Monthly Archives: novembre 2014

La souricière

24 novembre 2014

Certaines souricières capturent, mais ne blessent pas ;

certaines souris s’y  trouvent bien.

 
 

Il lève la tête tout d’un coup,

puis essaie d’entrer là-dessous,

il ouvre un peu son petit œil,

puis il trouve le petit trou,

comme une souris ou une chauve-souris.

Lorenzo de’Medici, Rime dubbie , no. 293

Rizza il capo in su di botto,

poi s’ingegna entrar lor sotto, 

apre un tratto l’occhiolino,

poi ritrova il bucolino 

come il topo o il pipistrello’, 

Hercule hésitant entre la Vertu et le Vice

Gravure d’après Saenredam, fin XVième

hercules saenredam

La Vertu casquée expose à Hercule son programme pédagogique : un chemin rocailleux, mais qui mène aux vertus cardinales : la Charité (avec ses nombreux enfants), la Force (avec sa colonne), la Justice (avec sa balance), la Tempérance (avec son vase ).
.

Le Vice nu tire le héros par son gourdin et a posé dans l’arbre un programme plus alléchant  : un festin en galante compagnie.

Dans ce paysage moralisé, la souricière révèle le pot au rose : la voie  du Vice n’est qu’un cul de sac. Au dessus du piège, le chemin de l’arbre enveloppe la femme nue, puis s’épanouit vers toutes les femmes nues du tableau : comme si la malédiction de la souris grimpante remplaçait ici celle du serpent biblique.


Femme à la souricière

Mellan, milieu XVIIème, Bibliothèque municipale, Lyon

Souriciere Mellan

Cette gravure inachevée comporte plusieurs détails compliqués :


Souriciere Mellan detail droite

  • en haut à droite, un couple s’enlace tandis qu’une  femme, qui les regarde à travers un  masque souriant, nous prend à témoin avec son véritable visage : celui de la vieillesse ; elle pose son index sur ses lèvres pour nous demander le silence  ;

Souriciere Mellan detail gauche

  • en haut à gauche, un tableau montre un Dieu ailé ( Chronos avec son sablier sur la tête) qui enlève son enfant à une femme ;

Souriciere Mellan amours

  • au centre, un Amour blond tend une grappe juteuse à un Amour noir, tandis qu’un troisième s’intéresse à la feuille de vigne qui ferme le pubis de la femme ;


Souriciere Mellan souricière

  • à gauche, sur le meuble orné d’un amour qui suce son doigt, une souricière ouverte attend sa proie.

Le thème général est assez clair :

  • la Beauté est fugace,
  • le Temps tue l’amour,
  • les Appas sont comme des grains de raisins qui attirent les prédateurs,
  • lesquelles finissent dans le piège.

Dans la métaphore aviaire habituelle,  des amours ailés sont mis en cage (voir L’Oiseau chéri ) . Dans cette métaphore originale, des amours aptères (blancs comme des souris ou noirs comme des rats)  sont également pris dans la souricière :

l’inconvénient étant que la conclusion logique met en équivalence

le sexe de la femme avec un piège à rats.[1]

On comprend que Mellan n’ait pas achevé sa gravure…


luc-lafnet-ca-1930

… dont le thème ressuscitera deux siècles plus tard sous le burin de Luc Lafnet.



10-_Caricature_-_Napoleon_dans_une_souriciere_1815

Napoléon dans une souricière
Caricature hollandaise, 1815

Profitons de cette caricature pour clarifier le fonctionnement de la  souricière à bascule, modèle que nous allons retrouver sur plusieurs siècles, et dont la caractéristique première est qu’il emprisonne, mais ne tue pas.

On comprend bien comment le prédateur, attiré par le fruit, a délogé le crochet, faisant retomber la porte derrière lui.


USA 1942 Jap trapJap Trap
USA, 1941-45

L’empereur Hiro-Hito fera lui-aussi les frais de ce type de propagande bestialisante, avec un modèle plus moderne de souricière.



Mais revenons au XVIIème siècle, âge d’or de cette métaphore.

Fit spolians spolium

Jacob Cats, Monita amoris virginei, Amsterdam,1620.

CatsMonita1620

Dans ce livre d’emblèmes, la souricière a essentiellement une valeur morale générique : tel est pris qui croyait prendre.

Une des devises ramène néanmoins le prédateur captif au cas particulier de l’amant devenu mari :

« Je me suis marié, j’ai perdu la liberté »
« Uxorem duxi, libertate perdidi »



Muscipula Amoris

Emblème 34 de Ludovicus van Leuven, 1629,

Amoris divini et humani antipathia

0149pldl1034

Une souris de belle taille est piégée dans une souricière géante, la queue coincée sous la porte.  Cupidon désigne cet appendice à une jeune fille plus intéressée qu’effrayée [1a] . La devise en français fournit la moralité :

« Qui chasse en parc d’Amour a bien dessein de prendre
Mais las ! Va prisonnier, sans penser de s’y rendre »


N’ayant pas oser représenter carrément un Amoureux en cage,  l’artiste a tranché en deux la difficulté  : la partie animale dedans, la partie virile dehors.



Malgré la popularité des livres d’emblèmes, la souricière est restée très rare  en peinture : la version noble du thème  a presque totalement phagocyté la version sale. En tant que métaphore phallique, l’oiseau qui becquette et étend ses ailes est nettement plus recevable que le rat lubrique qui se faufile dans tous les trous en trainant sa queue  démesurée.

Gerrit Dou a utilisé néanmoins la souricière à plusieurs reprises, sans doute parce que sa production massive le contraignait à exploiter systématiquement tous les objets du quotidien.

La souricière

Gerrit Dou, vers 1650, Musée Fabre, Montpellier

Gerrit Dou-La souriciere ca 1650 Musee Fabre detail

Cliquer pour voir l’ensemble

Un jeune peintre ramène triomphalement une souris prise au piège à sa mère, laquelle pèle des panais (dont la forme et même le nom en français sont adéquats au symbole).


Nicolaas Verkolje after Gerrit Dou, Maid with a Mousetrap Mezzotint National Gallery of Art, Washington D.CServante avec une souricièreMezzotinte de Nicolaas Verkolje d’après une oeuvre perdue de Gerrit Dou, National Gallery of Art, Washington D.C Van-Tol-Mousetrap-Rijksmuseum-1660 - 1676Garçon à la Souricière
Van Tol, 1660 – 1676, Rijksmuseum, Amsterdam

Entre les mains de la servante expérimentée, la bougie remplace le panais pour faire comprendre que la souricière s’intéresse à tout type d’objet oblong, y compris l’index du garçon.

Elève et neveu de Dou, Van Tol reprend le même type de composition dans une arcade de pierre avec rideau : avec le chat, un nouveau thème s’introduit ici, celui du chasseur de souris frustré par la mécanique, thème que nous retrouverons plus loin développé par Van der Werff.


The-mousetrap.-1660-Quiringh-Gerritsz.-van-Brekelenkam RijksmuseumGarçon a la souricière
Quiringh Gerritsz van Brekelenkam, 1660, Rijksmuseum
Louis de Moni Garcon a la souriciere XVIIIeme localisation inconnue RKD Num 224516Garçon a la souricière
Louis de Moni, XVIIIème, localisation inconnue, RKD Num 224516

Plusieurs peintres mineurs reprendront le thème équivoque de la souricière manipulée par un jeune garçon,sous l’oeil intéressé d’une fillette ou frustré d’un matou. A noter que dans tous les cas que nous avons vus, la souricière a fonctionné, ce qui sauvegarde la possibilité d’une lecture naïve : un garçon se moque d’une souris prise au piège.

Mais revenons à Dou, qui est certainement celui qui a mis en scène la souricière dans les situations les plus variées.


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La cave à vin

Gerrit Dou, vers 1660, Collection particulière

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Un vieil homme, privé de tous les plaisirs de  l’existence, se chauffe au fond près du feu.

Dans la cave, un jeune couple (le fils de la maison et une servante) est  venu tirer du vin, dernière consolation de la vieillesse. Le jeune homme le goûte, sous le regard interrogatif de la servante.

A la verticale du verre s’étage une batterie de symboles  :

  • le robinet crache dans la cruche ;
  • la bougie érige sa flamme ;
  • le bouchon comble le goulot ;
  • la souricière, armée, attend sa proie.


 Dominicus_van_Tol-A_Boy_with_a_Mousetrap_by_Candlelight-1664–65

Garçon avec une souricière à la lumière d’une bougie
Dominicus van Tol, 1664–65, Collection privée [2]

Van Tol reprendra les mêmes éléments dans cette composition plus simple où le jeune homme est seul à manipuler la souricière.

En aparté : des volailles mortes

Pieter Slingelandt, Keukeninterieur. Duke of Sutherland Collection, Edinburgh, National Gallery of Scotland

Intérieur de cuisine
Pieter Slingelandt, vers 1670, Duke of Sutherland Collection,Edinburgh, National Gallery of Scotland

Bref aparté sur cette scène singulière : un jeune homme offre à la fille une perdrix morte, tandis que, derrière eux, un cuistot embroche une volaille.

L’offrande ou l’exhibition d’un volatile mort avait donc clairement, en Hollande,   une signification  sexuelle, le plus souvent phallique (voir les analyse de E. de Jongh [1b]) )

 Nous allons en voir tout de suite un bel exemple…



Jeune fille à sa fenêtre avec un chat, une souricière, un canard pendu et un pot en étain

Gerrit Dou, 1670-75, Collection particulière

Gerrit Dou - A Young Girl at a Window Ledge with a Cat and Mouse-Trap

Dans cette apothéose de la symbolique amoureuse, Gerrit Dou a fait très fort :


Gerrit Dou - A Young Girl at a Window Ledge with a Cat and Mouse-Trap_detail aiguiere

  • l‘aiguière utérine

Gerrit Dou - A Young Girl at a Window Ledge with a Cat and Mouse-Trap canard


Gerrit Dou - A Young Girl at a Window Ledge with a Cat and Mouse-Trap cage


Gerrit Dou - A Young Girl at a Window Ledge with a Cat and Mouse-Trap souricière

  • la souricière pleine, sous les yeux souriants de la dame et de son chat (voir Pauvre Minet )

L’équivalence entre l‘oiseau évanoui et la souricière comblée est établie ici de manière quasiment mathématique.

Si nous revenons au premier tableau de la série (le jeune homme qui ramène  sa souris capturée), nous pouvons faire raisonnablement l’hypothèse  que la souricière remplie constitue le pendant  masculin de la cage vide :

  • déniaisage  triomphal pour les jeunes garçons,
  • défloration plus problématique  pour les jeunes filles

La dame du tableau, vu son sourire ravi, n’en est  probablement pas à sa première souris.


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Jeune femme avec une souricière

Abraham Snaphaen, 1682. Leiden, Stedelijk Museum De Lakenhal

Abraham Snaphaen, 1682 Fille avec une souriciere , Museum De Lakenhal Leyde

Même contentement chez celle-ci, qui désigne sa souricière pleine au dessus de sa cruche béante, tandis qu’à droite une bougie remplace le canard mort dans le rôle de l’objet mollissant.

Lorsqu’elle n’est ni une marchande ni une ménagère affairée, la dame  à sa fenêtre  est souvent, dans la peinture hollandaise, une femme légère, comme le confirme ici le papier : « Een kamer te huur » (une chambre à louer).
.



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La souricière

Willem van Mieris, Museum Smidt van Gelder, Anvers

Willem van Mieris - La souriciere

Peut être faut classer parmi ces dames sûres de leurs charmes cette plantureuse musicienne, faisant à son  chat l’hommage d’une souris.

Dans cette prise de possession en deux temps, ce que la souricière a amorcé (la capture) va être fini par le félin (l’ingestion).



Van der Werff

Adriaen van der Werff jeune homme a la souriciere

Garçon à la souricière
Adriaen van der Werff,vers 1678-9,National Gallery, Londres

Même scène, mais en inter-changeant les sexes  : cette fois c’est un très beau jeune homme qui présente une souris à un chat. Deux papillons volettent autour de lui, symboles de la fugacité des  choses belles.


Werff_Adriaen_van_der-Self-Portrait

Autoportrait
Adriaen van der Werff, 1696, L’Ermitage, St. Petersbourg

Le jeune homme ressemble comme un frère à cet auto-portrait brillant, où Adrien dans sa splendeur s’est représenté en train de peindre une Vanité :  un crâne couronné de lauriers.


Adriaen van der Werff jeune homme a la souriciere detail
Tout comme le peintre tient le pinceau de sa main droite, le jeune homme s’approprie le trébuchet, dont le fil semble se confondre avec la calligraphie de la signature.

En somme, la souricière ferait la nique au chat, et le jeune homme brandissant ironiquement  la souris lui dirait : celle-là, tu ne l’auras pas.

Iconographie très personnelle, mais cohérente avec un autre tableau de Van der Werff, où il vante les jeunes gens qui étudient l’Antique, plutôt que de perdre leur temps à des jeux de vilains (voir L’oiseau envolé )


Van der Werff Un garçon mettant un oiseau en cageUn garçon mettant un oiseau en cage (gravure inversée) Adriaen van der Werff jeune homme a la souriciereGarçon à la souricière

Le tableau avait un pendant aujourd’hui connu seulement par la gravure  : des enfants sages ont donné à manger à un oiseau en écartant le chat furibard (pour la scène inverse empreinte de tout le sadisme de l’enfance, voir Le chat et l’oiseau : autres rencontres).

Chez un  peintre moraliste et sublimateur , tel que  Van der Werff nous apparaît,  il y a fort   à parier que le sujet du pendant ait été la modération en amour, 

 faisant barrage dans les deux cas à la voracité sexuelle du prédateur.


Adriaen_van_der_werff,_ragazzo_con_trappola_per_topi,_1676,_Gemaldegalerie alte meister, Berlin

Jeunes gens avec une souricière, Adriaen van der Werff, 1676, Gemäldegalerie alte Meister, Berlin

L’un des garçons retient en souriant la souricière vivante, l’autre montre la souricière mécanique et la souris qui a été capturée dans le second trou. Les trois autres trous sont armés (une ficelle passée à l’intérieur maintient l’anneau en position basse ; en la rongeant pour atteindre l’appât, la souris libère le ressort [3] ).

Ce tableau corrobore l’interprétation précédente : comme souvent au XVIIème siècle, l’innoncence des jeunes enfants est utilisée pour transmettre un message à l’intention des adultes : malheureux ceux qui sont victimes de leur voracité (sexuelle), aussi bien les souris (les hommes) que les chats (les femmes).


Daniel Heinsius, Emblem from Emblemata Amatoria, 1621
Daniel Heinsius, Emblemata Amatoria, 1621

Nous sommes ici très proches de l’ambiance de cet emblème, où un Cupidon en armes indique que celui qui est victime de l’amour est comme une souris qui échappe à la souricière (les femmes) pour tomber dans les griffes du chat (la mort).

La cage libère la souris, le chat attend.Le pire nous attend quand nous échappons au mal.

Le mal me poursuit, et la peur du pire me hante.

Expectat felles, laxat captentula muren:Nos mala vitantes deteriora manent

Il mal mi preme, & mi spaventa il peggio


Giacomo Francesco Cipper, dit« il Todeschini»

Ce peintre de genre d’origine allemande a produit vers 1720 une série de tableaux dont le centre est une souricière, tenue en l’air par le pied du trébuchet

Souriciere a bascule

Cipper A vers 1720 SCENA DI GENERE coll priv photo Galleria Giamblanco Milano

Scène de genre autour d’une souricière
Cipper, vers 1720, collection privée, photo Galleria Giamblanco, Milan

Dans ce style à la fois réaliste et caricatural, la mise à mort de la souris prise au piège, à l’aide d’une longue aiguille, semble empreint à nos yeux modernes d’une cruauté onirique, lourde de sens cachés. Ce tableau, le plus complet de la série,  réunit tous les ingrédients habituels  :

  • un plaisantin, qui fait ici office d’exécuteur ;
  • une jeune fille, intéressée mais craintive ;
  • un jeune garçon ;
  • un chat frustré ;
  • une vieille avec sa quenouille ;
  • une bougie éteinte, qui symbolise probablement la mort imminente de la bestiole, et prochaine de l’ancêtre.

Si nous n’avions que ce tableau, il serait tenant de  chercher une signification d’ensemble. Mais les autres version, plus simples, montre que Cipper procède de manière combinatoire, en juxtaposant ses personnages-type.


Cipper B Zeri loc inconnue Cipper D Zeri loc inconnue

  Cipper, localisation inconnue, photothèque Zeri

Ici, la jeune fille a disparu et c’est la vieille femme qui pique. Dans le tableau de gauche, l’amusant est la diversité des regards fixés sur la souricière (concentration, amusement, convoitise) tandis que le petit garçon, en regardant le spectateur, sert de relais vers la pointe de l’aiguille.


Cipper C Zeri loc inconnue

Cipper, localisation inconnue, photothèque Zeri

La vieille a laissé la place à la jeune fille et l’exécution, en présence  d’un jeune homme et d’une soeur plus jeune, prend ici la valeur d’un  jeu ou d’un gage amoureux exécuté par la plus grande. Mais la symbolique sexuelle n’est probablement pas la bonne clé de lecture : le spectateur de ‘époque devait y voir un divertissement  amusant pour tous les âges, aux dépens d’un nuisible détesté.


