Les pendants de Boucher : mythologie et allégorie
Très volumineuse et très bien connue, l’oeuvre de Boucher comporte de nombreux pendants. Cet article se base sur le catalogue en deux volumes de Ananoff et Wildenstein (1976) [1], dont les illustrations sont disponibles sur Wikipedia [2]
Je les présente par ordre chronologique à l’intérieur de grandes catégories. Les sujets étant assez répétitifs, je ne commente que les oeuvres les plus intéressantes du point de vue de la logique du pendant. J’ai exclu les séries (par exemple les Quatre saisons ou les suites de tapisseries), sauf lorsqu’elles pouvaient être décomposées en une série de pendants.
Mythologie : pendants femme-femme
Le sommeil de Vénus | Vénus se parant des attributs de Junon |
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Boucher, 1735, musée Jacquemart André
Ces deux dessus de porte exposent, dans un intérieur nuit et un extérieur jour, un nu allongé, les deux jambes parallèles, vu de dos et vu de face.
Lorsque Vénus a déposé ses perles, c’est un très jeune femme qui dort, une enfant attendrissante auprès de laquelle l’Amour s’ennuie, tâtant la pointe inutile de sa flèche.
Lorsque Vénus est réveillée dans son char, c’est une impudique qui ôte ses voiles, agite ses perles au bec d’un paon turgescent, et que l’Amour tente vainement de rhabiller d’un drapé rose en renouant un ruban bleu.
Bacchante (Erigone) jouant du flageolet | Vénus endormie |
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Boucher, 1735, musée des Beaux-Arts Pouchkine,Moscou
Le pendant expose, sur la terre et au ciel, un nu allongé, la jambe droite posée sur la gauche, vu de dos et vu de face,
Dans les bois, la Bacchante joue, couchée sur une peau de léopard, tandis que les amours se disputent des grappes à coup de thyrses.
Dans le ciel, le char est à l’arrêt et des amours jouent avec les deux colombes qui le tirent avec un ruban bleu. D’autres volettent pour ombrager avec un tissu bleu, la tête de Vénus qui dort.
Vénus désarme son fils | L’Amour caresse sa mère |
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Boucher, 1742, collection privée
Ces deux pendants parallèles illustrent de manière inventive deux moments de l’Amour, la querelle et la réconciliation :
- Vénus tourne le dos puis enlace Cupidon ;
- les deux pigeons s’affrontent du bec, puis sont unis par le même ruban ;
- Cupidon se voit confisquer sa flèche et son carquois, puis est autorisé à tenir le ruban avec sa mère.
Le triomphe de Vénus | La toilette de Vénus |
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Boucher, 1743, Musée de l’Ermitage, Saint Petersbourg
Fille de la vague, Vénus vogue commodément, tirée par deux dauphins et annoncée par deux tritons sonnant leur conque. Elle s’est tournée de profil par rapport au sens de la marche, de manière à nous faire admirer son dos potelé et sa cuisse puissante tout en nous observant du coin de l’oeil.
A terre, elle est assise entre un miroir et une table de toilette sur laquelle est ouverte sa cassette à bijoux. Une servante choisit le collier de perles approprié. A ses pieds, un amour renoue la faveur rose de sa sandale. Des fleurs sont tombés sur la pierre. Un couple de colombes se bécote, en attendant de tirer le char, sur lequel le carquois est déjà préparé.
Ces deux pendants luxueux ont été déclinés ensuite en une série de paires moins complexes, mais fonctionnant toujours sur l’opposition entre un nu de dos et un nu de face, dans deux décors contrastés.
Vénus désarme l’Amour | La Toilette de Vénus |
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Boucher, 1749, Louvre, Paris
Ce pendant réitère le thème de la querelle et de la réconciliation : Vénus, accompagnée cette fois de deux nymphes, d’un côté confisque la flèche du garnement turbulent, de l’autre flatte la croupe de l’enfant soumis qui lui présente un collier de perles.
Le bain de Vénus (Vénus consolant l’Amour), NGA, Washington [3] | La toilette de Vénus, MET, New York [4] |
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Boucher, 1751
Les deux tableaux ont été réalisés en 1751 pour le cabinet de toilette de Madame de Pompadour dans son château de Bellevue, à Meudon.
