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Le miroir transformant 3 : hallucination

Parfois, le miroir se déconnecte de la réalité,  et fait surgir une hallucination.

Thomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in Baltimore
Rêverie (Daydreams)
Thomas Couture, 1859,
Walters Art Museum in Baltimore
Thomas Couture 1859 Les bulles de savon MET
Les bulles de savon (soap bubbles)
Thomas Couture, 1859,
MET, New York

Réalisées la même année, ces deux Vanités  confrontent la beauté d’un jeune garçon avec la fugacité  des enfantillages  (les bulles de savon), la robustesse de l’étude (les livres de classe liés, le cartable accroché au fauteuil), et la gloire (la couronne de feuilles pendue au clou).

Avec pratiquement les mêmes éléments visuels, les deux versions fonctionnent, grâce au miroir, de manière  totalement antagoniste.


Rêverie

Thomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in Baltimore pocheThomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in Baltimore bandoulière

Le mur qui s’écaille, le tiroir qui baille, la poche décousue, la bandoulière rafistolée avec une ficelle,  dénoncent l’ambiance de négligence dans laquelle vit ce galopin.



Thomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in Baltimore miroir
Confirmée par cette  sentence comminatoire : « Le Paresseux indigne de vivre ».  Mais contrairement à ce que disent  les commentateurs, le papier n’est pas coincé dans le cadre : c’est bel et bien un reflet, puisqu’il est traversé par la fissure en diagonale.

Un reflet impossible, calligraphié à l’endroit d’une belle écriture d’écolier,

le reflet d’un papier qui n’existe pas.

Sauf  dans la rêverie du beau blond : peut-être  la sentence apprise en classe vient-elle le hanter dans son sommeil de feignant ? (remarquer l’analogie entre le miroir et une ardoise).


Bulles de Savon

Thomas Couture 1859 Les bulles de savon MET miroir

Dans Les Bulles de Savon, on lit sur le papier « Immortalité de l’un », la seconde ligne est  illisible, peut être délibérément.  Ici, impossible de décider si le papier est sur ou dans le miroir. Un reflet de lumière triangulaire vient, derrière la mousse du verre, mettre en valeur le mot « mortalité ».

Le beau brun est un philosophe en herbe, qui médite sur l’éclatement des bulles et la chute  inéluctable de la toupie.

Le miroir nous donne à voir sa pensée, encore fixée sur la mortalité, laissant dans l’ombre le préfixe.


Les deux garçons, le blond et le brun, sont deux figures antagonistes  : l’indignité de vivre de l’un fait contraste avec l’immortalité de l’autre. Et leurs couronnes, qui ne sont pas de laurier, ne sont clairement pas de la même feuille.


Thomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in Baltimore couronne Thomas Couture 1859 Les bulles de savon MET couronne lierre
Thomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in Baltimore couronne feuilles pommier Thomas Couture 1859 Les bulles de savon MET couronne lierre feuille

On aimerait que la couronne de l’un soit faite de feuilles de pommier (la paresse est un péché capital),

et celle de l’autre de lierre (le symbole de l’immortalité).

http://www.metmuseum.org/collection/the-collection-online/search/436030
http://art.thewalters.org/detail/12349/daydreams/


La chambre rouge

Félix Vallotton, 1898, Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne

Felix-Vallotton-La chambre rouge
Vallotton, qui venait de se marier, s’en prend ici à l’adultère. La dominante rouge – le  désir masculin – envahit toute le pièce,  au mépris des livres sous verre et de la cheminée fermée.

Sur la table, les objets abandonnés – gants, mouchoir, ombrelle, réticule – indiquent que la femme a déjà posé les armes.



Felix-Vallotton-La chambre rouge tableau jpg
Sur la cheminée, protégé par deux rideaux rouges, un miroir reflète le buste de Vallotton, les vases et une bougie rose. On devine la silhouette d’une autre femme dans la pièce.


