v schema
Par rapport au sacramentaire de Fulda, les Mois/Signes ont été décalés d’un quart de tour et les limites des saisons sont celles que nous connaissons aujourd’hui : ainsi le début normal de l’année, à l’équinoxe de printemps, se trouve en haut, séparant l’Hiver à gauche et le Printemps à droite. Cela ne change pas la nécessité d’inverser les deux couples Nuit/Jour et Lune/Soleil : la moitié droite de la roue (après l’équinoxe de printemps) étant celle où la lumière domine.

Les Saisons sont figurées dans les écoinçons, sans rapport avec les quadrants de la roue, et se lisent non pas circulairement, mais de gauche à droite puis de haut en bas.

Plus loin se trouve un autre cycle (en bleu) celui des quatre points cardinaux identifiés à la course du soleil : Aurora (le matin, l’Est) , Meridies (le midi, le Sud), Vespera (le soir, l’Ouest), Pruina (les frimas, signifiant ici le Nord ). Ils tournent en sens inverse de celui ces mois, perdant ainsi leur correspondance isidorienne avec les saisons ; et la division Jour/Nuit qu’ils impliquent ne coïncide pas avec celle du cercle intérieur : on voit bien la difficulté à concevoir un schéma complètement cohérent.


1142 Zwiefalten Stuttgart WSB Cod.hist.fol.415 fol 16rCréation du Monde, fol 16r 1142 Zwiefalten Stuttgart WSB Cod.hist.fol.415 fol 17v schemaAnnus, fol 17v

La roue d’Annus se trouve au verso d’une autre roue, qui montre les six jours de la Genèse en médaillons autour du Septième Jour : Dieu bénissant sa Création. L’image est fortement polarisée puisqu’elle comporte aussi la Chute des mauvais anges (transformés à droite en démons) et la Chute de l’Homme (avec Eve à droite, du côté traditionnel de l’Enfer).



1142 Zwiefalten Stuttgart WSB Cod.hist.fol.415 fol 16r detail
L’inversion à l’intérieur du médaillon du Quatrième Jour est d’autant plus étonnante qu’elle va en sens inverse de la dichotomie Bon / Mauvais de l’ensemble, ainsi que du couple Adam / Eve un peu plus bas. Mira Friedmann [4] remarque, avec raison, que lorsque les luminaires ne sont pas dans les mains du Créateur, la contrainte héraldique s’affaiblit. L’inversion par rapport aux habitudes graphiques nécessite néanmoins une justification, d’autant plus lorsqu’elle contredit de manière délibérée, comme ici, la logique globale et locale.

La seule explication que je vois est que, les deux pages ayant été conçues ensemble, cette inversion sert à préparer celle de la seconde image : dès leur Création, les luminaires sont placés à l’emplacement convenable pour régler le cycle des Saisons et des Mois. Les deux inversions de Zwiefalten prolongent la tentative de rationalisation inaugurée par le copiste du Sacramentaire de Fulda.


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Une demi-inversion : le bifolium du Liber Scivias

1142 Zwiefalten Stuttgart WSB Cod.hist.fol.415 fol 16r1142, Chroniques de l’abbaye de Zwiefalten, Stuttgart WSB Cod.hist.fol.415 fol 16r Hildegard of Bingen, Liber scivias, ca. 1200, Heidelberg University. Cod. Salem X 16, fol. 1r Creation et Chute detailvers 1200, Hildegarde de Bingen, Liber scivias, Heidelberg University. Cod. Salem X 16, fol. 1r Création du Monde, Chute des Anges, Chute de l’Homme

Un demi-siècle plus tard, un bifolium très similaire illustre le Liber scivias : dans l’image du recto, on retrouve les médaillons des Six jours, cette fois alignés en bas, au dessous de Dieu tenant le Ciel et la Terre (voir 1 Globes en main). La mêlée générale entre Anges et Démon a été remplacée par son résultat : les Neuf Choeurs angéliques faisant cercle autour de Dieu, et les démons confinés dans la marge gauche, empêchés de remonter par le seul archange Michaël.



Hildegard of Bingen, Liber scivias, ca. 1200, Heidelberg University. Cod. Salem X 16, fol. 1r Creation et Chute detail
Les médaillons des Six Jours recopient ceux de Zwiefalten, y compris l’inversion des luminaires pour le Quatrième jour : elle est ici bienvenue, puisqu’elle correspond à l’emplacement d’Eve et d’Adam lors de l’Expulsion du Paradis, juste en dessous.


1142 Zwiefalten Stuttgart WSB Cod.hist.fol.415 fol 17v schema1142, Chroniques de l’abbaye de Zwiefalten, Stuttgart WSB Cod.hist.fol.415 fol 17v Hildegard of Bingen, Liber scivias, ca. 1200, Heidelberg University. Cod. Salem X 16, fol. 2v Annus and the Macrcosm detail signesvers 1200, Hildegarde de Bingen, Liber scivias, Heidelberg University. Cod. Salem X 16, fol. 2v

Annus

Le schéma du verso est également très semblable : les signes du zodiaque (ici sans les Mois) se trouvent au même emplacement, ainsi que les Saisons, et le schéma comporte également les Points Cardinaux, plus de nouvelles entités



Hildegard of Bingen, Liber scivias, ca. 1200, Heidelberg University. Cod. Salem X 16, fol. 2v Annus and the Macrcosm, detail
L’anomalie de Zwiefalten a été corrigée, puisque la roue des quatre points cardinaux (en bleu clair) tourne dans le même sens que celle des Saisons, ce qui rétablit la correspondance isidorienne (traits bleu clair) . Comme dans le premier schéma d’Isidore, l’Est est placé en haut, ce qui positionne mécaniquement les saisons froides du côté gauche, et les saisons chaudes du côté droit. Une roue intercalaire montre huit phénomènes météorologiques associés à ces saisons (en jaune). Dans la roue des signes zodiacaux s’intercalent quatre personnifications (en rose) , dont deux reprennent, avec une autre signification, les Heures du jour de Zwiefalten [5] :

  • à Tempestas (la Tempête) s’appose Aurora, qui symbolise ici le temps calme ;
  • à Serenitas (le Beau Temps) s’oppose Pruina, qui retrouve ici son sens propre de mauvais temps, de frimas.

Enfin, dans les écoinçons, s’ajoutent les douze vents, en cohérence avec les points cardinaux (traits bleu sombre).

Dans ce schéma extrêmement cohérent, la surprise est que les Luminaires dans les mains d’Annus, ainsi que les personnalisations du Jour et de la Nuit juste en dessous, reviennent à leur place conventionnelle, perdant la cohérence entre lumière et saisons.



Hildegard of Bingen, Liber scivias, ca. 1200, Heidelberg University. Cod. Salem X 16, fol. 2v Annus and the Macrcosm detail signes
On notera que les inscriptions associés aux signes, par exemple, « sol in pisces » rappellent que l’astre du jour est présent dans tous les moments de l’année, ce qui relativise la division gauche/droite de l’image.


Ce retour aux conventions va de pair avec l’ennoblissement de la figure d’Annus, qui perd son aspect d’homme sauvage pour se retrouver roi couronné.