« Les deux tableaux auraient été visibles depuis la salle de bain principale , avec « Le bain de Vénus » placé au-dessus de la porte menant à la pièce des bains à gauche et « La toilette de Vénus » accrochée au-dessus de la porte du cabinet de commodité à droite. Le point de vue légèrement bas de chaque composition convient à leur emplacement d’origine. » [3]
On a désormais abandonné l’idée que Vénus serait un portrait de la Pompadour, mais les aspects biographiques ne sont pas à exclure : car en 1750, la marquise avait tenu à Versailles le rôle principal d’une pièce intitulée La Toilette de Vénus.
Le bain de Vénus
Deux lectures ont été proposées :
- «Vénus tient son fils dans ses bras, qui semble effrayé par l’eau dans laquelle elle semble vouloir le baigner « [5]
- Vénus tente d’enlever le carquois de Cupidon : A partir de 1750 environ, lorsque les relations entre Louis XV et sa maîtresse en titre sont passées de charnelles à purement platoniques, celle-ci « a opéré une transformation subtile mais brillante des pouvoirs amoureux de cette déesse, en commandant des statues publiques dans lesquelles Vénus représentait l‘Amitié plutôt que l’Amour. Soulager Cupidon d’un carquois plein de flèches pourrait être considéré comme une métaphore appropriée pour la fin de la passion du roi pour sa maîtresse. » [3]
Un soulagement ambigu (SCOOP !)
On remarquera que le geste de Vénus est peut être tout aussi ambigu que les intentions de Madame de Pompadour à l’époque : le carquois est ostensiblement détaché (on voit pendre le ruban bleu) mais la main de Vénus peut aussi bien chercher à le retirer (option « platonique ») qu’à l’empêcher de tomber dans l’eau (option « réveil des Sens »). Dans un cadre aussi intime et propice que la salle de bains de la marquise, la deuxième option semble de loin la plus crédible (à quoi bon mettre en scène la métaphore de sa propre déchéance ?).
Les deux autres amours semblent commenter, par leurs gestes, la situation des deux protagonistes :
- celui qui regarde Cupidon (Louis XV) fait, de son index droit sur les lèvres, le geste de l’hésitation ; et de son index gauche qui se lève celui de la décision : attitude partagée qui renvoie à la question du carquois ;
- celui qui regarde Vénus (La Pompadour) la désigne de l’index droit, à côté d’un bouquet de fleurs : c’est bien toi qui restes l’Elue.
La toilette de Vénus (SCOOP !)
La subtilité des gestes n’a pas été bien comprise.
- L‘amour du haut coiffe maladroitement Vénus en se concentrant sur un miroir (vu de dos, derrière le tissu) ;
- l’Amour du bas est en train d’attraper un collier de perles ; mais Vénus, qui le regarde en tapotant son lobe nu, se serait contentée du pendant d’oreille ;
- enfin, l’Amour du centre va passer un ruban bleu à la colombe dont la déesse lui présente la patte : il s’agit d’orner l’oiseau de Vénus (tout comme sa maîtresse se pare), mais aussi de l’empêcher d’aller voir ailleurs : en ce sens le fil à la patte redonde, dans l’autre tableau, le carquois rattrapé in extremis.
La logique du pendant
Le pendant obéit à la chronologie naturelle : le Bain précède la Toilette, comme dans d’innombrables paires de gravures galantes du XVIIIeme siècle exploitant le même thème.
L’opposition extérieur / intérieur est habilement déclinée :
« La toile de fond végétale du « Bain de Vénus » est remplacée dans « La Toilette » par les plis épais des rideaux bleu-vert, et la surface miroitante et réfléchissante de l’étang forestier est échangée contre un miroir, des aiguières argentées et dorées, des bols et une cassolette. » [3]
La logique intime du pendant (SCOOP !)
On notera que le Cupidon individualisé du premier tableau (celui qui rechignait devant le bain) est maintenant dans l’ombre, rentré comme les autres dans le rang des serviteurs de Vénus. En revanche c’est une des deux colombes qui est maintenant individualisée, montée dans le sein de Vénus.
Si l’on prolonge l’interprétation biographique, le second tableau peut être vu comme une résolution flatteuse de la question que pose le premier : le carquois se détachera-t-il ? Non, et le bel oiseau sera lié.
