4 Une Annonciation influente
Vingt ans après Burne-Jones, James Tissot peint une aquarelle où le thème se réduit au strict minimum : un ange, une femme, un puits et un message divin. Même s’il ne s’agit plus exactement d’une Annonciation…
Agar et l’ange dans le désert
James TISSOT, 1896-1900,Jewish Museum, New York
Agar et l’Ange
A 86 ans, Abraham n’avait toujours pas d’enfant de sa femme légitime, Saraï. Généreusement, celle-ci lui proposa d’essayer avec sa servante égyptienne, Agar. Une fois enceinte, la servante se montra méprisante avec sa maîtresse, qui la maltraita. Du coup Agar s’enfuit dans le désert.
« L’ange de l’Éternel la trouva près d’une source d’eau dans le désert, près de la source qui est sur le chemin de Schur. Il dit: Agar, servante de Saraï, d’où viens-tu, et où vas-tu? Elle répondit: Je fuis loin de Saraï, ma maîtresse. – L’ange de l’Éternel lui dit: Retourne vers ta maîtresse, et humilie-toi sous sa main… Je multiplierai ta postérité, et elle sera si nombreuse qu’on ne pourra la compter… Voici, tu es enceinte, et tu enfanteras un fils, à qui tu donneras le nom d’Ismaël; car l’Éternel t’a entendue dans ton affliction. » Genèse XVI, 7
Une Annonciation sans conception
Comme un apéritif sans alcool, le thème a le mérite de fonctionner avec tous les ingrédients de l’Annonciation, moins la conception miraculeuse. Il fournit donc aux artistes l’occasion d’une variante intéressante, sans complications théologiques.
La terre maudite
Au lieu d’une cour de marbre dans une maison de ville, l’annonce à Agar se passe dans un lieu qui en est l’exacte antithèse : la terre la plus maudite qui soit, le désert.
L’ange en blanc
En réminiscence de l’Annonciation de Burne-Jones, Tissot a perché son ange en haut à gauche, sur une butte. Mais il lui a donné les couleurs de Marie : robe blanche et cheveux roux.
Avant ou après l’annonce
Comme chez Burne-Jones, les deux personnages ne se regardent pas. Il est vrai qu’il ne s’agit pas d’un dialogue : à la future mère, on ne demande pas son avis – elle est déjà enceinte par la voie naturelle – simplement d’écouter l’annonce. Les yeux d’Agar tournés vers le haut et la gauche, ainsi que la bouche close de l’ange, nous laissent dans l’ambiguité : soit l’annonce est imminente, soit elle vient d’avoir lieu.
A noter le mimétisme entre les gestes : les bras ballants de l’ange, et ceux d’Agar tenant les deux anses d’une lourde jarre.
Un trou et une corde
Au lieu d’une élégante margelle de marbre, le puits d’Agar se réduit à un anneau de pierres posés sur le sol, avec plusieurs entailles dûes au frottement des cordes. Ici, l’eau se remonte à la force des bras. Et impossible de savoir si Agar vient de hisser la jarre, ou est sur le point de la laisser filer.
Agar, où vas-tu?
Agar n’a répondu qu’à la moitié de la question de l’ange : où elle va, elle ne le dit pas. Mais en la plaçant au ras de l’orifice, et quasiment la corde au cou, Tissot suggère une réponse tragique : quelle autre issue, en plein désert, pour une servante perdue ?
L’annonce à Agar de Tissot recycle agréablement l’Annonciation de Burne-Jones, tout en en prenant le contre-pied sur plusieurs points : le désert brut au lieu de l’élégante maison, le trou dans la pierre à la place de la margelle de marbre, le foulard bleu-marine de la nomade, au lieu de la virginale robe à l’antique de la citadine.
Mais c’est surtout la jarre qui donne le ton : tenue à bout de bras, le col au niveau du bas-ventre d’Agar, elle souligne la présence pesante de l’enfant Ismaël ; et sa taille démesurée par rapport à l’orifice béant rappelle la malédiction des filles d’Eve : « tu enfanteras dans la douleur ».
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