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Le soleil dans une pièce vide

Comme souvent chez Hopper, un titre anodin cache une indication de lecture : le sujet principal n’est pas la pièce vide, mais la lumière. En non pas celle d’un réverbère, mais du soleil.

 

 

Sun in an empty room

1965 Collection privée1963 hopper.sun-empty-room

La fenêtre

La fenêtre ouvre un passage entre le dehors, presque totalement rempli d’un feuillage à l’ombre épaisse, et le dedans, presque totalement vide.


L’angle du mur

Un angle du mur, peu explicable, coupe le tableau presque en son milieu . La encore, le titre nous dit qu’il ne vaut pas la peine de s’interroger sur ce coin, sa raison d’être et ce qu’il cache. Le sujet étant la lumière, cette arête sert à couper en deux celle qui se projette sur le mur, un coin c’est tout.


Les deux portes

Scindée par l’arête, la lumière de la fenêtre dessine deux « portes » virtuelles : une grande et une petite. Mais l’oblique supérieure de la « porte » de gauche est plus basse qu’elle ne devrait, accentuant artificiellement sa petitesse.

1963 hopper.sun-empty-room_portes
Cette erreur de dessin est peut-être à mettre au crédit de l’humour de Hopper, géant de 1m90, à l’encontre de sa petite femme. Les deux portes séparées par l’ombre de l’arrête renvoient au couple qui habite cette maison : celle d’Edward est de hauteur normale, c’est la petitesse de Jo qui offense les lois de la nature.

1965-hopper-two-comedians

Two comedians, 1965 Collection Sinatra

Après Sun in an empty room, Hopper peindra encore deux tableaux : dans le tout dernier, Two comedians, il se représente habillé en Pierrot en compagnie de sa femme. Même composition de gauche à droite : la petite Jo, le grand Edward et l’arbre immense , même contraste lumineux entre le blanc des costumes et le noir de la scène. Au point que Sun in an empty room peut apparaître comme une répétition, en privé, des adieux du peintre à la scène.


Des adieux privés

Sun in an empty room est une profession de foi dans le pouvoir magique de la peinture : puisque la fenêtre permet de passer de l’arbre à la pièce, du dehors au dedans, peut-être est-il possible, au dernier moment, d’utiliser son pouvoir projectif pour ouvrir le mur, et passer du dedans à un outre-dedans encore plus intime.

Ou bien un constat : du couple ne resteront de vivant, dans la maison vide, que deux tâches de lumière mobiles :

Edward et Jo « ayant désormais sublimé la chair et devenus géométrie… polarisés et unis, émanant de la même lumière fondamentale. » Gail Levin, Edward Hopper, an intimate biography, p 562.


Alain Cueff, pour sa part, a bien noté le caractère spectral de  certains de ces tableaux : « le réalisme de Hopper exerce son pouvoir de persuasion moins par ses qualités illusionnistes que par sa capacité à suggérer la présence d’une force ineffable ».  Edward Hopper, Entractes, Alain Cueff, Flammarion,  2012, p 247

Le barreau qui manque

La fenêtre à guillotine est coupée en deux par un barreau horizontal. Hopper n’a pas oublié son ombre sur la tranche de l’embrasure : mais il ne l’a pas prolongée dans les zones lumineuses du mur ou sur le sol : nouvelle erreur manifeste.

…les processus d’élimination, d’occultation, de dispense de l’information, sont au coeur même de l’esthétique de Hopper. Opaques, objectives, presque palpables, en se manifestant les figures font du même coup valoir des absences, des vides et, parfois, des abîmes. A.Cueff, op.cit. p 243

La lumière dans cette pièce vide a décidement des propriétés étranges :

horizontalement elle divise , verticalement elle fusionne…


Le soleil bas

L’ombre du barreau que Hopper a laissée pour attirer notre attention pointe vers un soleil assez bas, à son lever ou à son coucher. Or un soleil bas projetterait la fenêtre uniquement sur le mur.

1963 hopper.sun-empty-room_bas


La soleil haut

En revanche, la projection sur le plancher correspond à un soleil de midi, qui supprimerait la projection sur le mur.

1963 hopper.sun-empty-room_haut

Au delà de la dialectique hoppérienne du dedans et du dehors, de l’ombre et de la lumière, l’impression d’inquiétante étrangeté que produit le tableau tient à des « erreurs » de dessin destinées à attirer l’attention :

  • la « porte » trop basse renvoie à la trop petite épouse
  • la lumière projetée fusionne deux soleils, l’un très haut et l’autre à son couchant
  • la suppression de l’ombre du barreau permet de ne pas déceler au premier coup d’oeil l’impossibilité physique de ce double éclairage

One Comments to “Le soleil dans une pièce vide”

  1. Merci beaucoup pour cette analyse que je trouve vraiment bien réalisée 😉 Elle m’a beaucoup aidé pour un oral que je prépare… Merci beaucoup encore une fois 😀

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