Là, je sèche…
14 décembre 2011
Problème résolu !
Voir désormais La Sainte Famille de Nuit .
Sainte famille
Rembrandt (atelier), 1642-1648, Rikjsmuseaum, Amsterdam
Je voudrais bien savoir ce qui est accroché au vitrail :
Et ce qui est posé sur la table, derrière les deux chaussures :
un artichaut à la fenêtre
un artichaut
Merci, c’est possible. Mais pourquoi faire sécher une fleur d’artichaut à la fenêtre ? En herboristerie, apparemment ce sont les feuilles qu’on utilise…
Derrière les chaussures, je vois une bouteille et le dossier d’une chaise.
Jadis, il était d’usage de suspendre dans les écuries, un petit bouquet de feuilles de houx espérant ainsi lutter contre la gale….
Je ne sais si cette pratique avait lieu aux Pays Bas.
Cependant, pourquoi y en aurait-il à l’intérieur de la maison ?
Par ailleurs ce bouquet était fixé au plafond alors qu’il est là accroché au vitrail…
Quant au « fourbi » derrière les chaussures…???
Merci pour le houx, mais effectivement nous sommes dans une taverne ou une échoppe, pas dans un étable. Il s’agit peut être d’une pratique prophylactique, mais elle doit avoir un rapport avec le thème principal.
Ce qui est irritant avec ce détail, c’est qu’on ne comprend pas comment il s’accroche au plomb du vitrail. Et qu’il ne peut être anecdotique, puisqu’il est situé juste au dessus de la lumière cachée, en pendant du clou puissamment symbolique que vous avez certainement remarqué.
Concernant le fourbi, je sais maintenant qu’il s’agit d’une gourde : on voit la même dans « Le reniement de Saint Pierre » de Rembrandt.
Et si c’etait une eponge ?
je vois un bouton de rose séché. J’espère aller à Amsterdam dans quelques mois: je penserai à vous.
N’oubliez pas votre loupe… Merci de votre aide.
l’austérité du lieu et l’usure des enduits, m’enjoignent à penser à un chiffon qui boucherait un carreau cassé …
Possible, mais quelle pourrait-être la sighification symbolique ? Cet objet, situé à la lisière entre la lumière et l’ombre (entre le présent tranquille et la future tragédie encore cachée ) joue probablement un rôle aussi important que le clou.
l’inexorable … le verre était très cher, le carreau cassé comme une preuve de la déchéance, les reliques d’un faste passé accrochent aussi la lumière : le bougeoir au dessus de la cheminée attirant notre oeil comme pour mieux cacher la noirceur du personnage recroquevillé sous l’escalier .
Le personnage sous l’escalier est Joseph, allant tirer du vin à un tonneau.
merci, mes cours sont un peu loin … et je ne me suis attachée qu’à la technique, ainsi le bout de tissu chiffonné m’est apparu comme évident car s’il s’était agi d’un bouquet, je pense qu’on en aurait distingué des détails même sommaires .
merci, mes cours sont loin … je me suis attardée sur la technique et il me semble que l’hypothèse du tissu est possible car il n’y a aucun détail même sommaire qui me fasse voir un bouquet de feuilles ou de branches sèches, qui étaient d’ailleurs plutôt accrochés en hauteur .
Bonjour! j’ai coutume de considérer que l’incongruité manifeste présente sur une oeuvre en constitue la clef de lecture (incongruité: au regard de l’époque de sa conception); il y en a ici un bon nombre, dont ces chaussures qui n’ont rien à faire sur une table, tant au XVIIe des Provinces que de nos jours. En relevant les éléments présents depuis la gauche vers la droite, ceux-ci et les bizarreries figurées me mènent à interpréter l’oeuvre comme illustrant l’Incarnation par métaphores égrainées.
La cheminée sans feu, le bougeoir mural sans chandelle figureraient l’ancienne Alliance destinée à être réformée ou « accomplie » par le Christ, pour autoriser la vie éternelle aux âmes des défunts; la couronne que l’on devine suspendue au bougeoir pouvant alors être celle de David. La porte d’accès cintrée a la forme usuelle des portes permettant au divin de communiquer avec le monde terrestre.
L’escalier traduirait « Dieu descendu du Ciel », qui « s’est fait homme », qui « s’est humilié en se faisant homme, comme le disait les Pères; le profil ondoyant des marches rappelle la forme des nuées célestes rubanées (l’auteur aurait peut-être une certaine connaissance des manuscrits médiévaux, ou des oeuvres ayant échappées à l’iconoclasme protestant?).
Le berceau du Petit est placé juste au pied, ce qui ne paraît pas logique et gênerait assurément celui ou celle qui viendrait à emprunter l’escalier; ce placement est donc hautement symbolique. La roue (rouet ou baratte?) signalerait le destin auquel est promis l’Enfant qui dort encore sereinement.
Le cadre au mur, vide de figuration (et obscurci par l’ombre portée de la tête de ste Anne)pourrait évoquer les Evangiles, qui racontent Jésus sans jamais le décrire formellement, et forcent les peintres à devoir imaginer Dieu, ou en d’autres termes, leur donnent l’occasion de « faire de la peinture »: il y a là une couche de « matière »picturale digne d’un Fautrier, mais qui ne représente rien que « de la peinture », de la matière picturale en soi.
Le couffin suspendu pourrait évoquer la nécessité de devoir fuir la férocité d’Hérode.
Joseph courbé sous l’escalier signale assurément sa soumission aux volontés divines (après avoir posé en songeur durant tant de siècles, il s’est décidé!). Il a laissé sur la chaise son vêtement social et a admis d’avoir été cocufié par Dieu lui-même.
Le chapelet de ste Anne paraît limpide, voie d’accès à la sacralité masquée de la scène.
Les poutres au dessus de Marie dessinent clairement une croix, certifiée par le clou (unique, parce qu’il s’agit d’un jeu de devinettes), clou placé là où se trouveraient les pieds du Crucifié.
La lectrice aurait pu s’installer plus confortablement à la table, mais elle a été placée de sorte que le Livre, la lumière et la verticale de la Croix (la Rectutido) forme un ensemble éloquent, et éminemment rembranesque.
La forme de voûte en berceau de l’espace rappelle évidemment celle des lieux de culte.
La corde et la poulie pour la manoeuvre de l’imposte cintrée font penser à la Descente de Croix; mais la rusticité de l’appareillage étonne: la lumière ici n’est pas celle viendra avec le jour et de l’ouverture du lourd volet de chêne: la lectrice nous signale que la lumière est intérieure et s’allume aux divines Paroles.
(En éclaircissant l’image, on voit comme des traces de sang sur les carreaux: Il a souffert pour la Rédemption de nos péchés, etc.)
La table a tout l’air de figurer un sarcophage (en plus court) ou bien un autel (deux objets que la théologie chrétienne rapproche et confond à l’occasion). Donc le destin humain du divin Gamin endormi, Sauveur du monde par son martyre.
Ces chaussures, des mocassins, seraient la trace de Celui qui est venu et remonté au Ciel après sa mort sur la Croix (etc, vous connaissez l’histoire!), la marque de son départ ce monde ci, matériel. (Mais Sa Présence spirituelle est restée).