1142 Zwiefalten Stuttgart WSB Cod.hist.fol.415 fol 17v detail annus Hildegard of Bingen, Liber scivias, ca. 1200, Heidelberg University. Cod. Salem X 16, fol. 2v Annus and the Macrcosm detail annus

Ceci va dans le sens de l’hypothèse de Mira Friedmann selon laquelle l’inversion se produit autour d’Annus parce que sa figure est plus « profane » que la figure sacrée du Créateur.


Annus comme le Christ

900 ca ewald decke sankt kunibert cologneTissu de Sankt Cunibert Sacramentarium fuldense Xeme Cod. theol. 231 fol 250v Universitatsbibliothek GottingenSacramentaire de Fulda

Comme le note Peter Springer à propos du tissu de Sankt Cunibert ( [6], p 38), la présence de l’Alpha et de l’Omega en haut, d’Oceanus et Terra en bas, sont des emprunts délibérés à la composition des Majestas Domini (ce qui explique la redondance d’AQUA et TERRA, qui figurent en tant qu’Eléments dans la roue). Parmi ces allusions théophaniques il faut ajouter les quatre roues de la vision d’Ezéchiel, qui se superposent ici au souvenir du char d’Hélios.



Sacramentarium fuldense Xeme Cod. theol. 231 fol 250v Universitatsbibliothek Gottingen detail annus
En comparaison, l’Annus du Sacramentaire de Fulda n’a, mis à part les roues, rien de particulièrement divin : sa houppe blanche, qui l’apparente au Soleil, en fait une sorte de grand-père cosmique.


Scholium de duodecim zodiaci signis et de ventis 11eme BNF Lat 7028 fol 154Scholium de duodecim zodiaci signis et de ventis, 11ème siècle, BNF Lat 7028 fol 154

Cette figure, en revanche,  superpose clairement les trois figures d’Annus, d’Hélios et du Christ (voir 3 Le globe solaire ) . Du fait de qu’elle illustre un traité médical, les inscriptions associent chaque signe à la partie du corps humain qu’il influence : c’est la toute première apparition en image de la théorie de la melothesia ([5], p 71 ).

Les Signes sont ici disposés dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, et les Saisons, figurées dans les écoinçons, leur correspondent parfaitement : ainsi l’Hiver, en haut à droite, accompagne le Sagittaire, le Capricorne et le Verseau (Décembre, Janvier et Février dans la roue de Zwiefalten).

Pour exprimer la prééminence des deux saisons lumineuses, le copiste a préféré inverser le sens de rotation des Mois, de sorte que le Printemps et l’Eté se trouvent à la droite du Christ-Hélios. Le globe qu’il tient dans sa main gauche ne représente donc pas ici le soleil, mais le Cosmos tout entier, sujet de sa domination. De même, les deux motifs à huit rayons qui l’encadrent ne sont pas les luminaires mais deux étoiles qui forment une sorte de résumé du firmament (on trouve souvent des semis d’étoiles dans la zone cosmique des mandoles doubles, voir 1 Mandorle double dissymétrique).


PALA-DORO-Milan detail 824-853Détail de la Pala d’Oro, 824-853, Sant Ambrogio, Milan

Bianca Kühnel ( [7], p 165) note la présence de quatre étoiles similaires au plus près du Christ de la Pala d’Oro de Milan, sorte de projection centrale des quatre Evangélistes et des douze Apôtres distribués dans les compartiments latéraux.



 Les inversions Lune-Soleil dans les monnaies et sceaux médiévaux

En aparté : le symbolisme du couple Soleil-Lune au Moyen-Age

Pape et Empereur

« De même que la Lune reçoit sa lumière du Soleil, de même la dignité royale n’est que le reflet de la dignité pontificale ». Pape Innocent III (1198-1216)

Je n’ai pas trouvé d’iconographie illustrant cette métaphore.


Orient et Occident ?

La difficulté d’associer les luminaires aux deux points cardinaux opposés tient évidement à leur déplacement permanent d’Est en Ouest. Même en tentant de déterminer leur position au moment de leur création, la situation n’est pas claire, comme le montre ce Commentaire de Pierre Comestor (1100-78) sur le Quatrième Jour de la Genèse :

«Une autre translation dit que la lune fut faitte au commencement des tenèbres de la nuit. car elle fut faitte plaine et ronde, et elle n’est oncques plaine fort ou commencement de la nuit. et est adonc en orient et le soleil en occident qui de tout a plat lui donne sa clarté, par quoy elle est ronde et plaine, car elle est droit encontre lui d’orient en occident. Non pourquant dient aucuns que le soleil fut fait au matin en orient, et quant il fu au vespre descendus en occident dont primes fu faitte la lune en orient plaine et ronde au commencement de la nuit; mais aucuns dient qu’ils furent fait tous ensemble au matin, le soleil en orient et la lune en occident; or fist son cours le soleil iusques au vespre d’orient en occident. Si que quant le soleil fu venus au vespre en occident et la lune fust alée en cil mesmes vespres dessoubs terre en orient, le soleil lui donna si comme il fait ore, sa plaine clarté et eil vespre d’occident en orient. »

On ne peut donc pas affirmer que le couple Soleil-Lune symbolisait l’Orient et l’Occident.


Chrétienté et Islam ?

C’est seulement après la prise de Constantinople en 1453 que les Turcs reprendront à leur compte le symbole du croissant étoilé. Au Moyen-Age, le symbole de l’étoile dans le croissant pouvait plutôt être compris comme un emblème byzantin.



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Chez les princes

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De Tripoli à Toulouse

L’étoile dans le croissant (Palestine)

med Tripoli Antioche

Le denier le plus ancien, frappé identiquement par Raymond II puis Raymond III de Tripoli, reprend le motif très courant, depuis l’Antiquité, de l’étoile dans le croissant (voir Lune-soleil : symboles 1) introduction)

Les historiens anciens ne doutaient pas de la valeur politique du symbole :

« Je serais donc porté à croire que le prince qui eut l’idée d’employer un type allégorique des anciens s sa monnaie, n’eut en vue ni l’astronomie, ni un simple ornement, mais qu’il voulut représenter le triomphe de la lumière évangélique, figurée par l’étoile , sur l’islamisme, figuré par le croissant. » [10]

Cette interprétation est contredite par une monnaie d’Antioche (en rouge) qui, avec son croissant surplombant l’étoile à six branches, devrait être comprise comme la victoire de l’islam sur les chrétiens.

A l’inverse, certains proposent que l’association de l’étoile et du croissant reflète l’alliance circonstancielle entre Raymond II et Nur-al-Din en 1147, au moment de la deuxième croisade, pour lutter contre les descendants du comte du Toulouse qui auraient pu revendiquer le Compté de Tripoli. Ceci n’est pas tout à fait absurde puisque sous Raymond II, dès 1152, apparaît une monnaie avec la seule étoile à huit branches, qui devient l’emblème de Tripoli.