Cipper E+Boy+With+A+Mousetrap+And+A+MouseJeune homme avec une souricière et une souris, Cipper, collection privée Cipper F Zeri autoportrait coll priv bisAutoportrait, Cipper, collection privée, photothèque Zeri

Quelquefois la souris échappe à l’aiguille :

  •  pour être donnée au chat ;
  • ou pour être immortalisée avec le peinntre, qui pour le moins lui doit bien cela.

L’apparat trompeur et l’ oiseau envolé

Francois Eisen, 1763, Collection privée

Francois Eisen L apparat trompeur et l oiseau envole 1763

Une souris attrapée par un garçon souriant d’un côté ; un oiseau échappant à une jeune fille catastrophée de l’autre : nous retrouvons la mise en balance  humoristique du déniaisage bénin versus la défloration irrémédiable : la souris n’en meurt pas, mais l’oiseau, une fois la porte ouverte,  ne revient jamais dans sa cage.

Le titre du premier tableau, L’apparat trompeur, suggère une ironie supplémentaire : le fil à laquelle la souris   est pendue la transforme en appât, et le chat en proie.

Une fois libérée  de la souricière, c’est maintenant la souris qui va faire enrager les chattes.


La femme et la souris

Martin Drolling, 1798, Orléans, Musée des Beaux-Arts

Martin Drolling la-femme-et-la-souris 1798 Orleans musee des beaux-arts

Moins efficace que la souricière, le chat mortifié se fait réprimander. Le bébé maladroit voudrait bien lui aussi attraper la souris. La scène de genre abolit ici la vieille métaphore érotique.


La souricière

Alexandre Antigna, 1872

mousetrap 1878

Exemple tardif où une jolie bretonne n’hésite pas à relâcher la souris d’un jeune breton hilare, sous les yeux interrogatifs d’une petite fille, trop jeune  pour apprécier   la symbolique.


La souricière

Angelo Martinetti, 1874,  York Museums Trust

La souriciere Angelo Martinetti 1874
Dans cette scène de genre, prétexte à une exhibition d’escarpins dans des frôlements de satin, la souricière est utilisée pour servir d’appât à un chat.

Ainsi un premier effet Ripolin : le fromage attire la souris qui attire le chat

en cache un autre : la souris excite les filles qui excitent… le spectateur.


Beauté et souris

Maurice Millière, gravure, vers 1925

MAURICE MILLIERE ETCHING - BEAUTY WITH MOUSE

La souris a été extraite de la souricière pour être menée à la baguette.


MAURICE MILLIERE ETCHING - BEAUTY WITH MOUSE detail
Le dressage de l’animalcule satisfera-t-il la maîtresse ?

souris dressee


Pinups à la souris

Scandale 1951 Pierre Fix MasseauPublicité pour les bas Scandale, Pierre Fix Masseau, 1951 K.O-Munson-03In Emergency or Out, Call On Us, Knute O Munson, vers 1951

Renversement de situation : c’est ici la souris humaine qui se dresse, imitant l’animal qui, de part et d’autre de l’Atlantique,  lui rend hommage avec ou sans sa queue.

Références :
[1] Sur le danger de la souricière pour la virilité, on trouve une anecdote amusante dans un livre léger du XVIIème :
« Comme il fut au lit, on lui mit sur la selle d’auprès le chevet un pot de nuit : -or, sur la même chaire, il y avoit une ratière carrée et creuse en rond ; ce n’étoit pas de celles qui ont une porte, mais un ressort qui serre le rat par le milieu du corps.: cet engin-là, qui a pour le moins demi-pied de diamètre, et est en cube, étoit fort tendu, et le ressort fort bandé. Frère Jean se réveilla, pour faire de l’eau ; et prit cet engin par le bord, cuidant que ce fût un vaisseau à pisser, et y présenta son outil, qui s’avançant donna jusqu’à la détente; parquoi,le ressort échappa, et prit le pauvre cas du cordelier, qui sentit plutôt cela que le jour. Il se prit à crier si haut, que Lucifer s’en fût éveillé ; et on lui apporta de la chandelle pour se dégager. »
Béroald de Verville, 1610, « Le Moyen de parvenir, oeuvre contenant la raison de ce qui a été, est et sera, avec démonstration certaine selon la rencontre des effets de la vertu » https://books.google.fr/books?id=edxiAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
[1b] E. de Jongh « Tot lering en vermaak Betekenissen van Hollandse genrevoorstellingen uit dezeventiende eeuw », Rijksmuseum, Amsterdam, 1976 ,  p 285 http://www.dbnl.org/tekst/jong076totl01_01/jong076totl01_01_0078.php 
[3] Pour voir cette souricière en fonctionnement : https://www.chaostrophic.com/guy-tests-ruthless-427-year-old-mousetrap-design/

L'oiseleur

16 novembre 2014

Métaphysique, immoral, amoureux, lubrique, le thème de l’oiseleur couvre une large tessiture, pour un nombre d’oeuvres très réduit.

Commençons par un spécimen rare, le seul de son espèce : l’oiseleur théorique.

Des attaques évidentes (Von offliche Anschlag)

Sebastian Brant, Narrenschiff Chap 39 fol 49v, Bâle (Bergmann von Olpe), 1494

Sebastian Brant Narrenschiff Chap 39 Von offliche anschlag Bale (Bergmann von Olpe) 1494 fol 49v

Dans une de ses toutes premières apparitions, l’oiseleur n’est pas avantagé puisqu’il rate son coup par manque de dissimulation :

Qui annonce bruyamment l’attaque
Et a filé son fil devant tout le monde
Ce dont il est facile de se méfier.

Wer laut den Anschlag kündet an
Und spannt sein Garn vor jedermann,
Vor dem man leicht sich hüten kann.

 

Fou est celui qui veut attraper un moineau
Et laisse son fil en évidence.
Car l’oiseau facilement s’enfuit,
Quand il le voit ouvertement devant lui.

Ein Narr ist, wer will fangen Sparrn
Und offenkundig stellt das Garn;
Denn leicht ein Vogel dem entflieht,
Wenn er es offen vor sich sieht.


L’Oiseleur métaphysique :

une entité supérieure garante d’une forme de morale.

Le Trébuchet

(Paysage d’hiver avec patineurs et trappe aux oiseaux)

Pieter Brueghel l’Ancien, 1565, Musées royaux des beaux-arts de Belgique.

Pieter_Bruegel_L-ancien-Le-trebuchet

Ce spectacle  des joies de l’hiver – des villageois jouent aux palets , d’autres patinent, un gamin s’amuse  avec sa toupie, une mère fait marcher son enfant sur la glace – voisine avec une réalité plus sombre :


Pieter_Bruegel_L ancien Le trebuchet toupie

l’hiver, les oiseux n’ont plus rien à se mettre sous le bec.


Pieter_Bruegel_L ancien Le trebuchet trou
Mais quel est ce paquet  étrange qui semble posé à côté du trou dans la glace ?


Skating before the St. George's Gate, Antwerp d apres Brueghel ancien 1558 MET detail

Patinage devant la Porte St. George’s à Antwerp, gravure d’après Brueghel l’ancien, 1558 , Metropolitan Museum, New York
(Cliquer pour voir l’ensemble)

Brueghel l’a repris d’une autre scène de patinage : un petit enfant qui s’est fait un traîneau avec une mâchoire d’âne. Mais ici, la proximité du trou transforme le détail cocasse en image macabre. La fragilité de la glace illustre celle de la destinée humaine :

« L’homme ne connaît pas non plus son heure, pareil aux poissons qui sont pris au filet fatal, et aux oiseaux qui sont pris au piège ;

comme eux, les fils de l’homme sont enlacés au temps du malheur, lorsqu’il tombe sur eux tout à coup. » Ecclésiaste 9.12


Pieter_Bruegel_L ancien Le trebuchet piege
Ainsi le piège peut s’abattre  à tout moment…


Pieter_Bruegel_L ancien Le trebuchet oiseleur cache
…déclenché par l’oiseleur caché.

L’oiseau menacé symbolise ici  l‘âme du pécheur : un auteur a d’ailleurs compté autant d’oiseaux que de personnages, et que de jours dans le mois le plus long : trente et un.
http://etoilesnouvelles.blogspot.fr/p/page3.html


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La mort oiseleur

Giovanni Paolo Cimerlini, 1568, Blanton Museum of Art, the University of Texas

Giovanni Paolo Cimerlini, The Aviary of Death 1568, etching Blanton Museum of Art, the University of Texas at Austin

Un groupe d’hommes discute sur la tour, un autre lit des livres près du point d’eau, un troisième à droite, formé d’hommes et de femmes , fait de la musique.

Un squelette agite avec un bâton et une ficelle un leurre planté au milieu ; à sa gauche, un écorché semble attendre qu’un oiseau vienne se percher sur un des bâtons fichés dans le sol ; à l’arrière-plan, un squelette et un lévrier poussent des humais vers un filet ; d’autres sont déjà pris au piège, en une masse informe.


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L’Oiseleur, l’Autour et l’Alouette

Gravure de Oudry, 1755-1759

fable de la fontaine - illustration oudry - l oiseleur l autour et l alouette

Les injustices des pervers
Servent souvent d’excuse aux nôtres.
Telle est la loi de l’Univers :
Si tu veux qu’on t’épargne, épargne aussi les autres.

Un Manant au miroir prenait des Oisillons.
Le fantôme brillant attire une Alouette.
Aussitôt un Autour planant sur les sillons
Descend des airs, fond, et se jette
Sur celle qui chantait, quoique près du tombeau.
Elle avait évité la perfide machine,
Lorsque, se rencontrant sous la main de l’oiseau,
Elle sent son ongle maline.
Pendant qu’à la plumer l’Autour est occupé,
Lui-même sous les rets demeure enveloppé.
Oiseleur, laisse-moi, dit-il en son langage ;
Je ne t’ai jamais fait de mal.
L’oiseleur repartit : Ce petit animal
T’en avait-il fait davantage ?

La Fontaine Livre VI, fable 15

L’illustration d’Oudry traduit bien l’univers mental hiérarchique de la fable : l’Alouette est plumée par  l’Autour lequel est capturé par l’Oiseleur, qui va le dresser pour la chasse.

En haut, le château au dessus des maisons rappelle que l’Oiseleur lui-même est soumis à une autorité supérieure.


LOiseleur lAutour et lAlouette Horace Vernet

L’Oiseleur, l’Autour et l’Alouette
Horace Vernet,Château-Thierry ; musée Jean de La Fontaine

Au XIXème siècle, la révolution est passée, remettant au premier plan l’Homme maître de sa destinée, autonome avec sa caisse sur les épaules, habile avec les fils et la mécanique.

La hiérarchie est remplacée par un étagement horizontal, dans la profondeur perspective   : l’Oiseleur, puis l’Autour, puis la minuscule Alouette, à peine visible au dessus du miroir.


L’oiseleur allégorique

Allégorie de l’air, dite L’Oiseleur

Peter Van Mol, vers 1620-30, Musée de Valence

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Grâce au commentaire d’Abie, le petit mystère de ce tableau nous a été révélé : ce n’est pas exactement un « plumet » que le bel adolescent agite au dessus de sa tête, mais un oiseau de paradis bien vivant, qu’il capture délicatement par le cou. Au XVIIème siècle, on ne connaissait  en Occident ces oiseaux que naturalisés et ayant perdu leurs pattes.  On pensait donc que ces volatiles merveilleux, les manucodiata, passaient leur vie à voler en se nourrissant du nectar du soleil [1].


ulisse_aldrovandi_ornotologia_

Manucodiata
Ornotologia d’Ulisse Aldrovandi, 1620

Par contraste,  le perroquet en bas  à droite déguste une nourriture terrestre : des cerises. Tandis que le cygne blanc qui vole en contrebas, ses pattes bien visibles à l’arrière,met d’autant plus en valeur l’oiseau céleste et multicolore.

Les oiseaux morts accrochés à la perche envoient un message assez  sinistre de nos jours, mais bien dans son époque : cet oiseleur très cartésien, « maître et possesseur de la nature », ne tolère en vie et en liberté que les oiseaux qu’il peut domestiquer :  le cygne et le perroquet. Même le merveilleux manucodiata va finir transformé en plumet selon la mode du temps…

rubens-ladoration-des-mages-detailL’adoration des Mages (détail)
Rubens, 1609, repris en 1628–29, Prado, Madrid
1-abraham_janssens_-_mount_olympus-detailL’Olympe (détail)
Abraham Janssens, 1609, Alte Pinakothek, Munich

Cliquer pour voir l’oeuvre en entier


Le tableau recèle par ailleurs un second petit mystère : pourquoi suit-il exactement l’iconographie juvénile de Saint Jean Baptiste au Désert, inaugurée au siècle précédent par Raphaël puis popularisée par Caravage ?

guido-reni-saint-john-the-baptist-1637Saint Jean Baptiste
Guido Reni, 1637,Dulwich Picture Gallery, Londres
michele_desubleo_attribuito_-_san_giovanni_battista_nel_desertoSaint Jean Baptiste
Michele Desubleo (attribué à),      National Gallery of Ireland, Dublin

Aucune chance que  le flamand Pieter Van Mol, qui a étudié à Anvers jusqu’en 1621 puis fait toute sa carrière à Paris, ait pu avoir connaissance du Saint Jean Baptiste de Reni (le tableau était encore en 1678 à Gênes dans la collection de G. Francesco Maria Balbi).

En revanche, Michele Desubleo était lui aussi un flamand élève de Janssens à Anvers, lequel a fortement influencé Mol. Il n’est pas impossible qu’une rencontre d’atelier ait pu produire nos deux chasseurs de sauvages :  en version sacrée un prédicateur, en version profane  un oiseleur.


L’oiseleur immoral

Mais le plus souvent, par un glissement inévitable, l’ingéniosité de l’Oiseleur, imitateur de chants, tireur de ficelles ,  trompeur professionnel  , le fait tomber du côté de l‘immoralité.

Et ceci, depuis les temps bibliques…

L’oiseleur dans la Bible

Il est l’archétype

  • du séducteur, comme l’étrangère aux douces paroles :

Il se met aussitôt à la suivre, comme le boeuf qui va à la boucherie, comme l’insensé qui court au châtiment des entraves; jusqu’à ce qu’une flèche lui perce le foie, comme l’oiseau qui se précipite dans le filet, sans savoir qu’il y va pour lui de sa vie. Proverbes 7,22-24

  • des pécheurs :

C’est vainement qu’on jette le filet devant les yeux de tout ce qui a des ailes; eux, c’est contre leur propre sang qu’ils dressent des embûches; c’est à leur âme qu’ils tendent des pièges. Proverbes 1, 17-18

  • des méchants :

Car il se trouve parmi mon peuple des méchants ; Ils épient comme l’oiseleur qui dresse des pièges, Ils tendent des filets, et prennent des hommes. Comme une cage est remplie d’oiseaux, Leurs maisons sont remplies de fraude; C’est ainsi qu’ils deviennent puissants et riches. Jérémie 5:26 27


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Sic fraudibus scatent eorum domus

(Leurs maisons sont remplies de fraude)

Georgette de Montenay/Anna Roemer Visscher,

Cent emblemes chrestiens (c. 1615), Emblème 85

embleme sic fraudibus

Le texte associé à l’emblème paraphrase Jérémie :

« Regardez, où l’oiseleur étend ses filets, l’appeau
Se cache dans la cage, pour attirer ses parents dans les pièges.
Cette maison est inondée d’impostures, dans laquelle de nuit et de jour
les hordes impies s’abandonnent à leurs plaisirs. »

« En latitat caueis illex, vbi retia tendit
Auceps, cognatas vt trahat in laqueos.
Fraudibus illa fluit domus, in qua nocte dieque
Indvlgent animis impia turba suis »

Voir Emblèmes en ligne http://emblems.let.uu.nl/av1615085.html

Un autre texte est  destiné à nous aider à comprendre un détail de l’image :

« (les pervers) vont guettant les justes de travers,
Pour les surprendre et leur porter dommage
Mais Dieu les tient dessous sa main couverts,
Et tôt cherra sur les malins orage. »

L’image montre effectivement un pauvre oiseau en cage attirant ses parents, lesquels sont renvoyés, par la main de Dieu sortant des nuages orageux, en direction de l’église. Ainsi la menace supérieure contre-carre la menace inférieure.

Un esprit fort pourrait  voir, dans ce Dieu réduit à une enseigne impérieuse désignant  sa propre paroisse, une sorte de concurrence déloyale :

main ingénieuse contre main vertueuse, la cause des oiseaux  innocents taquinait déjà nos modernes apories.


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A partir du dix-huitième siècle, l’oiseleur se spécialise dans un  type d’immoralité de moins en moins condamnable  : celui de la chasse  aux filles.