Dans le bric-à-brac au bout de la table se trouve une panetière adossée au mur (pour mouler le pain au cours de sa levée) et certainement une gourde de vin, relégués avec la vaisselle, peut-être sale : soit Marie préfèrerait « la meilleure part » (et laissant la corvée ménagère à plus tard- suivant la mode du thème « Jésus chez Marthe et Marie »), soit le peintre est protestant, et signale par le « fourbi » poussé de coté son mépris pour les rites et la définition catholique de l’Eucharistie: la réception de Dieu et la communion véritable s’effectue par l’étude des textes et non par les Espèces ingérées devenue symboliques, laissées ici négligemment de coté.
Et pour finir, il y a une cafetière dans le placard laissé ouvert; un objet encore assez rare pour se trouver dans un intérieur aussi rustique, qui peut signaler l’idée de devoir rester en éveil, et donc transcrire l’idée de Vigilance.
Le peintre s’est donc plaisamment complu à « faire du Rembrandt », j’entends: à laisser deviner le spirituel au travers des matières, celle des objets comme celle de la couche picturale, avec l’emploi de la lumière comme lien entre entre ce que perçoit l’oeil et ce que perçoit l’esprit, après décryptage (ludique).
Votre oeil s’est arrêté sur la seule touche verte, « l’artichaut ». Il constitue à mon sens l’incontournable végétal renaissant qui accompagne la Résurrection depuis l’aube de ses représentations, et qui figure pour nous autres mortels l’Espérance. Sa situation est figurée effectivement incertaine, comme notre propre survie après la mort. Il est dedans et aussi un peu dehors, sans qu’aucune fêlure n’ait été dessinée sur le verre, et il semble s’enrouler autour des plombs: il est donc aussi en travers de la matière; il est ici, par notre foi (si nous en disposons et si elle est assez forte) et il est aussi de l’autre coté, inconnu, mais intensément espéré. (Outre que la touche verte magnifie l’atmosphère chaude et tire encore sa justification des règles plastiques concernant l’emploi des couleurs complémentaires.)
Il me semble que cette présence du « spirituel au delà de la matière » s’inscrive dans la suite des nombreuses figurations du Salut par le « trou dans le rocher » (initié en Italie par Léonard et Pinturicchio dans les années 1480) très apprécié par les maniéristes flamands de la 1ère moitié XVIe, jusqu’à commettre de véritables gruyères pour moquer les divergences théologiques entre les héritiers de Luther (je citerai notamment Henri Met de Bles ,de mémoire; en pianotant comme vous savez la faire, vous en trouverez aisément une flopée).
L’éparpillement des signes donnant du sens à l’oeuvre indique un élève (un très bon élève du Maître, certes). Mais « l’artichaut » reste une bizarrerie délibérée pas vraiment bien menée, ou pas tout à fait aboutie, sur laquelle l’esprit bute, en regard des autres objets rustiques qui laissent plus aisément transparaître les éléments tirés des Evangiles. Bien à vous.
Désolé d’avoir été si long; je me doute que la plupart des éléments cités ne vous avaient pas échappé, mais leur ensemble constitue une histoire, certes bien connue, mais exprimée ici par une suite de métaphores axées sur le spirituel par delà les objets (sous la lumière rembranesque), qui se prolonge spirituel en par delà la matière même des choses du monde. Le végétal de la Résurrection se situe au terme de l’histoire, et ce n’est pas sa présence ni même sa forme qui constituent une source d’interrogations, mais la Résurrection elle-même, et l’Incarnation du Dieu fait homme qui restent des mystères : l’incongruité des mocassins et de « l’artichaut » traduisent cela. (Ou, pour un athée du XXIe siècle, la foi accordée à ces histoires durant tant de siècles pourra constituer un mystère.)
Je retire la baratte: il ne peut s’agir que d’un rouet, celui des Parques, interprétant la mission du Christ et son humaine fin tragique. Et j’ignore tout des modes propres des Provinces concernant les chaussures: pourquoi des mocassins, sachant que le Christ et les apôtres sont traditionnellement figurés pieds nus???Il reste des questions…
Bravo et merci d’avoir passé autant de temps sur ce tableau très déconcertant. Votre analyse recoupe en bien des points mes intuitions.
Il y a deux éléments évidement symboliques : le rouet formant auréole et le clou sur la poutre en croix. La grande table vide (couturière, à relier avec le rouet ?) en est peut être un autre, mais il faudrait deviner ce qui manque.
Deux incongruités : le carreau cassé rebouché par on ne sait quoi, les souliers sur la table.
Une maladresse : les charnières formant un angle, le volet ne peut pas s’ouvrir.
Des redondances : le panier suspendu, le berceau sur le sol, la panetière, autour de l’idée de la paille (Bethléeem ?) ou du pain.
Un effet d’écho entre la cordelette de Sainte Anne (qui sert à balancer le berceau) et la corde qui sert à faire pivoter le volet.
Pour nourrir votre réflexion :
– le tableau vide au mur est une carte de géographie ;
– le récipient en bas du placard n’est pas une cafetière (vraiment trop moderne pour l’époque) mais un pichet d’eau dit « à la Jan Steen » (Jan Steen kan).
Sur le thème de l’eau, il y a également la gourde métallique posée sur la table, que l’on rencontre dans plusieurs tableaux de Rembrandt (associée à des soldats). Peut-être y-a-t-il un contraste avec le sujet bizarre de Joseph allant dans l’ombre tirer du vin au sous-sol.
Ce genre de tableau bourré de détails est à prendre avec des pincettes : il peut s’agir d’une oeuvre d’atelier, qui en rajoute en surjouant les procédés de Rembrandt (le clair obscur est particulièrement outrancier) ; ou bien d’une oeuvre « à message » : on a bien l’impression, en effet , que la lecture de gauche à droite, avec ses trois segments très contrastés, appelle une interprétation.
Les historiens d’art n’aident pas : ils se sont surtout battu sur l’attribution à Rembrandt, aujourd’hui unanimement rejetée alors que le tableau était auparavant admiré comme un des chefs d’oeuvre du maître. Certains même ont rejeté le sujet religieux, y voyant une simple scène de genre.
Pour être complet : il faut comparer avec les autres « Sainte Famille » de Rembrandt : dans celle de Saint Petersbourg, il y a deux lumières (céleste et terrestre), le livre est lisible, et il y a également un clou dans le mur derrière Marie.
Je n’en sais pas plus, pas assez en tout cas pour me lancer dans un article. S’il vous vient de nouvelles idées, je suis preneur.
Bien à vous.
Bonsoir. Ma Boite-mail reçoit mais n’envoie pas; je passe donc par ce canal.
