1 EVA avant AVE

Les Annonciations contiennent souvent une référence, plus ou moins discrète à l’histoire d’Adam et Eve : en effet Marie, au moment où elle accepte d’accueillir en elle l’enfant Jésus, brise la chaîne des mères impures depuis le Péché Originel  : le AVE de Marie est donc graphiquement et théologiquement, le contraire d’EVA.

Burne-Jones, dans son Annonciation de 1879, renoue avec cette iconographie ancienne et fait de l’opposition EVA-AVE la base même de sa composition.

Annonciation

Burne Jones Annonciation

Burne-Jones,1876-79, Birmingham


Marie de Birmingham

Le modèle est Mrs Lesley Stephen.  Elle était enceinte dans la période où Burne-Jones achevait sa toile, et accoucha d’une petite Vanessa le 13 mai 1879, le mois où le tableau fut exposé. Prédestinée in utero, cette fille plus tard devait devenir peintre sous le nom de Vanessa Bell. Une petite soeur nacquit ensuite, qui deviendra Virginia Woolf.  Bien que l’anecdote soit intéressante, elle n’apporte rien à la compréhension de l’oeuvre, car bien sûr Burne-Jones s’est bien gardé de représenter Marie enceinte.

Sa Vierge est une alliance parfaitement maîtrisée des deux érotismes victoriens : les plis mouillés de la statuaire grecque, les cheveux roux et les yeux bleus du sex-appeal anglo-saxon.

Athena Gustiniani

Le bel Ange

S’il s’agissait d’un concours d’élégances, l’Ange gagnerait haut la main : par sa position en surplomb, par sa haute stature que renforce encore l’élongation des pieds, mais surtout par le mélange de styles que lui aussi réussit : d’une part le visage androgyne et idéalisé, cent pour cent préraphaélite, d’autre part la robe aux plis verticaux, byzantins ou romans, qui mêle des tombés précis et des entrecroisements savants où l’oeil se perd. Seule l’auréole derrière sa tête signale qu’il s’agit d’une apparition mystique et non d’une fashion victim.

Une statue-colonne du Portail Royal,
Cathédrale de Chartres
 

L’Ange-laurier

Burne Jones Annonciation Ange Laurier

Visuellement, l’Ange se situe dans la continuité de l’arbre : le mouvement de ses plumes mime si bien celui des feuilles qu’on pourrait imaginer qu’il n’émane pas du ciel,  mais du laurier lui-même, dans une métamorphose inverse de celle de la païenne Daphné.


Locomotion angélique

Burne Jones Annonciation Ange Pieds

Seules les plumes bleutées de ses longues ailes signalent son extraction céleste. Mais pour lui éviter l’inconvénient d’avoir à se percher sur une branche comme un volatile ordinaire, Burne-Jones a inventé un mode plus gracieux de sustentation : une auréole pédestre,  sorte d’hélice permettant le vol stationnaire.


Le bas-relief de droite

Burne Jones Annonciation Bas Relief droit

Sur le bas-relief de droite, l’Ange expulse du Paradis Eve et Adam, en direction d’un roncier.

Il ne faut pas longtemps pour comprendre que cet ange sculpté est le même que l’Ange de chair – en tout cas il porte la même robe et la même auréole derrière la tête.  L’arbre devant lequel ou sur lequel  il se tient est également un laurier. Quand à Eve, nue, prostrée et vue de profil, elle contraste avantageusement avec Marie dans sa robe immaculée, bien droite et vue de face.

La malédiction d’Eve

L’inscription du bas-relief de droite est tirée de la Génèse : « …maledicta terra in opere tuo : in laboribus comedes ex ea cunctis diebus vitæ tuæ » : « le sol est maudit à cause de toi. C’est par un travail pénible que tu en tireras ta nourriture, tous les jours de ta vie ». (Genese 3, 17) .

Un style archaïque

L’inscription se trouve dans une sorte de cartouche, coupée en deux par le tronc de l’arbre comme si elle passait par derrière. Mais, par une sorte d’archaïsme respectueux du texte sacré, aucune lettre ne manque :
MA            LEDICTA
TERRA   IN OPERE
……………TUO

Le mot MALEDICTA est bizarement coupé, de sorte qu’à gauche on peut lire MATER, la mère, comme si la malédiction d’Eve était en train de se transformer en bénédiction pour Marie.