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Greuze, 1757

Greuze La paresseuse italienneIndolence (La Paresseuse Italienne)
Wadsworth Atheneum, Hartford
Greuze le_guitariste_dit_un_oiseleurLe Guitariste napolitain dit Un Oiseleur qui, au retour de la chasse, accorde sa guitare, National Museum, Varsovie

Cet appariement détonnant  d’une oie blanche et d’un oiseleur cynique est étudié dans Les pendants de Greuze.


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Papageno

Johann Heinrich Ramberg, gravé par Friedrich Wilhelm Meyer Senior (vers 1770)

Papageno Ramberg 1770

A partir de la Flûte enchantée (1791), l’oiseleur devient résolument un personnage sympathique :

« Oui, je suis l’oiseleur,
toujours joyeux, holà hoplala !
Je suis connu
des jeunes et vieux dans tout le pays.
Si j’avais un filet pour attraper les filles,
je les attraperais par douzaines pour moi seul !
Je les enfermerais dans ma maison,
et elles seraient toutes à moi.

Et lorsque toutes les filles seraient à moi,
j’achèterais gentiment des sucreries
et à ma préférée
je les donnerais toutes.
Alors elle m’embrasserait doucement,
elle serait ma femme et moi son mari.
Elle dormirait à mes côtés
et je la bercerais comme une enfant »

« Der Vogelfänger bin ich ja –
stets lustig, heißa hopsasa »

La flûte enchantée, Acte I scène 2

Amoureux de toutes, mais fidèle à une seule, Papageno transporte sur son dos une pleine caisse  de métaphores.


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Le minnesänger Walther von der Vogelweide

Eduard Ille, fin XIXème

Walther von der Vogelweider Eduard Ille

Le poète médiéval « Guillaume de Lavolière » est ici représenté en fauconnier et mandoliniste, entouré d’une cour ailée : que ce soit en liberté ou en cage, la gent ailée est sous le charme.


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Le miroir aux alouettes

Jean Ernest AUBERT, Gravure de Mozelle, 1885

gp_miroir_alouettes

Dans cette gravure plus technique, les volatiles ont perdu leurs plumes et concourent vers un phallus à facettes, brandi par un oiseleur ailé.

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Edoardo Gioja

Le charmant fauconnier, fin XIXème,  Collection particulière

Edoardo Gioja charmant fauconnier

Le thème du fauconnier est  proche de celui de l’oiseleur : l’un accumule par la ruse ce que l’autre obtient par la vigueur de son rapace : les deux belles dames le toucheraient bien, si elles osaient.

Une bourse bien remplie démontre un grand succès d’estime.

Le  compagnon dégoûté regarde en bas, à la  recherche de proies moins difficiles.


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La Flûte enchantée

Chromolithographie de Carl Offterdinger, 1884

Carl Offterdinger La Flute enchantee 1884

Retour à la référence obligée : ici, Papageno rejoint Orphée pour  tenir sous le charme de sa flûte une théorie d’oiseaux exotiques, la plupart puissamment membrés (l’oiseau à long cou est bien souvent une métaphore virile, voir L’oiseau licencieux  ).


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L’oiseleur

Jean Marais, 1951 Collection particulière

Jean Marais oiseleur 1951

C’est bien chastement que ce tableau de Jean Marais restitue à l’oiseleur  sa logique interne,  qui aurait dû en faire un thème homosexuel éminent.


Le marchand  ou la marchande d’oiseau

Version urbaine de l’oiseleur, cette figure illustre plaisamment celui ou celle qui multiplie les conquêtes.

Le vendeur d’oiseau

Gravure de Gillis van Breen d’après Claes Jansz Clock

bird_seller

Image anodine d’une maîtresse de maison faisant son marché, sa servante derrière elle, hérissée de bottes de carottes (sans doute beaucoup de lapins à nourrir à la maison).

Mais le marchand a la main dans un sac (ou dans sa braguette) et  le texte explique  gaillardement qu’il refuse de vendre son oiseau, car il le réserve pour une autre dame qu’il « oiselle »  (le verbe fameux verbe vogelen). La figure du marchand  lubrique, bien  repérée dans l’art hollandais (voir les analyse de E. de Jongh, 2008, « Tot lering en vermaak Betekenissen van Hollandse genrevoorstellingen uit dezeventiende eeuw », p 167 http://www.dbnl.org/tekst/jong076totl01_01/colofon.htm )


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Metsu 1662 Vieil homme vendant de la volaille Gemaldegalerie Alte Meister DresdeVieil homme vendant de la volaille Metsu 1662 Jeune femme vendant de la volaille Gemaldegalerie Alte Meister DresdeJeune femme vendant de la volaille

Metsu, 1662, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde

Ce remarquable pendant sur le thème comparé du marchand et de marchande de volailles est étudié dans Les pendants de Metsu .


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Jeune fille pleurant une colombe, une perdrix et un martin-pêcheur morts

Jacob de Gheyn II, Nationalmuseum, Stockholm

A-young-woman-mourning-a-dead-dove-a-partridge-and-a-kingfisher-Jacob-de-Gheyn-II-Nationalmuseum - Stockholm

Ce sujet étrange ne s’explique que comme antithèse de la figure précédente : à la marchande délurée qui tord le cou sans sans états d’âme à ses volailles, s’oppose la tendre jeune fille qui s’émeut de la mort de si doux et si aimables volatiles.

C’est Greuze qui rendra transparent ce thème érotico-sentimental de la jeune fille éplorée : voir  2 L’oiseau mort .


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Les petits oiseleurs

Francois Boucher ou son atelier, milieu XVIIème, collection particulière

Les petits oiseleurs Francois Boucher ou son atelier Collection part

Le thème de l’Amour Oiseleur constitue la réponse française au poulet à la flamande.

Dans ce tableau parmi tant d’autre de l’époque, des Amours capturent des oisillons autour d’un Cupidon vanné : comprenons qu’ils rechargent sa cage, comme les flèches son carquois.


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La maison du célibataire

Hermann Armin Kern, fin XIXème, Collection privée

Kern_The_Bachelors_Home

La figure du collectionneur de conquêtes est détournée ici en celle d’un vieux célibataire inoffensif, qui  multiplie les cages et les oiseaux, en proportion inverse de sa capacité à les faire voleter. Impuissance soulignée par l’image de la carotte rappée à hauteur du bas ventre.

L’image du siphon vide sur la commode milite probablement dans le même sens.


Références :
[1] Pour des représentations anciennes du Manucodiata, on peut consulter  http://peterkorver.com/finds/429/ ou http://www.symbolforschung.ch/Tier-Allegorien.html.

L'oiseau licencieux

11 novembre 2014

L’oiseau devient parfois le support lubrique d’une imagerie licencieuse…

Phallus ailé et vagins sur un couvercle attique,

vers 450-425 av. J.-C., Musée national archéologique, Athènes

NAMA_Phallus_aile

Trois noms sont inscrits : Philonides (sous le phallus), Auletria, et Anemone. Celui de la troisième demoiselle nous est inconnu.


Tintinnabulum

Bronze pompéien, 1er siècle ap JC

tintinabullum pompei
Le phallus ailé, orné de grelots,  était un porte-bonheur courant chez les Romains. On n’en connaît pas la signification précise : allusion aux performances  ascensionnelles de l’objet, au caractère volage de son possesseur, ou culte de la fertilité  ?



« Purinega tien duro »

Cuivre gravé fin XVème, Italie du Nord, National Gallery of Art, Washington

Purinega tien duro
Dans cette scène érotique exceptionnelle pour l’époque, un membre ailé à pattes griffues, portant le grelot des oiseaux de proie, vient rejoindre, sur une sorte de perchoir posé sur une branche, un couple pratiquant une position peu orthodoxe.

A noter qu’en italien, le terme « ucello » désigne le membre viril (la signification sexuelle des oiseaux dans l’Italie de la Renaissance a été etudiée en détail par Allen J Grieco [1]). Nous sommes donc en présence d’un oiseau monstrueux rejoignant un homme-oiseau en train d’exercer son oiseau.

Il ne faut pas trop compter sur le texte pour fournir une explication limpide  : la traduction proposée par d’éminents spécialistes se rapproche de « Même si çà les détruisait (pur i (a)nega), que çà tienne dur ».

Une explication serait que les amulettes en forme de phallus ailé étaient une protection contre les mauvais sorts jetés à l’encontre de la virilité (voir [1a])

Le revers de la plaque de cuivre comporte une autre scène moins connue, foisonnant d’allusions sexuelles (expliquées dans [1], p 97)



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De vita et honestate clericorum, XIVeme, BNF, ms latin 4014 fol1De vita et honestate clericorum, XIVeme, BNF, ms latin 4014 fol1 1794-95 Ce_quelle_voit_en_songe Lequeu_Jea detailCe qu’elle voit en songe, Dessin de Jean Jacques Lequeu, 1794-95, GallicaCliquer pour voir l’ensemble

Notons que, depuis les Romains et  bien avant Freud, l‘oiseau est associé au phallus et l’extension des ailes à l’érection.


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Pour Allen J Grieco, cette association se renforce au Moyen-âge par le biais des théories médicinales et diététiques : les oiseaux, animaux chauds car habitants de l’Air, sont une nourriture qui échauffe les sens. C’est pourquoi les tableaux accumulant les volailles ont fréquemment une composante érotique.


Les volaillières
Bartolomeo Passarotti, vers 1580, Fondation Roberto Longhi

C’est le cas de la vieille femme en bouche à bec avec un coq, et de la jeune plumant contre sa plantureuse poitrine une dinde particulièrement turgescente (il suffit de la regarder à l’envers). Comme le fait remarquer Allen J Grieco ([1], p 125) :

« La signature ironique dans le coin inférieur gauche du tableau, un moineau (passero) perché sur une cruche de vin, fait allusion au nom du peintre tout en ajoutant aux sous-entendus érotiques du tableau. »


La volaillière, Bartolomeo Passarotti, vers 1580, collection privée

Le coq est ici magnifié par une poularde roulée en boule devant lui, qui complète sa silhouette glorieuse.

Jeune homme avec un chardonneret et un nid dans un pot à oiseaux

Carel de Moor (II), vers 1700,  Dulwich Picture Gallery.

Carel de Moor (II) Boy with a goldfinch and its nest in a bird-pot vers 1700 Dulwich Picture Gallery

A quoi le jeune homme sourit-il, sinon à la dimension manifestement masturbatoire du pot à oiseaux ?



L’oiseau privé, dit aussi Le couple et l’oiseau envolé

Boilly, fin XVIIIème, Louvre, Paris

Boilly L oiseau prive dit aussi le couple et l oiseau envole
Ainsi un tout petit oiseau  peut parfaitement faire image : les particularités remarquables étant de se faufiler partout et de se déployer en envergure.

Ici la femme mesure, de ses deux mains, l’écart entre le signifiant et le signifié.


Mais de manière générale, l’oiseau le plus lubrique  est le cygne au long cou. En voici quelques exemples choisis…

Léda et le cygne

Tintoret, 1555, Musée des Offices, Florence.

tintoret Leda
En figurant Leda et son cygne dans une chambre à coucher, Tintoret acclimate le mythe antique au décor des courtisanes vénitiennes.

« À droite de l’image, Jupiter transformé en  cygne entre dans la pièce, séduit par la nudité de Léda ; un petit chien vient à sa rencontre. De l’autre côté, une servante amène une grande cage en bois contenant un canard ; un petit chat curieux le regarde intensément.
tintoret Leda detail
Les deux côtés de la toile se répondent de manière spéculaire. Le cygne et la cage sont coupés par le cadrage serré, et les actions des deux femmes, reliées par un jeu de regards et une correspondance de gestes, semblent narrativement coordonnées. Alors que Léda attire le cygne en le saisissant par le cou, la domestique apporte une cage suffisamment grande pour l’enfermer. Jupiter, traditionnellement au centre de l’action, est sur le point d’être piégé, victime de l’entente silencieuse entre les deux femmes…. Le chef des dieux, en se transformant en cygne, devient un « oiseau » comme un autre qui, séduit par Léda, est attiré dans un piège… Le perroquet et le canard encagés préfigurent la future situation de Jupiter. Ils ne sont pas de simples ornements de la chambre, mais des métaphores « de l’amour et de ses dangers » ». [2], p 56 et ss

Plus précisément :

« La cage est une métaphore courante du sexe féminin ; la présence du canard dans la cage figurerait un moment postérieur lors duquel Jupiter, pénétrant dans la métaphore du sexe de Léda, se trouve pris au piège et devient un simple animal domestique comme les autres présents dans l’image. »

Cette iconographie exceptionnelle visait probablement à produire un effet comique  quant  aux malheurs de Jupiter  :

« Dans toutes les oeuvres et les textes antérieurs, le dieu fait coucher Léda sous ses ailes et il s’unit avec elle en utilisant l’astuce ou la force ; dans l’oeuvre de Tintoret, en revanche, Léda dirige l’action et Jupiter trompé devient la victime….En se transformant en oiseau, le dieu est littéralement « uccellato » et « fa una figura da uccello », c’est-à-dire qu’il « est pris au piège » et qu’il « se rend ridicule »… Non seulement il sera enfermé dans une cage, mais il devra partager cet espace confiné avec un canard, un animal beaucoup plus humble que lui »  [2], p 58 et ss

La langue italienne complétait le comique de la situation de Jupiter par un comique verbal :

« À la Renaissance, le terme uccello désigne comme aujourd’hui le membre masculin  et dans les comédies de la première moitié du XVIème siècle, l’archétype de l’homme piégé par ses excès libidineux est Calandrino, dont le nom signifie « oiseau enfermé dans une cage » … Pour un spectateur de l’époque, la vision de Jupiter représenté sous forme de cygne, le cou dressé entre les mains de la princesse  est vraisemblablement très comique. » [2], p 63

Leda, quant à elle, prend la pose d’une courtisane vénitienne :

tintoret Leda mains
« La main de Léda, posée sur l’aile du palmipède, présente l’index allongé comme un digitus impudicus, les doigts de l’autre main glissent entre les draps défaits ; ces gestes, qui évoquent notamment l’acte sexuel, sont utilisés par Titien dans sa seconde version de Danaé. »

La cage est également à comprendre comme une spécialité vénitienne :

« Quant à la grande cage carrée, on peut facilement l’interpréter comme une allusion au supplice de la Cheba, utilisé jusqu’en 1518 par la Justice vénitienne pour punir les crimes les plus graves. La Cheba était une cage carrée suspendue à une poutre du clocher de saint Marc ou du palais des doges ; le condamné y était enfermé et exposé à la vindicte populaire jusqu’à ce qu’il meure parfois de faim et de soif. [2], p 63

Le couple  du canard et du chat (voir Le chat et l’oiseau)  fait comprendre la situation d’ensemble, ramenant le cygne divin à un vulgaire palmipède et réduisant la corps de la princesse à son centre principal d’intérêt .


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Léda et le Cygne

Attribué à Boucher, vers 1740, Collection privée

Attribue_a_Francois_Boucher,_Leda_et_le_Cygne_(vers_1740)
Le long cou du cygne est ici exploité avec franchise, sans hypocrisie ni rétraction mythologique.


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Thermidor

Gravure coloriée, entre 1804 et 1806

Thermidor

« Sous un soleil brûlant l’eau qui tombe en cascade
Et les jeux séduisants de ce Signe amoureux
Aux délices du bain invitent la Naïade
Qui dans l’onde limpide attiédira ses feux. »

D’une manière plus didactique, Léda démocratisée en une quelconque naïade est ici associée au signe du Lion, que l’on voit à la fois dans le ciel et sous forme de robinet dans la baignoire.



Thermidor detail
En porte-savon, un faune marin manie entre ses jambes une métaphore du bec, finalement plus prude que la version Ancien Régime de Boucher.

A noter le calembour de la légende : le Signe amoureux désignant non pas le félin astral, mais le palmipède entreprenant.


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Leda Luca Cambiaso 1570 Coll priveeLuca Cambiaso, 1570, Collection privée gericault leda et le cygne 1818Géricault ,1818, Collection privée
Leda-gerda-wegener 1925Gerda Wegener, 1925 Leda padua paul mathias 1939 Collection HitlerPadua (Paul Mathias), 1939, anciennement Collection Hitler

Leda et le cygne

Concernant l’iconographie foisonnante de Leda et du Cygne, nous nous limiterons à ces quatre exemples peu connus, dans lesquels la plasticité du cou de l’animal est exploitée de manière particulièrement méritante.


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L’éducation d’Orphée

Georges Callot, 1884, Châlons-en-Champagne, musée municipal

Georges Callot, L enfance d'Orphee
Une naïade jouant de la lyre attire un cygne jouant des ailes et du cou.

Le petit Orphée, encore incapable d’imiter la femme, imite l’oiseau, les bras ouverts, le cou dressé et l’oreille tendue. Un épi de roseau figure ce qui lui manque encore.


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L’odalisque

Lord Leighton, 1862, Collection privée

leighton odalisque-huge

Cette odalisque alanguie , dénudée d’un bras et d’un sein, observe le cygne blanc qui tend son cou vers elle et  arrondit ses ailes. L’odalisque était, au harem, un jeune fille vierge mise au service des concubines en titre, dont le seul espoir était d’obtenir les faveurs sexuelles du sultan : d’où  son regard rêveur. Les papillons, emblèmes de la beauté fugace, lui rappellent que son temps est compté.