En fait, interpréter le croissant comme symbolisant l’islam est un anachronisme, qui a laissé place à une grande incertitude :

« L’association d’une étoile et d’un croissant de lune est une figure héraldique connue qui fait peut-être référence à « l’étoile du berger » ou « l’étoile des Rois Mages ». Cet astre (il s’agit en fait de la planète Vénus) brille en effet d’un éclat remarquable et se trouve relativement proche de la lune une grande partie de l’année. C’est aussi l’astre qui fait référence à l’Orient, il s’agit sans doute de rappeler le comportement héroïque du Comte Raymond de Saint-Gilles qui conduisit les chevaliers provençaux jusqu’en Terre Sainte et participa à la prise de Jérusalem en 1099. » [11]


« Il n’est pas impossible que le comte de Tripoli et son entourage, intrigués par la présence de stèles antiques ou de temples visibles autour de son palais, aient « réemployé » ce motif en héraldique, à moins qu’il se soit agi d’un motif décoratif déjà répandu dans la ville de Tripoli au XIIème siècle. » [11]


L’étoile dans le croissant (Toulouse)

Raymondin Raymond V (type 1 croix courte)Denier raymondin, Raymond V (type 1 à croix courte)

La première mention de la frappe de cette monnaie remonte à 1150 ( [12], p 85). La ressemblance avec le denier de Tripoli ne peut être fortuite. Raymond IV, le grand-père de Raymond V de Toulouse et l’arrière-grand-père de Raymond II de Tripoli, était mort glorieusement durant la première croisade en attaquant la ville. Alphonse Jourdain, le propre père de Raymond V venait lui-même de mourir durant la deuxième, ce qui mettait fin à la revendication toulousaine sur le Comté de Tripoli, où tout le monde parlait la langue d’oc. Raymond V, jeune prince de quatorze ans qui avait accompagné son père en Palestine, était resté six mois à Jérusalem avant de rentrer à Toulouse ([12], p 147) . En imitant l’emblème prestigieux de son petit-cousin de Tripoli, le nouveau comte de Toulouse entendait sans doute rappeler la gloire outremer de ses aieux, et évoquer ses droits lointains.

Selon une autre hypothèse, le croissant et l’étoile pourraient être issus de la déformation des deux premières lettres du mot COMES (comte) [11] . Mais alors, pourquoi seulement à Toulouse et Tripoli ?

Judicieusement, Laurent Macé ([12], p 88) clôt la question, en reconnaissant l’influence tripolitaine, mais aussi l’idée originale qui fait de la monnaie une sorte de diptyque, la Lune et le Soleil d’un côté, la Croix de l’autre.


Le chevalier entre le croissant et l’étoile (Antioche)

med AntiocheAntioche, types au casque [13].

Le denier introduit par Bohémond III d’Antioche après 1163 montre le buste d’un chevalier croisé (voir la croix sur son casque) regardant ostensiblement vers la gauche en direction de la Lune , avec le Soleil derrière lui.

Si le croissant à cette époque n’évoque pas encore l’Islam, tout le monde, depuis le Quatrième Jour de la Genèse, associe la Lune à la Nuit : le motif pourrait donc représenter le chevalier croisé défendant la Lumière face à l’Obscurité.

L’interprétation doit être nuancée par certains flottements de la formule (en rouge) :

  • absence des luminaires (casque à droite ou à gauche) ;
  • regard vers le soleil, soit parce le casque est inversé, soit parce que les luminaires ne le sont pas.

Ces exceptions très rares peuvent être imputées à des erreurs du graveur : le type avec inversion lune/soleil est très largement dominant, et le restera sous les successeurs de Bohémond III à Antioche.


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Les grands sceaux des comtes de Toulouse

med Toulouse Raymond V et VI
Raymond V reprend à son compte, à partir de 1156, la grande innovation des princes de l’époque : le grand sceau double face. Tous les exemplaires ont été perdus mais la reconstitution est possible, à partir de quelques vestiges retrouvés par Laurent Macé ([12], p 32-35) et de descriptions anciennes ([12], p 30-31) :

  • de deux sceaux très semblables datés de 1163 et 1165, par l’érudit Fabre de Peyresc ;
  • d’un sceau assez différent de 1171, dans un acte de Vidimus.

Dans les deux premiers sceaux, le comte est assis sur un chaise pliante, tenant dans sa droite une épée et dans sa gauche le globe du pouvoir (un emblème plutôt anglais ou impérial). Le croissant de lune à sa gauche, étrangement tourné vers le haut, montre qu’on a voulu rappeler le croissant qui figurait sur les deniers raymondins. Ici les luminaires sont répartis sur chaque face, la lune à gauche du comte assis, le soleil à l’arrière du comte chevauchant.

Cette répartition suggère que le comte a simplement voulu reprendre les deux symboles de prestige qui figuraient déjà sur le denier raymondin : la lune au dessus du globe, le soleil au dessus du chevalier, signifient que le ciel est avec lui, dans son gouvernement comme dans ses combats : RAYMONDUS DEI GRATIA COMES TOLOSE…, dit la légende.

Dans le sceau de 1171, la chaise n’est plus pliante et le comte tient dans sa gauche, comme dans tous les sceaux qui suivront, l’emblème de son pouvoir : le château Narbonnais de Toulouse. Le couple des luminaires apparaît maintenant sur les deux faces :

  • soleil-lune autour de la figure en majesté,
  • lune-soleil à droite de la figure équestre : à la différence de la monnaie de Bohémond III d’Antioche, le chevalier vu de profil n’est pas encadré par les luminaires, mais chevauche au galop en les laissant derrière lui.

Le sceau de son fils Raymond VI conserve les mêmes caractéristiques, mais se différentie en inversant les luminaires, sur les deux faces. La facture idéalisée, encore romane, est très retardataire pour l’époque ([12], p 41).

Le sceau de Raymond VII est pratiquement identique pour la composition (mis à part la housse ornée d’une croix du cheval), mais d’une facture maintenant réaliste et gothique ([12], p 45-47).


med 1150 Grand sceau de Raymond Berenger le Vieux comte de Barcelone1150, Grand sceau de Raymond Bérenger le Vieux, comte de Barcelone [14]

Le sceau conçu par Raymond V, et qui se maintiendra pendant une centaine d’années, est une sorte de « coup médiatique » ([12], p 95) qui tranche par rapport à ce qui se faisait avant lui, par exemple le sceau à deux faces équestres de Raymond Bérenger IV, le grand rival du Toulousain pour la possession du marquisat de Provence.


.Le sceau de Constance de France

med 1165 ca Sceau Constance de France Archives nationales Paris avers sigilla.org Donation a St Victor de Marseille med 1165 ca Sceau Constance de France Archives nationales Paris revers sigilla.org Donation a St Victor de Marseille

Le sceau de la première épouse de Raymond V nous est connu par cet exemplaire, sur une donation à Saint Victor de Marseille datant probablement de 1165 , juste après la répudiation de Constance par Raymond V ([12], p 132) : la légende porte encore ses titres de duchesse de Narbonne, marquise de Provence et comtesse de Toulouse.