Amour offrant une pomme à Vénus | Vénus étendue près de deux amours |
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Boucher, 1754, Wallace Collection
Ces deux pendants plaisantent avec la Théorie des Eléments :
- à gauche, sur une couche de nuages, la Terre (la pomme pesante) s’oppose à l’Air (la rose odorante) ;
- à droite, sur une couche de vague, l’Eau (le dauphin vorace) s’oppose au Feu (la Torche dévorante).
La muse Polymnie (ou Clio), Wallace Collection | La muse Terpsychore (ou Erato), collection privée |
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Boucher, 1756
Ces deux dessus de porte appartenaient à Mme de Pompadour. Les titres divergents correspondent l’un à l’inventaire après décès de Mme de Pompadour, l’autre aux gravures de J.Daullé de 1756.
Allégorie de la Peinture | Allégorie de la Musique |
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Boucher, 1765, NGA, Washington [6]
Très proche du pendant précédent mais réalisé dix ans plus tard, ce couple allégorique multiplie les amours et complexifie les symétries.
- L’amour du haut décerne une couronne de laurier : à la Peinture (il pose une main sur la toile) ou à la Musique (il tient une flûte).
- L’amour du bas interagit avec la jeune artiste : il se fait portraiturer tenant une torche, ou joue de la harpe avec elle. Le carquois aux pieds de l’un fait écho au casque et au glaive aux pieds de l’autre.
- L’amour intermédiaire sert de bouche-trou ; dans le second pendant, il est remplacé par une colombe.
- Au triplet d’attributs du coin en bas à gauche (rouleau de papier, palette avec ses couleurs, gland doré) correspond dans le coin en bas à droite un triple équivalent (partition, colombes blanches, trompette dorée).
Mythologie : pendants de couple
Aurore et Céphale, Musée de Nancy | Vénus demande à Vulcain des armes pour Énée, Louvre, Paris |
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Boucher 1732
Ces deux tableaux du tout début de la carrière de Boucher décoraient très probablement , la salle de billard de l’hôtel parisien de François Derbais, avocat au Parlement ([7], p 133)
Le thème est l’opposition entre deux types de relations amoureuses :
- désir qu »Aurore inspire à Céphale (par ailleurs marié avec Procris) ,
- désir marital de Vulcain envers Vénus (par ailleurs amante de Mars).
La femme trône en position dominante, aux deux pointes du pendant en V. Les autres éléments se répondent symétriquement :
- char tiré par des chevaux, conque escortée par des cygnes ;
- amours tenant les rênes et une torche, nymphes cajolant deux colombes ;
- chiens en contrebas, titans dans la forge ;
- arc et flèches du chasseur Céphale, armes forgées par Vulcain.
Les allusions discrètes (SCOOP !)
Chaque tableau cache un détail amusant et original, clin d’oeil aux amateurs avertis.
Dans le premier, un Amour déverse la pluie artificielle d’un arrosoir sur un autre qui se cache sous le nuage : officiellement il s’agir d’évoquer la rosée et la brume, attributs de l’Aurore ; mais c’est aussi d’une métaphore plaisante du désir de Céphale pour la belle allumeuse (la torche).
Dans le second, un Amour tient un casque doré, probablement le casque de Mars que Vénus présente comme modèle à Vulcain. Or Mars est l’amant et Vulcain le mari malheureux, qui tâte tristement de l’index la pointe de son épée en réponse à l’index impérieux de son épouse.
Arion sur le dauphin, Musée d’Art de l’Universite de Princeton | Vertumne et Pomone (la Terre), Columbus Museum of Art |
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Boucher, 1748
Ces deux dessus de portes sont les seuls réalisés d’une série consacrée aux Quatre Eléments, qui devaient décorer la salle de jeux du château de la Muette [8].
Ils ne fonctionnent donc pas en pendants. Mais on peut noter que chacun d’eux comporte des motifs de jonction avec le reste de la série :
- ainsi, dans le tableau de l’Eau, le bateau touché par l’éclair fait le lien avec le tableau du Feu, qui devait se trouver à sa gauche ;
- dans le tableau de la Terre, le dauphin sur la fontaine fait le lien avec le tableau de l’Eau, tandis qu’à droite le vase de fleurs devait sans doute préluder au tableau de l’Air.
Jupiter et Callisto | Bacchantes et satyre |
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Boucher, 1760, collection privée
La dissymétrie du pendant pose une devinette mythologique : pourquoi n’y-a-t-il pas d’homme pour équilibrer le satyre de droite ?