L’éventail  suggère que le cygne réagit à l’excitation sexuelle de la même manière que le paon,  par cet  hérissement de plumes.

« Suis-je assez belle pour attirer le sultan ? » telle est la question de l’odalisque.

[
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Nicholas Kalmakoff a tout du cliché improbable : aristocrate russe né dans le luxe, il vécut dans la misère à Paris en se nourrissant de bouillon Kub et en voyant le diable à l’occasion ; mysogyne, narcissique et hautain pour se rendre insupportable à tous, mort à l’asile  : quarante de ses tableaux furent retrouvés aux Puces en 1962 signés d’un K mystérieux (pour un aperçu de sa vie et de son oeuvre, voir http://visionaryrevue.com/webtext3/kal1.html).

Léda

Nicholas Kalmakoff, 1917

Kalmakoff Nicholas leda and the white swan 1917

Léda et le cygne dans l’eau
Nicholas Kalmakoff, pastel, 1917

Léda vivait sur Terre, Jupiter dans le Ciel : en prenant forme de cygne, il la rencontra dans l’Eau, élément intermédiaire, dangereux pour elle, propice pour lui.

Rousse et couverte de bijoux comme une princesse sarmate, elle le repousse mollement sans perdre de l’oeil son bec avantageux.



Kalmakoff Nicholas leda and the white swan 1917 schema
Tandis qu’en haut le bras et le cou s’opposent dans un affrontement simulé, en bas les rotondités de la cuisse et du jabot s’accolent dans un rapprochement consenti.


Kalmakoff Nicholas - Leda and the Black Swan - 1917

Léda et le cygne sur terre
Nicholas Kalmakoff, 1917

L’animal de l’Air et de l’Eau s’est aventuré sur la Terre, dans un lit vert comme la fertilité et rouge comme la passion.

Le bras tendu vers son compagnon noir, la femme brune accueille simultanément le Sexe et la Nuit.


Kalmakoff Nicholas - Leda and the Black Swan - 1917 detail
Attiré par le bec turgescent et les feuilles de lierre vulvaires,  l’oeil ne prête pas  attention à la patte griffue : le coït symbolique éclipse le coït physique.


Pour ses deux Léda, pour ces deux moments de l’Amour que sont la séduction et la satisfaction, Kalmakoff  recourt au même procédé de composition  :

le haut du tableau montre le simulacre, le bas la réalité.


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Carte postale de la série Geishas

Raphael Kirschner, 1901

raphael Kirschner geisha-5
Traduction en version japonaise par le brillantissime  Kirschner : les trois  Lédas-geisha aux cheveux ornés de nénuphars – une blonde, une rousse et une brune – s’occupent chacune de son cygne,  sous l’égide triangulaire du mont Fuji à l’horizon.


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Léda

 Jean-Adrien Mercier,août 1929, Archives  municipales, Angers

Jean-Adrien Mercier_Leda_1929
De la Sinuosité Serpentine d’un cou(p) de Signe…


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Cygne endormi (Sleeping swan)

Lithographie de Michael Parkes, 2000

michael-parkes-sleepingswan 2000

Un cou replié, mais tout prêt, comme le suggère le lampadaire, à reprendre sa position verticale.


Autre caractéristique intéressante s’ajoutant à la longueur du cou : la longueur des pattes. C’est pourquoi, en variante du cygne trop connu, un autre type d’oiseau symbolique a été parfois utilisé comme accessoire pour dames : l’échassier.

Odalisque

Francesco Paolo Michetti, 1873

Francesco Paolo Michetti Odalisque 1873
Commençons par un modèle miniature  : l’ibis égyptien, noble comme l’orientalisme, rose et maniable comme un sex-toy avant la lettre.



Le Flamant rose

Benjamin Constant, 1876, Musée des beaux-arts de Montréal

benjamin constant Le Flamant rose, 1876
Ce tranquille flamant tenté par un pamplemousse pourrait sembler tout à fait anodin, n’était la jarre béante qui lui fait  pendant.


Le Marabout dans le Harem

Gérôme, vers 1889, Collection privée

Jean-Leon Gereme Le Marabout in the Harem
Cagneux et chauve, inconscient de sa laideur, le marabout  déambule dans le bassin, déplaçant des poissons rouges qui ne le craignent pas,  sous le regard moqueur des odalisques.

Il y a bien sûr de l’humour dans cette exhibition,  par un vieil oiseau libidineux, d’un organe démesuré au milieu de femmes sarcastiques : les amateurs fortunés de la peinture de Gérôme étaient capables d’apprécier les nus voluptueux tout autant que leur propre caricature.

Diadumenè

Edward John Poynter, 1883, Royal Albert Memorial Museum, Exeter

Edward_John_Poynter_-_Diadumene

L’alibi du classicisme permet à Poynter de risquer cette nudité, très crue pour l’époque en Angleterre,  et qui le fera taxer d’immoralité  : la Vénus de l’Esquilin aux Thermes.



Venus Esquilin

Pour sa restitution des bras, Poynter imagine que la jeune fille attache ses cheveux avec un ruban, avant le bain. Dans une longue lettre au Times, il explique que c’est le petit doigt de la main gauche encore visible sur l’arrière de la tête, et la direction du ruban, qui lui ont inspiré cette reconstitution : bras gauche levé pour tenir les cheveux tandis que le droit enroule le ruban (voir [3])


Edward_John_Poynter_-_Diadumene oiseau
L’oiseau peut se comprendre comme un témoin innocent – la projection autorisée du spectateur dans le tableau – bien que sa posture le classe dans la tradition des volatiles érectiles.



poynter2
Diadumenè, 1893, Collection privée

Faute d’avoir trouvé un acheteur suffisamment audacieux, Poynter produisit cette seconde version, embarrassée de drapés et débarrassée de l’oiseau (remarquer la statue d’argent, dans la niche qui, pour enfoncer le clou, reproduit encore une fois la même  pose).


Chasseur indien

George de Forest Brush, 1887, Collection privée

Forest Indieb ramenant un cygne mort

Brush s’est spécialisé dans les sujets indiens, peignant toute  une série de guerriers bronzés ayant pour proie de prédilection  les cygnes et les flamants roses. Voici un exemple dans lequel le long cou rivalise avec le long pagne, dans une composition qui pourrait s’intituler : le Repos du Chasseur.


orest_orphee

Orphée
George de Forest Brush, 1890, Museum of fine art, Boston

A titre de curiosité, cet Orphée très athlétique, tenant sur son bas-ventre une lyre de compétition pour subjuguer des lapins sexuellement explicites.


Les oiseaux de Max Švabinský

max Svabinsky new_paradiesische-sonate-drittes-blatt 1920

Gravure de Max Švabinský, « Paradiesische Sonate », Drittes Blatt des Zyklus, 1920

A gauche et à droite, un Phalangère à fleurs de lys (dit encore Bâton de Joseph) et des ombelles sont attaqués par des insectes volants. Au centre, un flamant turgescent semble disposé à faire de même avec la cible que lui propose le faune.

Oiseaux (rajky) 1904Oiseaux (rajky) 1904 Max Svabinsky L'oiseau bleu 1907 Narodni Galerie, PragueL’oiseau bleu (Modrá rajka)
Max Švabinský, 1907, Narodni Galerie, Prague

Le fantasme de la femme nue  visitée par un oiseau revient plusieurs fois chez Max Švabinský…


vabinsk-max-maxmilian-maximili-yellow-parasol-summer-2401703

Parasol jaune – été (Žlutý slunečník -Léto) 
Max Švabinský, 1909, Collection privée

jusqu’à cette concurrence fortuite, sur un tapis de plage, entre un faisan doré et un parasol.


Femmes et flamants roses

Hans Zatska, fin XIXème, Collection Privée

Hans Zatska Femmes et flamants

Prolifique metteur en scène de petites dames dans des compositions alimentaires, Zatska invente ici un décor composite, mi temple antique,mi boudoir, dans lequel deux prêtresses s’intéressent à deux flamants, lesquels s’intéressent… à un melon  : de la réduction des nobles intentions à la métaphore juteuse…

Hans Zatska Le soir magique

Le soir magique, Hans Zatska

Même principe de « reductio ad libido » dans cet autre décor, en extérieur cette fois : une fille en déshabillé vaporeux – qui doit être une fée vu l’étoile brillant à son diadème – tend à une autre  fille – qui doit être une princesse antique vu ses bijoux et ses sandales à la grecque – une luciole, le tout sous un croissant de lune.

Le détail scabreux est que le héron, en se tordant le cou pour lorgner l’insecte, pointe son bec vers l’entrejambe de la fée.

hans zatzka L'excitation (The tease)
La tentation (the tease), Hans Zatska

Avec son habit traditionnel, revoici notre princesse, cette fois en tête à bec avec une cigogne en extension

L’ironie étant que l’objet de cette émotion manifeste n’est pas la Belle dans son ensemble, mais   la minuscule grenouille verte : le désir réduit à la gourmandise.


Le paravent japonais

Robert Lewis Reid

reid Circe et anatol

Circé et Anatole, Robert Lewis Reid, 1920-26, Akron Art  Museum

Ce tableau s’inspire de la pièce Anatole de Schnitzler (1893) : ce riche séducteur est ici caricaturé sous forme d’un pantin à la mandoline démesurée, manipulé par Circé la Magicienne. Mais ce qui nous intéresse est le magnifique paravent japonais orné d’une grue, qui appartenait effectivement au peintre, et dont il a exploité dans une série de tableaux le potentiel symbolique.


reid japanese-screen
Le paravent japonais, Reid, Collection privée

Le paravent prend ici la première place, l’oiseau crève  l’écran, dominant de toute sa taille la femme nue.


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Bleu et jaune, Reid, vers 1910, Collection privée

Acculée dans l’angle du paravent, entre la grue qui marche et la grue qui vole, la femme en kimono bleu semble résignée à subir une offensive combinée terre et air.


Robert_Reid_-_The_Mirror_-_Google_Art_Project

Le miroir, Reid, vers 1910, Smithsonian American Art Museum

Dans cette dernière itération, la femme  en robe de soirée bleue est libre de ses mouvements.  Elle dirige vers le spectateur un miroir circulaire, tout en frôlant le paravent du bras. Sans doute faut-il comprendre qu’elle a attiré l’oiseau avec son miroir aux alouettes, et qu’elle lui tend le bras pour qu’il s’y pose.

Devenue dominante et active, la femme dirige l’oiseau et choisit le moment.



Cartes postale aviaires

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Chicago, vers 1920

the-princess-and-the-peacock-1932.La princesse et le paon1932

A gauche, l’oiseau monté sur colonne est tenu à l’oeil, flatté d’une main et  mis en garde de l’autre par un index ambigu : lui est-il demandé de se tenir tranquille, ou d’atteindre la taille voulue  ?

A droite, la taille obtenue semble plus que satisfaisante.


Oiseau

Mahlon Blaine, 1946, Collection privée

mahlon-blaine_bird-1946

« Dans ce travail, le deuxième de la série, un oiseau mécanique menace la déesse nue à la chevelure de Méduse  qui se recroqueville au sommet d’un robot en pierre, dans une palette rouge, blanc et bleu   infusée de patriotisme américain » [4]



Le bronzage interrompu

Pinup de Gil Elvgren, 1960

pinup pelican_1960

L’ombre du pélican tombe sur la jambe de la belle, qui s’offusque, moins du cou considérable  du volatile, que de cet attentat à son bronzage. L’humour réside dans les deux poissons bleus qui décorent le soutien-gorge, suggérant que l’oiseau, à la différence du spectateur, est plus attiré par le contenant que par le contenu.



pinup pelican_1960 photo
Ce sujet bizarre s’est développé à partir de l’ombre de la main sur le mollet, dans la photographie originale.


Nid douillet

Mustapha Merchaoui

MUSTAPHA MERCHAOUI Nid_douillet

Ce tableau moderne pourrait illustrer une très ancienne métaphore rappelée par Grieco ([1] p 93) :

Le médecin Savonarole… écrit sur les prostituées de Ferrare, qui ont été autorisées par les autorités de la ville à garder leurs seins partiellement ou totalement découverts afin de combattre le vice corrompu contre nature (l’homosexualité masculine) et mettre l’oiseau sur la voie pour qu’il revienne dans le nid.


Références :
[1] Allen J Grieco « From roosters to cocks: Italian renaissance fowl and sexuality » dans « Erotic Cultures of Renaissance Italy, », 2010,  https://www.academia.edu/2399314/From_roosters_to_cocks_Italian_renaissance_fowl_and_sexuality
[2] Giove uccellato : quand les métamorphoses se font extravagantes, Francesca Alberti, n E. Boillet, C. Lastraioli (ed.), Extravagances amoureuses: l’amour au-delà de la norme à la Renaissance (Paris, Honoré Champion, 2010), p. 40-70
http://www.academia.edu/5757296/_Giove_uccellato_quand_les_m%C3%A9tamorphoses_se_font_extravagantes_in_E._Boillet_C._Lastraioli_ed._Extravagances_amoureuses_lamour_au-del%C3%A0_de_la_norme_%C3%A0_la_Renaissance_Paris_Honor%C3%A9_Champion_2010_p._40-70
[4]Sur l’artiste maudit que fut Mahlon Blaine, on peut consulter http://grapefruitmoongallery.com/9309

La cage à oiseaux : y entrer

9 novembre 2014

La cage à oiseaux est un réceptacle qui intéresse les deux sexes, selon qu’on considère ce qui y entre ou ce qui en sort.

Voici quelques exemples où elle penche côté fille, en tant que lieu accueillant pour les petits oiseaux.

 

La dame étant arrivée, elle s’assit, ouvrit sa cage et y introduisit le rossignol, en tirant sur le faisceau au grand contentement de chacun.

Pietro Aretino, Sei giornate, 1534 (Bari, 1969), p. 28.

Avvedutasene madama, postasi a sedere, spalancata la gabbia e misocidentro il lusignolo, si tirò a dosso il fascio con gran contentezza d’ognuno’.

Le château mal défendu

Maitre du Livre de Raison, 1475-85, collection privée

Maitre du Livre de Raison 1475-85 L'anti chateau de l'Amour col priv

Cette aquarelle ambigüe, comme d’autres du Livre de raison, a donné lieu à des commentaires variés.

Dans une interprétation sociologisante, Norbert Elias [1] y voit essentiellement les plaisirs de la noblesse, à gauche, et les labeurs des serviteurs, à droite.

Campbell Hutchinson [2] pense que la justification première de la page (illustrer des soins vétérinaires, dans le même esprit didactique que d’autres images du Livre de Raison) a été complétée par une charge contre l’amour courtois, montrant comment les femmes essaient de piéger les hommes de toute condition : le jeune chevalier portant l’écharpe de l’ordre de la Toison d’or aussi bien que le nourrisseur d’oies, à laquelle la fille du puits propose ce qui semble être une pomme. Dans cette lecture, la cage vide serait un dispositif de piégeage tout comme, juste au dessus, le lacet qui a capturé le paysan. On pourrait y voir aussi l’habituel emblème hollandais de la prostitution (voir La cage hollandaise).

Michael Camille [3] pousse encore plus loin l’interprétation en terme de monde à l’envers, où les femmes ont pris l’initiative et où sont dévoyées toutes les métaphores habituelles de l’amour courtois :

« Le jardin du printemps est devenu une branche hivernale à laquelle se balance un jeune abruti, la fontaine se transforme en un puits de lubricité d’où une prostituée fait signe, et, le plus pervers de tous, le Château de l’Amour lui-même, l’édifice qui devrait présenter son portail parfaitement proportionné pour la pénétration frontale, se révèle être, comme le cul de la jeune fille saisi par le jeune homme à l’extrême gauche, le derrière-même de l’amour. »



Maitre du Livre de Raison 1475-85 L'anti chateau de l'Amour col priv detailToujours dans le thème de la chasse aux hommes, Christoph zu Waldburg Wolfegg [4] donne de la porteuse de cage une explication très précise :

« Une autre a retroussé ses jupes pour pouvoir courir plus vite. De manière appropriée, elle tient une cage vide dans sa main. Une dame plus convenable place une main prudente sur son bras dans une tentative infructueuse pour la retenir. L’objet de son désir est le paysan capturé, suspendu dans les airs à un piège. Agitée, la femme du paysan gesticule dans le champ à l’arrière-plan. »


Maitre du Livre de Raison 1475-85 L'anti chateau de l'Amour col priv detail 2
Que le but de la fille à la cage soit de trouver au plus vite un volatile est confirmé par les métaphores aviaires du haut : la cigogne s’égosillant à la saison des amours et le vol d’oiseaux attirés par un leurre. La servante qui se montre à la fenêtre haute participe également à ce sex-appeal généralisé.


Maitre du Livre de Raison 1475-85 L'anti chateau de l'Amour col priv detail hutte
Personnellement, je pense que la scène de l’arrière-plan a une signification autre que celle que lui donne Christoph zu Waldburg Wolfegg : il s’agit de comparer le paysan enfermé dans la hutte et qui pour se nourrir doit tirer le seau par une ficelle, à un chardonneret, oiseau familier qui aux Pays-Bas était dressé pour ce type de situation (voir Le Chardonneret, et derrière).


