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Les pendants de Metsu

2 janvier 2020

 

Les rares pendants de Mestu sont très discutés : si le Catalogue raisonné de 1908 en compte neuf dont huit conservés, celui de 2007 n’en retient plus que deux comme totalement confirmés [1]. Il faut dire que les marchands ou collectionneurs du XVIIIème siècle avait tendance à formes des paires pourvu que les tailles correspondent, et la standardisation des formats utilisés par Metsu a facilité les faux-pendants.

Je présente ici les neuf pendants du catalogue de 1908, par ordre chronologique, avec les réserves du catalogue de 2007, le but étant de situer dans cette maigre production le pendant le plus complexe de la peinture hollandaise : le diptyque de Dublin.


 

Un chirurgien militaire (30b)  Un médecin de cour (30c)

Signé et daté :Metsu, 1645, oeuvres perdues

Voici les indications du catalogue de la vente, en 1897 :

  • Assisté par une femme, le chirurgien pose un plâtre sur la tête d’un soldat.
  • Une femme est assise dans un fauteuil au premier plan. Le médecin prend son pouls et parle à une homme debout derrière le fauteuil.

La date précoce, selon le catalogue raisonné de John Martin, rend ce pendant improbable, mais pas impossible.


Teniers le Jeune, 1650 ca Operation Chirurgicale, Prado, Madrid (detail)Opération Chirurgicale,Teniers le Jeune, vers 1650, Prado, Madrid (détail) Jan_Steen 1660 Love_Sickness_-_WGA21717Maladie d’amour, Jan Steen, vers 1660, Alte Pinakothek, Munich

Le pendant devait jouer sur les symétries entre les deux trios :

  • chirurgien / médecin
  • soldat assis / patiente assise
  • assistante debout / fiancé debout.

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Metsu 1655-57 La Riboteuse ou Buveuse de vin LouvreLa Riboteuse ou Buveuse de vin Metsu 1655-57 La peleuse de pommes LouvreLa peleuse de pommes

Metsu, 1655-57, Louvre

Ce tout premier pendant conservé de Metsu, dix ans plus tard, est en tout cas bien plus simple. Il fait apparemment dialoguer, de part et d’autre de l’âtre :

  • une maîtresse vicieuse s’adonnant au vin et au tabac ;
  • une servante vertueuse s’occupant de l’eau (seau), de la viande (lièvre) et du dessert (les pommes).

Pour Adriaan E. Waiboer ([2], p 9), ce pendant est à rapprocher d’un pendant de Ter Borch de la même époque :

Gerard_ter_Borch 1650 ca Jeune_Hollandaise_versant_à_boire Brooklin MuseumBrooklin Museum Gerard_ter_Borch 1650 ca Jeune_Hollandaise_versant_à_boire Musee Fabre MontpellierMusée Fabre Montpellier

Jeune Hollandaise versant à boire, Ter Borch, vers 1650

Ter Borch reprend ici, sous le voile de la bienséance flamande, le thème caravagesque des plaisirs et des dangers du cabaret, en le décomposant en deux trios :

  • un homme mûr bourre sa pipe en observant une jeune fille attrayante qui lui verse du vin, tandis qu’une femme plus âgée tient entre eux le plateau vide qu’elle vient d’amener : répartition classique des rôles entre la tenancière et l’entraîneuse dont l’homme n’est pas dupe (il tient sur son genou une seconde pipe destinée à la fille, et les connotations de la pipe bourrée ou de la pipe donnée sont assez transparentes).
  • un soldat achevé par la boisson s’est affalé sur la table, n’ayant même plus la force de se servir de sa pipe ; la fille regarde le résultat en souriant, tandis que le souteneur se prépare à faire les poches du jeune homme.

 

Metsu 1655-57 La Riboteuse ou Buveuse de vin LouvreLa Riboteuse ou Buveuse de vin Metsu 1655-57 La peleuse de pommes LouvreLa peleuse de pommes

 

A cette lumière, le pendant de Metsu prend une tonalité plus trouble : et s’il fallait deviner entre les deux femmes un homme, révélé d’un côté par la pipe et dénoncé de l’autre comme un « lapin », auquel l’une donne à boire et que l’autre fait saliver ?


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Metsu-Diptyque_1658_Homme ecrivantJeune Homme écrivant une lettre, Musée Fabre, Montpellier, Metsu-Diptyque_1658_Femme lisantUne Fille recevant une lettre, Timken Museum of Art de San Diego

Metsu, 1658-1660,

 On a supposé que l’homme est Gabriel Metsu lui-même, la femme sa future épouse Isabelle, et que l’oeuvre ait été conçue à l’occasion de leur mariage, en avril 1658.


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Metsu 1658 ca Self_Portrait Speed_Art_MuseumGabriel Metsu Metsu 1658 ca portrait_of_his_wife_Isabella_de_Wolff Speed_Art_MuseumSon épouse Isabella de Wolff

Metsu, vers 1658, Speed Art Museum

Ce double portrait n’indique pourtant pas la moindre ressemblance. Le thème du « diptyque épistolaire«  est simplement dans l’air du temps, comme l’illustre cet autre pendant de Ter Borch :

Ter Borch Diptyque_Officier ecrivant une lettreOfficier écrivant une lettre, avec un trompette
Philadelphia Museum of Art
Ter Borch Diptyque_Femme scellant une lettreFemme scellant une lettre
Collection privée, New York

 Ter Borch, 1658-1659

Pour une explication détaillé de ces deux pendants, voir 1.1 Diptyques épistolaires : les précurseurs .