Pan et Syrinx | Alphée et Aréthuse |
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Boucher, vers 1761, Collection privée
Plastiquement, le pendant oppose le ciel et la terre, un trio avec deux femmes à un trio avec deux hommes, un nu féminin de dos et de face. Dans chacun, un fleuve s’échappe d’une urne renversée.
Mythologiquement,
« ces tableaux illustrent deux épisodes des Métamorphoses d’Ovide et racontent les assauts malheureux de deux dieux sur d’innocentes nymphes dont ils étaient épris. » Le tableau de gauche « décrit les mésaventures du dieu Pan… né moitié homme, moitié bouc. Les nymphes se moquaient de lui pour son aspect ridicule et disgracieux. Il s’éprit de la nymphe Syrinx, l’une des compagnes de Diane, et la poursuivit. Au moment où celle-ci allait succomber, le Dieu fleuve Ladon la prit sous sa protection (Boucher le représente menaçant Pan de son doigt rageur) et la transforma en roseaux afin qu’elle échappe à Pan. Dans un épisode suivant Pan lia des roseaux en souvenir de la nymphe, créant un instrument qui porte son nom. » [9]
Le tableau de droite montre la légende du fleuve Alphée. Celui-ci
» tomba amoureux de la nymphe des bois Aréthuse qui se baignait dans ses eaux. Souhaitant échapper aux pressantes avances d’Alphée, la jeune nymphe appela Diane à son secours. La déesse intervint et transforma la nymphe en nuage au moment où le dieu allait la saisir. »[9]
Les amours endormis | Les amours éveillés |
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Boucher, 1762, collection Bemberg, Toulouse
Ce pendant plus malin qu’il n’y parait est intéressant par ses symétries :
- le carquois est présent des deux côtés ;
- les deux amours accolés par la tête sont séparés, unis seulement par la couronne de fleurs ;
- celle-ci remplace la couche de quatre roses ;
- la torche et sa fumée opaque se sont « réveillée et séparées » elles-aussi, sous forme d’un couple de pages de musique et d’un couple de colombes blanches.
Jupiter transformé en Diane pour surprendre Callisto | Angélique et Médor |
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Boucher, 1763, Metropolitan Museum of Arts, New York
Mis à part la complémentarité désormais classique entre le nu de dos et le nu de face, et la présence dans les deux tableaux d’un lourd manteau de fourrure tâchetée, complété d’un carquois rouge, quel peut être le thème commun qui justifie ces deux pendants ?
A gauche, l’aigle indique aux connaisseurs que la jeune femme en fourrure, au front marqué d’un minuscule croissant de Lune, n’est pas vraiment Diane chasseresse, mais Jupiter ayant pris les traits de Diane pour câliner la nymphe Callisto (une chasseresse elle-aussi comme l’indique son carquois). On sait en effet que les nymphes farouches ne l’étaient pas pour cette très jalouse déesse.
A droite c’est d’un autre chasseur qu’il s’agit : Médor, amoureux d’Angélique.
« Le parallélisme des deux toiles renforce l’hypothèse selon laquelle dans « Angélique et Médor » Boucher n’a pas représenté le moment traditionnel, lorsque Médor, après avoir obtenu les dernières faveurs d’Angélique, grave son triomphe sur le bois d’un arbre, mais le moment des préliminaires, lorsqu’il s’apprête à lui ôter sa fleur.… Le geste de Médor se comprend mieux par référence aux codes iconographiques de la peinture libertine roccoco : Médor détache une guirlande ou une couronne de roses, signifiant la défloration d’Angélique. » (analyse de S.Lojkine dans UtPictura [10])
Un fois décodé, le thème est donc celui des préliminaires amoureux et de la montée du désir, comme l’indique le putto agitant frénétiquement des torches enflammées en haut de chacun des pendants.
Céphale et l’Aurore | Vertumne et Pomone |
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Boucher, 1764, Louvre, Paris, photos JL Maziéres
Dans le premier tableau, Aurore s’est prise de passion pour le beau chasseur Céphale (d’où le chien et le carquois) ; l’amour qui tient la torche exprime le désir impérieux de la déesse, tandis que l’autre amour prend le parti de Céphale endormi, en le protégeant avec une guirlande de rose : toute l’histoire est que celui-ci n’est pas libre, étant marié à Procris.