Il est manifeste qu’il ne peut s’agir d’un Rembrandt: ses oeuvres présentent toujours un puissant aspect impromptu, le flash d’un instant, qui nous projette dans une intimité insoupçonnée, et ceci même s’il s’agit de personnages ayant pris la pose pour un portrait de commande. Or nous avons là une véritable nature morte immobile où chaque objet porte son poids de signification à tiroirs. Même si des personnages sont présent, on ressent la même intellectualité que celle des Vanités avec leurs objets choisis et les victuailles à moitié consommées, savamment abandonnées sur la table.Les personnages sont soigneusement posés comme ces citrons à demi épluchés destinés à être intellectualisés par le spectateur comme l’écho de l’Ecclésiaste. Ils ne nous envoient pas en pleine tête ce qu’il ont de pleinement vivant, avec force et ingénuité, comme le fait Rembrandt, même s’il dessine un dormeur!
Si ce cadre au mur présente effectivement une carte géographique (imperceptible sous la tartine picturale épaisse) alors ceci renforce l’interprétation d’une oeuvre qui serait aussi et surtout un manifeste protestant. Je m’étais interrogé sur l’ombre portée de la tête de ste Anne sur ce cadre, particulièrement flagrante, et j’ai commis un anachronisme en évoquant un chapelet. Mais finalement, si le personnage figure l’Eglise catholique, assoupie, épuisée comme un vieux pape par tant de vaines messes, avec des vêtements de couleur pourpre bien délavée, tenant en main un cordon très semblable à un chapelet, alors l’ombre portée sur une vaste partie de la carte se justifie pleinement: il nous serait dit que les pays restés catholiques demeurent dans l’ombre, et donc que les Provinces connaissent la vraie lumière.(J’entends qu’il s’agirait d’une carte de l’Europe: l’ombre couvrirait alors grosso-modo l’Italie, la France, les Pays-Bas espagnols, une partie de l’Allemagne et l’Espagne.)
Marie est figurée de trois-quart dos, cela me semble très exceptionnel. Dans les usages de la figuration usuelle chrétienne, Marie est toujours (me semble-t-il) présentée de face (ou trois-quart face). Le personnage est ici complètement désacralisé: ce n’est plus sa Sainte Virginité (« l’anti-Eve » pure de toute tentation) qui lui permettra de monter au Ciel à l’instant de sa Dormition, mais plutôt ses capacités à avoir su intérioriser le message du livre qui la captive à cet instant (et qui concernerait très certainement l’âge adulte de Celui qui se trouve encore dans le berceau…).
Selon cette lecture d’un manifeste protestant, Joseph sous l’escalier ne serait alors plus seulement celui qui s’est soumis au Père pour protéger le Fils encore bébé et permettre la Rédemption du monde, il serait aussi celui qui reste écrasé par l’obscurantisme catholique, enchâssé et immobilisé par ses dogmes périmés, figuré à peine visible, et comme intégré à l’architecture: réduit en pierre.
Je m’étais aussi interrogé sur l’ouverture possible ou non du volet de l’imposte, et aussi sur sa bizarre forme arquée de Ciel. Effectivement, le gond à gauche est dessiné parallèle à la courbe du cintre. Nous autres, pauvres humains aux capacités limitées serions bien gênés pour ouvrir le volet, faire venir la lumière (et donc accéder au Ciel) en tirant sur la corde…Mais je pense qu’à un dieu cela serait facile; à un dieu mort et ressuscité, plein de choses sont possibles, y compris nous permettre d’accéder au Ciel.
J’avais interprété l’oeuvre selon une lecture de gauche à droite, avec un « avant » la Crucifixion (illustrant Luc) et un « après » (autel-sarcophage,Ascension et Eucharistie), mais il semble que l’auteur ait brouillé cette piste trop simple, en y superposant des éléments assez féroces à l’égard du culte et de la théologie catholique. Ceux-ci semblent s’égrainer à rebours, de droite à gauche, à partir de la panetière vide et du pichet à vin Jan Steen au placard.(Avec un bec pareil, on mettra plutôt du vin que de l’eau, à défaut de café, qui n’arrive effectivement en Hollande qu’à la fin de la décennie suivante). Et ils semblent aboutir à ce pauvre Joseph coincé dans l’ombre, et revenir à la cheminée sans feu: l’Eglise catholique se trouverait donc sans feu (soit donc: sans foi réelle), et assimilée aux pharisiens tant raillés par le Christ selon Matthieu.
Nous aurions donc 1: une scène de genre tranquille qui se révèlerait par une première lecture une scène illustrant st Luc…Et 2: une charge anti-catholique sapant radicalement ce que cette scène évangélique aurait pu posséder de sacralité dans la tradition chrétienne. Donc l’auteur aurait construit une image potentiellement sacrée pour y introduire une forme d’iconoclasme radicalement désacralisant (mais en y développant toutefois des principes théologiques protestants).
Pas simple!
Voici ce que vos informations m’amènent à reformuler ce soir.
Bien à vous.
Ps: « Sainte Anne est une sorcière » de Jean Wirth me revient d’un coup en mémoire, et ceci peut-être pas par hasard…
Bonjour
Merci pour « Sainte Anne est une sorcière », un article magistral comme tant d’autres.
Pour la carte illisible, l’ombre masquerait plutôt l’Est, car les cartes de l’époque sont orientées avec l’Ouest en haut : https://spacefiction.fr/2017/09/04/les-cartes-dans-la-peinture-de-vermeer/
Concernant la « charge » contre le catholicisme, je ne connais pas d’exemple d’un tel zèle protestant dans une autre oeuvre de Rembrandt. Il faut garder à l’esprit que cette Sainte Famille est une variante, certes bizarre, mais qui s’inscrit dans le même esprit que les autres Saintes Familles de Rembrandt, où on ne décèle rien de tel.
Concernant la composition : la vierge de trois quart arrière, masquant la bougie, semble être un clin d’oeil au Christ des Pèlerins d’Emmaüs vingt ans plus tôt (là encore un clair-obscur radical). Voir https://artifexinopere.com/blog/interpr/peintres/rembrandt/de-lagneau-pour-souper-2/ . Mais elle renverse aussi la posture de Marie dans la Sainte Famille de Saint Petersbourg.
Ce qui est le plus frappant, par rapport aux autres Saintes familles rembranesques, est le huis-clos (renforcé encore pas le volet qui ne s’ouvre pas) et l’immobilisme. Celles de St Petersbourg et du Louvre organisent clairement la circulation du regard, de haut en bas et de gauche à droite (entre la fenêtre ou plafond ouverts et la cheminée allumée) ; ici rien de tel, d’où l’incertitude sur le sens de la lecture.
Un nouvel élément : les chaussures sont celles de Joseph, elles figurent dans la Saint Famille du Louvre, accrochées au mur avec ses outils (à côté du panier, qui est la boîte à outils du menuisier itinérant).
Bonjour et merci de me répondre si promptement!
J’avais bien en mémoire les cartes de Vermeer en rédigeant, mais sachant que celles-ci étaient périmées, datant du siècle antérieur, avec des Pays-bas encore catholiques. La circumnavigation provoque dans le cours du XVIIe le basculement avec le nord en haut, me semble-t-il (voir Monique Pelletier sur Belgeo/OpenEdition pour jeter un oeil sur les images).