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Metsu Femme à sa fenetre METFemme à sa fenêtre, MET Metsu 1661 Le chasseur MaurithuisLe chasseur, Maurithuis, La Haye

Metsu, 1661

Si l’on considère les tableaux isolément, comme dans les notices de deux musées [6], on aboutit à des significations opposées :

  • la femme pelant une orange, devant la cheminée et sous la cage à oiseaux, à côté de la vigne qui symbolise la fidélité, serait l’archétype de la vertueuse femme au foyer ;
  • l’homme avec avec son pichet, son fusil bien en évidence et l’oiseau mort, serait l’archétype du viveur et du coureur  : en néerlandais, « chasser » signifie draguer et « vogelen » copuler (de vogel, l’oiseau)


Un faux pendant ?

Du coup, le fait qu’il s’agisse de pendants a été contesté : les deux figures n’ont pas la même taille, les arcades ne sont pas identiques. L’impression de complémentarité résulterait de la standardisation des formats, et des contraintes de la formule du portrait dans une niche.


La logique du pendant (SCOOP !)

Metsu 1661 schema
Pourtant les symétries sont clairement intentionnelles :

  • le point de fuite est à la même position ;
  • l’ouverture dans le mur du fond est symétrique (fenêtre close, porte donnant sur la campagne) ;
  • le livre de la sagesse, fermé, correspond au pichet de l’ivresse (en violet) ;
  • le fruit bientôt mangé correspond au verre bientôt bu (en bleu) ;
  • chaque sexe dispose de son propre instrument et de sa propre cible : le couteau pour peler les fruits, le fusil pour tirer les oiseaux (en jaune) ;
  • un papillon identique, un vulcain, sert de messager entre les deux voisins (en rouge).

Même les différences (cercles blancs) sont significatives :

  • la vigne existe des deux côtés, mais seule celle du côté féminin est enracinée et porte une grappe ;
  • la cheminée éteinte et la cage vide signifient non pas la douceur du foyer, mais l’attente de l’amour.

Ainsi, tout en inversant l’ordre héraldique pour bien souligner qu’il ne s’agit pas d’un couple légitime, le pendant ne fait que mettre en scène aimablement la classique opposition des sexes :

  • la femme qui, depuis Eve, cherche un fruit à peler, un oiseau à encager, une bûche à brûler ;
  • l’homme qui se contenterait bien de tirer et de boire un coup.

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Metsu 1662 Vieil homme vendant de la volaille Gemaldegalerie Alte Meister DresdeVieil homme vendant de la volaille Metsu 1662 Jeune femme vendant de la volaille Gemaldegalerie Alte Meister DresdeJeune femme vendant de la volaille

Metsu, 1662, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde

Vieil homme vendant de la volaille

Metsu 1662 Vieil homme vendant de la volaille Gemaldegalerie Alte Meister Dresde

Ce tableau a été très étudié : De Jongh [4] en a décrypté le symbolisme sexuel (pour résumer : le vieux a sorti son coq de la cage, pour le montrer à la jeune femme), mais les commentateurs récents tendent à minorer cette signification : la thèse est désormais que le succès de Metsu auprès de la clientèle élégante tient au fait qu’il savait sublimer la trivialité du sujet pour mettre en valeur les vertus des classes supérieures.


Jeune femme vendant de la volaille

Metsu 1662 Jeune femme vendant de la volaille Gemaldegalerie Alte Meister Dresde

Le second tableau n’a pas déclenché autant de commentaires, bien qu’on y trouve les mêmes objets équivoques :

  • le lièvre (synonyme d’activité sexuelle frénétique), suspendu à l’arbre au lieu d’être accroché au bâton) ;
  • le coq (symbole de virilité), mort sur la table et non plus bon pied bon oeil ;
  • la volaille plumée (symbole de flaccidité, exhibée par les pattes et non plus tombant hors du panier) ;
  • le chien (qui regarde la vieille femme au lieu de reluquer le coq) ;
  • le vieux marchand (perché sur un tonneau, fumant et buvant) au lieu d’être assis par terre sur un tonneau scié.

Le panonceau près de la porte « 1662 wilge Verkoping, HOFSTEDE MAERSEN » signifie simplement « A vendre, pas cher », HOFSTEDE étant le nom du marchand et MAERSEN (Maarssen aujourd’hui) celui d’un village près d’Utrecht.


La logique du pendant (SCOOP !)

Personne à ma connaissance n’a proposé d’interprétation d’ensemble, bien que les nombreuses correspondances témoignent à l’évidence d’une conception élaborée : il est vrai que le déséquilibre entre les personnages principaux, un couple et un trio, n’aide pas.

Commençons par le vieux marchand, assis au pied d’un arbre mort (la vieillesse). Son genou nu révèle dans un cas la pauvreté (haillons déchirés), dans l’autre l’opulence et la négligence (habits de prix, ruban non noué). L’un est un marchand ambulant qui s’installe au coin d’une église, l’autre un marchand qui a pignon sur rue et, pour s’occuper de la clientèle, une fille ou une servante agréable à regarder.

Autant les deux marchands se ressemblent, autant les deux clientes s‘opposent :

  • d’un côté une jeune femme riche (elle n’est pas sortie pour faire les course – c’est le travail des domestiques – mais pour se promener avec son chien le long du canal, ou pour aller à l’église) ;
  • de l’autre une vieille femme en train de marchander la volaille en ricanant.

Remarquons que le passage du duo au trio s’accompagne d’un élargissement du cadrage (comme dans un travelling arrière). Puisque le marchand et son arbre constituent l’ élément fixe, la question est de savoir qui s’est rajouté à la scène : la vieille cliente ou la jeune marchande ? Pour mieux comprendre les transformations entre les deux scènes, il est plus simple de retourner l’un des deux tableaux.