Fille du roi de France Louis VI, elle est « vendue » en 1140 par son frère Louis VII comme épouse du fils du roi d’Angleterre, où elle réside jusqu’en 1153, date ou son mari meurt avant d’avoir régné [15]. Elle rentre alors à la Cour de France et, en 1154, épouse le comte de Toulouse. La composition biface (avers de majesté, revers équestre) du sceau de celle qui se fait appeler la reine Constance est unique au XIIème siècle pour une princesse de sang royal ([12], p 132). Plusieurs détails (la forme ronde et non en amande, le globe tenu dans la main droite) revèlent que Constance s’est inspirée de modèles anglo-saxons ou germaniques qu’elle avait pu voir durant son séjour outre manche ([12], p 135-136).



med Sceau Raymond V Constance de France
Ces deux sceaux exceptionnels ont été très étudiés, et les spécialistes ne s’accordent pas sur leur datation. Il est tentant de suivre Laurent Macé qui, au terme d’une discussion serrée conclut que les deux sceaux ont probablement été conçus à l’occasion du mariage ([12], p 138-139, p 148), comme le montre leur composition jumelle :

  • dans la main gauche, même globe ;
  • dans le bras droit identiquement replié, les insignes de la Vertu masculine (l’épée, la Justice [12],p 74 et 127) et féminine (la croix, la Foi) ;
  • même fauteuil au dossier portant deux fleurs de lys ;
  • cheval au galop et cheval à l’amble ;
  • mouvement en direction opposée : l’orientation vers la gauche, pour Raymond, est une caractéristique des sceaux princiers de première génération ([12], p 105).

Même les légendes s’apparient de manière subtile :

  • pour Raymond, la triple titulature du duché de Narbonne, du comté de Toulouse et du marquisat de Provence est répétée sur les deux faces ;
  • pour Constance, les deux titres les plus importants sont affichés côté majesté (SIGILLVM CONSTANCIE DVCISSE NARBONE MARCHESIE) et le titre le moins prestigieux côté équestre ( SIGILLVM CONSTANCIE COMITISSE THOLOSE).

Les deux luminaires signent l’appropriation par Constance des astres raymondins : tandis que pour son mari ils sont répartis sur les deux faces, signalant que son pouvoir vient de Dieu, elle les a regroupés quant à elle sur la face de majesté. Autant, côté équestre, l’allure tranquille de sa monture et la branche qu’elle tient sous son bras (sans doute l’olivier de la paix) n’appelaient pas l’impétuosité du Soleil, autant la présence derrière son trône des attributs de la majesté divine révèle un culot princier. Culot que Raymond reprendra à son compte dans son sceau de 1171, une fois Constance répudiée.

« En reprenant un thème cosmologique étroitement associé à la frappe de leurs deniers marqués de la croix raimondesque, les comtes enrichissent leur iconographie sigillaire. La lune et le soleil qui les encadrent pourraient faire implicitement référence à une forme de luminescence, une sorte d’allégorie de l’indispensable charisme que doit posséder dans les sociétés médiévales celui qui est appelé à gouverner. On doit voir en lui le reflet d’une radiance d’un autre ordre, celle de l‘aura qui nimbe le princeps légitime«  ([12],p 185)

Cette dimension lumineuse n’échappait pas à certains, comme le troubadour Peire Cardénal dans un portrait de Raymond VII :

« Et puisque sa valeur brave tout, au dessus du monde tant s’élève sa seigneurie – qui a renom de comte-duc -que son nom même le signifie, qui dit « Rayon du Monde (Rai-mon)« . ([12],p 186)



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Les deux grands sceaux de Richard Coeur de Lion

med Richard Coeur de Lion
Le premier grand sceau, réalisé en 1189 lors de l’accession de Richard I au trône, présente le double emblème de l’étoile dans le croissant. Il est possible que ce motif « oriental » ait été choisi en référence à la troisième croisade, alors en préparation. On a supposé aussi qu' »il s’agissait d’une référence parlante à l’étoile appelée Regulus dans la constellation du Lion, communément appelée « Cor Leonis ». », ou « Cœur de Lion », un joli jeu de mots sur le surnom de Richard » [16]. La différence du nombre de rayons (sept et six) est probablement destinée à déjouer les contrefaçons. Les deux brins de « planta genista » évoquent la prétention des Plantagenêts aux deux couronnes d’Angleterre et de France.

Le second grand sceau a probablement été réalisé en 1195, au retour de captivité de Richard, dans des circonstances assez bien connues : Richard prétexte la perte du premier grand sceau durant un naufrage pour ordonner de revalider, avec le nouveau sceau, toutes les chartes à son nom. Pour certains, le nouveau sceau daterait en fait de 1198, année de crise financière où les taxes liées au changement de sceau étaient bienvenues [17].

Les commentateurs se passionnent pour la toute première apparition, sur l’écu de la face équestre, des « trois lions passant gardant » qui constitueront désormais les armoiries royales anglaises [18]. Mais personne ne dit mot de la différence qui nous intéresse : l’éclatement de l’emblème de l’étoile dans le croissant en un couple de luminaires inversé : une Lune tournée vers le haut et un soleil à seize rayons.

Il n’y a pas de raison particulière à ce que le roi Richard ait voulu imiter le sceau d’un Comte, fût-il de Toulouse (Raymond VI n’a d’ailleurs pas participé à la troisième croisade). La position verticale de l’épée (en pal) est d’ailleurs celle d’un souverain sacré, très différente de l’épée de justice du comte de Toulouse

Vu la symétrie de la composition, la dissociation des luminaires est tout sauf anodine : elle place l’épée sous l’influence de la Lune et le globe florissant sous celle du Soleil, d’une manière peu explicite à première vue.



med Richard Coeur de Lion Henri II
En fait l’épée et le globe ne forment pas un couple mais, complétés par la couronne à trois pointes, un triangle de regalia (en vert).  De même les deux luminaires forment triangle avec la croix de la légende, qui manifeste la puissance de Dieu au dessus de celle du roi (en blanc).

La comparaison avec le second grand sceau du père de Richard, Henri II Plantagenêt, met en évidence ce travail de symétrisation :

  • la colombe pacifique est supprimée pour laisser place à l’élévation de la croix, posée sur une hampe feuillagée ;
  • les deux luminaires polarisent l’ensemble selon le thème du reflet : le rapport de la Lune au Soleil est le même que celui du Roi à Dieu, et des Anglais à Richard.

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Autres sceaux équestres

1226 Bernard V de Comminges
1226, Bernard V de Comminges

Le sceau équestre des Seigneurs de Comminges s’explique directement par le rayonnement des Comtes de Toulouse.


1230-40 Seal of Dover Priory1230-40 1240–1260 Seal of Dover Priory London, British Museum, Catalogue of Seals, I (1887) , I, p. 536(3066)1240–1260, British Museum, Catalogue of Seals, I (1887) , I, p. 536(3066)

Sceau du Prieuré Saint Martin de Douvres

Ce sceau montre saint Martin coupant en deux son manteau pour le donner à un mendiant, à la porte d’Amiens. L’eau représente la rivière Somme, mais on ne connaît pas la signification du cercle entre les pattes du cheval. Le croissant (contenant une petite étoile) et le Soleil apparaissent dans la troisième version du sceau [18a], soulignant que le Ciel est témoin de cette bonne action. Il se peut également que l’on ait souhaiter magnifier Martin en l’assimilant à un chevalier croisé. Mais tout ceci n’explique pas l’inversion ni la raison de l’apparition tardive des luminaires, quarante ans après les grands sceaux de Richard Coeur de Lion.


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Chez les ecclésiasistiques

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med LangresDeniers de Langres

Langres avait été la première ville prise par le Roi de France Louis IV d’Outremer en 936. Ce pourquoi les monnaies émises par l’évêché lors des règnes suivants « immobilisent » le type établi par Louis IV. Je remercie Mr Christophe Adam, spécialiste de ce monnayage, pour les informations fournies.