En tapant par curiosité « élèves de Rembrandt » pour vérifier si l’un d’eux, présent à l’atelier en 1648, n’aurait pas développé quelques trucs en commun avec celui-ci, mon regard est resté scotché sur un homme que vous connaissez (bien mieux que moi) pour avoir créé quelques pages à son sujet: Samuel van Hoogstraten.
Vous reconnaîtrez aisément les motifs récurrents de ses Intérieurs (qui peuvent porter des idées différentes): la cheminée sans feu, les portes qui s’ouvrent ou non sur on-ne-sait-quoi, la fracture entre la gauche et la droite subtilement contrôlée, les objets sectionnés par les bords des compositions, l’immobilité apparente, les têtes qui passent par le carreau et les cloisons de verre, la dispersion des indices sur la toile, tantôt manifestes, et tantôt discrets…et surtout surtout : les questions qui germent, et la pluralité des lectures possibles comme solution à l’énigme savante alimentée à partir de cette pléthore d’indices éparpillés (et divergents).
Van Hoogstraten est un joueur, qui multiplie tant qu’il peut les motifs symboliques avec une certaine duplicité pour multiplier les interprétations possibles; ainsi on ne s’ennuie pas, et des amateurs comme vous (ou moi-même) ont de quoi s’interroger.
L’oeuvre est datée, me semble-t-il, de 1648, l’année du départ de Hoogstraten de l’atelier du maître chez qui il est resté au moins cinq ans. Il a pu acquérir durant ce temps la capacité de « faire du Rembrandt » aussi bien que nature, bluffant la postérité en ne le signant pas. Mais ne s’agirait pas d’un plagiat servile, mais plutôt d’un hommage appuyé et délibéré, légèrement caricatural: il aurait bien commis cela en guise d' »Au revoir ». Le volet fermé au dessus des chaussures signalerait alors l’impasse dans laquelle il se trouve et la nécessité pour lui de quitter le maître pour pouvoir « devenir Hoogstraten » (il a dans les vingt/vingt et un ans) et cesser d’être « un élève de Rembrandt » anonyme. Les chaussures abandonnées sur la tables seraient alors celles du maître, non-figuré mais omniprésent par la technique picturale bien marquée, et placées là même où l’estime et l’affection qu’il lui porte le poseraient: debout sur la table. Mais « abandonnées », pour signaler le départ. (Le sentiment de « huis-clos » qui vous frappe trahirait certainement le désir et la nécessité du départ, le temps venu de l’émancipation.)
Le bric-à-brac au bout de la table serait un clin d’oeil ironique, une petite caricature de ce que l’on trouve de semblable chez Rembrandt, tandis qu’il développera lui-même à l’inverse le dépôt choisi d’une sorte de ponctuation d’objets hautement calculée pour éclairer autant que dérouter le lecteur de ses oeuvres, dans les années ultérieures.(Ce « fourbi » serait d’abord cela, pour probablement figurer d’autres choses simultanément. Ce genre de petit bazar a toujours chez Rembrandt quelque chose d’organique qui se relie à tout le reste de la composition, organique également, où « tout est vivant » pourra-t-on dire; tandis que nous avons là un petit tas d’objets « morts », comme mis au rebut.)
La signature de l’oeuvre réside ici dans les commentaires que suscitent irrémédiablement ses scènes d’intérieurs : l’usage du mot « incertitude » et l’emploi obligé du conditionnel, la pluralité des interprétations successives, qui marquent tout ce que j’ai lu au sujet de celles-ci depuis hier (sous votre plume comme sous d’autres).
Tandis que je supposai naïvement que l’identification de l’auteur potentiel permettrait de certifier une interprétation, une des miennes ou une autre, par l’émergence de possibles corrélations, c’est bien le contraire qui se produit. Avec Hoogstraten, c’est un empilement de lectures successives qui s’offre à nous, comme autant de trous dans la boite de perspectives…Avec ce peintre-là, il faut renoncer à l’idée qu’il n’y aurait qu’une seule interprétation qui serait la bonne et pleinement justifiée; il en propose et en insinue autant qu’il en peut, en semant des objets symboliques de-ci de-là pour engager le lecteur sur des pistes divergentes et autant pour le dérouter, simultanément (il rappelle le cinéma d’Hitchcock). Mais ce que nous voyons ici présente un intérêt certain : Hoogstraten est train de devenir Hoogstraten tout en faisant du Rembrandt. Nous avons un authentique « scoop » sur la mutation en cours (et il y en aura d’autres, me semble-t-il, au cours de sa carrière).
Bien à vous
PS : J’ai oublié de mentionner une chose que je soupçonne au sein des Intérieurs de Hoogstraten : l’imbrication du sacré dans ce qui nous paraît assurément profane, puisque nous nous trouvons dans des maisons de ville. Je sens que vous me croyez délirant en lisant cela. Mais regardez bien cet homme en « robe d’intérieur » derrière le vitrage du « Corridor », assis à proximité d’un verre de vin auquel il ne touche pas, êtes-vous sûr de n’avoir jamais vu quelque part ce visage aux traits fins, presque androgynes, costumé d’une robe à l’Antique? Pouvez-vous justifier la présence des deux bustes portant leurs yeux vers le ciel de la voûte patronnée par deux chérubins, et ne pas reconnaître en eux le couple premier, Adam et Eve ? Le sens des deux colonnes, de la clef qui peut « lier » ou « délier », pourra ensuite vous revenir avec évidence. Et quant à la Sagesse figurée par une perruche, elle vous permettra de saisir l’humour dont est capable notre joueur invétéré. Là où elle est placée, au seuil de cet espace qui donc est aussi un lieu de culte (donc, en pays protestant, un lieu d’étude et de réflexion sur les Ecritures) elle sera forcément divine…Hoogstraten décidément, s’amuse beaucoup, à vouloir nous « surprendre » tant qu’il en peut; il nous emmène en bateau et nous ramène à la rive, sans cesse, en accumulant les doubles-sens (possibles, probables ou certains).
Et, s’agissant de ces « significations cachées » qui émergent à tour de rôle, de ces tiroirs interprétatifs qui s’ouvrent de partout, je pressens que votre culture et votre curiosité intellectuelle devrait vous permettre de découvrir l’étude savante qui mettrait en relation l’exégèse biblique protestante du XVIIe telle qu’elle se pratique dans les temples avec ce goût des peintres du temps pour transformer les scènes du quotidien en cryptogramme à déchiffrer ou en d’éloquentes parénèses à méditer. Hoogstraten joue ce jeu en accumulant des « seconds degrés » qui sont aussi des « tours » et des sketches, mais qui constituent l’expression ludique de cette culture de l’exégèse des temples. (Une démarche ancrée dans une conception de la peinture comme « cosa mentale » commune avec ses contemporains plus univoques comme Velasquez ou Nicolas Poussin, certainement; mais Hoogstraten me semble cultiver quant à lui l’équivoque ludique du type: « Ceci n’est pas une pipe », en jonglant aussi avec le profane et le sacré, faisant des tours de passe-passe entre ces derniers. Réellement « surprenant » – peu s’y sont risqués- et donc conforme à ses intentions énoncées ultérieurement.)