Metsu 1662 schema

Les transformations qui touchent le marchand portent l’idée d‘ascension, mais aussi de satiété (en blanc) :

  • la volaille et le lièvre se sont élevés, passant du sol à l’arbre ;
  • le tonneau s’est rempli et les habits renouvelés, signes de réussite sociale ;
  • la pauvreté est devenu jouissance, de la boisson et du tabac.

Les transformations touchant la jeune fille portent l’idée d’accomplissement sexuel :

  • elle est passée « de l’autre côté du comptoir » (flèche bleue), manipulant et exécutant sans vergogne les volailles au lieu de les regarder de loin : c’est ainsi que le coq gît sur la table, le cou cassé, et que la dinde s’est transformée en une perdrix pendue dans l’arbre (cercles bleus) ;
  • dans le même ordre d’idée, la cage à oiseau s’est ouverte, libérant le pigeon (en vert) ;

Mais une seconde transformation, tout aussi visible, est celle qui l’a fait vieillir (flèche rouge) :

  • ses habits colorés sont devenus noirs ;
  • son délicat sac à main rouge s’est durci en un gros seau de bois cerclé de fer ;
  • les papillons sur la plante verte, qui disent la beauté éphémère, sont devenus des plumes tombées sur le sol à côté d’une maigre plante.

D’un côté le chien de la jeune fille salive à la vue du coq ; de l’autre il se tient entre la cliente et la marchande – montrant par là qu’elles sont bien deux figures de la même personne, et il se dresse contre la vieillesse qui vient et tend sa main avide (flèches jaunes).

Ainsi décodés, les personnages du pendant véhiculent une triple moralité pessimiste :

  • pour l’homme : après le désir (d’argent), les vices : paresse, vin et tabac  ;
  • pour la femme : après le désir (sexuel), la multiplication des conquêtes (les volatiles tués) puis la décrépitude et la simple satisfaction de l’estomac ;
  • pour le chien ; après le désir (de chasser), la peur d’être chassé.

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Metsu_Dublin_Homme_ecrivant Metsu_Dublin_femme_lisant


Gabriel Metsu, 1662-65, National Gallery of Ireland, Dublin

On voit tout de suite que ce pendant n’est pas ordinaire :

  • un homme d’un côté, deux femmes de l’autre ;
  • avec l’accrochage dans l’ordre logique (écrire la lettre, puis la recevoir), la narration ne fonctionne pas bien :
    • le scripteur tourne le dos à la destinataire ;
    • pourquoi y-a-t-il deux lettres dans le second tableau dont l’une adressée au peintre lui-même ?

Les deux tableaux, sommet du diptyque épistolaire, comportent un très grand nombre de détails qui invitent à reconstituer une histoire – ou plusieurs. On les compare souvent à La Lettre d’amour de Vermeer, avec en général l’idée qu’il manque quelque chose à Metsu. Ainsi, pour Jan Blanc [5] :

« Les deux tableaux de Metsu ne sont pas, loin de là, dénués de « mystère ». On pourrait tout aussi bien les interpréter comme des illustrations de l’amour conjugal que comme des métaphores de l’infidélité maritale. De même, l’œuvre de Vermeer n’est pas totalement exempte d’efforts de narration. La Lettre d’amour, en d’autres termes, n’est pas « sans histoire» et la Jeune femme lisant une lettre sans équivocité…. La polysémie des signes visibles dans les tableaux de Metsu n’avait sans doute pas échappé à l’historien d’art (D.Arasse). Mais elle n’était pas, selon lui, de la même nature que celle des œuvres de Vermeer. Dans le premier cas, cette polysémie est d’abord une ambiguïté. Rien ne permet de dire, en effet, qu’elle était voulue et conçue par Metsu. Bien au contraire: la construction en pendants du Jeune homme écrivant une lettre et de la Jeune femme lisant une lettre et l’omniprésence des motifs signifiants tendent à montrer que l’artiste néerlandais voulait effectivement fabriquer visuellement un « message». L’équivocité de ses œuvres semble donc le fruit de la maladresse d’un peintre qui n’est pas parvenu à « bloquer» complètement le contenu iconographique de ses tableaux ou à empêcher sa surinterprétation éventuelle par les spectateurs. A l’inverse, le « mystère» de la Lettre d’amour se présente comme le fruit d’une construction consciente et préméditée qui, s’écartant délibérément des codes du genre dans lequel l’œuvre s’inscrit, cherche et réussit à mettre en scène une véritable polysémie. »

Je pense quant à moi que ces tableaux sont parfaitement maîtrisés, et que le trio exprime une réflexion profonde sur ce qu’est le Message est sur ce qu’est l’Amour (voir 1.2 Le Diptyque de Dublin : la Lecture ).

hop]

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Metsu 1664-66 Femme dejeunant coll privFemme déjeunant, collection privée Metsu 1664-66 Femme au Virginal Petit PalaisFemme au Virginal

Metsu, 1664-66, Petit Palais, Paris

Dans ce dernier pendant, Metsu revient à l’opposition entre office et salon :

  • la servante se contente du plaisir simple d’une tranche de gâteau et d’une pomme ;
  • la maîtresse s’adonne aux délices plus raffinés de la musique et de la rêverie sous les tableaux.