Le nid d’oiseau

Nicolas Lancret, début XVIIIème, Musée des Beaux-Arts, Valenciennes

Lancret le_nid_doiseaux

Ce petit tableau très explicite est exceptionnel pour Lancret, habituellement plus prude.

On y voit une jeune paysanne attirant du  bras gauche un paysan qui lui présente un nid . Elle jette un regard intéressé sur l’oisillon, en s’appuyant du bras droit sur la cage  toute prête à l’accueillir.

Ce transfert du nid à la cage illustre presque littéralement  une vielle chanson vendéenne :

« C’est un petit oiseau,   Isabeau,
c’est un petit oiseau, Isabeau
l’oiseau est trop volage
il pourrait s’envoler
prête-la-moi, ta cage
il pourrait s’envoler

L’oiseau fut pas dedans, bonnes gens (bis)
Qu’il commence à s’étendre
Prendre du mouvement,
Bonnes gens,
Prendre du mouvement

Pendant c’temps-là, la belle (bis)
Prend du réjouissement,
Bonnes gens
Prend du réjouissement … »

L’oiseau volage, folklore vendéen, cité par Marc Robine : « Anthologie de la chanson française. La tradition » Albin Michel. Paris. 1994.


O l’estroit élargir

Daniël Heinsius, Emblemata amatoria (1607/8)

O l'estroit elargir

La métaphore est  présente dans les livres d’emblèmes, mais avec une grande hypocrisie.

Le texte latin donne ici  un sens noble et général :

Cherchant les étendues, l’oiseau est capturé. Ainsi, nos liens
nous tiennent large, mais ne nous compriment pas moins.

Laxa petens capitur volucris: sic vincula làte
Nostra patent, arctè nec minus illa premunt.

Voir Emblèmes en ligne : http://emblems.let.uu.nl/he1608012.html

L’image rend visible l’ambiguïté du texte : la plainte « O l’estroit élargir » est censée concerner l’oiseau qui se trouve dans la cage (l’amoureux qui souhaiterait reprendre le large) ; mais ce que l’image nous montre, c’est un oiseau qui, encouragé par Cupidon, risque sa tête dans l’étroit vestibule, qui  mène à la cage spacieuse où il pourra se déployer.

Le double-sens de la devise est traduit par un double sens de circulation dans l’image : de l’intérieur vers l’extérieur de la cage, ou vice versa.


En France, la signification sexuelle de la cage et de l’oiseau ne fait pas de doute :

« Cage amoureuse : métaphore pour la nature d’une femme, cage où l’oiseau de l’homme prend ses ébats »
« En sa cage amoureuse où il prit passe-temps » Parnasse des Muses

Dictionnaire comique,satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial,Par Philibert Joseph LE ROUX,  Beringos, 1752

La cage dérobée

1753, Hallé, Collection particulière

La cage derobee ou le voleur adroit - Halle 1753La cage dérobée

Une Bergère qui flatte de la Main un jeune Berger - Hallé 1753Une Bergère qui flatte de la Main un jeune Berger

Dans ce charmant pendant de Hallé, une bergère dort, adossée à une botte de foin et à une palissade peu dissuasive et déjà quelque peu disjointe.  Un jeune berger passe le bras par-dessus, pour saisir la cage que la fille cache sous son jupon.

Dans un deuxième temps, la jeune fille se réveille sur le genou du garçon et, satisfaite de la prestation, lui caresse tendrement la joue.

On peut également présenter le pendant dans l’autre sens : la caresse comme préliminaire et la cage comme plat de résistance.


La cage dérobée ou Le voleur adroit - Vivant Denon d’après Hallé 1761 et 1763

La cage dérobée ou Le voleur adroit
Vivant Denon d’après Hallé, 1761 et 1763

Dans la gravure de Vivant Denon, la symbolique de la cage est complétée par celle de la quenouille traversant le panier.

La cage

Fragonard , vers 1760, 65,

The Norton Simon Foundation, Pasadena

Fragonard la cage
Le berger présente entre ses mains une blanche et fidèle colombe, qui aspire à rejoindre la cage brandie  haut  par la jeune bergère.

De l’autre main, celle-ci tient discrètement la corde qui déclenche le piège à oiseaux situé en contrebas : manière de signaler que, si la colombe n’est pas fidèle, des remplaçants sont faciles à trouver.

Les dénicheurs d’oiseaux (The Bird catchers)

Boucher, carton pour une tapisserie de Beauvais,

1748, Getty Museum, Los Angeles

Les denicheurs d'oiseaux Digital image courtesy of the Getty's Open Content Program.

Digital image courtesy of the Getty’s Open Content Program

Cette orgie pastorale contient deux chérubins, trois cages, quatre garçons, quatre oiseaux et cinq filles : c’est dire que les combinaisons possibles sont nombreuses, et devaient faire la joie des amateurs de scènes galantes.



Les dénicheurs d'oiseaux detail1
A l’extrême gauche, la corde tenue par un garçon fait allusion au piège que Fragonard nous montrait,  mais qu’il faut ici deviner.



Les dénicheurs d'oiseaux detail0
A l’extrême droite, symétriquement, un chérubin laisse voleter, en hors champ, un oiseau retenu par une ficelle.



Lus de gauche à droite, les quatre  oiseaux obéissent à une certaine  logique naturelle :

Les dénicheurs d'oiseaux detail2
d’abord on les embrasse…



Les dénicheurs d'oiseaux detail3
puis on les encourage…



Les dénicheurs d'oiseaux detail4
puis on s’amuse à leur faire étendre les ailes…



Les dénicheurs d'oiseaux detail5
…et pour finir  on les fourre dans la cage !


L’oiseau privé

Gravure de Debucourt, fin XVIIIème

L'oiseau privé Debucourt
Ici, la métaphore du piégeage, en se voulant plus directe, confine au grotesque :  une dame seule renversée devant un porche béant, agite une rose vers un oiseau qui fond droit sur elle, telle la flèche qu’aurait pu décocher la statue de Cupidon.

On comprend que l’oiseau surexcité, dédaignant la rose (comprenons les tétons dénudés) va s’engouffrer tête la première dans la cage.


Les deux cages ou La plus heureuse

Gravure d’après Lafrensen, fin XVIIIème

Les deux cages lavreince
Il se peut que deux cages se fassent concurrence, pour un seul oiseau à héberger.

Jean-François JANINET d'après Nicolas LAVREINCE LA COMPARAISON, 1786 Aquatinte
La comparaison
Aquatinte de Jean-François Janinet d’après Nicolas Lafrensen , 1786

Le thème émoustillant de la comparaison pouvait concerner d’autres appâts.

Alexandre CHAPONNIER (1753-1806) d apres Louis Léopold BOILLY LA COMPARAISON DES PETITS PIEDS Aquatinte

La comparaison des petits pieds
Aquatinte de Alexandre Chaponnier d’après Boilly, fin XVIIIème

A noter l‘amateur à genoux, cherchant à voir derrière la robe.

Ma chemise brûle

Fragonard, dessin, Louvre, Paris

Fragonard_ma_chemise_brule_louvre
Restons dans le secret  des alcôves féminines, avec ce dessin très enlevé de Fragonard.

Nous sommes dans la chambre des filles. L’une d’elles a le feu au cul. Une compagne lui propose sa cruche, pour résoudre ce petit problème.

La solution définitive consisterait sans doute à faire descendre la cage à oiseaux que ces dames gardent près du plafond, suspendue par un système de poulies.


La Cage inaccessible

Boilly, fin XVIIIème, localisation inconnue

Boilly inaccessible cage
Le comique tient ici au fait que la cage est inaccessible pour des raisons différentes : ni le vieux libidineux, trop vieux, ni le petit enfant, trop petit, ne réussissent à remettre l’oiseau dans la cage que leur présente la mère, ouverte juste à la bonne hauteur.

Reste au vieux ses lorgnons et son livre ; et au jeune, à attendre d’être assez grand pour comprendre et pratiquer la métaphore – si possible avec une cage moins inaccessible que celle dont il est issu.

L’oiseau s’est envolé

Ferdinand de Braekeleer, 1849, Musée de l’Ermitage, Saint Petersbourg

1800s Ferdinand de Braekeleer. (Belgian artist, 1792-1883) The Bird Has Flown
Ce tableau réchauffe tardivement le symbolisme traditionnel hollandais, en forçant quelque peu sur la métaphore.

La fille grimpée sur la table agite un épi pour attirer l’oiseau et lui faire réintégrer sa cage. Le jeune frère retient le chat. Le père prend à témoin le spectateur : « Court toujours, qu’il va revenir ! » en désignant du pouce l’arrière-salle où un jeune homme – sans doute l’amoureux volage – conte déjà fleurette à l’autre soeur.


Les amatrices de colombes (Dove Fanciers)

Elizabeth Gardner Bouguereau, fin XIXème, Collection privée

Elizabeth_Gardner_Bouguereau_Dove_Fanciers-large
Avec une grande ingénuité, l’épouse américaine de Bouguereau nous montre ces deux demoiselles assez intimes pour mettre l’oiseau à la cage avec des mines pénétrées.


Le canari

Carte postale portugaise, début XXième

carte postale portugaise

En première instance, on constate que le canari vient de quitter sa cage et se dirige vers sa maîtresse, attiré par son pépiement.

En appel, on se rend compte que celle-ci n’est pas assise mais accroupie cuisses ouvertes : l’oiseau ne fait que changer de cage.


Le toucan

Pinup de Gil Elvgren

Pin-Ups-Before-and-After-4
En rajoutant la cage – qui ne figure pas sur la photographie – l’illustrateur nous plonge dans des affres interprétatives  : le toucan, double symbole phallique, est en effet capable d’attaquer la dame  côté bec et la cage côté queue.

De plus,  l‘appareil photo complique la donne : car tout comme le nid de Lancret, c’est un endroit qui héberge un petit oiseau.

Moralité : les femmes qui veulent juste faire sortir ce petit oiseau risquent fort de devoir mettre en cage un oiseau de taille redoutable.

Références :
[1] Norbert Elias, On the Process of Civilisation, p 202
[2] J. P. Filedt Kok « The Master of the Amsterdam Cabinet, or The Housebook Master, ca. 1470-1500. » p 242 https://archive.org/details/livelierthanlife0000unse/page/241/mode/2up
[3] Michael Camille « The medieval art of love: objects and subjects of desire » p 93 https://archive.org/details/medievalartoflov0000cami/page/92/mode/2up?view=theater
[4] Christoph zu Waldburg Wolfegg « Venus und Mars: das mittelalterliche Hausbuch aus der Sammlung der Fürsten zu Waldburg Wolfegg » 1998 p 61

La cage à oiseaux : en sortir

9 novembre 2014

Présentée ouverte avec l’oiseau qui va ou qui vient de s’échapper, la cage  symbolise souvent  la défloration (voir L’oiseau envolé). Mais parfois, elle perd ce caractère irréversible et dramatique pour devenir, simplement, un lieu qui héberge un petit oiseau.

 

La Cage à Oiseau

Lancret, 1735, Alte Pinakothek, Munich

1735 The Bird Cage_Lancret
Lancret n’est pas un fanatique du symbolisme galant. Mais ici, les enfants tapis dans le taillis à droite suggèrent qu’il y a quelque chose à voir pour l’éducation de la jeunesse.

Effectivement, la fille de droite taquine l’oiseau  dans la cage que le berger-gentilhomme a posé sur sa cuisse, tandis que la fille de gauche, brandissant  la houlette, démontre l’effet qui peut en résulter.

Rappelons que la houlette est un « bâton de berger, muni à son extrémité d’une plaque de fer en forme de gouttière servant à jeter des mottes de terre ou des pierres aux moutons qui s’éloignent du troupeau. »

Cage et houlette  fonctionnent donc ici comme deux images de l’attribut viril, pris dans des états différents.


Le Pasteur Complaisant

Boucher, 1739, Hotel de Soubise, Paris

1739 Le Pasteur Complaisant_Boucher a
Complaisant certes, ce pasteur qui tend sa cage à   la bergère, afin qu’elle puisse en extraire l’oiseau pour en faire ce qu’il lui plaira.

La cage joue ici le rôle d’une braguette amovible et champêtre.


Nous allons suivre Boucher dans une autre scène bucolique,

avant de revenir à la cage proprement dite.

Le joueur de flageolet

Boucher, 1766, Collection particulière

Boucher Le-Joueur-De-Flageolet

Le flageolet frôle visuellement la couronne de fleur, tandis que la calebasse du berger entreprend le chapeau de la donzelle dont le pied, en se posant sur celui du garçon, concrétise ces métaphores.

Pour d’autres exemples de flageolets et de couronnes de fleurs chez Boucher, voir Pendants avec couple .


La Cage

Boucher, 1763,   musée Baron Gérard, Bayeux

Boucher La cage 1763
Tous ces préliminaires nous permettent d’identifier  la couronne vide, l’oiseau comme substitut du pipeau, et même le bout de rondin proche de copuler avec la cage ouverte. Bien que située physiquement derrière le garçon, celle-ci se situe métaphoriquement dans le camp de la fille, confrontant  sa béance  à la plénitude  encore intacte du panier.

Panier et cage fonctionnent plutôt ici comme deux images de l’attribut féminin, pris avant et après.


L’inventivité métaphorique et le plaisir du second degré   n’est pas l’apanage du seul XVIIIème siècle français. En voici un exemple frappant, qui établit par dessus les siècles et l’Atlantique une forme de continuité, entre la France rococo et l’Amérique des pinups.

Le petit oiseau va sortir

Vaughan Bass, vers 1950

vaughan bass_img_02
L’appareil photo, avatar moderne de la cage, est ici opéré par une pinup : elle se prépare à  actionner la poire pour déclencher la sortie du petit oiseau.

Premier gag  : celui-ci est en fait déjà sorti,  ridiculisé dans la  marionnette que tient du bout des ongles notre explosive photographe, pour faire sourire ses clients.

 Second gag : en levant la poire, elle relève involontairement sa jupe, se livrant elle même au ridicule.

Moralité : les femmes qui troussent la majesté virile des appareils à soufflet et des trépieds érectiles risquent fort, elles aussi,  de se retrouver troussées.

L'oiseau chéri

9 novembre 2014

Quelques oiseaux favoris…

Philis se jouant d’un oiseau

Gravure de Bonnart, vers 1682-86,

Recueil des modes de la cour de France

Philis bonnart

 

Cet oiseau que Philis abuse,
En le leurrant de ses douceurs
Ressemble aux amants qu’elle amuse
Par d’imaginaires faveurs

L’oiseau fasciné par les deux cerises qu’on lui tend en lieu et place d’autres appas plus consistants représente donc ici le soupirant berné et facile à mener.


Mariette Le Toucher

Notons qu’à cette époque, outre la connotation amoureuse, l’oiseau est souvent pris comme symbole du Toucher.


Jeune femme au perroquet

Vers 1730, pastel de Rosalba Carriera

rosalbacarriera-rc
Il arrive que le soupirant soit plus coriace et prétende se payer en nature, tel ce perroquet s’attaquant à la dentelle d’un décolleté prometteur.


Jeune fille à la colombe

Greuze, date inconnue, Musée de la Chartreuse, Douai

Greuze_Jeune Fille A La Colombe
Ce tableau est typique de la tactique d’ « ensemblisation » mise au point par Greuze, et ainsi nommée  par Norman Bryson : il s’agit de concentrer dans le tableau, au risque parfois de l’absurde, la quantité maximale de bonheur :

« Si le bonheur est quantifiable, alors je peux simplement ajouter une variété de bonheur à une autre, les combiner tous à la même place, par « ensemblisation ». » [2] p 133

L’enfant-femme constitue une première addition de bonheurs parfaitement contradictoires, à laquelle vient s’adjoindre une seconde chimère :  la colombe, à la fois oiseau dé la Sainte Vierge et oiseau de Vénus :
:

« la colombe ne peut pas être interprétée comme celle du Saint Esprit ; ni même comme une colombe, tant elle unit si pudiquement l’idée d’un jeu d’enfant (‘elle a retrouvé son oiseau’) et celle de la sexualité (l’oiseau, avec sa position suggestive, déclenche des connotations de palpitation, douceur, rondeur, dangereusement proches du ‘sein virginal’). L’image joint ces oppositions dans un scandale à la fois logique et sexuel, où le bonheur fusionnel de la sensibilité est devenu une transgression ouverte ».  [2] p 133, (à propos de la variante de ce thème, « La colombe retrouvée » conservée au musée Pouchkine)

La blancheur évoque la pureté  :  or si cette colombe est pure comme une attachement enfantin, elle ne peut éviter le symbolisme de l’amant chéri, du substitut emplumé que l’on serre dans ses bras avec passion.

Bien sûr, la jeunesse de  la belle enfant fait écarter avec horreur cette hypothèse !

Il faut alors couper le tableau par une ligne horizontale au niveau de la table : en haut,  les bras dodus enlacent  un oiseau dont la blancheur sauve plus ou moins les apparences ;
Greuze_Jeune Fille A La Colombe_detail
en bas, les genoux ronds comme des fesses s’offrent à la pénétration d’un pied de table, à l’effigie d’un quadrupède bien connu  dans la littérature enfantine :

« Les chairs ramollies se prêtent, le sentier s’entrouvre, le bélier pénètre; (…) » Sade, Justine ou les malheurs de la vertu, cité par [1].