Merci pour vos idées stimulantes. J’ai creusé en peu la piste Hoogstraten, mais il était tout de même très jeune. On a une Adoration des Bergers de 1647, peinte à son retour à Dordrecht en 1647, à vingt ans ( http://zone47.com/crotos/?p186=296955&p921=1029715 ) . Elle est picturalement plus faible et n’a rien de particulièrement original.
Il est séduisant de supposer que Hoogstraten avait déjà entre 16 et 20 ans le côté « ceci n’est pas une pipe » qu’il démontrera bien plus tard, mais c’est à mon avis improuvable. Le seul exemple un peu comparable est un dessin attribué à Hoogstraten (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Samuel_van_Hoogstraten_The_Visitation.jpeg ) où la bougie est cachée par le petit garçon. Si vous trouvez d’autres indices, je suis preneur !
Je suis comme vous frappé par le côté « devinette » du tableau, qui contient plusieurs énormités :
1) graphiques :
– l’ombre démesurée de la tête de Sainte Anne
– le volet impossible à ouvrir
– les points de fuite différents pour la moitié gauche et la moitié droite du tableau (il y a cependant d’autres exemples chez Rembrandt).
2) scénaristiques :
– le père boit et ne travaille pas ;
– les femmes ont inversé leur rôle : la mère lit et la grand-mère s’occupe de l’enfant
– Marie est vue de dos, Sainte Anne est le personnage principal.
On dirait que l’inversion du moment : « la Sainte famille la Nuit » autorise une certaine forme d’inversion des conventions, de monde à rebours.
Par ailleurs, le tableau est une collection d’éléments pris dans différentes oeuvres de Rembrandt (le clou isolé, et même la carte de géographie). Or ces éléments sont plutôt des années 1630 de Rembrandt.
C’est tout le problème du tableau : le sujet le rapproche des Saintes Familles des années 1645, mais les détails remontent nettement au style de la décennie précédente (pour un bon résumé de la problématique, https://arthistoriesroom.wordpress.com/2013/12/23/the-holy-family-by-night/).
Bref, perso, je sèche toujours : exercice de style brillant et un peu foutraque, ou devinette à déchiffrer ?
Bonjour! J’ai commis une méprise en pensant avoir lu quelque part la date de 1648, mais celle-ci m’a conduit à Hoogstraten, qui me paraît toujours un bon candidat, et de vous lire dans l’affirmation: »le père boit » me confirme quelque chose lié à cette date, même si elle m’est venue de manière erronée. C’est l’année du traité de Münster (le 30 janvier)et des traités de Westphalie, (le 24 octobre) qui entérine formellement l’indépendance des Pays-Bas après 80 ans de guerres interrompues par des paix fragiles: quatre générations ont attendu cet évènement, et l’on probablement bien fêté.
Je m’accorde avec Gerson: ce n’est pas un Rembrandt. Il manque cette lumière de magie, cette pluie d’or qui tournoie, qui enveloppe les personnages comme des manteaux de sur-réalité, qui transforme les citrouilles en carrosses et les vieilles gamelles en vaisselle sacrée. Il manque une construction de l’espace qui se fait par la lumière (tandis qu’Hoogstraten construit ses espaces antérieurement au reste).Ce n’est qu’en abandonnant l’attribution au maître que vous parviendrez en concevoir une interprétation convenable. Il y a bien sûr toutes ces citations formelles du maître, mais regardez bien les Hoogstraten: il ne cesse de se citer lui-même en remployant dans ses compositions des objets qu’il affectionne, tantôt sans en muter le sens mais parfois avec une valeur et un sens différents. A vingt ans, il n’avait pas encore composé sa propre valise de « mèmes » perso, mais les années passées à seconder et à apprendre auprès d’un tel talent lui permettait d’user de ceux du maître, en attendant de composer et de rassembler les siens en propre.
Je m’accorde avec l’impression déroutante que son oeuvre globale présente: un bon nombre de trucs plutôt faciles, sans originalité, passablement « alimentaires », des trompe-l’oeil produits en série, et des recherches bien plus abouties et épatantes où fleurissent les « Ceci n’est pas une pipe ».
(J’ajoute aussi que Rembrandt ne laisse jamais l’impression d’avoir travaillé assis, même s’il pouvait le faire bien plus souvent que l’on serait tenter de le croire. La ligne d’horizon est ici à hauteur du seuil de l’escalier et de la tête de Marie: nous serions assis aussi, si nous devions nous trouver là comme l’auteur s’y est installé assis pour son ouvrage; rien d’impromptu, aucune mobilité, sinon l’énergie spirituelle de Marie dans sa lecture sous la verticale de Dieu.)
Je vous remercie de m’avoir fait connaître ce dessin de la « Visitation », parmi les plus stupéfiantes Visitations qui soient. Le petit garçon y est sans véritable intérêt, mais alors, ce qui nous est montré me pose le cul par terre.
Vous vous souvenez que la scène introduit le Magnificat chez Luc, et donc aux messes également; vous vous souvenez aussi que le thème émerge en Occident (entre Toulouse et la route de St Jacques) vers 1030 au sein de la sculpture romane et devient une scène obligée du cycle lucanien, et que s’y transcrit le baiser de Paix pratiqué au cours des offices (qui apparaît à cette même époque), qui lui-même prend la suite des plaids de la « Paix de Dieu » des environs de l’an Mil : il sacralise l’accolade féodale rituelle et la Paix elle-même, ou disons: en entretient la sacralité. Historiquement ce n’est pas rien.
Sur ce dessin, la porte paraît d’emblée trop grande, ou bien les personnages trop petits, et ceci, certainement pas par maladresse! Ce sont des enfants par la taille…Et donc par l’esprit. Je ne doute pas un instant que Hoogstraten ait eu l’occasion de découvrir un Breughel et d’en tirer un riche enseignement que traduit cette scène plutôt comique, et un rien indécent. La façon dont la Très Sainte Vierge Marie Mère de Dieu remonte sa jupe du dessus jusqu’au lieu précis de son sexe, sous prétexte de passer un invisible emmarchement du seuil, constitue une effronterie qui prétend passer pour une ingénuité. Marie évoque sa virginité en joignant par le geste la localisation de son sexe à ses paroles. Je crois n’avoir jamais vu quoi que soit qui évoque aussi clairement la foufounette de la Vierge, encore moins avant d’entonner le Magnificat, suivant le texte de Luc. Une femme du XVIIe, même paysanne, relève ses jupes sur le coté, et jamais si haut! (ou bien des deux cotés mais en laissant le milieu festonné). Son visage rond, un peu vulgaire, la présence des hommes en rajoute à l’incongruité générale de la scène (ni Joseph ni Zacharie ne sont cités comme présents à cet instant par Luc; s’ils sont parfois figurés, le peintre les place généralement à l’écart; l’un des deux hommes sur le dessin porte un bonnet un peu clown, et sourit bizarrement). Mais vous ne manquerez pas de remarquer l’ombre portée de la grille du regard sur la porte: elle appuie certainement l’idée de Virginité, mais comme pour justifier l’inconvenance du geste, le masquer intellectuellement et illustrer les premières paroles de Marie à Elisabeth. L’accolade classique n’a pas lieu et on cherche en vain l’écho de la très étrange communication spirituelle des foetus qui se produit à cet instant précis (qui correspond à la communion des coeurs et de l’Esprit dans le temps des accolades médiévales sacralisées). Si l’attribution de ce dessin est correcte, et même si on devait le considérer comme un gag d’ado intéressé par le dessous des jupes des filles, il reste une charge copieuse à l’égard de la religion papiste de la part d’un protestant ou d’un athée, ancrée sur un je-ne-sais-quoi de Breughel, qui transparait vertement.