Faux pendant

Metsu 1660 Le corset rouge coll privLe corset rouge, vers 1660, collection privée (28.6 X 24.1 cm) Metsu, Gabriel, 1629-1667; The Duet ('Le corset bleu')Le corset bleu (the duet), 1661-64, Upton House, Warwickshire (39,4 x 29,2 cm)

 

Le premier tableau montre une jeune femme qui s’essayait, dans l’atelier du peintre, à croquer la statue de Cupidon. Elle vient de poser son crayon à l’arrivée du chien et, à la manière dont elle regarde en souriant, on comprend que quelqu’un qu’elle aime vient aussi d’entrer dans la pièce ; le peintre, ou l’homme du tableau ?

Dans le second tableau, une jeune chanteuse, un pied sur sa chaufferette, s’apprête à tourner la page de sa partition, attendant que le luthiste ait fini de s’accorder. Son petit chien de luxe, au collier de perles, attend quant à lui le geste suspendu de se maîtresse, dans un triangle de regards qui n’est pas sans rappeler la « Jeune femme recevant une lettre », et sa hiérarchie (animal, féminin, masculin).

Le chien identique et l’opposition entre corset rouge et corset bleu ont suffi, au XIXème siècle, à faire considérer ces deux tableaux comme des pendants, malgré les différences de taille, de composition et de thématique.



Références :
[1] Cornelis Hofstede de Groot, with the assistance of Wilhelm Reinhold Valentiner, « A Catalogue Raisonné of the Works of the Most Eminent Dutch Painters of the Seventeenth century » Based on the work of John Smith », 1908
https://archive.org/stream/catalogueraisonn01hofsuoft#page/478/mode/2up
https://commons.wikimedia.org/wiki/Gabriel_Metsu_catalog_raisonn%C3%A9,_1908
Adriaan Waiboer « Gabriel Metsu: Life and Work: A Catalogue Raisonne », 2007
[2] « Gabriel Metsu », 2010, National Gallery of Ireland
[4] E. De Jongh, « Erotica in vogelperspectief: De dubbelzinnigheid van een reeks 17de-eeuwse genrevoorstellingen », https://www.dbnl.org/tekst/jong076erot01_01/jong076erot01_01_0001.php
[5] Jan Blanc, « Daniel Arasse et la peinture hollandaise du xviie siècle », Images-revues, 2006  https://journals.openedition.org/imagesrevues/181

Les pendants caravagesques de l'Ecole d'Utrecht

2 janvier 2020

Dès leur retour de Rome (Van Honthorst à l’été 1620, Van Baburen probablement vers la même date) les peintres d’Utrecht importent des figures caravagesques dans une nouveauté très décorative adaptée aux intérieurs hollandais : il s’agit de parodier, sous une forme festive, la formule compassée du pendant conjugal, en l’étendant à toutes sortes de couples. Durant une vingtaine d’années, les peintres de l’Ecole d’Utrecht vont se faire une rude concurrence en multipliant buveurs, musiciens et bergers des deux sexes et de tous âges.

Dans cette production très importante, les spécialistes ont reconstitué un certain nombre de pendants, certains restant conjecturaux : je les ai présentés par type et par ordre chronologique approximatif, sachant qu’il sont rarement signés et datés.

Homme-homme

Dirck van Baburen,1620. Joueur de guimbarde, Centraal Museum UtrechtJoueur de guimbarde, Centraal Museum Utrecht Dirck van Baburen,1620. Joueur de flute, Berlin, GemaldegalerieJoueur de flûte, Gemäldegalerie, Berlin

Dirck van Baburen,1620

Ce pendant très décoratif au cadrage serré, en légère contre-plongée, joue sur le contraste entre le mouvement de recul de l’un des musiciens et le mouvement d’avancée de l’autre. D’autres différences sont plus subtiles :

  • l’instrument populaire est joué par un très jeune homme, à l’épaulé nue, éclairé par une lampe à hile cachée en bas à droite derrière la maigre partition vue en transparence ;
  • l’instrument savant est joué par un musicien à l’habit élégant, éclairé par une forte lumière venant du haut à gauche, qui tombe sur une partition nettement plus complexe.

Ces différenciations vont être reprises et développées par les autres peintres de l’école d’Utrecht.


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Terbrugghen 1621 Le joueur de flute traversiere Staatliche Museen, KasselLe joueur de fifre Terbrugghen 1621 Le joueur de flute a bec Staatliche Museen, KasselLe joueur de flûte à bec

Terbrugghen, 1621, Staatliche Museen, Kassel

Terbrugghen suit l’année d’après avec ce duo qui oppose :

  • deux types de flûte ;
  • un droitier et un gaucher ;
  • deux conditions sociales : militaire et pastorale ;
  • deux types de vêtements : couvrant et découvrant ;
  • deux fonds : mur troué (cohérent avec le côté militaire du fifre) et mur uni ;
  • deux palettes de couleurs – froides et chaudes.

Contraste renforcé par l’éclairage commun aux deux figures, depuis le haut à gauche, qui plonge dans l’ombre la figure du soldat.


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Honthorst (attrr a Mattias Stom 1622) Ermitage(attr. à Mattias Stom) Ermitage, Saint Petersbourg Honthorst 1622 ca Coll privCollection privée

Garçon soufflant sur une braise, Honthorst, 1622

Honthoort a ramené d’Italie ce thème très spectaculaire, et en a fait ces deux versions, variantes ou plus probablement pendants [1] : d’un tableau à l’autre, la position du plumet s’inverse (vers l’arrière et vers l’avant), la braise et la torche changent de main, et l’expression du jeune garçon passe de la concentration à la surprise, comme s’il prenait conscience de la présence du spectateur.