La douce captivité

Lagrénée, 1763, Collection privée

Lagrenee la douce captivite

Difficile de partager aujourd’hui les émotions hyperboliques qu’un telle iconographie  pouvait susciter à l’époque :

« Il représente une femme à moitié nue qui caresse une colombe attachée avec un ruban lilas. Figurez-vous une femme belle et désirable dans le moment où la volupté s’empare de ses sens : une rougeur séduisante anime tous ses appas, ses yeux brillent d’un feu céleste, et paraissent cependant troublés ; l’oiseau qu’elle tient dans ses bras s’élance pour la becqueter : elle le retient faiblement; sa bouche appelle les baisers et semble disposée à les rendre : elle ne parait pas agitée de désirs, mais livrée à une douce rêverie, et pénétrée d’attendrissement et de langueur« , Mathon de la Cour, cité par [3]

La polysémie de l’oiseau  fonctionne ici à plein, comme l’explique Démoris :

« l’innocence de la relation avec l’oiseau autorise à représenter le surgissement du désir, dont on ne sait s’il relève du souvenir d’un amant, de l’auto-érotisme ou de la perversion – et le contact physique entre les partenaires, le serin sorti de sa cage symbolisant en outre le consentement au plaisir »  [3]  p 37


Un roman de 1736 de  Charles de Fieux de Mouhy  [4] pousse à l’extrême cette passion pour l’oiseau chéri :   une dame, telle Peau d’Ane avec sa bague, se donne à celui qui lui ramène son serin perdu. Il vaut la peine de citer la scène-choc, où la robe de nuit couvrant la dame  et le tissu couvrant la cage, ainsi que l’oiseau et son aimable découvreur, se confondent dans un style Sainte-Nitouche  ingénument  équivoque :

« Ah voyons voyons monsieur, s’écria madame du Coudrai, après qu’on lui eut passé une robe de lit ; je tremble que ce ne soit pas Serinet, on m’en a déjà tant apporté… Ah! mi mi, mi mi, c’est toi, s’écria-telle, la cage se trouvant entièrement découverte; cher petit coeur, qu’il est joli, viens, viens, hélas ! le pauvre enfant me reconnaît ; voyez, monsieur, comme il me baise les doigts ; …elle ouvrit au serin  ; le petit animal élevé par sa jeune maîtresse, la reconnaissant à sa voix, prit son vol et vint se reposer sur elle. Il n’y fut pas plutôt qu’il se mit à siffler; battit des ailes et dit : baisez, baisez. Avouez qu’il est aimable, s’écria-t-elle…. »

Fragonard Jeune fille tenant dans ses bras une colombe 1775-80 coll partJeune fille tenant dans ses bras une colombe Fragonard Jeune fille tenant dans ses bras un chat et un chien 1775-80 coll partJeune fille tenant dans ses bras un chat et un chien

Fragonard, 1775-80, collection particulière

Fragonard sacrifie à la même sensualité des Lolitas se frottant aux plumes ou aux poils (voir Les pendants de Fragonard ) .



Fragonard 1785 L oiseau cheri Musee Fragonard GrasseFragonard 1785, Musée Fragonard, Grasse Marguerite gerard L oiseau cheri coll priveeMarguerite Gérard (copie), collection privée

L oiseau chéri

Vers la fin du siècle, la sensibilité évolue : après la sempiternelle femme-enfant, c’est la femme en tant que mère et éducatrice qui est désormais sublimée. Fragonard et son élève et belle-soeur Marguerite Gérard délaissent les thèmes galants pour célébrer  les joies de la famille et de la maternité.

Les deux versions diffèrent dans les détails (position du berceau, emplacement du paravent) mais pas par l’idée : la jeune mère sort de son berceau-cage son nouveau chéri, pour lui montrer les favoris qui l’ont précédé dans son affection et qui, oiseaux de Vénus, symbolisent aussi l’amour dont il est issu.  


Jeune femme peintre tressant une couronne de fleurs

Garnier, 1789, collection particulière, 45 x 37 cm

Garnier 1789 La femme peintre coll part
L’année-même de la Révolution, Michel Garnier campe cette splendide image à la fois libératoire et libertine d’une jeune femme qui dépasse les poncifs de la Peinture (la fillette au pigeon et son antithèse, le portrait de vieux noble) pour narguer son serin, mettre au feu sa guitare, s-offrir à elle-même des roses et exhiber ses jolis mollets à la barbe du spectateur.


Michel Garnier 1789 Une femme venant de recevoir le portrait de son mari, le prrsente à la place qu’elle lui destine 47 x 39 cm

Une femme venant de recevoir le portrait de son mari, le présente à la place qu’elle lui destine
Michel Garnier, 1789, collection privée (47 x 39 cm)

Cette variante traite le même thème un peu différemment : le portrait miniature qu’elle vient de recevoir de son « mari », accompagné d’une déclaration d’amour, est destiné à tenir compagnie au  canari dans la cage. Au trophée de plumes qui orne le chapeau, on comprend que la belle a déjà fait des ravages parmi la gens aviaire.


Un bon siècle plus tard, l’oiseau, redevenu érotique et volontiers  exotique, est de retour pour un dernier tour de piste…

Les oiseaux d’amour

Adolfo Belimbau, fin XIXème, Collection privée

adolphe belimbau the_lovebirds 2 adolphe belimbau the_lovebirds

 

Dans la première version, une fille en robe violette est assortie à l’iris qu’elle tient, cueilli dans le massif près de laquelle elle est assise. Une fille en robe verte est quant à elle assortie  à la tige et  au couple d’ « inséparables » qui s’y est perché. Outre leur rôle décoratif, Robe Violette et Robe Verte s’émerveillent de la fidélité légendaire de ces petits volatiles : celle qui tient la tige sourit, l’autre rêve. Le rosier enserrant la colonne, derrière nos deux extasiées, illustre le but implicite qui leur est proposé : embellir et retenir l’Homme.


Dans la seconde variante, plus équivoque, les deux filles portent la même robe, ce qui accentue l’effet sororal. La répartition des rôles est toujours la même : la fille active (celle qui porte les oiseaux) sourit, l’autre rêve. Le doigt tendu en guise de perchoir supprime tout accessoire floral, et crée un contact charnel entre les deux perruches et la fille active, qui de l’autre bras  enlace sa compagne. Du coup, les oiseaux amoureux, accolés seulement par la taille, semblent en être à un stade d’intimité moins proche que celui des dem-oiselles, lesquelles se frôlent le chignon. L’arrière-plan est un rideau transparent orné de branches et de papillons ; l’avant-plan un bras de fauteuil d’un bleu céruléen, en forme de cygne, dont le long cou est coupé aux limites du tableau et de la décence.


L’actrice Clara Bow

Charles Gates Sheldon, couverture de  Photoplay Magazine, avril 1929

charles-gates-sheldon Clara Bow, Photoplay Magazine cover, 1929

Il est possible que les deux perruches portées en bagues temporaires sur l’annulaire de la main gauche  fassent allusions aux amants simultanés de cette rousse scandaleuse.


Les perruches et le chat

Louis Icart, vers 1920Icart Oiseau chat

Icart connait sur le bout des doigts son alphabet XVIIIème, et donne volontiers aux petites femmes de Paris une profondeur historique : ici, la thématique de l’Oiseau Chéri se combine avec celle de la Femme-chat (voir Pauvre Minet ) et celle de l’appétit naturel (voir  Le chat et l’oiseau)  dans cette scène charmante :  Minet en noeud blanc joue avec le noeud bleu de sa maîtresse, laquelle joue avec l’un de ses favoris, de couleur assortie.


 

Les dames de Ney,

1914-18, cartes postales

NEY_minetLa dame au chat Ney Oiseau cheriLa dame au pigeaon

Etrangement, la thématique est ici exactement la même que chez Icart : le noeud du chat, portant un grelot, est analogue à celui de la dame, portant un bijou. L’oiseau convoité est réduit à la plume.

Le pigeon retourné est caressé  par l’une de ses propres plumes, ornée d’une cocarde tricolore. Dans cette iconographie surprenante, il faut sans doute comprendre que le pigeon patriote rentre du front, juste à pic pour se faire enlacer par  sa maîtresse au saut du lit.


Le remplaçant

Illustration de Edouard Touraine pour « La vie parisienne », 1916

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« Quelle terrible chose que la Guerre ! Depuis que mon mari est parti,  je n’ai plus que cet animal-là à tourmenter ».

Cette garçonne autonome, dont la chevelure rousse et la cigarette dominent la crête et le bec de son perroquet isomorphe,  joue avec la peur du remplacement et l’espoir d’une concurrence anodine.


1922 - La Vie Parisienne Magazine Cheri Hedouard

Taquinerie
Illustration de Chéri Hérouard pour « La vie parisienne », 1922

Avec mes beaux amoureux, ta ressemblance est parfaite
Mon Jacquot, tu as comme eux, plus de toupet que de tête.

Après guerre, la Femme Fatale a pris le dessus : le perroquet n’est plus  isomorphe qu’à son chrysanthème, qu’elle exhibe pour une érection générale des ailes au  plumet.

Autre exemple de dialogue muet entre un cacatoès et une poule…

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Imperia

Gravure de Norman Lindsay, 1920


leo-fontan-1928-detroneDetrôné
Léo Fontan, 1928
georges-leonnec-mars 1927-mauvaises-languesMauvaises Langues
Georges Leonnec, mars 1927

Ici le perroquet n’est plus une métaphore de l’amant domestiqué, mais de la  maîtresse elle-même, qui le remplace avantageusement quant aux plumes et au caquet.


Enoch Bolles couvertur pour Film Fun Novembre 1936Enoch Bolles, couverture pour Film Fun, Novembre 1936 Disconnected, Weston Taylor, 1942, Calendar Art for The C. Moss Company« Disconnected »
Weston Taylor, 1942, Calendrier pour The C. Moss Company

Deux perroquets s’intéressant de près aux soutiens-gorge pigeonnants.


Le petit canard

Pinup de Fritz Willis, Avril 1967

Willis le bain 1964
Cette pinup manipule impunément des symboles explosifs : une très grosse cruche, hors de proportion par rapport au petit canard dans la cuvette – version ridiculisée du canari dans la cage.

La bouteille de Chianti qu’elle frôle du pied indique que l’homme n’est guère plus qu’un récipient à vider…


Fritz Willis bouteille

Un moment de plaisir
Pinup de Fritz Willis

… et à remettre dans son panier une fois que le moment de plaisir est passé.


Références :
[2] Word and image, French Painting of the Ancient Regime, Norman Bryson, Cambridge University Press, 1981
[3] Démoris, “L’Oiseau et sa cage en peinture,” dans Esthétique et poétique de l’objet au XVIIIe siècle », Presses Univ de Bordeaux, 2005
[4] « La mouche ou les avantures de M. Bigand », Volume 1, 1736, Par Charles de Fieux de Mouhy http://books.google.fr/books?id=iAI7AAAAcAAJ&dq=serin+mouhy&hl=fr&source=gbs_navlinks_s

L'oiseau envolé

8 novembre 2014

Tout comme la boîte de Pandore,  la cage malencontreusement ouverte d’où l’oiseau va ou vient de s’envoler est  l’image d’une catastrophe, certes privée, mais  tout autant irréversible, qui menace les vraies jeunes filles.

L’oiseau envolé (The Escaped Bird)

Willem van Mieris, 1687, Kunsthalle, Hamburg

Willem_van_Mieris_-_The_Escaped_Bird

La fille jette un regard noir sur l’oiseau noir qui vient de s’échapper, après avoir mis en miettes un biscuit  rond sur la balustrade. Outre le gâchis, c’est  la trahison du compagnon favori qui met la fille en colère : elle lui avait  fait confiance en exposant son gâteau en plein air, il en profite pour prendre le large après trois coups de bec.

On comprend bien sûr qu’il ne s’agit pas que d’un bec : le fût de la colonne, l’église phallique à l’arrière-plan, nous  l’indiquent clairement : de même que la tige pointue censée servir de système de fermeture, qui désigne le ventre de la fille.



Reperire, perire est

Emblème tiré de Jacob Cats, Proteus (1618)

Reperire, perire est

Le thème était bien connu, popularisé par les livres d’emblèmes. La devise « Découvrir, c’est périr » est expliquée par  le texte et par l’image  :

« La boîte a été ouverte, l’oiseau s’est enfui. Oh Virginité, fleur fragile qui nous échappe si facilement. »
« De doos was op-ghedaen, de voghel was ontvloghen. Ach Maeghdoms, meeps gewas! dat ons soo licht ontglijt. »

Voir http://emblems.let.uu.nl/c161820.html



Enfants jouant devant un groupe d’Hercule

Adriaen van der Werff, 1687 , Alte Pinakothek, Munich

Adriaen van der Werff 1687 Children Playing before a Hercules Group Alte Pinakothek, Munich
Ce tableau charmant et complexe est,  en fait, une leçon de morale qui dénonce le Vice et exalte la Vertu. Nous suivons ici l’analyse de E. de Jongh, 2008, « Tot lering en vermaak Betekenissen van Hollandse genrevoorstellingen uit dezeventiende eeuw » http://www.dbnl.org/tekst/jong076totl01_01/colofon.htm


Le groupe de droite

A l’arrière plan, à droite, une jeune fille assise dessine le paysage, en suivant les conseils du jeune homme debout à côté d’elle.


Le groupe de gauche

A gauche, une autre jeune fille tient un rouleau de papier à dessin, et un homme contemple la tête d’une statue : ce dernier thème étant repris d’un tableau  moins ambitieux, dont le thème est l’enseignement des arts par les Antiques.



Adriaen van der Werff 1680 Atelier du sculpteur Louvre

L’Atelier du sculpteur ou Allégorie sur l’éducation de la jeunesse,
Adriaen van der Werff, vers 1680, Louvre, Paris

Au centre, le jeune artiste au chapeau emplumé, au costume bleu et à l’épaule dénudée, vient d’abandonner la vie de futilité que dénoncent ses habits : dans une sorte d’extase,  il découvre la Beauté Idéale de la sculpture antique – l’immense Gladiateur Borghèse –  « sous l’égide de la petite Muse de la musique Euterpe, divinité inspiratrice mais aussi protectrice de l’éducation artistique » (notice du Musée)


 

Le groupe central

Adriaen van der Werff
Dans la composition complète, le jeune artiste qui levait les yeux vers l’Idéal s’est scindé en deux enfants qui baissent leur regard  vers le futile : l’épaule dénudée est allée  à une très jeune  fille, fort intéressée par l’oiseau qui pointe sa tête à la porte de la cage ; tandis que le costume bleu et le chapeau à plumes ont échu à un jeune blondinet, qui désigne l’oiseau du doigt en tenant, sous son autre main, une tortue.


La vertu en danger

La tortue pourrait symboliser la paresse de ces enfants qui laissent traîner par terre leurs cartons à dessin et perdent leur temps en futilités, au lieu de se passionner pour l’Antique. Mais, en pointant sa tête hors de sa carapace, elle constitue surtout l’antithèse de l’oiseau et de la cage : la prudence contre l’insouciance, la clôture contre l’ouverture.



Venus Medicis dite pudica
La tête désolée de la Vénus Pudica – exemple classique de la Chasteté, est d’ailleurs posée juste sous la cage en signe de désapprobation. Nous sommes donc bien  ici dans le symbolisme  de la cage ouverte et de la virginité menacée.


Le chat

Adriaen van der Werff chat
Car si un  chat est bien présent –  dans les bras du troisième enfant en chapeau à plume – il n’émarge ici à aucun symbolisme sexuel (voir Le chat et l’oiseau) et ne s’intéresse pas du tout à l’oiseau : plus sage que ses maîtres, il fixe  le spectateur comme pour le prendre à témoin de ces gamineries qui menacent de dégénérer.


L’index

 Adriaen van der Werff sangL’enfant debout qui pose son index sur sa bouche ne fait pas partie de la bande des trois paresseux : c’est un jeune artiste qui tente de les ramener au silence, et à la sagesse.

Mais l’index ne fait pas seulement le signe d’Harpocrate : il désigne aussi l’Hercule Vertueux qui, au-dessus, brandit sa massue contre le Vice.

 

Massue qui, compte-tenu des traînées sanguinolentes qui dégoulinent le long du socle, ne peut manquer d’évoquer un autre  instrument et un autre saignement.





















L’Oiseau échappé

Nicolas Lancret, début XVIIIème, Museum of Fine Arts, Boston

Lancret Oiseau echappe
Dans une discrète chorégraphie, le négrillon imite les gestes de la dame : de la main gauche il montre la cage, elle pince sa robe pour signifier, à l’époque des robes à panier…

Les contemporaines - Rétif de la Bretonne(1780)

Illustration pour « Les contemporaines » – Rétif de la Bretonne, 1780

…l’analogie entre ces deux contenants.



Lancret Oiseau echappe mains droites
Et tandis qu’elle présente sa main droite vers le haut en signe de disparition, il fait voleter  la sienne  en guise de potentielle consolation.