Ce que nous dit Hoogstraten encore jeune, mais déjà bien lucide, c’est: « ne nous prendrait-on pas pour des enfants avec ces histoires?!! ». Mais il le dit de sorte que le thème puisse paraître illustré avec juste une distorsion de taille commis par une main supposée malhabile.
(Un geste similaire – alors machinal et non tendancieux – consistant à retrousser sa jupe du dessus apparaît chez « la femme lisant une lettre dans une « perspective » architecturale »qui me semble une scène théâtre avec lumière inversée: le jardin constituerait le fond de scène, le point de vue serait pris depuis les coulisses), commise trente ans plus tard : les éléments usuels sont là. Les chérubins, le chat, le chien, le hublot grillagé qui nous signale une relation charnelle impossible avec l’auteur de lettre, lequel se trouve figuré de dos sous forme de statue à l’extrême gauche: bras liés, contraint par des contingences contrariantes, il se retourne vers la belle, qui trousse sa robe sans raison puisqu’elle est immobile, sans escalier à gravir à cet instant; ce geste parle des choses dont on ne parle pas; elle devra donc probablement se marier avec le type qui attend au fond, dans l’antichambre de réception. Bacchus est tout noir d’ombre: ce ne sera pas la fête! La scène muette illustrerait une intrigue de comédie dramatique que le spectateur doit lui-même imaginer, avec un amour impossible et contrarié par des péripéties jusqu’à la scène finale en happy end.)
Pour revenir à notre Sainte Famille, Gerson et vous-même trouvez l’ombre de ste Anne plutôt fausse; je la trouve pour ma part correcte mais moche, laide à souhait, et volontairement enlaidie. (Ce qui me gêne sera plutôt que les lignes entre les ombres portées et les objets qui les produisent ne nous mènent pas en un point d’émission de la lumière bien déterminé, mais à une zone un peu vague.)
Comment pouvez-vous expliquer que l’auteur se soit planté là, sur l’ombre de ste Anne, mais qu’en traitant la complexité de l’ombre du rouet sur l’escalier, il parvienne à nous produire un très beau « morceau de peinture »parfaitement fluide et cohérent? Je maintiens donc l’hypothèse de ste Anne en pape, le pape régnant en 1648, Innocent III qui a condamné les Traités de Westphalie un mois après leur signature. Et Joseph sous la voûte, ce « père (qui) boit », sera alors Philippe IV soumis, humilié et actant l’indépendance des Pays-Bas.
L’oeuvre sera alors théologico-politique, et clos un cycle qui apparaît de-ci de-là aux Pays-Bas depuis l’époque de la gravure commise d’après Heemskerck « Héraclite et Démocrite ». Sur celle-ci apparaît sur la marge droite un motif dont vous n’aviez pas saisi toutes les implications; il s’agit de la couronne cernée par un cercles d’épées dirigées contre elle: l’Adversité, le « un contre tous/seul contre tous », dans lequel les Provinces vont bientôt se retrouver et qui constitue une perspective qui provoque alors bien des débats au sein des élites et du peuple des Provinces devenues protestantes. « Est-il légitime et sensé de s’opposer aux Puissances de l’Europe et de s’engager dans des guerres contre plus forts que soi? », telle est la question, à laquelle pessimistes et optimistes proposent des modes divergents. Le thème des deux philosophes en opposition n’est pas jeune alors, mais prend alors une actualité plutôt vive.
(L' »Hercule et Cacus » de Goldzius est bien connu, mais je pense que bien des allusions plus subtiles aux guerres réelles ou idéologiques de cette époque nous échappent, particulièrement à nous autres Français.)
Je cite cela parce que les clefs d’interprétation se trouvent aussi parfois dans l’actualité des conflits de l’époque de leur création, de façon inattendue, et, avec Hoogstraten, j’ai appris ces derniers jours que l’on peut s’attendre à des surprises.
Comme ce dernier a assez longuement fréquenté l’atelier pour avoir pu étudier les dessins préparatoires de son maître et ainsi bien connaître ses habitudes anciennes…Et comme il s’est figuré à plusieurs reprises un peu antérieurement à cette même époque en train de lire et d’étudier, il aura eu à coeur de figurer Marie absorbée par une lecture édifiante (ce qui correspond au fort niveau d’instruction des Pays-Bas au XVIIe en regard de celui des Espagnols, soit dit en passant). La sage Marie sera bien sûr la figure des Provinces-Unies élue par Dieu le Père pour porter la Lumière et la Vérité (etc…Et d’ailleurs, elle tient ici la chandelle, assurément) sous la verticale de Dieu-le-Christ non figuré. Par ailleurs, Hoogstraten reviendra travailler sur la monstruosité des ombres portées, bien plus tard (« Inleyding tot de hooge schoole… »).
S’il reste la question: « pourquoi avoir commis un faux pour exprimer cela? », j’avancerai que l’art de Rembrandt était assurément ce qui incarnait aux yeux du jeune homme comme l’expression la plus estimable de l’âme de la « nederlandité » innovante et tout autant ancrée dans les paysages du pays et sachant rendre « magiques » les réalités du quotidien (outre l’estime perso et l’affection que j’avais déjà énoncées comme allant de soi). Je suppose même que Rembrandt a donné son accord et que cela l’a bien fait marré. (Il peut s’agir d’une commande, que le maître a pu concéder à l’élève s’il était pris par une autre, ou bien d’une « incitation circonstancielle » née au cours d’une réunion festive…)
Mais pour les chaussures sur la table, je n’ai rien! Ou sinon seulement ceci, s’il s’agit des chaussures de Joseph-Philippe IV, disons, pourquoi pas: elles pourraient évoquer le manque flagrant de savoir-vivre de sens de la bonne tenue qui caractérisait la soldatesque espagnole, aux yeux des Néerlandais, et qui les choquait profondément depuis les premiers heurts qui ont suivi l’abdication de Charles Quint en 1555. L’expression grotesque de ce manque d’éducation contrastant avec l’humeur studieuse de Marie toute à sa lecture. Un « gag » de plus qui ressemble bien à ce qu’Hoogstraten commettra par la suite.
Je ne reviens pas sur le volet d’accès au Ciel qui a l’air de pouvoir s’ouvrir mais qui, à bien y regarder, ne peut pas, qui exprimerait l’impasse de la théologie « papiste » au yeux d’un protestant: elle a l’air d’être cohérente avec le message de Dieu, mais ne l’est pas. Si vous pensez toujours que ces subtilités seraient trop ardues pour un jeune gars d’à peine vingt ans, rappelez-vous des portraits de groupe et des cercles intellectuels du XVIIe hollandais: Hoogstraten pouvait fréquenter des hommes pleins d’idées auxquelles il a pu être réceptif, il ne manquait ni de capacités ni de prétentions intellectuelles, me semble-t-il.