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Terbrugghen 1623 garcon allumant sa pipe a une chandelle Dobo Istvan Vármuzeum - Egri Keptar,Garçon allumant sa pipe à une chandelle, Dobó István Vármúzeum – Egri Képtár, Eger,Hongrie Terbrugghen 1623 Boy with a Wineglass North Carolina Museum of Arts RaleighGarçon avec un verre de vin devant une chandelle, North Carolina Museum of Arts Raleigh

Terbrugghen, 1623

Terbrugghen,répond par ce pendant, qui reprend, en la minorant, l’opposition des deux flûtistes. Ici l’objet commun est la bougie : le jeune militaire l’a sortie du bougeoir pour allumer sa pipe au premier plan, le jeune civil l’a laissée à l’arrière-plan, cachée derrière le verre de vin qu’il nous montre.



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Honthosrt 1623 Singing Elder with a Flute Staatliches Museum, Schwerin 107.5 x 85.5 cmChanteur âgé avec un cornet, Staatliches Museum, Schwerin (107.5 x 85.5 cm) Honthosrt 1623 Merry violonist with a glass Rikjsmuseum 107 X 88Joyeux violoniste avec un verre, Rikjsmuseum (107 X 88 cm) [1b]

Honthorst, 1623

Le lien entre deux personnages n’étant pas évident, on a proposé (Judson) qu’ils faisaient partie d’une décoration accrochée en hauteur sur le thème des Cinq sens : le chanteur représentant l’Ouïe (ou la Vue) et le Violoniste le Goût.

Cependant, les deux toiles se suffisent à elles-même : on retrouve, en contre-plongée, l’opposition introduite par Baburen entre un personnage qui se recule et l’autre qui s’avance, ici accentuée par le faux cadre de pierre et compliquée par les objets saillants : flûte et livre de partitions d’un côté, verre et violon de l’autre.

Le sujet pourrait être simplement bachique (La Musique et la Boisson), agrémenté d’une plaisante aporie :

le flûtiste est trop myope pour lire la partition, le violoniste trop ivre pour jouer.



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Ter Brugghen 1624 BAGPIPE PLAYER IN PROFILE coll privJoueur de cornemuse Ter Brugghen 1624 Pointing Lute Player coll privJoueur de luth pointant du doigt

Terbrugghen, 1624, collection privée

Ce pendant récemment retrouvé [3] montre, comme dans les Flûtistes de 1621,  l’opposition entre l’instrument campagnard, joué par un rustre à l’épaule dénudée, et l’instrument de l’élite, joué par un gentilhomme en habit, qui fait à l’encontre de l’autre le geste de la moquerie. Il faut dire que la côté phallique de la cornemuse n’échappait alors à personne, tandis que que le luth renvoyait à une forme d’amour plus courtoise.



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terbrugghen 1626 ca Joueur de luth coll priv et chateau musee de Boulogne sur merJoueur de luth,collection privée (copie)
terbrugghen 1626 ca Violoniste trinquant chateau musee de Boulogne sur merVioloniste trinquant

Terbrugghen, vers 1626, Château-musee de Boulogne sur Mer

Ici les deux musiciens sont frères : mêmes pilosité, même béret à plume dont seule la médaille diffère, même pourpoint rayé.



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Hals 1625-28 Drinking Boy (Taste) Boy with a glass and a pewter jug Staatliches Museum SchwerinGarçon tenant un verre et un pichet (Le goût ?) Hals 1625-28_Boy_holding_a_Flute_(Hearing)_-_WGA11090 Staatliches Museum SchwerinGarçon tenant une flûte (L’Ouie ?)

Hals, 1625-28, Staatliches Museum, Schwerin

Un peu plus tard (quand la mode des demi-figures est arrivée d’Utrecht à Haarlem), Hals reprend en pendant le thème bachique du Vin et de la Musique.



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terbrugghen (suiveur) 1633 Flutiste1 Staatliches Museum SchwerinFlûtiste terbrugghen (suiveur) 1633 Flutiste2 Staatliches Museum SchwerinVioloniste trinquant

Terbrugghen (suiveur), 1633,  Staatliches Museum Schwerin.

Thème encore décliné, cette fois avec des vieillards, par ce suiveur de Terbrugghen.


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Deux philosophes, deux humeurs

Le thème des deux philosophes Héraclite et Démocrite remonte à une anecdote racontée par Marsile Ficin dans une lettre, selon laquelle on aurait vu au gymnase les deux philosophes autour d’un globe, l’un en larmes et l’autre riant.

Illustré d’abord en Italie, le thème rencontre un vif succès dans les Pays Bas du XVIIème siècle : l’opposition entre le philosophe qui pleure et le philosophe qui rit fournissait l’occasion d’une étude d’expression spectaculaire, tout en servant une moralité bien dans l’esprit du temps : pleurer ou rire est aussi vain face à l’inanité du monde.

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hendrick_ter_brugghen_democritus_heraclitus 1618-19, Koelliker Collection Milan

Démocrite et  Héraclite
Hendrick ter Brugghen,1618-19, Koelliker Collection, Milan

Terbrugghen a importé le thème  en le traitant en un seul tableau selon la formule italienne : ici les deux philosophes se partagent une boule transparente qui contient l’Humanité toute entière


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Van Baburen 1622 Heraclitus coll part 71.1 x 57.2 cmHéraclite pleurant sur un globe, collection particulière (71.1 x 57.2 cm) Van Baburen 1622 Democrite loc inconnue 72 x 59 cmDémocrite riant sur un globe, localisation inconnue (72 x 59 cm)

 Van Baburen, 1622

C’est Van Baburen qui semble-t-il a eu l’idée d’en faire un pendant à la mode d’Utrecht, sans différencier clairement les deux globes. Les deux philosophes sont encore représentés en vieillards, mais Démocrite arbore une moustache et un chapeau de jeune homme face à la barbe et au crâne chauve de son collègue.