Vallotton 1899 Interieur avec femme en chemise

Intérieur avec femme en chemise, Vallotton, 1899, Collection privée

Ce miroir réapparaîtra d’ailleurs, l’année suivante, dans une décoration verte et bleue.


Il s’agit d’un vrai miroir, mais aussi – et c’est là la petite énigme de l’oeuvre – d’un vrai tableau de son ami Vuillard, peint l’année précédente, et qui montre l’avenir qui guette le couple adultère  :

Vuillard

Grand intérieur aux six personnages
Vuillard,  1897, Kunsthaus, Zurich

La scène se situe dans l’appartement des Ranson, boulevard du Montparnasse. Sont présents Paul Ranson et sa femme, Germaine Rousseau, sa mère Ida, ainsi que Madame Vuillard. La réunion a été organisée à la suite de la liaison coupable entre Germaine Rousseau et Kerr-Xavier Roussel, le beau-frère de Vuillard.


Ker-Xavier_Roussel,_Édouard_Vuillard,_Romain_Coolus,_Felix_Vallotton_1899
Ker-Xavier Roussel, Édouard Vuillard, Romain Coolus, Felix, Vallotton, 1899


Vanitas

Leo Putz, 1896, Collection privée

Leo Putz Vanitas, 1896

Au dessus de la fille allongée flotte un miroir ou un bouclier circulaire, qu’escaladent des femmes nues pour aller décrocher la lune.

Le visage effrayant est-il celui du destin fatal qui, comme dans toute Vanité, menace la beauté des filles, et  auquel celle-ci tente d’échapper en mettant sa main devant ses yeux ? Est-il le cauchemar de la dormeuse ? Ou bien – puisque celle-ci nous dissimule sa face – est-il le véritable visage de cette rousse incendiaire, que le miroir durant son sommeil nous révèle  ?

 


Enchantement

Constantin Somov, 1898–1902, gouache, Musée d’Etat de Russie, Saint-Pétersbourg

Konstantin Somov Magie 1898–1902

Cette fée vénéneuse en robe à paniers officie entre deux colonnes : l’une porte un philtre fumant, l’autre un esclave nu tenant un  miroir. On y voit le destin des jeunes gens qui, à l’arrière-plan, flirtent sur la pelouse : l’enchantement amoureux, une étreinte au milieu des flammes.


konstantin-somov enchantress 1915

L’enchanteresse
Constantin Somov, 1915

Un crapaud dans le calice, un diable nu qui soutient le miroir dans le dos de l’enchanteresse, toujours entre deux colonnes :  Somov s’autocite dans ce pendant nocturne réalisé quinze ans plus tard, où le miroir  transforme la fumée en une orgie ardente.

 


Le miroir paradoxal

Escher 1934

Nature morte au miroir,
Escher, lithographie, 1934
 

Exploitant son homologie avec un cadre, Escher donne au miroir le pouvoir de faire advenir l’extérieur dans l’intérieur. Trois objets attestent qu’il s’agit bien d’un reflet, et non d’une image encadrée :

  • deux objets prosaïques :
    • la brosse à dents avec son tube de dentifrice PIM,
    • la corbeille suspendue avec son éponge ;
  • un objet sacré, l’image pieuse de Saint Antoine de Padoue avec ses « orazione », qu’il serait presque possible de déchiffrer sur le verso.

 

Butterfly on Shining White Teeth Advert Toothpaste Xsb791 SANT ANTONIO DI PADOVA num. 82

Avec ses objets de toilette (la boîte de cirage, le flacon de parfum, le peigne fiché dans la brosse), la table nous montre le quotidien du voyageur. Avec son unique bougie posée sur le napperon de dentelle, elle nous parle d’une célébration.


sb-line

 

dino valls MAnANA SERa NUNCA (1986)Demain sera Jamais (Manana sera Nunca), 1986 Dino Valls incubo 1992Incube, 1992

Dino Valls

A gauche, le miroir montre le futur désiré. A droite, le tableau d’ancêtre se transforme en un faux miroir qui propulse dans le réel un double somnambulique. 


sb-line

Jan De Maesschalck

Jan De Maesschalck 1998 1998 Jan De Maesschalck 1

A gauche, la vitre du train fait apparaître un livre que la voyageuse tente de déchiffrer. A droite, la vitre fait au contraire disparaître la voyageuse, mais conserve le journal que lit un voyageur caché.