Dans le second tableau, Vertumne, le dieu des vergers, s’est transformé en une vieille femme pour convaincre la nymphe Pomone des bienfaits de l’amour.
A la main crispée sur la poignée de la canne et à celle qui discrètement commence à relever la chemise, on voit que la persuasion opère.
Le jet d’eau et l’arrosoir réitèrent d’une autre manière le message.
La logique du pendant
C’est à première vue le thème du désir, féminin et masculin, qui justifie l’association des deux sujets. Le fait que Boucher ait choisi de représenter Céphale endormi rattache le pendant à un thème déjà rencontré : le sommeil et l’éveil de l’amour.
Mythologie : pendants de groupe
Le Rapt d’Europe (1732-33) | La naissance de Bacchus (Mercure confiant Bacchus enfant aux nymphes de Nysa) (1733-34) |
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Boucher, Wallace Collection
Ces deux toiles faisaient très probablement partie de la collection de François Derbais, qui comportait également une Naissance de Vénus et une série de quatre panneaux décoratifs avec Cupidons, évoquant les quatre saisons (L’Amour moissonneur, L’Amour oiseleur, L’Amour nageur, L’Amour vendangeur). ([7], p 159).
Les deux décrivent des amours de Jupiter à l’insu de sa femme Héra :
- dans l’un, Mercure confie aux nymphes Bacchus, l’enfant que Jupiter a eu avec Sémélé et qu’il a porté dans sa cuisse ; il va être transformé en chevreau pour le dissimuler à Héra ;
- dans l’autre, Jupiter (dénoncé au spectateur par son aigle) s’est transformé en vache pour séduire, à l’insu d’Héra, la nymphe Europe.
Le troupeau de chèvres et le troupeau de vaches font probablement allusion à ces métamorphoses prudentes. Néanmoins, le lien entre les deux sujets est très faible, et leur appariement semble purement décoratif : mis à part la composition en V du pendant et la composition pyramidale de chaque tableau, on ne distingue aucune symétrie évidente : le nombre des figures ne correspond pas et Boucher a été obligé d’individualiser assez gratuitement une des nymphes pour équilibrer, au centre, la figure d’Europe.
La Naissance de Vénus
Boucher, 1731, Hotel de Behague, Paris
Le troisième tableau, qui a refait surface en 1994, ne fonctionne visiblement pas en complément des deux pendants, et n’apporte pas d’éclaircissements supplémentaires.
Naissance d’Adonis |
Mort d’Adonis |
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Boucher, 1733, Casa-Museu Medeiros e Almeida, Lisbonne.
Dans ce pendant de jeunesse, Boucher se contente de juxtaposer les deux scènes, sans effet de symétrie particulier. L’enjeu est d‘illustrer avec précision le texte d’Ovide (Métamorphoses, livre X)
La Naissance d’Adonis
Adonis est le fils de la nymphe Myrrha avec son père Cinyras. Pour la punir de cet inceste, elle fut transformée en un arbuste de myhrre tandis qu’elle était enceinte.
« Lucine, dans sa bonté, s’arrêta près des branches souffrantes, approcha ses mains et prononça les mots de la délivrance. L’arbre se fend et livre à travers l’écorce éclatée son fardeau vivant : un bébé se met à vagir. Sur un lit d’herbes tendres, les Naïades le déposent et le parfument avec les larmes de sa mère. »
La belle femme couronnée de perles est donc Lucine, identifiée ici à Junon (d’où la présence du paon sur le rocher). De cet accouchement extraordinaire, Boucher ne retient avec bienséance que la fente du tronc.
La Mort d’Adonis
« Un jour, les chiens d’Adonis avaient suivi les traces claires d’un sanglier et l’avaient débusqué… Le sanglier farouche le poursuivit, lui plongea complètement ses défenses dans l’aine et le terrassa mourant sur le sable fauve. Cythérée, sur son char léger tiré par des cygnes ailés, traversait les airs et n’était pas encore arrivée à Chypre. De loin, elle reconnut les gémissements du mourant et inclina ses oiseaux blancs dans cette direction ;dès que, du haut du ciel, elle le vit sans vie et agitant son corps dans son propre sang, elle sauta à terre, déchira son corsage, s’arracha les cheveux, se frappa la poitrine de ses mains qui n’étaient pas faites pour ce rôle, et s’en prenant aux destins, elle dit : «…des témoignages de ma douleur subsisteront toujours, Adonis… ton sang sera métamorphosé en fleur. «
Là encore Boucher édulcore la scène de tous ses aspects malséants : le sanglier est évoqué par le seul épieu ; la plaie se limite à une entaille minuscule et la douleur de Vénus à une caresse mélancolique. Une colombe morte attire l’oeil sur la touffe de fleurs rouge.