Autre subtilité : le mot TUO, qui devrait se trouver à gauche, sur la ligne vide à l’intérieur du cartouche, a été décalé à droite, hors du cartouche : ainsi la typographie-même montre l’expulsion du « TU »  en dehors du jardin d’Eden.


Le bas-relief de gauche

Burne Jones Annonciation Bas Relief Gauche

Dans le bas-relief qui fait pendant, de l’autre côté de l’arc, on distingue un homme à queue de reptile, juché dans un arbre qui est encore un laurier : il  s’agit bien sûr du serpent, dans la même représentation anthropomorphe que celle choisie par Michel-Ange pour la Sixtine.

Le « serpent » montre le fruit défendu à droite, tout en regardant vers la gauche : nous devinons alors qu’une autre Eve et un autre Adam sont masqués par la main de l’Ange de chair.

Une histoire en deux temps

De part et d’autre de l’arche, le bas-relief illustre, en deux moitiés symétriques,  les deux temps du Péché Originel : à gauche la Tentation (le serpent tente Eve qui tente Adam), à  droite l’Expulsion (l’Ange pousse Eve qui pousse Adam).  Mais le côté Tentation est ici dissimulé, censuré par la chair-même de l’Ange.  Pas question de suggérer d’une quelconque manière que l’Ange de l’Annonciation pourrait tenter Marie.


L’ange perché

Le motif de l’Ange « perché » permet d’exprimer visuellement une série d’équivalences théologiques.

L’ange de pierre du bas-relief pousse Eve de sa main gauche et tient une épée de feu dans sa main droite : dehors, et pas question de discuter !

Burne Jones Annonciation Ange Main DroiteBurne Jones Annonciation Bas Relief GaucheA l’inverse, l’Ange de chair lève son index gauche en signe de prise de parole, et ouvre sa main droite en signe d’écoute : son dialogue avec Marie  rétablit la confiance entre Dieu et l’Homme que la faute d’Eve avait brisée.

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Ange et serpent

Remarquons que le mouvement de cet index se prolonge, visuellement  dans le bras gauche du serpent anthropomorphe, de sorte qu’il se crée les deux, l’ange et la bête, une  sorte d’affinité arboricole. Cependant, nous comprenons vite que ce lien  n’est pas de complicité, mais de chasse : l’Ange porte au bras droit un brassard en peau de reptile. Et son index de chair vient ici réparer, par sa parole véridique, le bras mensonger du serpent de pierre.


Avant ou après l’Annonciation

Marie regarde droit devant-elle : pas facile de communiquer avec des pieds, fussent-ils angéliques !

Aussi devons-nous comprendre que l’instant se situe soit juste avant l’Annonciation – auquel cas le regard lointain de Marie suggère un vague pressentiment de l’Ange en phase d’approche ; soit juste après, auquel cas son regard grave souligne l’importance de l’évènement qui vient d’avoir lieu.


Burne Jones Annonciation Marie Main DroiteBurne Jones Annonciation Marie Main GaucheComme dans le cinéma muet, c’est le geste un peu trop appuyé des mains qui commente la scène et lève l’ambiguïté : la main droite repliée vers la gorge signifie « JE suis la servante du Seigneur » et la main gauche qui relève légèrement la longue robe, en une esquisse de révérence, signifie « Qu’il en soit fait selon  SA volonté ».

Nous sommes donc bien juste après l’Annonciation, et l’Ange, qui a conservé dans ses mains les gestes du dialogue, est en phase de remontée vers sa base.


 

1894 Burne-Jones mosaic San Paolo entro le mura Roma

Burne-Jones, 1894 , mosaïque de San Paolo entro le mura, Rome

En 1894, Burne-Jones transposera  sa composition en plein désert  :  l’arcade de pierre est remplacée par celle de la voûte, et le point d’eau se résume à un vase posé aux pieds de Marie.