 

Fille avec une cage à oiseaux assise sur un lit

Schall, fin XVIIIème, Victoria and Albert Museum

Schall Girl with a Birdcage Seated on a Bed Victoria and Albert Museum

Ici le thème de la cage béante se combine avec un lit défait, un coffre ouvert,  un sac jeté à terre, une boîte en carton défoncée.

Le coupable de tout ce désordre ? Sans nul doute le pelochon, en visible détumescence.


L’oiseau perdu (The lost bird)

Charles Chaplin,  Bowes Museum,Barnard Castle,County Durham, England

Charles Chaplin the-lost-bird

Reprise du même thème : debout et en plus digne.


1798-99 Il_est_libre___[dessin]_[...]Lequeu_Jean_Gallica

Il est libre
Dessin de Jean Jacques Lequeu, 1798-99 (Gallica)

Dans son extraordinaire style érotico-néoclassique, Lequeu développe la métaphore avec cet oiseau du paradis phallique qui s’échappe d’un sombre conduit, tandis que quatre pleureuses se lamentent autour d’une inscription en grec de fantaisie.

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L’oiseau en cage (The Caged Bird)

John Byam Liston Shaw, 1907

1907 John Byam Liston Shaw The Caged Bird

En conclusion de cette série, revenons  à une scène en plein air. A l’inverse de la jeune fille courroucée de Van Mieris, celle-ci suit avec émotion l’envolée de l’oiseau  qu’elle vient de libérer de sa cage, dans les meilleures intentions.

L’ingénue ne remarque pas, derrière elle, les formes oblongues des buis taillés qui  vont lui tenir compagnie désormais.



La cage vide

François-Martin Kavel, début XXème, Collection privée


martin_kavel

Jeune femme en déshabillé

The Empty Birdcage by Martin-Kavel,

La cage vide

 Plutôt spécialiste des poitrines chastement dénudées, il arrive que Kavel rhabille ses jeunes filles : celle-ci ne semble pas si désolée de la perte de son oiseau. Dans une mise en scène particulièrement hypocrite, elle titille d’une main le globe suggestif de la cage, tandis que l’autre main plane devant le « bouton de rose » opportunément suggéré par les fleurs  sur la table.


Une démonstration de roses mieux placées…

john white alexander

Onteora, John White Alexander, 1912


Louis Icart La cage ouverteLa cage ouverte
Icart, vers 1930
suzanne Meunier 1932 En liberte En liberté,
Ssuzanne Meunier, 1932

Tandis qui’Icart, en plaçant la cage au bon endroit,  se contente de suggérer que d’autres oiseaux viendront rapidement remplacer celui qui vient de s’envoler, Suzaonne Meunier  le déclare explicitement :

Laisse s’enfuir l’oiseau volage
Que tu suis d’un regard brillant ;
Demain tu recevras, j’espère en souriant,
Un autre oiseau qui cherchera quelque autre cage.

Le spectateur des années folles, tout juste sorti de la glaciation victorienne, devait trouver particulièrement savoureux ce  détournement de l’image conventionnelle de la virginité irréversiblement perdue en une apologie du changement sans conséquence, d‘oiseau comme de cage. 

Le chat et l'oiseau

8 novembre 2014

Le thème du chat et de l’oiseau est celui de la convoitise, du désir irrépressible de posséder. A première vue, la victime devrait s’identifier au sexe faible, soumis à la voracité masculine. Mais souvent l’image fonctionne à rebours  : l’oiseau et le chat gardent leur symbolique sexuelle habituelle, de virilité fragile et d’insatiable appétit féminin.

C’est cette ambivalence qui fait tout l’intérêt du thème.

Gresly Gabriel Tentation

La tentation
Gabriel Gresly, 2ème quart du XVIIème siècle, Musée des Beaux Arts, Dijon

Dans cette charmante   scène, un très  jeune garçon sort de sa cage un oiseau, pour agacer un chat qu’une jeune fille tient fermement dans ses bras.

La tentation dont il est question est bien sûr celle du félin par le volatile ; mais chacun comprend que l’animal parle pour  le propriétaire :  la fille est tentée par le garçon.


Louis de Moni 1725-71 Couple et enfant apparaissant à une fenetre Louvre

Couple et enfant apparaissant à une fenêtre
Louis de Moni, 1725-71,  Louvre

Cette fenêtre hollandaise met en scène trois convoitises superposées :

  • celle de l’enfant envers l’oiseau qu’il vient d’extraire du pot à étourneaux (on voit souvent de tels ces nichoirs suspendus à l’extérieur des maisons hollandaises, voir 1 Chacun cherche son nid)
  • celle du chat envers l’oiseau ;
  • celle de l’homme, qui brandit une bourse dans sa main, envers la jeune femme qui, pour l’instant, retient son chat. 



Après cette innocente introduction, nous allons suivre quelques occurrences

de la fable du chat et de  l’oiseau.

Le satyre maçon

Carrache Satyre macon

Agostino Carracci, gravure de la série Lascivie, vers 1584-86

Dans cette iconographie  inventive, la pierre équarrie, sous la main gauche du satyre, justifie la présence du fil à plomb. Mais au  lieu de mesurer la pierre, le plomb taquine le sexe glabre de la femme.


Plus bas,  cette verticale nous guide jusqu’à la métaphore féline que la maîtresse  nous révèle en retroussant le drap.

Le pied griffu du lit établit une continuité entre les deux félins, chatte et lionne, et nous conduit aux pieds de bouc du satyre-maçon. Son  tablier, avantageusement bossué, retient provisoirement l’instrument de frappe qu’il destine au corps marmoréen de la belle.


Plus haut, le fil qui pend sous  la cage guide l’oeil jusqu’à un nouvelle métaphore  : l’oiseau qui ne demande qu’à sortir montre ce que le tablier cache.

Cette gravure met crûment en place la rhétorique du chat dévorant et de l’oiseau becquetant,

que nous allons retrouver, plus ou moins explicitée, sur une longue durée.


Hieroymus Wierix 1578

“Vanitas Vanitatvm et Omnia Vanitas”
1578, gravure de Hieroymus Wierix, Herzog August Bibliothek

Il est intéressant de noter que Carraci n’a pas totalement  inventé l’idée du satyre-maçon :  il a en fait détourné une gravure imprimée quelques années plus tôt dans une intention  édifiante [1].

Comme précisé par les inscriptions, le  satyre représente ici l’Impudeur (Impudicita) et la femme la Vanité.

L’homme mondain (Mundanus Homo) tout à gauche se trouve a son insu sur la trappe des mille dangers (Milla pericula), dont la targette va être tirée par la femme nue tout à droite, qui se condamne elle-même en montrant doctement une sentence d’Isaïe :

Toute chair n’est que d’herbe (Omnis caro foenum) Isaie 2,6


Au dessus du satyre, la sentence  « Meritrix Abissus Imus » démarque un autre passage féministe de la Bible :

« Car la prostituée est une fosse profonde, Et l’étrangère un puits étroit ». (Traduction L.Segond)
« fovea enim profunda est meretrix et puteus angustus aliena » Proverbes 23:27


Le texte en trois langues en bas de la gravure renfonce le clou : « Onc homme ne sonda coeur de femme impudique ».

Le satyre est donc  ici un satyre-marin, et le fil-à-plomb une sonde, librement réinterprétée par Caracci dans une intention diamétralement opposée. Peut être parce que le mot italien pour fil à plomb, « scandaglio », est très proche de « scandalo ».


Le chat et l’oiseau moralisés

Les Livres d’emblèmes de la fin du XVIème et du début du XVIIème siècle expurgent notre couple de toute connotation sexuelle.


Junius, Hadrianus Emblemata (1565) embleme XXXIXEmbleme XXXIX Hadrianus Junius Emblemata (1565)

 

Le mal m’oppresse et le pire m’effraye.

La petite colombe, enfermée et cloîtrée derrière les barreaux de sa cage,
A peur d’être prise dans les serres recourbées de l’aigle.
L’affligé, dans son esprit anxieux, redoute un danger pire :
à juste titre il s’inquiète et pour sa vie, et de ce qui le tourmente.

Malo oppressus, deterius formidat

Clathrata caveae macerie clusa columbula
Incurvis aquilae permetuit carpier unguibus.
Formidat gravius sollicita mente periculum
Afflictus : capiti is rite suo consulit & rei.

Dans ce livre d’emblèmes, une des acceptions de la cage est celle du mal nécessaire, protection contre un mal plus grand incarné par les griffes de l’aigle.


Pieter Cornelisz. Hooft, Emblemata amatoria (1611) planche 28A Pieter Cornelisz. Hooft, Emblemata amatoria (1611) planche 28B

Serva sed secura, Emblème XXVIII
Pieter Cornelisz Hooft, Emblemata amatoria (1611)

Hooft reprend l’idée, rajoute un chat à côté du rapace, et donne à la morale un sens amoureux :

Le faucon et le chat, frustrés, attraperaient bien l’oiseau en cage.
Mais celui qui est prisonnier de l’amour est protégé de la mort.

Inclusam accipiter frustra, felisque volucrem
Rapturiunt. Nequeo captus amore mori.


Callot 1621-35 Le Chat Guettant L'Oiseau en Cage from Lux Claustri ou La Lumière du Cloitre , plate 10 METCaptiva sed secura, Emblème X
Jacques Callot, 1621-35, illustration pour Lux Claustri ou La Lumière du Cloître , MET

 

Le chat rusé tend des pièges, et n’apprécie pas les cantiques.

Si tu quittes la cage, tu tomberas sous la griffe.

Callidus incidias tendit, nec cantica laudat

Felis: si caueam deseris, ungue cade

A l’inverse, cette curieuse publication tire l’emblème dans un sens religieux : l’oiseau en cage symbolise le moine dans son cloître, à l’abri des tentations du démon.


C’est un bon siècle après que le goût rococo, sous une apparence irréprochable, va user et abuser des sous-entendus du chat et de l’oiseau.

La belle cuisinière

Boucher, avant 1735, Musée Cognacq-Jay, ParisBoucher La Belle Cuisiniere

On repère assez rapidement la morale de cette charmante scène :

« On ne fait pas d’amourette sans casser les oeufs ».



Boucher La Belle Cuisiniere marmite
Car l’œuf cassé n’est pas la seule allusion à l’aventure de la belle cuisinière. Ainsi, la marmite couverte, à côté des clefs, rappelle  que, si la jeune fille est encore fermée, elle est déjà en ébullition, le couvercle prêt à sauter.



Boucher La Belle Cuisiniere oeuf
A côté de l’oeuf  gisent deux évocations assez parlantes de l’instrument de la casse.



Boucher La Belle Cuisiniere chat poule
Tandis que le chat dévorant goulument l’entrecuisse du poulet illustre la scène elle-même.



Boucher La Belle Cuisiniere cycle

Ainsi, depuis la boîte fermée, à l’abri du feu sur le manteau de la cheminée,

jusqu’au placard ouvert révélant une carafe de vin rouge et un linge tout prêt à être tâché,

le tableau détaille les étapes qui vont faire de la jeune cuisinière une femme.


Jeune fille sortant un oiseau de sa cage

Ecole de Boucher, milieu XVIIIème, Collection particulière

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Ce petit tableau très enlevé illustre avec simplicité la thématique dont va se délecter le goût rococo.

La porte de la cage et la gueule du chat,  tournées vers le spectateur à la verticale de l’oiseau, synthétisent l’alternative :

  • soit continuer à entrer et sortir de la cage,
  • soit finir dévoré.

Comprenons que la cage au dessus du chat oppose l’amour réfréné (le flirt, toujours réversible) à l’amour consommé.

English porcelaine plaque S Woodhouse  1839

Le chat et l’oiseau
Plaque de porcelaine de Woodhouse, 1836, Collection privée

Cette petite plaque montre le résultat de ces jeux dangereux :

  • le chat a attrapé l’oiseau imprudemment extrait de sa cage
  • les fleurs, portées dans la robe virginale, sont  tombées par terre.

De la cage au plancher, l’image illustre la faible distance entre le flirt et l’amour physique, et le penchant irréversible de celui-là vers celui-ci.

Remarquons que la porte ouverte vers les bois dénote une seconde imprudence : en libérant l’oiseau pour jouer avec lui (comprenons : en donnant des libertés à son galant) la fille courait  le risque de la consommation,  mais aussi de la fuite de l’amoureux vers d’autres cages.


Le chat et les deux moineaux

1778, Gravure d’après OUDRY pour La Fontaine,  deuxième fable du livre XII

Le chat et les deux moineaux

Une fable de La Fontaine développe cette notion de consommation : si le chat peut être ami de l’oiseau et se contenter pendant longtemps de coups de becs (i.e de bisous), vient un moment où, comme on sait, son appétit vient en mangeant (voir note [2])



Femme et enfant, d’après l’Antique (recto)

Nicolas Fouché, fin 17ème début 18ème, Rennes, Musée des Beaux-Arts

Nicolas Fouche femme et amour
Ce dessin reprend le même thème de la consommation réitérée, en remplaçant le chat par la cage : une fois que l’oiseau est sorti,  tout autre oiseau peut y élire domicile, solution de remplacement qu’insinue l’Amour ailé.


La Toilette

Boucher, 1742, Fondation Thyssen-Bornemisza, Madrid

Boucher_toilette_1742

Côté paravent

Nous sommes au lever. La jeune femme en déshabillé blanc  vient d’être maquillée (la mouche au coin de l’oeil) et sa chevelure poudrée (la grande houpette par terre, et l’éventail pour chasser l’excès de poudre). Maintenant elle rattache sa jarretière, tandis que la servante lui présente un bonnet à choisir.


Côté parefeu

Le feu vient d’être rallumé (le soufflet par terre). Le pare-feu est placé de manière à renvoyer la chaleur vers le lit. Noter la tablette permettant de poser de petits objets, qui est ici relevée. Autre accessoire sur le côté droit : un bougeoir vide, sous lequel pend une bourse à ouvrage.


Sur le manteau de la cheminée, un bougeoir allumé, un bâton de cire à cacheter, une lettre ouverte,  un faisan en porcelaine et un ruban rose, jarretière surnuméraire.



Sur la petite table à droite de la cheminée,  la théière du petit déjeuner fume déjà  à côté de deux tasses. Boucher s’amuse à montrer le bord d’une troisième soucoupe, mais qui ne prouve pas qu’on attend quelqu’un (ce peut être pour le beurre, la confiture, les sucre..).


Un espace féminin

Pare-feu et paravent délimitent un espace douillet, strictement féminin, renvoyé à sa clôture autarcique par les miroirs de la cheminée et de la table de toilette. Même le regard qui guette par dessus le paravent est celui d’un portrait de femme, dans le style d’une femme-artiste :  la pastelliste Rosalba Carriera.


La porte entrouverte

Aussi la porte entrouverte pose problème, insinuant au sein de ce lieu protégé la possibilité d’un courant d’air, d’une intrusion qui semble à la fois autorisée (la clé sur la serrure) et limitée (la table qui  bloque l’ouverture).


Les oiseaux

Le paravent est orné de volatiles dans des branchages : deux oiseaux exotiques s’affrontent du regard, un moineau volette humblement, un faisan de fantaisie attend son tour.

Dans le contexte de La Toilette, il est  légitime  y voir, selon une des métaphores les plus fréquentes aux XVIIIème siècle (voir L’oiseau chéri) : celle des admirateurs  de la belle, pour l’instant condamnés à faire tapisserie.


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Le seul autre oiseau de la pièce est le faisan en porcelaine, posé sur la cheminée, la queue avantageusement dressée près de la bougie phallique, du mot d’amour et du bâton de cire si facile à faire fondre : à coup sûr, le faisan miniature symbolise ici le soupirant en titre, celui qu’on attend, mais qui ne sera admis à s’introduire qu’après s’être réduit à la dimension de la fente qu’on a bien voulu lui entrouvrir.

La dame qui habite ici reçoit, mais ne se laisse pas envahir.


Le chat

Boucher_toilette_1742_chat
Il s’étire voluptueusement entre les jambes de sa maîtresse, frôlant son bas de satin  de sa queue de velours, dans une continuité charnelle.  Tandis que celle-ci noue sa jarretière, il fait l’inverse, déroulant la pelote, comme s’il anticipait le dévergondage à venir. Et s’amusant avec ce substitut, en attendant le véritable oiseau.

A noter que la pelote est tombée de la bourse à laquelle le fil est resté accroché. Sans doute un trait d’humour : la belle s’entend à vider les bourses de leurs  « pelotes », (au sens figuré, magot amassé).

Ainsi le chat rend visible la part sexuelle de sa maîtresse

– joueuse, nonchalante, vorace –

qui dans cet instant de détente git  extravaginée  hors de la robe.


Le chat invisible

Boucher_toilette_1742_autre pelote

Pelote de toilette : est un petit coffret dans laquelle les dames serrent leur bagues et autres choses dont elles ont besoin à leur toilette, et qui est rembourrée sur le couvercle pour y fourrer les épingles. Dictionnaire universel, Furetière, 1727

Il y a donc caché dans le tableau un  « chat » invisible, évoqué par la robe de chambre fourrée ; et une seconde pelote dans laquelle il  plante ses griffes : la boîte hérissée d’épingles.