Hendrick ter Brugghen Heraclite pleurant - 1628, RijkmuseumHéraclite pleurant Hendrick ter Brugghen Democrite riant - 1628, RijkmuseumDémocrite riant

Hendrick ter Brugghen,1628, Rijkmuseum

Terbrugghen renouvelle le thème en opposant non seulement les deux tempéraments, mais aussi les deux âges (vieillesse et jeunesse), et les deux globes (terrestre et céleste) :

Héraclite se lamente sur les malheurs de l’Homme tandis que Démocrite défie par son rire le cosmos.


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Johann Moreelse 1630 Democritus-laughing Centraal Museum in UtrechtDémocrite riant sur le globe céleste Johann Moreelse 1630 Heraclitus Centraal Museum in UtrechtHéraclite pleurant sur le globe terrestre

Johann Morseelse, vers 1630, Utrecht Central Museum

Morseelse reprend l’idée en se contenant d‘inverser la position des philosophes


Johann Moreelse Democritus-laughing (c. 1630) Art Institute of ChicagoDémocrite riant sur le globe terrestre Johann Moreelse Heraclitus-Weeping (c. 1630) Art Institute of ChicagoHéraclite pleurant sur le globe céleste

Johann Morseelse, vers 1630, Art Institute of Chicago

… puis il inverse les globes, quitte à brouiller le message.


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Johann Moreelse 1630 Heraclite Sheffield MuseumsHéraclite pleurant sur le globe céleste,Sheffield Museums Johann Moreelse 1630 Democritus MauritshuisDémocrite riant sur le globe terrestre, Mauritshuis

Johann Moreelse 1630

… enfin il remet les philosophes à leur position traditionnelle et ne différencie plus les globes [5].


van Bijlert 1640 ca Heraclitus and Democritus Centraal_Museum Utrecht

Héraclite et Démocrite
Van Bijlert, vers 1640, Centraal Museum, Utrecht

Van Bijlert s’empare du thème en dernier, oubliant l’opposition pleurer/rire, faisant table rase du globe et dispensant une moralité bachique :

mieux vaut boire que pleurer, mieux vaut être chevelu que chauve.


Femme-femme

Honthorst 1624 Femme accordant son luth LouvreFemme accordant son luth Honthorst 1624 La joueuse de guitare LouvreLa joueuse de guitare

Honthorst, 1624, Louvre

Les deux tableaux proviennent de la galerie du Stadhouder à Noordeinde (inventaire de 1632), mais ne sont identifiés formellement comme pendants que dans un inventaire de 1793. Dans son catalogue raisonné, Judson les considère comme des pendants non confirmés [6], tout en notant la cohérence entre les deux, puisque la guitariste semble attendre que la luthiste ait fini de s’accorder.

Ajoutons en faveur du pendant :

  • le contraste des chevelures (brune et blonde) ;
  • la complémentarité des couleurs (bleu et jaune) ;
  • l’inversion du déshabillé (l’une montre sa poitrine et cache ses épaules, l’autre fait l’inverse )
  • la tension raffinée entre la symétrie des visages et le parallélisme des mains (les deux musiciennes étant droitières).


Homme-femme

Van Honthorst 1631 Femme avec un masque accordant une guitare Galerie nationale de peinture LvovFemme avec un masque accordant une guitare Van Honthorst 1631 Homme jouant de la viole de gambe Galerie nationale de peinture LvovHomme jouant de la viole de gambe

Van Honthorst, 1621-23 (daté 1631), Galerie nationale de peinture, Lvov

Malgré la date inscrite sur l’un des tableaux, J.R.Judson fait remonter le pendant à une dizaine d’années plus tôt.

Le musicien avait déjà positionné ses doigts mais attend pour attaquer avec l’archet que la guitariste ait fini d’accorder (elle en est à la dernière note, la plus aiguë) : à ce moment, le masque se détache, déclenchant une double expression d’agréable surprise :

l’accord des cordes prélude à l’accord des coeurs.


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Van honthorst Fmme attendant sa monnaie Chateau de Weissenstein Pommersfelden 83 x 66 cmFemme attendant sa monnaie Van honthorst Violoniste tenant son violon sous le bras Chateau de Weissenstein Pommersfelden 83 x 66 cmJoyeux violoniste tenant son violon sous le bras

Van Honthorst, vers 1623, Château de Weissenstein, Pommersfelden (83 x 66 cm)

Vu son large sourire et son geste explicite, le violoniste n’a aucune intention de rendre à la dame sa monnaie .


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Honthorst 1624 Le joyeux convive ErmitageLe joyeux convive Honthorst 1624 La joueuse de Luth ErmitageLa joueuse de Luth

Van Honthorst, 1624, Ermitage, Saint Petersbourg

Les joues roses des deux musiciens montrent que la boisson a pris le pas sur la musique : le verre qui arrive n’est certainement pas le premier, à en juger par la manière désinvolte dont ils tiennent leurs instruments : l’homme a coincé violon et archet sous le bras et la femme, vêtue en prostituée, imite le geste d’accorder mais sans toucher aux clés.

La gravure de Matham tirée du pendant porte un poème de Scriverius, qui insiste sur la futilité des amours avinées :

Pamphile, frappé par la fleur des fous, le Lyaeus (le vin de Bacchus)
est amoureux, et à quoi bon ? et Phillis aime aussi de la même manière.