Vers 1110 [19], on voit apparaître un nouveau type de denier, comportant une crosse seule, et des légendes pratiquement illisibles. Enfin apparaissent la lune et l’étoile accostant la crosse, dans un type anonyme qui existait en 1170 (Trésor de Montigny-Lencoup) sous l’épicopat de Gautier de Bourgogne (1162-1179) mais qui a pu apparaître plus tôt sous l’épiscopat de Godefroy de la Roche (1138-1162).[19a]

L’ajout de la lune et de la croix glorifie la cité, et devient une marque distinctive, puisqu’on la retrouve, à partir de 1254, sur plusieurs sceaux du tribunal épiscopal de Langres. Malheureusement l’apparition de ces signes glorieux est antérieure aux événements notables pour la Cité que sont la proclamation de l’union indissoluble avec la couronne (1179), l’élévation de l’évêque à la pairie, et du Compté de Langres au rang de Duché (les dates précises sont inconnues [20], mais postérieures à 1179).




med iconographie crosseIconographie de la crosse accostée

Une autre manière d’aborder le problème est purement iconographique Le motif de la crosse, ouverte à gauche et accosté, de manière unique, par un omega et un alpha inversés, est utilisé par l’évêque Gauthier II de Meaux dès la fin du 11ème siècle, dans une pièce disparue dont on n’a plus qu’un dessin [21] . En comparant avec un denier de Meaux postérieur où est figurée la main de l’évêque (flèche bleue sombre), on comprend la raison de cette inversion omega/alpha contre-nature : l’évêque est sensé se trouver sur la droite et son autorité, matérialisée par la direction de la crosse, s’exerce de droite à gauche. On remarquera que ce sens de lecture du motif n’est pas corrélé au sens de lecture de la légende (flèches rouges)

Pour Christophe Adam, cette composition est probablement la source (flèche bleu clair) d’un denier de l’abbaye de Corbie, qui revient à la lecture de gauche à droite, aussi bien pour l’alpha et l’omega que pour la direction de la crosse. En comparant avec la monnaie de Metz où la main est figurée, on voit bien sur l’ouverture à droite de la crosse signifie que celui qui la tient (abbé ou évêque) se situe à gauche. C’est le même sens naturel de la lecture que choisira plus tard l’archevéché de Lyon, en plaçant le soleil et la lune autour d’une croix, augmentée d’une barre en bas pour faire apparaître l’initiale L.

Dans ce contexte d’ensemble, le denier de Langres apparaît comme une variante où le couple lune/soleil se substitue au couple omega/alpha (flèche verte), l’idée commune étant l’analogie entre la crosse (crucia) et le croix (crux). Le fait que la monnaie la plus ancienne se soit limitée aux lettres trahit sans doute une réticence à faire figurer sur une monnaie épiscopale les symboles du soleil et de la lune, qui pouvaient être compris comme païens, ou réservés à Dieu seul. Pour le denier de Langres, les croisades sont passée par là. L’évêque Godefroy de la Roche a participé à la deuxième, de 1147 à 1149. Il a pu y voir les monnaies avec l’étoile dans le croissant, mais pas la monnaie de Bohémond III d’Antioche au casque et aux luminaires inversés, qui n’apparaît qu’après 1165.

Puisque l’influence directe est impossible, il faut croire que la même idée d’accoster par les luminaires inversés une figure centrale est intervenue plusieurs fois, pour des raisons différentes :

  • défense de la Chrétienté, par Bohémond III d’Antioche ;
  • affirmation de magnificence, par Raymond V de Toulouse ;
  • imitation de la Croix, pour l’évêque de Langres.

L’ inversion « topographique »

Nous avons vu par ailleurs que des inversions sur des croix décoratives s’expliquaient par leur position sur la façade Ouest d’un église (voir – 3) en Occident), de manière à ce que le Soleil corresponde au côté Sud de l’édifice et la Lune à son côté Nord.


1240–1260 Seal of Priory of St Paul of Newenham London, British Museum, Catalogue of Seals, I (1887) , pp. 672-673(3692)Sceau du Prieuré de St Paul de Newenham, 1240–1260, Vol I, pp. 672-673 (3692) 1258 Seal of Norwich Cathedral Priory Herbert of Lozinga cathedral of Norwich London, British Museum, Catalogue of Seals, I (1887) , pp. 322-323(2093)Sceau du Prieuré de la Cathédrale de Norwich (Herbert de Lozinga devant la façade Ouest), 1258, Vol I, pp. 322-323 (2093)

British Museum, Catalogue of Seals, (1887)

Il en va de même pour certains sceaux anglais montrant un personnage devant une église.


1200–1249 Seal of Bradenstoke Priory London, British Museum, Catalogue of Seals, I (1887) , p. 455(2697)Sceau du Prieuré de Bradenstoke, 1200–1249 , Vol I, p. 455 (2697) 1263 Savary, Prieur de Perrecy, Bourgogne (sigilla.org)Savary, Prieur de Perrecy, Bourgogne, 1263 (sigilla.org) Abbaye de la Trinite de PoitiersAbbaye de la Trinité de Poitiers

La même chose vaut pour la Vierge à l’Enfant supposée se trouver dans une église ou au dessus. Dans le cas de la Trinité de Poitiers en revanche, où elle trône dans le ciel, l’inversion n’a pas lieu d’être.

S’agissant de sceaux, on pourrait toujours invoquer une erreur de gravure de la matrice. Mais la répétition laisse soupçonner que le graveur a délibérément tenu compte de l’orientation de l’édifice représenté.



med sceaux ecclesiastiques 13eme Sigilla.org b
La même règle vaut probablement lorsque la fonction du sigillant (chantre, évêque) sous-entend qu’il l’exerce à l’intérieur de son église. Réciproquement, lorsque le personnage est un pur administratif (archidiacre) il n’est pas censé siéger à l’intérieur d’un édifice sacré. La seule exception que j’ai trouvé à cette convention est le sceau d’un évêché mineur (en rouge).


1374 Valenciennes (sigilla.org)
Valenciennes 1374 (sigilla.org)

Par ailleurs, pas d’inversion dans le cas d’édifices civils.


On peut noter que cette inversion topographique, qui semble bien établie, ne se produit que si la figure centrale est soit absente (croix purement décorative des façades Ouest) soit un personnage situé en avant ou à l’intérieur d’une église (sceaux).


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Dans un sceau civil (SCOOP !)

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med 1200-1300 Sceau de la ville de Tyrnau 1347 med 1200-1300 Sceau de la ville de Tyrnau

Sceau de la ville hongroise de TYRNAU, 13ème siècle

Ce sceau remonterait au 13ème siècle, bien que la plus ancienne empreinte remonte à 1347. Il porte au centre la figure du Seigneur, accompagné de l’inscription « DEUS IN ROTA ». Entre les rayons de cette roue, viennent s’incrire le couple Lune-Soleil et le couple Alpha-Omega, accompagnés de l’inscription « SYM[BOLUM] CIVIUM DE ZUMBOTHEL CUM ROTA FORTUNE ».