2 Comments to “1 EVA avant AVE”

  1. […] que AVE rachète EVA, et que la conception immaculée compense le péché d’Eve (voir EVA avant AVE).   Dürer ici  invente  la réciproque : glisser dans la scène de la Chute un symbole de […]

  2. Merci beaucoup pour toutes vos précisions, en particulier l’article sur l’index pointé qui m’a conduit jusqu’à votre site.
    Permettez un commentaire à propos des noms « Eva » et « Ave ». Merci.
    De Eva à Ave ou de la divinité primitive chez les israélites
    Dans une période très reculée de l’histoire, la Déesse est la personnification de l’Esprit féminin ; elle est l’Esprit divin uni à la beauté, à la grâce, à la maternité. Un nom que toutes les mythologies ont conservé la désigne : HEVA.
    Chez les peuples qui changent le V en B, on a HEBE. Les langues primitives changent facilement les voyelles. On ne les écrivait même pas et l’usage, si instable, déterminait la prononciation que, seule, la tradition fixait.
    Chez les Hindous, en ajoutant à EVA l’article démonstratif D, on fait D-EVA, ou D-EVI. L’H que l’on met devant EVA est aussi, en hébreu, un article HA (la).
    Plus tard, on ajoutera devant ce nom un I, lettre idéographique symbolisant le sexe masculin, qui donnera au nom un caractère hermaphrodite. On écrira alors IHEVA ou IHAVE, et DEVA deviendra DIAVE.
    La divinité n’est, d’abord, qu’un apanage féminin ; peu à peu elle devient mixte et l’on crée des couples divins.
    C’est dans la troisième phase religieuse, seulement, que le « Dieu », séparé du couple, va régner seul.
    Il est utile d’étudier l’évolution du nom divin, qui joue un si grand rôle dans l’histoire des Hébreux.
    Fabre d’Olivet, dans sa Langue hébraïque restituée, nous explique aussi l’origine du nom de la Divinité des Hébreux et montre que dans HVH l’aspiration finale tombée avec le temps est celle qu’on appelle quiescente. Puis, après avoir donné des indications très claires sur le sexe de la Divinité primitive, il se reprend et dit (p. 26) : « Je ne veux pas dépasser les bornes que la prudence commande. J’aurai soin seulement de donner au lecteur intelligent toutes les facilités qu’il pourra désirer. »
    Ce nom divin a toujours été considéré comme renfermant « un mystère ». Il s’écrivait seulement avec les consonnes HVH, puisque la primitive langue hébraïque n’avait pas de voyelles. C’est l’usage qui, d’abord, indiquait la manière de prononcer les consonnes ; ce qui rendait impossible la transmission écrite de la prononciation des mots. La tradition orale seule conservait cette prononciation.
    Or, en changeant la prononciation des voyelles, on peut rendre un mot méconnaissable. C’est ce qui arriva pour le nom qui nous occupe. Il fut prononcé d’abord HeVaH ; c’était le nom générique de la Femme, d’où dériva le nom Eva des modernes. En changeant les voyelles de place, c’est-à-dire en écrivant le nom à l’envers, on en fit HaVeH (1), et par conséquent AVE ou EVA, c’est le même nom lu de droite à gauche comme lisent les Hébreux ou de gauche à droite suivant L’usage des Européens.
    (Rappelons que le nom l’auteure réelle de la Genèse biblique a subi un sort équivalent, car il est caché derrière celui d’Hiram : « Hiram » doit se lire également de droite à gauche comme lisent les Hébreux : Hiram alors devient Maria ou plutôt Myriam. Le heth, H, final en hébreu se prononce A. Myriam est celle que les Egyptiens ont surnommée Hathor, Ha-Thora, la loi)
    Puis, en ajoutant le yod devant HaVeH, il devint IHaVeH, qui servit à faire le Jehovah des modernes.
    Les Francs-Maçons, qui gardent dans leur symbolisme les traditions de l’Israélisme, ont le mot IVAH parmi les quatre mots sacrés du grade de Maître secret. (Ils le donnent comme une contraction de Jehovah.)
    Ce nom, ainsi écrit, nous fait supposer que, primitivement, Hevah se prononçait Ivah.
    Il est impossible de comprendre l’histoire de la Bible si l’on ne connaît bien l’évolution du nom divin. C’est pourquoi nous nous sommes étendus sur ces étymologies.
    Nous devons aussi rappeler que le mot Dieu, d’abord écrit Diev (jusqu’au Moyen Age l’u finale était un v), vient du mot sanscrit Devâ ou Devi, qui signifiait la « Femme lumière », la « Femme Esprit » ; ce mot Dieu n’apparaît pas dans la Bible primitive où Hevah le remplace d’abord, puis arrive à être caché, supprimé ; enfin on lui substitue le mot « Eternel » quand les traducteurs qui ont voulu masculiniser l’antiquité eurent supprimé tout ce qui est féminin.
    Lien : https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.com/2017/07/histoire-des-israelites.html

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