Bien à vous.
Bonjour
Je viens de passer pas mal de temps sur les catalogues raisonnés et j’ai à peu près fait le tour. Sur les tableaux de Rembrandt, la Bible est le Corpus en six volumes, accessible en ligne: https://rembrandtdatabase.org/literature/corpus . Sur les dessins : https://rembrandtcatalogue.net/. Sur les gravures : https://archive.org/details/RembrandtCompleteEtchingsOfRembrandt2018/mode/2up
Sur Hoogstraten, j’ai parcouru deux ouvrages très intéressants que je lirai en détail plus tard :
https://www.academia.edu/853459/The_visible_world_Samuel_van_Hoogstratens_art_theory_and_the_legitimation_of_painting_in_the_Dutch_Golden_Age_Amsterdam_University_Press_2008_
Sur les liens entre Hoogstraten et Rembrandt, je vous recommande une étude passionnante qui montre ce qu’on peut tirer de trois traits de plume, le chapitre 3 de https://www.researchgate.net/publication/283800755_Thijs_Weststeijn_ed_The_Universal_Art_of_Samuel_van_Hoogstraten_1627-1678_Painter_Writer_and_Courtier_Amsterdam_Amsterdam_University_Press_2013_296_pp_ISBN_978-90-8964-523-4_7900/link/5a2395214585155dd41ccfb6/download
Personnellement, j’évite de rentrer dans les querelles d’attribution, où les arguments d’autorité priment, surtout sur des artistes aussi étudiés que Rembrandt et Hoogstraten. Je trouve vos idées séduisantes, mais indémontrables pour ma part : si par contre vous avez envie de développer vous arguments, vous avez une bonne plume, je serai ravi de vous publier sur mon site.
Il est probable que certaines oeuvres aient un contenu politique, mais là aussi c’est un sujet que j’évite : dans le seul cas où je m’y suis risqué, il y avait vraiment de fortes présomptions : https://artifexinopere.com/blog/interpr/peintres/brueguel/la-pie-sur-le-gibet/ . Sur la gravure d’après Heemskerck « Héraclite et Démocrite », là encore je suis prêt à vous publier, si çà vous dit de vous y coller.
Mon principe est de m’en tenir à la logique interne de l’oeuvre et si je n’en trouve pas, je passe à autre chose. C’est ce que j’ai fait longtemps pour la Nativité qui nous occupe. Mais, grâce à nos échanges, je commence à entrevoir une telle logique, suffisante en tout cas pour rédiger un article. Je pense le mettre en ligne d’ici une semaine ou deux, vous serez sans doute déçu car se sera surtout une analyse comparative, et je n’y parlerai pas de Hoogstraten. Je ne vous en dis pas plus, car j’ai besoin de rédiger pour voir si tous les morceaux s’assemblent. Merci en tout cas de m’avoir relancé sur le sujet.
Bonjour ! (Désolé, je vais commettre une abominable belle phrase:…) Je me trouve très honoré de vos propositions, mais je suis au regret de ne pouvoir y donner suite etc.
D’une part parce que par deux fois j’ai cédé à des demandes de confection de dossiers d’investigation historico-artistiques et, quoique leur finalisation m’ait permis d’en apprendre davantage en creusant plus avant les sujets concernés, il s’en est suivi un classement vertical ou une édition unique à titre strictement privé. D’autre part je suis pris par toute une série d’interrogations portant sur la genèse de l’image médiévale, et ceci de votre faute, d’avoir consulté vos pages et d’y avoir trouvé matière à questions, découvert mes lacunes et tant d’images tirées des manuscrits qui m’étaient inconnues. Enfin, il y a bien des années que je ne me suis intéressé au Siècle d’or Hollandais, et le moindre topos supposerait que je m’y replonge sérieusement. Et par ailleurs, je commence à souffrir de ne plus fréquenter l’Histoire de l’Art que par la petite fenêtre de mon ordi depuis deux ans et quatre mois; j’ai besoin de voir des images reproduites sur papier, à défaut de les voir au Musée; mais cette année, à peine avais-je repris la carte de l’INHA, il y a deux mois, que l’établissement fermait du 20 juin jusqu’à fin septembre…Or je pressens que c’est au sein du fin fond du catalogue de l’INHA que seraient dissimulés (peut-être) les petits cailloux semés par Hoogstraten, ou par d’autres, comme Carel Fabritius qui m’avais bien intrigué autrefois (je subodore toujours une oeuvre résultant d’une interaction entre plusieurs autour d’un pichet de vin de Moselle, une situation qui stimule l’audace, mais qui tiendrait aussi du gag de potache).
Comme je mène mes recherches dans la plus parfaite solitude, n’entretenant ni site ni blog, comme je me tiens en dehors du milieu concerné, je jouis de la liberté de pouvoir questionner à loisir et d’élaborer des hypothèses qui seraient qualifiées d' »audacieuses » par beaucoup. J’ai ce luxe que vous ne vous autorisez pas! Ainsi, j’ai rencontré des cas où une ré-attribution (justifiée et soutenable) m’a permis de donner du sens à une oeuvre.
Je vous citerai le plus rapidement possible « Les Chasses (dites) de Maximilien » , douze gigantesques tapisseries pour lesquelles le Grand Louvre a aménagé spécialement un vaste espace de présentation. Le Musée attribue la confection des cartons à Van Orley, mais en 1982, une historienne belge a ré-attribué celle-ci à Peter Cook d’Alost (ou Van Alst), dont on reconnaît aisément le style, l’humour et les traits usuels sur tous les tableaux. L’attribution à Van Orley repose sur le dessin du Palais de Bruxelles qui a effectivement servi pour le premier tableau, réalisé par Van Orley (daté d’avant 1520 par l’absence d’une modification commise à cette date), et qui est conservé par le cabinet des dessins du Musée. C’est à partir de ce dessin que l’identité de l’empereur figuré au premier tableau a été déterminée, et donc aussi, le titre de l’oeuvre, de façon erronée).
Or la ré-attribution porte la réalisation dans les années 1530 (en fait vers la fin des années 1530) et l’empereur figuré devient Charles Quint (parfaitement reconnaissable, mais figuré à quarante ans, avec une barbe qui masque son menton si particulier, quoiqu’il ait quitté Bruxelles à 17 ans).