Greuze The wool winder 1759

La dévideuse de laine (The wool winder)
Greuze, 1759, Collection Frick, New York


A titre de preuve a contrario, voici ce qu’une jeune fille sérieuse fait avec une pelote et un chat : l’une, elle l’enroule ; l’autre, elle l’ignore.
A remarquer la  lettre B taillée dans la traverse de la chaise : il pourrait s’agir d’une jeune soeur d’Anne-Gabrielle Babut, que Greuze venait d’épouser cette année là (et qui ferait bientôt scandale par ses nombreux amants – mais ceci est une autre histoire).


Une dame sur son divan

Boucher, 1743, Collection Frick, New York

Boucher-Une dame sur son divan 1743

L’année d’après La Toilette, Boucher s’auto-citera avec gourmandise dans ce portrait de sa femme, Marie-Jeanne Buzeau, alors âgée de 27 ans.

Revoilà le fameux paravent, mais  relégué sur la marge droite : ici les soupirants ne sont pas bienvenus.


Boucher-Une dame sur son divan 1743_bourse et fil

La pelote de laine reste reliée par son fil à la bourse : l’absence de chat laisse injustifiée sa présence – sinon pour recycler une détail de La Toilette qui avait dû être particulièrement remarqué.

Boucher-Une dame sur son divan 1743 etagere
Sur l’étagère, nous retrouvons le ruban rose et la théière qui pour l’heure ne fume pas, pointée vers la tasse retournée : Madame lit, et n’est pas d’humeur galante pour l’instant…



Boucher-Une dame sur son divan 1743 chinois

…même si un mandarin la contemple d’un air énamouré en griffonnant sur ses genoux,

à côté d’un bout de papier signé François Boucher : autoportrait de  l’artiste en porcelaine.


Le Repos

Jean-François Colson, 1759, Dijon, musée des Beaux-Arts

colson-le-repos

Cette fois, la jeune fille est placée du côté vertueux du pare-feu. Sur sa tablette baissée, un serin s’est posé pour picorer quelques graines. Un ruban bleu le relie à la main de sa maîtresse. On comprend que la fille s’est endormie en jouant avec son oiseau.

Son autre animal favori profite de cette inattention pour surgir par dessus le pare-feu, prêt à gober le serin laissé sans défense hors de sa cage.

Le tableau joue avec la notion d’appât et de prédation : les graines attirent l’oiseau, l’oiseau au bout de son fil attire le chat. Quant au chat, il s’en faut de peu qu’en tirant sur la corde de la sonnette, il ne réveille la maîtresse.

Le pare-feu laisse la jeune fille sans défense face à  un prédateur plus dangereux que le feu : le peintre qui la caresse du pinceau, le spectateur qui la contemple, ou un quelconque séducteur encore en hors champ du tableau.

Mise en garde renforcée par la présence, sur la cheminée, de la théière au long bec prête à verser dans la tasse.


Le paysan amoureux (the rustic lover)

Francis Wheatley,1786, Yale Center for British Art

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La fille devrait s’occuper à ses travaux de couture, entre rouet et panier à linge. Au lieu de cela, elle tend une soucoupe de lait à un chaton qu’elle a installé sur ses genoux. Debout derrière sa chaise, un gaillard  jette un coup d’oeil plongeant et lui susurre quelque chose. Elle tourne la tête pour l’écouter, et ne voit pas son autre  main qui va tirer la queue de l’animal.  Tout en haut, dans la cage, un oiseau penché sur son perchoir ne perd rien de la scène.

Ici, pas de symbolisme torride à rechercher : les deux animaux sont là comme interprètes des intentions de chaque sexe.

Le garçon est comme l’oiseau :  un beau siffleur, perché sur la chaise, épiant les choses d’en haut. Ses bras miment le geste enveloppant de la fille, qui tient l’animal de la main droite et la soucoupe de la gauche :  la main droite du garçon est déjà  au contact du chat, sa main gauche n’a plus qu’à quitter le haut de la chaise pour venir empaumer cette autre source de lait, du côté où l’épaule s’est opportunément dénudée.

La fille est comme le chaton : insatiable, et toute prête à se laisser enlacer.


Minet aux aguets

Gravure de Debucourt, 1796

Minet aux aguets Debucourt 1796

Intéressant exemple d’une inversion de sexe au royaume des métaphores glissantes  !

Minet a sauté de la fenêtre sur la table, queue érigée,  à côté de la canne et du bicorne du visiteur qui va dans un instant entrer en scène.

Pour l’instant, la jeune personne en est encore à apprécier les délices de la lecture.

Du coup, le minuscule oiseau pointant la tête à la porte de sa cage n’est pas sans évoquer  la partie virile du sexe faible.


Le chat et l’oiseau

Schall, fin XVIIIème, Collection privéeSchall Le chat et l oiseau detail

Dans ce sujet manifestement conçu pour exhiber une  femme dévêtue surgissant hors de son lit, la scène  intéressante se situe à l’extrême gauche : un chat est grimpé sur une cage, dans une sorte de copulation symbolique où deux récipients voraces s’emboîtent autour de l’oiseau captif. Au point qu’on ne sait si la fille s’extrait de son lit vaginal pour se précipiter au secours du volatile, ou pour l’engloutir elle-même.

« La fille se met sur lui à califourchon, le visage en face de celui qui la caresse. Elle met l’oiseau en cage, et par ses mouvements excite son ramage ».  XXXIIème façon, la Badine , Les quarante manières de foutre, 1791



Au XIXème siècle, le sujet, trop exploité, passe de mode,  et on ne le rencontre plus que rarement.



George Francis Joseph La Harpiste Collect privee

La Harpiste
Début XIXème, George Francis Joseph, Collection particulière

Ici, c’est une musicienne qui s’interpose entre l’oiseau qu’elle nourrit dans sa cage, et le chat soumis à la double tentation du volatile et des poissons.

Posture qui a l’avantage de mettre en valeur, sous son chemisier rose,  une autre double tentation à l’usage des passants : pour une fois qu’une harpiste écarte les bras !

Visuellement, une de ses mains reste en contact avec la harpe tandis que l’autre frôle la cage : manière de signaler une triple analogie entre l’instrument  et l’ustensile :

  • tous les deux sont grillagés ;
  • tous les deux émettent des sons gracieux lorsqu’on les frôle du doigt ;
  • tous les deux, l’un au sens propre, l’autre au sens figuré, trouvent leur emplacement naturel  entre ses cuisses.

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Anonyme, LE CHAT ET LES CHARDONNERETS, 1ere moitie 19e siecle, Rouen ; musee des beaux-arts

Le chat et les chardonnerets
Ecole suisse,  1ère moitié 19e siècle, Musée des Beaux-Arts, Rouen

Dans la mangeoire de verre, une cloison sépare les graines et l’eau, que l’habile chardonneret puise avec un dé doré.  De la même manière, une vitre sépare les oiseaux et le chat : celui-ci sera-t-il assez audacieux pour se glisser sous la brisure ?


A la fin du XIXème siècle, certains peintres vont se spécialiser dans le  recyclage des sujets galants, offrant à une clientèle nostalgique du Grand Siècle un zeste de grivoiserie dans une confiture raffinée.

La charmeuse

Léon Herbo, 1890, Collection privée

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La main droite sur le roman, la main gauche sous le moineau, la Charmeuse attire l’oiseau par sa rose et le spectateur par son corsage. Figé sur le bronze de Chine, un dragon fait figure de « chat »  bien inoffensif : tout oiseau, même timide et humble, est bienvenu chez cette dame.


Jeune fille avec un chat et une cage à oiseau

Francesco Vinea, vers 1902, Collection privée

Francesco Vinea favourite friends
Grand maître de ce courant, Vinea nous montre ici une jeune fille prometteuse, détournant   avec maestria  l’appétit de son chat vers l’odeur de sa rose, tout en agitant à bonne distance son canari.

Notons que cette remise au goût du jour se fait à contre-sexe : le chat blanc représente manifestement la voracité et la naïveté masculine, face à deux manifestations  de la rouerie féminine : la rose qui embaume et qui pique, le canari qui chante mais ne se laisse pas gober.

Mais la plupart du temps, le prestige des sujets rococo se conjugue avec l’oubli – ou l’édulcoration volontaire -de tous leurs sous-entendus. Ainsi Antonio Gisbert décompose la  scène en deux temps.

Le chat et la cage

Antonio Gisbert, fin XIXème, Collection particulière

Antonio Gisbert1

Une dame élégante ordonne à Minet de ne pas toucher à ses canaris, qu’elle conserve dans une cage somptueuse sommée d’une couronne royale.


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Un chat méfiant (A cagey cat)
Antonio Gisbert, fin XIXème, Collection particulière



Néanmoins, Minet fait sa bêtise : non parce qu’il est goulu, mais parce qu’il se méfie de ces être sauvages, qui pourraient menacer sa maîtresse : elle l’excuse en souriant, puisque la cage est intacte.


Son perroquet favori

Adrien de Boucherville, 1872, Collection particulière

Adrien De Boucherville
Même scène de pacification entre le perroquet et le chat sous l’égide d’une  élégante, mais cette fois dans un faux décor XVIIème  désinfecté de tout sous-entendu…


Adrien De Boucherville  Son perroquet chéri 1872 détail
… ou presque : à noter, près du bouclier à pointe, le gantelet de fer du maître de céans, mettant en valeur la délicatesse du doigt nu et de la chair en proie aux griffes.


La femme pendue

Heinrich Zille, 1908, Berlin, Stiftung Stadtmuseum

H.Zille, Erhaengte Frau -  -

Dans un autre contexte social, le suicide de la maîtresse permet enfin à Minet d’arriver à ses fins.


Le chat et l’oiseau

Anderson (Sophie Gengembre), fin XIXème, Collection particulière

ANDERSON Sophie Gengembre

Progressivement déminé, le sujet était désormais compris comme une admonestation mièvre : « Minet ! Tu ne dois pas bouffer l’oiseau ».

Rien n’empêchait dès lors d’exposer une petite fille relevant sa robe pour montrer son canari à son chat.



Jeune fille et son chat

Charles Nahl, 1866, Collection privée

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Par la chasteté de ses bas blancs, la jeune fille réconcilie le chat et le perroquet dans l’harmonie du Nouveau Monde, après avoir pris son petit déjeuner sur le banc. Le peintre allemand devenu californien nous montre une maison bien tenue, où les baquets et seaux béants sont mis à sécher au soleil sans craindre le moindre symbolisme. Tandis que la mère ou la grand-mère, dans sa cuisine rougeoyante, s’occupe à touiller la marmite.

Pendant que les adultes travaillent, les créatures charmantes et inutiles – animaux et petite fille – sont autorisées à prendre du bon temps sur le seuil.


Petite fille avec un chat

Walter Osborne, fin XIXème, Collection particulière

Walter Osborne small-girl-with-a-cat

L’intérêt de ce petit tableau tient à ce qu’il inverse les positions  habituelles : le chat est assis sur la chaise, la petite fille sur le sol et la cage se trouve tout en bas, à l’opposé de sa place surplombante.

L’autre originalité est l’orthogonalité des regards : la petite fille regarde horizontalement, vers sa mère ou vers le monde des adultes (le balai) ; le chat regarde verticalement, non vers l’assiette posée à son intention sur le sol, mais vers cette nourriture bien plus attrayante que la fillette, en toute innocence, a mis à porté de sa patte.


Oisiveté (Idleness)

John William Godward, 1900, Collection privée

Idleness, by John William Godward
L’oiseau est ici réduit à une plume de paon, qui sert à agacer Minet pour tromper l’ennui. Malgré le drapé vertueux, le marbre irréprochable et l’alibi antique, il n’en reste pas moins que cette belle gréco-romaine  titille la métaphore  de sa féminité avec celle de sa vanité, dans une forme d’auto-érotisme hautain à l’usage des happy-fews.



La dame au chat

Carte postale de Ney,  1914-18

NEY_minet
Quelques années et une guerre plus tard , la pruderie est tombée comme la chemise et la plume caresse la nudité offerte, des poils du haut aux poils du bas.


Pendant l’alerte

Illustration de Henry Gerbault pour Fantasio, 1918

Henry Gerbault 1918 Pendant L'alerte
La légende amusante « N’ai-je rien oublié ? » ne concerne pas seulement la jeune femme descendue dans l’abri avec l’essentiel.

Mais aussi le dessinateur dépositaire de réminiscences plus ou moins inconscientes. En effet, il n’a pas oublié :

  • le miroir, métaphore de la Femme autarcique ;
  • le petit chat, métaphore de son sexe  joueur ;
  • l’oiseau en cage, métaphore de l’amant du moment, dont la photographie est posée dans l’ombre de sa croupe.

Le chat et la cage

Icart,1928

Louis Icart-Femme a la cage
Maintenant, la maîtresse ne fait plus la morale au chat : au contraire, elle le précède dans la dévoration du regard, les mains derrière le dos pour lutter contre la tentation.

La petite femme d’après-guerre assume désormais son appétit pour les oiseaux.


Ce sacré chat (That Damned Cat)

Charles Spencelayh, début XXème siècle, Collection particulière

Charles Spencelayh - That Damned Cat

 Le chat vient de s’évanouir définitivement, avec le canari, dont il ne reste qu’un peu de poussière jaune sur le plancher.

Dans cet ultime ricochet du thème du chat et de l’oiseau, toute notre théorie de beautés plus ou moins ouvertement aguicheuses  laisse place à un vieux barbon,  qui ne taquine que sa pipe.



Carte postale pour Thanks giving, 1908

carte postale Thanks giving 1908

Néanmoins, dans cette carte postale innocentée par la présence de la petite fille, une citrouille à la fente dentue sert de support à l’ostention d’un petit chat, hors de portée de bec d’une dinde au cou turgescent.

Comme si les symboles coriaces avaient continué leur vie souterraine pour ressortir,  incognito et sans crainte d’être reconnus,  à l’occasion d’une fête de famille.


Duane Bryers pinup

Pin up de Duane Bryers 

Emmanchés sur le même poteau, sauvetage par la pinup au grand coeur de son minuscule chat.  Selon qu’on a bon ou mauvais esprit, l‘oiseau donne l’alerte ou tente de piquer le postérieur de son adversaire héréditaire.


Duane Bryers pinup detail

A noter, dans un espace restreint, la cohabitation complexe de cinq symboles phalliques…


Olivia De BERARDINIS pinupPinup de Olivia De Berardinis

Cette composition très symétrique confronte  :

  • le siamois couché avec le siamois assis,
  • les oiseaux qui marchent avec ceux qui volent,
  • la jambe gauche, son bas tombé et sa bottine posée sur le sol avec la jambe droite, son bas tendu et sa bottine en l’air.

Le chat et les oiseauxLe chat et les oiseaux
Anonyme

Cette composition naïve synthétise excellemment l’ensemble des métaphores aviaires :


captive-by-sally-moore
Captive
Sally Moore

Dans cette toile récente, Sally Moore propose au minou interloqué une solution radicale à son appétit : la cage de chasteté.


Références :
[1] Fonti e simboli per il Satiro “scandagliatore” di Agostino Carracci
http://www.bta.it/txt/a0/06/bta00677.html

[2]

Le Chat et les deux Moineaux

A Monseigneur le duc de Bourgogne

Un Chat, contemporain d’un fort jeune Moineau,
Fut logé près de lui dès l’âge du berceau.
La Cage et le Panier avaient mêmes Pénates.
Le Chat était souvent agacé par l’Oiseau :
L’un s’escrimait du bec, l’autre jouait des pattes.
Ce dernier toutefois épargnait son ami.
Ne le corrigeant qu’à demi
Il se fût fait un grand scrupule
D’armer de pointes sa férule.
Le Passereau, moins circonspec,
Lui donnait force coups de bec ;
En sage et discrète personne,
Maître Chat excusait ces jeux :
Entre amis, il ne faut jamais qu’on s’abandonne
Aux traits d’un courroux sérieux.
Comme ils se connaissaient tous deux dès leur bas âge,
Une longue habitude en paix les maintenait ;
Jamais en vrai combat le jeu ne se tournait ;
Quand un Moineau du voisinage
S’en vint les visiter, et se fit compagnon
Du pétulant Pierrot et du sage Raton ;
Entre les deux oiseaux il arriva querelle ;
Et Raton de prendre parti.
Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle
D’insulter ainsi notre ami ;
Le Moineau du voisin viendra manger le nôtre ?
Non, de par tous les Chats ! Entrant lors au combat,
Il croque l’étranger. Vraiment, dit maître Chat,
Les Moineaux ont un goût exquis et délicat.
Cette réflexion fit aussi croquer l’autre.

Quelle morale puis-je inférer de ce fait ?
Sans cela, toute fable est un œuvre imparfait.
J’en crois voir quelques traits ; mais leur ombre m’abuse,
Prince, vous les aurez incontinent trouvés :
Ce sont des jeux pour vous, et non point pour ma Muse ;
Elle et ses sœurs n’ont pas l’esprit que vous avez.

La Fontaine, deuxième fable du livre XII, 1693