Ce sceau est très connu, car il s’agit d’une des plus anciennes références à la Roue de la Fortune, motif dont le premier exemple est une rose de 1135 à la cathédrale de Beauvais, et qui constitue le thème central des Carmina Burana (1230) :

« Ô fortune, comme la lune changeante en ses phases, toujours tu croîs et tu décroîs »
Fortuna Imperatrix Mundi, Carmina burana.

On ne sait rien de certain sur cette composition très exceptionnelle [22]. L’idée est probablement que Dieu reste fixe sur le moyeu, tandis que le monde tout autour est soumis aux hauts et aux bas de la Fortune. Le fait que les deux secteurs inférieurs soient vides suggère qu’il ne faut pas lire les quatre symboles divins comme emportés par ce mouvement, mais au contraire comme fixés dans le Ciel en arrière :

l’emblème est donc à comprendre comme une roue qui tourne devant une Majestas Dei.

Tout comme pour le second sceau de Richard I, l’inversion s’explique par le contexte textuel :

  • la Lune se trouve entourée par les deux mots ROTA, qui commentent son impermanence ;
  • tandis que le Soleil transmet un peu de l’éternité de DEUS aux citoyens (CIVIUM).

Le couple Alpha (le début du mouvement du monde) et Omega (le point final) reprennent la même opposition impermanence / permanence.


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En synthèse

med lune soleil sceaux monnaies schema
Ce schéma situe chronologiquement tous les couples lune-soleil que nous avons vu apparaître au cours du 12ème siècle. Pour les nobles comme pour les ecclésiatiques, la deuxième croisade est bien l’événement déclencheur (flèche bleue) : l’emblème des comtes de Tripoli, l’étoile dans le croissant, est ramené en Occident par Raymond V, qui s’en sert tel quel dans ses deniers raymondins, puis le disjoint dans ses grands sceaux. De même, c’est probablement le retour à Langres de l’évêque Godefroy de la Roche qui donne l’idée, à une date encore indéterminée, de transposer les deux luminaires de la croix à la crosse.

Mis à part pour les tous premiers sceaux de Raymond V et Constance, l’inversion lune/soleil est de rigueur à la fin du siècle, une des raisons étant d’éviter toute concurrence avec le Seigneur. L’inclusion des luminaires divins dans une figure de majesté reste néanmoins exceptionnelle chez les princes, puisque seuls l’ont adopté un comte-rayon, une reine sans royaume et un roi-lion.

Chez les prélats en revanche, la formule se développera modestement tout au long du 13ème siècle.



Les inversions narratives

Une inversion péjorative

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Constellacio London, British Library, MS Royal 6 E VI, f. 396v, London, c. 1360-1375Article Constallacio, fol 396v Divinatio London, British Library, MS Royal 6 E VI, f. 535v, London, c. 1360-1375.Article Divinatio, fol 535v

Encyclopédie Omne Malum, James le Palmer
British Library, MS Royal 6 E VI, f. 535v, London, c. 1360-1375.

De même que les deux articles sont liés (chacun fait référence à l’autre), les deux vignettes ont été conçues en parallèle : tandis que l’astrologue de Constallacio bénéficie d’une opinion mitigée (il a le choix entre les signes dans le Ciel et le démon dans son cercle ), le devin de Divinatio, coincé entre les deux démons, est clairement condamné par l’illustrateur.

Le texte de Constallacio [22a] démarre mal pour les astrologues : « il ne convient pas de construire les constellations ni de considérer sous quelle étoile est né quelqu’un ni la hauteur de la lune« . Plus loin, il leur reconnaît du bout des lèvres une utilité limitée, pour l’agriculture ou la pharmacie, tout en dénonçant la superstition « par laquelle la curiosité humaine est jouée par la fourberie du démon ».

Le fait que le dessinateur ait inversé le croissant et l’étoile (à la fois par rapport à la convention chrétienne et par rapport à l’ordre d’apparition dans le texte, étoile puis lune) va de pair avec la gestuelle de l’astrologue, dont les jambes croisées signalent l’intention maligne [22b].

Le devin est encore plus maltraité, puisqu’il croise à la fois les jambes et les bras, et ne regarde même plus le ciel perturbé, mais le démon fallacieux qui le remplace.


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Dans une série de scènes


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Passionsaltar, revers du panneau droit, 1330-1350, Munster Heilsbronn
Autel de la Passion, revers du panneau droit, Ecole de Nüremberg, 1330-1350, Münster, Heilsbronn

La Lune dans la case de la Trahison de Judas et le Soleil dans celle de la Comparution devant Hérode signalent que ces deux scènes consécutives se passent l’une la Nuit, l’autre le Jour.

Cette polarité se propage dans les deux cases inférieures, avec l’ambiance nocturne pour la Résurrection et l’ambiance diurne pour l’Ascension.

Il est dommage que l’autre volet ait été perdu : il serait logique qu’il ait présenté lui aussi deux scènes diurnes et deux nocturnes (peut-être tirées de l’Enfance du Christ).


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Dans les voyages au Paradis

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Dante_e_Beatrice_14eme siecle, Venise, Biblioteca Marciana BNM ms It. IX 276 fol 53v Paradiso, Canto I, v. 88-90Dante et Béatrice, 14ème siècle, Venise, Biblioteca Marciana BNM ms It. IX 276 fol 53v

Cette illustration du Paradis de Dante (Canto I, v. 88-90) monte Béatrice faisant visiter le Paradis à Dante : il est donc logique qu’elle le précède pour lui montrer l’attraction principale, le Soleil, laissant la Lune à l’arrière.

Christine and the Sybil pointing to a ladder from the heavens, from the Book of the Queen, France (Paris), c. 1410-1414, Harley MS 4431, f. 188rChristine et la sibylle arrivent à l’échelle qui monte au ciel, fol 188r Christine and the Sybil France (Paris), c. 1410-1414, Harley MS 4431, f. 189vChristine et la sibylle au ciel

Le Livre de la Reine, Christine de Pisan, Paris, vers 1410-1414, Harley MS 4431,

La même idée de « visite guidée » explique l’inversion de la seconde image : de même que Dante suit Béatrice, Chistine suit la sibylle .


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Dans les voyages d’Alexandre

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Les deux arbres dans le Roman d’Alexandre

alexandre 1333–40 Royal MS 19 D I, f. 32r1333–40, Angleterre, Royal MS 19 D I, f. 32r alexandre 1448, Jean Wauquelin, Histoire d’Alexandre BNF Ms fr 9342 f. 164 gallica1448, Jean Wauquelin, Histoire d’Alexandre, BNF Ms fr 9342 f. 164, Gallica

Alexandre implorant les arbres du Soleil et de la Lune

Ces deux images résument de manière synthétique l’histoire d’Alexandre demandant son avenir aux deux arbres sacrés. Le première image montre les protagonistes habituels de l’histoire : les compagnons d’Alexandre et le prêtre qui garde les arbres. La seconde image est pimentée par une référence aux Trois Parques (un rajout de Vincent de Beauvais dans son Miroir Historial).



alexandre-devant-les-arbres 1410-12 Voyages de Jean de mandeville BnF, Français 2810 f.220Les arbres du Soleil et de la Lune, 1410-12, Voyages de Jean de Mandeville, BnF Français 2810 fol. 220, Gallica

Pas d’inversion non plus dans les ouvrages qui parlent des deux arbres d’Alexandre sans faire référence aux détails de l’histoire.