Après cela, en décryptant les tableaux un par un dans leurs détails (même les plus triviaux, comme celui du chien qui chie juste sous notre nez), on découvre alors un panorama fabuleux sur près de 25 ans de règne du souverain qui a régenté plus de la moitié de l’Europe, et ceci, vu depuis sa propre fenêtre! (et de celle de Marie de Hongrie qui a supervisé les cartons avant leur passage aux lissiers). La perspicace auteure belge a parfaitement raison, il s’agit bien d’un parti similaire à celui de la Galerie François 1er de Fontainebleau, construit en réplique: « Moi, ma vie, mon oeuvre de roi, et les petits (et gros) problèmes que j’ai pu rencontrer en tant que souverain », le tout énoncé au travers de métaphores subtiles et complexes. Ainsi, (à titre d’exemple) le clébard qui se soulage sous le regard désapprobateur du cheval de Marie de Hongrie, montée dessus « à la garçonne » (soeur de Charles et gouvernante de Pays-Bas), devient un personnage historique de poids, en l’occurence: Martin Luther. En amont de ce tableau, nous voyons les veneurs effectuant des gestes parallèles, en montrant deux à deux simultanément de leur bras tendu un même oiseau dans le ciel, ou le même animal sur la colline en face; tandis qu’après ce tableau, nous trouvons des veneurs effectuant des gestes divergents, ou bien des chiens menés en laisses, l’un flairant vers la gauche et l’autre attiré vers la droite, de sorte que leurs longes se croisent en formant un X, juste derrière le cerf christique caché dans un fourré, qu’ils ne perçoivent pas. La Discorde a remplacé la Concorde.
L’ensemble des « Chasses » constitue un document historique d’un intérêt certain, mais par parisianisme, et à cause d’un seul dessin conservé in situ, l’erreur d’attribution persiste depuis quarante ans (au sein de l’un des Musée des plus prestigieux du monde, et qui n’est pas peuplé que d’imbéciles!), alors que le bouquin en question, très solidement argumenté, se trouve dans les rayonnages en libre-accès de la bibliothèque Forney, à portée de main du curieux qui passe par là.
Quelques tableaux plus loin dans le cycle annuel des « Chasses » (septembre ou octobre ?) la scène nous présente les chienchiens (fidèles) sagement assis, rangés sur deux lignes en face à face, tourné vers un veneur discourant, comme des évêques au Concile ardemment souhaité par Charles, avec encore des veneurs qui y accourent joyeusement avec leurs chiens (fidèles). La scène est digne d’un Walt Disney, ou bien d’un Peter Cook d’Alost: costumier et décorateur de fêtes et de carnavals…Et… beau-père de Bruegel.
Une fois encore j’ai été un peu long malgré mes intentions, mais en développant cet exemple de ré-attribution sacrement productif (s’agissant d’iconologie, de sens, comme d’Histoire et d’humour), j’arrive de facto à cette question : est-il sérieux de vouloir, et est-il possible de fixer honnêtement une limite différenciant ce qui relèverait du « politique » et ce qui relèverait du « religieux » ?(Ceci, de façon générale, et dans le cas présent, sachant que nous avons alors sous les yeux une série de scènes de chasses, souvent décrites platement comme telles et sans véritable justification de la présence du roi Modus et de la reine Ratio au dernier tableau. Je lis sans cesse des propos qui oblitèrent les « scènes de chasse » avec un tampon encreur qui dit: » scènes de chasse=privilège d’aristo » et hop, tandis que j’y décèle couramment différents type de métaphores usuelles selon les époques: la fatalité de la mort, la justification de la puissance des rois et le choix des dieux de les avoir élus pour ce rôle, ou bien la lutte contre les vices et mauvaises conduites transposée en pur héroïsme… )
J’entends par là que certaines oeuvres qui interrogent dévoilent parfois par delà le décryptage nécessaire à leur juste lecture, des aspects « politiques » tandis que l’on attendait du « religieux » ou du « moral », et inversement. En analysant une armoire du Louvre, réalisée vers 1620, j’ai découvert du religieux bien calé et caché dans un assemblage coordonné de thèmes alors en passe de devenir plutôt séculiers et passe-partout : les « quatre saisons » conjugués avec les « quatre éléments », toutes et tous personnifiés par des femmes quasi-nues inspirées de Michel Ange et de Jean Goujon, non dénuées d’érotisme tranquille. L’ordre dans lequel ces figures ont été placées, en lien avec les aigles de Félicité associés, révèle qu’en fait le meuble nous parle de dévotion, de Foi, de mort et d’Espérance. Tandis que je pensais trouver là un bon exemple de la sécularisation des thématiques ornementales en ce début XVIIe, Flapch!! je trouvais en fait la persistance des préoccupations religieuses, et de surcroît, interprétées par une bande de femmes avenantes et quasi-nues … parce que bien évidemment, leurs sentiments sont purs et pleinement sincères!(en correspondance avec la dévotion de la commanditaire, peut-on supposer).
Tout cela m’amène finalement à une autre question, de retour sur le faux Rembrandt, presque parfait : où donc situer « la logique interne de l’oeuvre » si les lumières et les personnages semblent bien cohérents, mais qu’une paire de chaussures incongrûment placée vient vous dire: « Attention! ici, il y a une pipe qui n’est pas une pipe et le sol est glissant! ». La clef a été déposée par l’auteur dans le « presque » que je viens d’employer.
Bien à vous
J’espère ne pas perturber votre rédaction avec des questions à la con!
J’ai mis un peu de temps à vous répondre car je voulais finir mon article sans trop me disperser. Tout chaud : https://artifexinopere.com/blog/interpr/peintres/rembrandt/la-sainte-famille-de-nuit/. Vous y retrouverez certaines des idées de votre première lecture (l’Ancienne Alliance, le banneton, la Résurrection évoquée par le volet impossible) et je vous en créditerai bien volontiers, si vous souhaitez apparaître ailleurs que dans les commentaires.
Vous avez sans doute de bonnes raisons de ne pas souhaiter formaliser vos propos. En ce qui me concerne, la phase de rédaction m’est devenue indispensable, afin d’élaguer le buisson de toutes les interprétations qui me passent par la tête.
Concernant l’INHA, c’est vrai que c’était un peu ollé-ollé ces derniers mois. J’y vais quand même assez régulièrement, après avoir commencé par dégrossir avec tout ce qu’on peut trouver sur internet.
Je ne connaissais pas « Les Chasses (dites) de Maximilien ». Au sujet de la querelle d’attribution, la fiche Wikipédia m’a semblé assez équilibrée, faisant bonne place à l’ouvrage de Sophie Schneebalg-Perelman. J’avoue que personnellement, je ne suis pas très attiré par ces grandes machines officielles, effectivement truffées d’allusions d’époque. Je suis tout de même étonné qu’on en sache aussi peu sur une oeuvre aussi importante. Concernant le décryptage des « portraits historiés », vous pourriez être intéressé par Abolala Soudavar « Decoding Old Masters, Patrons, Painters, and Enigmatic Paintings of the 15th Century ». https://www.academia.edu/5531497/Decoding_Old_Masters_Patrons_Painters_and_Enigmatic_Paintings_of_the_15th_Century
Pour votre armoire de 1620, je serais curieux d’y jeter un coup d’oeil, envoyez-la moi si vous voulez.
Je suis content que vous ayez trouvé matière à questions dans certaines de mes pages, et j’ai vu que vous aviez commencé à en commenter certaines, je vous répondrai plus tard. Non seulement vous ne me perturbez pas avec vos « questions à la con », mais je les apprécie à leur juste valeur.
Bien à vous.
Bravo
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Merci
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