Pamphilus insani percussus flore Lya’t
Sic amat, et quorsum ? sic quoque Phillis amat


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Van Honthorst Femme au luth Museum_der_bildenden Kuenste LeipzigFemme au luth Van Honthorst Violoniste a la bougie Museum_der_bildenden Kuenste LeipzigVioloniste à la bougie

Atelier de Van Honthorst, 1621-24, Museum der bildenden Künste, Leipzig

C’est en revanche sans aucune once de critique qu’une même bougie éclaire le charmant couple , où la jeune femme accorde vraiment son luth et où le jeune homme joue vraiment.*


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Terbrugghen 1626_A_Girl_Holding_a_Glass Taste Stockholm National museumJeune femme tenant un verre et un pichet (Le goût ?) Terbrugghen 1626 Boy_playing_the_Lute_Stockholm National museumJeune homme jouant du luth (L’Ouïe ?)

Terbrugghen, 1626, National Museum, Stockholm

Le verre étant rempli d’eau, nous ne sommes pas dans le contexte d’une série des Cinq Sens. Ni dans celui, que nous avons déjà rencontré plusieurs fois, des joies de la boisson et de la musique.


Terbrugghen 1625 ca A Luteplayer Carousing With A Young Woman Holding A Roemer coll priv
Luthiste caressant une jeune femme qui tient un verre de vin
Terbrugghen, vers 1625, collection privée

L’homme mûr, barbu et sûr de lui qui lutine le même modèle féminin apportant cette fois un verre de vin, contraste avec le côté niais du jeune homme du pendant (on le reconnait lui-aussi dans d’autres tableaux de la même époque).


La logique du pendant (SCOOP !)

Tous les couples que nous avons vu jusqu’ici se regardaient l’un l’autre, ou du moins étaient tournés l’un vers l’autre.

Le manque d’interaction ne peut signifier qu’une seule chose : la fille n’apprécie pas le nigaud, et s’apprête à lui jeter son verre d’eau à la figure.


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Hals 1626-30 Singing_Girl_coll privJeune fille chantant Hals 1626-30 Boy with a violin coll privJeune garçon jouant du violon

Hals, 1626-30, collection privée

Ce format en losange, très inhabituel, a pour effet de coincer le regard du spectateur dans un mouvement circulaire entre les deux pendants, descendant vers l’avant en suivant le regard de la fille puis remontant vers l’arrière en suivant celui du garçon.


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Van Bijlert 1628 Mars Bound by Amoretti Chrysler Museum NorfolkMars châtié par deux amours, Chrysler Museum, Norfolk (136 x 142 cm) Van Bijlert 1628 Mars Bound by Amoretti Chrysler Museum NorfolkVénus châtiant deux amours, Houston Museum of Arts (128 x 146 cm)

Van Bijlert, 1628

A noter que le véritable pendant est une Vénus appartenant à une collection privée , pratiquement identique (126 x 146,5 cm) sinon que le pilier comporte trois pierres et non deux, La différence de taille entre les deux pendants s’explique par une bande de 9 cm ajouté en haut du Mars.

Les deux amours, bond et brun, qui outragent Mars dans le premier tableau, sont les mêmes que Vénus punit dans le second, à côté du couple modèle formé par les deux pacifiques colombes.

Cette iconographie unique a été étudiée en détail par Sutton [7], qui conclut que :

Le tableau avec « Mars exprime la maîtrise de soi nécessaire pour surmonter la passion, qu’elle soit sexuelle ou guerrière. Ainsi les pendants de Van Bijlert offrent une variation innovante sur l’une des significations traditionnelles de l’histoire de Mars et de Vénus, en substance ce que portera le cri de ralliement des années 60 : « Faites l’amour, pas la guerre. » La punition infligée par Vénus… rajoute un avertissement : faites l’amour, mais chastement ».


gravure de Crispijn van de Passe de Jonge Mars (c) Centraal Museum, UtrechtMars, Centraal Museum, Utrecht. gravure de Crispijn van de Passe de Jonge VenusVénus [7]

Gravures de Crispijn van de Passe de Jonge, d’après Van Bijlert

Sur un thème proche, Biljert a produit cet autre pendant, dont le Mars ne ne nous est connu que par la gravure. En voici les textes :

Mars, toi le père des Enéens <Romains>, qui t’es uni avec la fille de Dione <Vénus>
pourquoi es-tu oublié ton épée d’acier et pris des armes d’une nature contraire ?

Pour que l’humanité ne soit pas détruite dans un massacre permanent,
Vénus nous a donné des armes de guerre bien fournies d’un liquide doux.

Mars paterAeneadumnatae conjuncte Piones <Diones>,
Cur ferri oblitus contraria suscipis arma.

Continua mortale genus ne caede perirei
Arma dedi dulci lineta <tincta> liquore Venus


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Van Bijlert Berger avec sa houlette Chateau de Weissenstein PommersfeldenBerger avec sa houlette Van Bijlert Bergere avec sa houlette Chateau de Weissenstein PommersfeldenBergère avec sa houlette

Van Bijlert, 1625-30, Château de Weissenstein, Pommersfelden

Le costume rustique autorise l’inconvenance de la poitrine dénudée et des doigts explicites. P. H Janssen a bien flairé la nature sexuelle des gestes [8], mais sans en donner l’explication précise .


La logique du pendant (SCOOP !)

On la trouve certainement dans ce pendant du XVIIIème :

Danloux Ah Si je te tenois 1784. gravure de BeljambeAh Si je te tenois Danloux Je t'en ratisse 1784. gravure de BeljambeJe t’en ratisse

Danloux, 1784, gravure de Beljambe

Le geste des index croisés, contrariant le geste de commandement, signifie plus ou moins « va te faire voir ».