Jan De Maesschalck 2

Toujours associé à la lecture, on pourrait croire que le miroir montre ici son avenir à la jeune femme. Mais les pièces de part et d’autre étant dissemblables, on peut aussi comprendre qu’il s’agit de deux femmes qui se ressemblent, de part et d’autre d’une vitre.


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Steven J. Levin

Cet artiste met en scène des dispositifs de duplication qui font semblant de créer un effet hallucinatoire tout en restant parfaitement réalistes.

Steven J. Levin Coming and GoingComing and Going  
Metamorphosis Steven J. LevinMetamorphosis

Une porte-tambour transforme une vue de face en vue de dos, et un super-héros en homme normal.

Steven J. Levin The Metro NorthThe Metro North Steven J. Levin Quiet_Restaurant_Quiet Restaurant

A gauche les deux guichets transforment une femme en homme. A droite la vitrine du restaurant mime un miroir révélant un couple fantôme.


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Genevieve Dael

 

Genevieve Dael Reflet ImprobableReflet Improbable Genevieve Dael Reflet InterieurReflet Intérieur

Le reflet révèle une femme vue de dos qui regarde par la fenêtre, comme dans les intérieurs danois énigmatiques de Hammershøi ou Horsoe. Dans le tableau de droite, le miroir, non content de faire apparaître le fantôme, déforme les lignes des carreaux et escamote le poêle.


Le miroir d’Halloween

 

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En regardant dans un miroir à minuit pile, à la lumière d’une bougie, les jeunes filles pouvaient entrevoir l’image de leur futur mari.


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Attention pourtant : ne pas se retourner, sinon il peut se passer des choses !


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Bien sûr la satisfaction n’était pas garantie dans tous les cas…

Sur ces cartes postales d’Halloween, voir  http://theskullpumpkin.blogspot.fr/2011_03_01_archive.html.


Le miroir trans-temporel

Appliqué à la lettre, ce thème produit un effet de naïveté qui le rend impropre à la composition courante.  Paula Vaugham l’a néanmoins exploité dans tous les sens :

  • sens rétrospectif...
Paula Vaughan Through A Mother s EyesThrough A Mother’s Eyes Paula Vaughan Through A Father s EyesThrough A Father’s Eyes
Paula Vaughan Through A Mother's Eyes IIThrough A Mother’s Eyes II Paula Vaughan Mama s Little GirlMama s Little Girl

 


…et sens prospectif.

Paula Vaughan May I Have This DanceMay I Have This Dance Paula Vaughan Beautiful DreamerBeautiful Dreamer
Paula Vaughan Nutcracker SuiteNutcracker Suite


Photo de nirrimi joy hakanson (Pretty_as_a_picture)

Photo de nirrimi joy hakanson (Pretty_as_a_picture

Saisir, ou être saisie ?

2 Comments to “Le miroir transformant 3 : hallucination”

  1. Bonjour,
    Merci pour ce site très intéressant.
    Je pense que dans les deux premières œuvres, il s’agit non pas d’un miroir mais d’une ardoise d’écolier.
    Isabelle

    • Bonjour
      C’est une possibilité intéressante, merci. Et une ambiguité visuelle qui a peut être été voulue par Couture. Cependant :
      – le format me semble trop grand pour une ardoise,
      – le fond n’est pas noir,
      – l’écolier a passé l’âge d’apprendre à écrire (voir son paquet de livres),
      – dans « Rêverie », la zone rectangulaire éclairée sur le mur semble évoquer la réflexion par un miroir.
      Deux tableaux décidément bien mystérieux.

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