L’histoire en détail

Celle-ci, qui remonte au Roman du Pseudo-Calisthène [23], est délayée sur plusieurs pages qui comportent toujours la même structure, une progression dramatique en trois temps :

  • 1) Alexandre interroge d’abord l’arbre mâle, l’Arbre du Soleil qui parle le Jour, et lui révèle qu’il va bientôt mourir à cause des siens ;
  • 2) Alexandre attend la nuit pour interroger l’arbre femelle, l’Arbre de la Lune, qui lui annonce qu’il mourra à Babylone sans avoir revu la Macédoine ;
  • 3) Au lever du jour, l‘Arbre du Soleil parle encore pour déclarer qu’il n’y aucun espoir, ni pour Alexandre ni pour sa mère, son épouse et ses soeurs ; et qu’il est inutile d’en demander plus.


alexandre 1285 ca livre des ansienes estoires Acre BL Add. 15268, f.214vLivre des Ansienes Estoires, Acre, vers 1285, BL Add. 15268, f.214v

L’inversion apparaît dans les images qui décomposent l’histoire et montrent les deux moments les plus dramatiques : le verdict de l’Arbre de Lune (2), puis le coup de massue final de l’Arbre du Soleil (3).

Réalisée en Palestine, cette image reprend le contraste de couleur bleu et rouge utilisé pour les luminaires dans les Crucifixions byzantines (voir Lune-soleil : Crucifixion 2) en Orient).


alexandre Maitre du Roman de Fauvel, Paris, Speculum historiale de Vincent de Beauvais trad. Jean de Vignay 1333-34, BNF Français 316 f. 204vFol 204v alexandre Maitre du Roman de Fauvel, Paris, Speculum historiale de Vincent de Beauvais trad. Jean de Vignay 1333-34, BNF Français 316 f. 205r Fol 205r

Maitre du Roman de Fauvel, Speculum historiale de Vincent de Beauvais trad. Jean de Vignay, Paris, 1333-34, BNF Français 316

Bien qu’il ne représente Alexandre qu’une seule fois dans chaque image, un grand artiste tel que le Maître du Roman de Fauvel utilise l’inversion pour rendre la même idée : montrer que l’arbre du Soleil a le dernier mot. La première image insiste sur les détails pittoresques du texte de Vincent de Beauvais : l’« évesque des arbres », un géant aux dents de chien vêtu de peau de bête, et les natifs de la contrée, qui se nourissent de fruits.



alexandre Maitre du sacre, Paris, 1370-1380, Speculum historiale de Vincent de Beauvais trad. Jean de Vignay 1333-34, BNF NAF 15939 fol 125

Maître du sacre, Speculum historiale de Vincent de Beauvais trad. Jean de Vignay Paris, 1370-1380, BNF NAF 15939 fol 125

Tout dépend bien sûr de l’enlumineur : dans cette copie quarante ans plus tard, il préférera normaliser la position des luminaires.


alexandre Maitre de la Mort, Speculum historiale de Vincent de Beauvais trad. Jean de Vignay Paris, 1396, BNF Français 312 f. 28fol 28r alexandre Maitre de la Mort, Speculum historiale de Vincent de Beauvais trad. Jean de Vignay Paris, 1396, BNF Français 312 f. 182vfol 182v

Maitre de la Mort, Speculum historiale de Vincent de Beauvais, trad. Jean de Vignay, Paris, 1396, BNF Français 312

Même normalisation, sur le modèle du Dieu créateur, dans ce texte illustré à l’économie : l’image unique reprend simplement le titre du chapitre.


alexandre 1400–10 Rudolf von Ems Weltchronik The J. Paul Getty Museum, Ms. 33, fol. 221vRudolf von Ems, Weltchronik, Regensburg, 1400-10, The J. Paul Getty Museum, Ms. 33, fol. 221v

Ce copiste allemand en revanche revient à la narration et donc à l’inversion : le clin d’oeil de la Lune signifie qu’elle n’a révélé la terrible vérité qu’à moitié.


alexandre 1444–45 The Trees of the Sun and the Moon and the Dry Tree Roman d'Alexandre (Rouen) Royal MS 15 E VI, f. 18vTalbot Shrewsbury book , Rouen, 1444–45, Royal MS 15 E VI, f. 18v

Cette image évolue vers la synthèse puisqu’elle superpose, à l’histoire des deux arbres, un autre épisode qui vient un peu avant dans le Roman : celui de l’oiseau-phénix qui, à la fin de sa vie, se pose sur du bois sec, y met le feu, et ressuscite en trois jours.


alexandre Hollandais 1550-1600 Herzog August Bibliothek Graph. Res. 116.4Gravure hollandaise, 1550-1600, Herzog August Bibliothek Graph. Res. 116.4

Cette inversion narrative sera comprise encore longtemps, puisqu’on la trouve dans cette gravure dont les détails montrent que l’auteur connaissait bien son sujet : les troncs en forme de femme et d’homme, les sandales laissées sur le sol au seuil de l’espace sacré.


Les deux arbres dans les mappemondes

alexandre Arbor Solis et Arbor Lunae pres du Jardin d'Eden, Psautier, Londres, 1262–1300, MS 28681 , f. 9rArbor Solis et Arbor Lunae , Psautier, Londres, 1262–1300, MS 28681 , f. 9r

Les deux arbres d’Alexandre, censés se trouver aux confins orientaux du Monde, tout près du Jardin d’Eden, sont un standard des mappemondes médiévales [24] .


alexandre 1239 -consultant-les-arbres-oraculaires Mappemonde d'Ebstorf detruite en 1943Alexandre consultant les arbres oraculaires
Mappemonde d’Ebstorf, 1239, détruite en 1943 [25]

Le seul cas d’inversion se trouve dans cette mappemonde . L’épisode des deux arbres est si connu qu’il ne nécessite pas de légende, contrairement à l’image juste en dessous :

Les Gymnosophistes, du matin jusqu’au soir, contemplent dans une vision continue le corps du soleil ardent, pour y scruter l’avenir.

Gignosophyste a mane usque ad vesperam continua visione corpus solis ardentis intuentur, rimantes ibi quedam futura.


La position du soleil à droite s’explique par la nécessité d’harmoniser les deux images, les luminaires du haut commentant aussi l’inscription du bas : « du matin jusqu’au soir ». L’illustrateur a néanmoins préféré inverser Alexandre, pour éviter toute confusion entre lui et le Gymnosophiste.


Autres inversions Soleil-Lune

Juif et Chrétien

Hraban Maur de rerum natura 1030 Montecassino cod 132 p 274Hraban Maur, de rerum natura, 1030, Montecassino cod 132 p 274

L’image ([2], p 456) illustre deux fêtes décrites dans le texte de Hraban Maur :

  • la fête juive du premier jour du Mois, à la nouvelle Lune, où l’on jouait de la trompe ;
  • la fête chrétienne du Dimanche des Rameaux (on voit les Rameaux brandis, et un jeune garçon portant une serviette pour le bain rituel).

L’astre représenté côté chrétien est probablement non pas le soleil, mais la pleine Lune, liée au calcul de Pâques.

En l’absence de figure centrale, le côté gauche n’a rien de privilégié : l’image se lit chronologiquement, la religion chrétienne succédant à la religion juive.