L’Amour enchaîné par les Grâces | Le Temps donne des armes à l ‘Amour |
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Boucher, 1742, collection privée
Le jugement de Pâris | Amour offrant une pomme a Vénus |
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Boucher, 1743, copies à la gouache par Jacques Charlier, collection privée
Le lever du Soleil |
Le coucher du Soleil |
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Boucher, 1753, Wallace Collection
Le phénomène atmosphérique est agréablement transposé en une question d’habillage.
Le lever : se dressant vêtu de sa robe rouge au dessus du royaume marin des Tritons et des Naïades dénudées, Apollon est équipé de sa lyre par l’une d’entre elles, tandis qu’une autre lui lace sa sandale. Plus haut, une divinité elle-aussi habillée lui amène son char tandis que, plus haut encore, l’« Aurore aux doigts de roses » lui montre le chemin.
Le coucher : tandis que la lune se lève et que la nuit envahit le ciel, Apollon revient à sa demeure maritime, quittant sa robe rouge pour rejoindre Vénus dans sa coquille, qui lui ouvre les bras et découvre sa gorge.
Vénus chez Vulcain | Vénus et Mars surpris par Vulcain | L’amour prisonnier des Grâces | Le jugement de Pâris |
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Boucher, 1754, Wallace collection
On ne connait pas avec certitude la disposition de ces quatre tableaux, tous liés à l’histoire de Vénus ; ils étaient probablement montés en paravent, peut-être dans un boudoir de Mme de Pompadour.
La logique de la série (SCOOP !)
On distingue une progression d’ensemble :
- au travers des quatre Eléments : Feu, Terre, Eau et Air ;
- dans le nombre croissant de personnages : un couple légitime, un trio adultère, trois femmes et un enfant, trois déesses et un berger.
Mais la série peut être également lue comme deux histoires sur le thème de la revanche et de l’emprisonnement :
- Vénus fait du charme à son mari pour lui faire forger des armes, mais le forgeron prend sa revanche en capturant dans un filet la femme infidèle et son amant ;
- Cupidon est subjugué par les trois Grâces, mais Pâris soumet à son arbitrage les trois Déesses.
Réalisées en 1769 pour l’hôtel Bergeret de Frouville, ces quatre toiles s’organisent en revanche très clairement en deux pendants en V :
Junon demandant à Eole de relâcher les vents | Borée enlevant Oreithyia |
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Boucher, 1759, Kimbell Art Museum
Deux toiles sur le thème du vent, centrées sur un couple homme-femme, opposant une scène de libération et une scène de capture.
Mercure confiant Bacchus enfant aux nymphes de Nysa | Vénus aux forges de Vulcain |
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Deux compositions à trois étages, jouant sur l‘opposition des sexes. De haut en bas :
- Mercure s’oppose à Vénus ;
- la nymphe qui reçoit Bacchus enfant s’oppose à Vulcain qui soutient Cupidon ;
- les autres nymphes s’opposent aux forgerons.
Les génies des Arts, Boucher | Les Génies de la poésie , de l’histoire, de la physique et de l’astronomie, Noël Hallé, |
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1761, Musée des Beaux Arts, Angers
Ces deux commandes de La direction des Bâtiments à Boucher et à Hallé étaient destinées à servir de cartons pour des tapisseries des Gobelins
Boucher choisit une composition circulaire où l’Architecture, le Dessin, La Sculpture et la Musique entourent l’Art principal, la Peinture ;
Hallé préfère une composition ascensionnelle, avec des Arts de plus en plus éthérés : Physique (pompe à vide, camera obscura), Histoire (livre, médailles, buste d’Athéna), Poésie (lyre, cheval Pégase) et tout en haut l’Astronomie (globe et compas).
Volume II: 1747[-1770 https://view.publitas.com/wildenstein-plattner-institute-ol46yv9z6qv6/c-r_francois_boucher_tome_ii_wildenstein_institute/page/1
https://www.nga.gov/collection/art-object-page.32679.html
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