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Van Bijlert 1625-30 Bergère a la flute coll privBergère au bâton Van Bijlert 1625-30 Berger a la fluteBerger à la flûte

Van Bijlert, 1625-30, collection privée


La logique du pendant (SCOOP !)

Le thème exprimé ici est exactement l’inverse :

  • l’épaule dénudé des deux exprime leur disponibilité sexuelle ;
  • le bâton domine la flûte ;
  • l‘iris (fleur guerrière à cause de sa forme de glaive) jaune (couleur des prostituées) supplante la rose (amour pur).

Concluons que la fille galante propose ses charmes au jeunot.


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Van Bijlert 1630 ca Joueur de Luth Musee Pouchkine MoscouJoueur de Luth, Musée Pouchkine Moscou  Van Bijlert 1630 ca Paysanne jouant de la Flute Art Gallery of New South WalesPaysanne jouant de la Flûte, Art Gallery of New South Wales

Van Bijlert, 1625-30

P. H Janssen note que l’association entre un luthiste et une flûtiste est unique dans les pendants de l’école d’Utrecht. Plus égrillard que ses collègues, il est probable que Van Bijlert exploite ici une symbolique que les autres ont soigneusement évitée : celle des mains masculines manipulant le luth, instrument bien connu comme symbole du sexe féminin (à cause de son orifice central), et réciproquement pour la flûte.


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Van Bijlert 1635-45 Joueur de cornemuse coll privJoueur de cornemuse, collection privée Van Bijlert 1635-45 Femme au chat Walters art museum baltimore 41.5 x 33 cmFemme au chat, Walters art museum, Baltimore

Van Bijlert, 1635-45

Ce Joueur de cornemuse récemment retrouvé ne figure pas dans le Catalogue raisonné, mais est considéré par Janssens comme un pendant probable de la prostituée agaçant son chat.

Ici les symboles sexuels traditionnels sont restitués à chaque sexe.


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Van Bijlert 1625-30 bearded-man-with-a-string-of-pearls-in-his-hand-Musee des BA BudapestVieil homme offrant un collier de perles, Musée des Beaux Arts, Budapest Van Bijlert 1625-30 Femme avec un voile Musee des BA Budapest.Femme avec un voile, localisation inconnue

Van Bijlert, 1625-30

Van Bijlert décline ici en pendant le thème de l’amour vénal, traité par ailleurs en un seul tableau :

Van Bijlert 1635-45 Vieil homme offrant un collier de perles à une jeune femme Centraal Museum, Utrecht

L’offre repoussée (Vieil homme offrant un collier de perles à une jeune femme)
Van Bijlert, 1635-45, copyright Centraal Museum, Utrecht


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van Bijlert, Jan, 1597-1671; Portrait of aVieil homme avec une bouteille van Bijlert, Jan, 1597-1671; Portrait of a Woman (or man) Holding a GlassVieille femme avec un verre

Van Bijlert, après 1650, Lamport Hall

Dans ce pendant qui n’a plus rien de caravagesque, Van Bijlert vieillissant sympathise avec ses modèles :

avec l’âge, les passions s’affadissent et il ne reste que le vin pour les ranimer.


Jan_Steen 1663 ca Die Kindtaufe Gemaldegalerie Alte Meister Berlin

« Quand les vieux chantent, les jeune sifflent » (Die Kindtaufe)
Jan Steen, vers 1663, Gemäldegalerie Alte Meister, Berlin

En conclusion, ce tableau de Jan Steen a l’intérêt de montrer comment les pendants étaient disposés dans un intérieur de l’époque :

  • en bas deux paysages au format panoramique encadrent un tableau carré ;
  • eu haut deux demi-figures encadrent un tableau de paysage au format panoramique.

Incidemment, c’est aussi un bon exemple des difficultés qui hérissent l’étude des pendants hollandais.


Hals 1633-35 Malle babbe Gemaldegalerie Alte Meister BerlinHals, 1633-35, « Malle babbe », Gemäldegalerie Alte Meister, Berlin Hals 1640-45 Peeckelhaeringh Gemaldegalerie Alte Meister, KasselHals, 1640-45, « Peeckelhaeringh », Gemäldegalerie Alte Meister, Kassel

On a beaucoup discuté sur le fait que les tableaux représentés par Steen soient ces deux demi-figures de Hals (stylistiquement éloignées) ou des variantes, dont rien n’indique qu’elles aient constitué des pendants. Le plus probable est que Steen a voulu faire figurer, dans ce tableau des âges de la vie, deux « contre-modèles d’ancêtres jouisseurs » [9], dans le style de Hals.


Références :
[4] Etrangement, le site du musée mentionne toujours « Ecole espagnole ». Sur cette attribution étonnante et les diverses versions de Morseelse, voir l’article de David Packwood https://artintheblood.typepad.com/art_history_today/2013/11/the-fate-of-a-picture-the-curious-case-of-the-chicago-heraclitus.html
[5] Une copie de ce pendant est conservé par le National Trust à Knole, Kent :
http://www.nationaltrustcollections.org.uk/object/129860
http://www.nationaltrustcollections.org.uk/object/129861
[6] Jay Richard Judson ,« Gerrit van Honthorst, 1592-1656 ». Il réfute l’idée qu’ils aient pu constituer un ensemble avec le Concert, lui aussi conservé au Louvre.
[7] Peter C. Sutton, « A Pair by Van Bijlert », dans The Hoogsteder Mercury, Journal 8 , https://hoogsteder.com/oldmaster/wp-content/uploads/2014/03/The-Hoogsteder-Mercury.pdf
[9] Cornelia Moiso-Diekamp, « Das Pendant in der holländischen Malerei des 17. Jahrhunderts » 1987