Le monde à l’envers

Le thème du monde à rebours commence à l’époque médiévale, mais se développe surtout à partir du XVIème siècle. Malgré l’abondance de ce type d’image, rares sont celles qui comportent les luminaires, et encore plus rares celles qui les inversent.


Aneau, ‘Sans justice est confusion’, Imagination poetique, p 67, 1552Aneau, ‘Sans justice est confusion’, Imagination poetique, p 67, 1552

La plus ancienne de ces images cosmiques illustre le Chaos sans penser à changer l’ordre conventionnel.


Sebastiano di Re 1557-63 La gabbia de matti MET detailLa gabbia de matti (détail) Sebastiano di Re, 1557-63, MET

Lorsque le globe du monde intègre les luminaires, ils se retrouvent en bas : mais une rotation n’est pas une inversion.


SUN, MOON, STARS AND EARTH TRANSPOSED The World Turned Upside Down, 1780 Chap-books of the eighteenth century« The World Turned Upside Down », 1780 [9]

Cette image tardive, avec la ville dans le ciel et les astres sous la Terre, est une des rares où, en sus, les luminaires sont inversés : encore faudrait-il être sûr que ce n’est pas une simple erreur du graveur.

La quasi-absence des luminaires dans les représentations du monde à l’envers prouve, a contrario, que leur ordre n’était pas perçu comme une norme suffisamment établie pour mériter la transgression.


L’Homme à l’envers

1450 ca Traite astrologie et medecine UB Tubingen MD 2 fol 35rHomme zodiacal, fol 35r 1450 ca Traite astrologie et medecine UB Tubingen MD 2 fol 42vFemme zodiacale, fol 42v

Traité d’astrologie et de médecine, vers 1450, UB Tübingen MD 2

Séparées de quelques pages, ces deux images illustrent une section consacrée à l’influence des astres sur le corps humain. Dans les deux schémas, les signes s’étagent de bas en haut dans le même ordre zodiacal.

Le schéma féminin porte une légende en rouge, bourrée de fautes, et d’une autre main que le corps du manuscrit :

La Lune se dissout douze fois dans le soleil
Le Soleil est visible dans les douze signes toute l’année

Dye můn lofet XII mal um dy sunne

Der suen schin ist in allen ceichen ein jar lang

Les luminaires ont été inversés, de manière à ce que le Soleil influence le côté droit du corps, tout comme pour l’homme.



Les articles suivants détaillent trois oeuvres où le couple Soleil/Lune, sans inversion, joue un rôle particulier.

Article suivant :  Le Soleil et la Lune à la chapelle de Perse

Références :
[1] Barbara Obrist « Le diagramme isidorien des saisons, son contenu physique et les représentations figuratives », Mélanges de l’école française de Rome Année 1996 108-1 pp. 95-164
[2] Le livre de référence sur le Sacrementaire de Fulda note bien cette communauté entre les deux schémas, mais se constate de constater, sans l’expliquer, l’inversion des luminaires dans le second. Voir Christoph Winterer « Das Fuldaer Sakramentar in Göttingen: Benediktinische Observanz und römische Liturgie (Studien zur internationalen Architektur- und Kunstgeschichte) « , p 430 et ss.
[3] Georges Comet, « Les calendriers médiévaux, une représentation du monde » Journal des Savants, Année 1992 1 pp. 35-98
[4] Mira Friedmann, « More on Right anf Left in painting », Assaph, Publication of the Tel-Aviv University, Faculty of Fine Arts. Studies in art history, Volume 1 p 126
[5] Ces personnalisations ont été identifiées, de manière peu cohérente avec la roue des signes et sans tenir compte des oppositions deux à deux, avec l’Aurore, le mois de Mai (ou la Lumière solaire), le mois de Janvier et le mois de Mars. Voir Simona Cohen « Transformations of Time and Temporality in Medieval and Renaissance Art » https://www.researchgate.net/publication/337561652_Transformations_of_Time_and_Temporality_in_Medieval_and_Renaissance_Art
[6] Peter Springer « Trinitas-Creator-Annus: Beiträge zur mittelalterlichen Trinitätsikonographie » Wallraf-Richartz-Jahrbuch Vol. 38 (1976), pp. 17-45 https://www.jstor.org/stable/24657178
[7] Bianca Kühnel « The End of Time in the Order of Things : Science and Eschatology in Early Medieval Art. », 2003
[9] John Ashton, « Chap-books of the eighteenth century » https://www.gutenberg.org/files/48800/48800-h/48800-h.htm
[10] Michaud « Histoire des croisades », 1822, Partie 4,Volume 5, p 544 https://books.google.fr/books?id=C-7zFMsJ4l8C&pg=PA544
[12] Laurent Macé, « La majesté et la croix. Les sceaux de la maison des comtes de Toulouse (XIIe-XIIIe siècle) » 2019
[13] David P Ruckser « Coins of the CRUSADERS » https://www.academia.edu/30499342/Coins_of_the_CRUSADERS
[15] Luc Sery « Constance, fille de France, « reine d’Angleterre », comtesse de Toulouse » Annales du Midi Année 1951 63-15 pp. 193-209 https://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_1951_num_63_15_5839
[16] https://www.heraldry-wiki.com/heraldrywiki/index.php?title=Portsmouth&mobileaction=toggle_view_desktop
[17] J. H. Round RICHARD THE FIRST’S CHANGE OF SEAL
https://www.jstor.org/stable/24708377
[18a] Charles Reginald Haines « Dover Priory: A History of the Priory of St Mary the Virgin, and St Martin of the New Work » p 437 https://books.google.fr/books?id=oaFtAAAAQBAJ&pg=PA437
[19] Christophe ADAM « Le monnayage de Langres à la crosse, un nouveau type inédit », Cahiers Numismatiques de la Société d’Etudes Numismatiques et Archéologiques, 09/2016, p. 29-32
[20] Arthur Daguin, « Les Evêques de Langres: Etude épigraphique sigillographique et héraldique » p 26 https://books.google.fr/books?id=0R1LAAAAYAAJ&pg=PA26
[21] Christophe ADAM « À propos de cinq deniers perdus de Meaux » http://lesmonnaieschampenoises.free.fr/etudes/sfn_meaux_deniers_perdus.pdf
[22] Bibliographie dans l’article de Martin Neuman http://nzr.trnava.sk/?q=node/2430
[22a] Le texte reprend l’article De Sortilegiis de l’Aurea Summa de Henri de Suse, « Aurea summa Nicolai Superantii novis … adnotationibus et quibusdam excerptis ex summa », 1612, Livre V, colonne 1464 https://books.google.fr/books?id=7dFLAAAAcAAJ&pg=PA1463&lpg=PA1463&dq=%22nec+futura+divinanda%22&source=bl
[22b] E. R. Truitt, Medieval Robots: Mechanism, Magic, Nature, and Art p 95 https://books.google.fr/books?id=0xYICAAAQBAJ&pg=PA95
[23] Mario Casari « Alexandre et l’arbre anthropique » dans J. L. Bacqué-Grammont (cur.), L’arbre anthropogène du Waqwaq, les femmes-fruits et autres zoophytes, Napoli, Università degli Studi di Napoli ‘L’Orientale’, 2007 https://www.academia.edu/555233/Alexandre_et_larbre_anthropique

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