Pompe à essence
« Hopper peint la profonde banalité d’un paysage suburbain avec les égards dignes d’une scène sacrée. » Edward Hopper, Entractes, Alain Cueff, Flammarion, 2012, p 151
Gas
1940, MOMA, New York
Station service Mobiloil de Truro
Hopper a apporté certaines modifications : il a déplacé vers le fond le poteau qui porte l’enseigne et a rajouté à sa place, entre les deux pompes à essence, la pompe à air qui se trouvait sur le côté du bâtiment.
Le point de vue surplombant
Le point de fuite se trouve sur la bretelle vide, un peu plus haut que les yeux du pompiste – disons à la hauteur d’un chauffeur de bus ou de camion. Ce point de vue légèrement surplombant contribue à minimiser la tâche subalterne du pompiste.
L’homme isolé
Celui-ci se livre à une occupation indéfinie sur la face arrière des pompes : nettoyage, réglage ? Quoiqu’il en soit il a passé la ligne des machines et se trouve sur une sorte d’île, un no man’s land entre deux routes vides, à mi-chemin entre la lumière qui sort de la maison et l’ombre touffue des bois.
Des extensions inexplicables
Une planche semble barrer la fenêtre latérale : à la réflexion, on comprend qu’elle fait partie de l’édicule situé dans le coin droit : le tout premier plan empiète sur le plan moyen.
Au centre, la langue lumineuse émise par la porte se prolonge exagérément, jusqu’à passer entre les pompes pour venir mourir derrière l’homme : alors qu’elle devrait s’arrêter là où s’arrêtent les projections au sol des deux fenêtres – à peu près au milieu de la bretelle d’accès.
Enfin, une branche d’arbre oblitère le poteau du panonceau publicitaire : l’arrière-plan vient lécher le plan moyen.
Toutes ces « maladresses » volontaires contribuent à saper, de manière subliminale, le réalisme de la scène : et donnent l’impression que l’édicule, la maison et l’arbre concourent à projeter vers la gauche des tentacules inquiétantes.
Le véhicule subtilisé
C’est bien sûr l’absence de voiture qui fait la force de la composition, en lui ôtant toute signification rationnelle. Puisque le pompiste est sorti, on pourrait imaginer qu’un véhicule s’était effectivement engagé dans la bretelle il y a quelques instants… et qu’il vient magiquement de se métamorphoser en cet autre véhicule rouge, Pégase le cheval ailé qui vole sur le panonceau.
La station-service, avec ses lumières attirantes, apparaît alors comme un piège du bord de la route, un monde à l’envers où ce ne sont plus les voitures qui se nourrissent auprès des pompes, mais les pompes qui se nourrissent de voitures.
Sous le signe de Pégase
En se tripliquant sur les disques lumineux des pompes, ce n’est plus la marque Mobiloil, mais la griffe du divin Pégase qui s’appose sur cette scène familière et la propulse d’un coup dans un passé archaïque.
Dans les trois pompes nous reconnaissons alors trois idoles anthropomorphes auprès desquelles s’affaire un prêtre en veston, juste sorti de son temple en bardeaux.
Et le rouge vif qui baigne les idoles et le bas du poteau ensemence la scène de sa tonalité sacrificielle.
Seize ans plus tard, Hopper va reprendre le thème de la station-service Mobiloil, avec une pompe en moins, une femme et une route en plus.
Four lane road
1956, Collection privée
Le pompiste
Le pompiste est habillé comme celui de Gas : chemise blanche ouverte, gilet et pantalon sombre. Il est assis à l’extérieur, prenant de face un soleil bas qui projette une ombre tranchée derrière lui. Ses bras sont bronzés : il a l’habitude de s’exposer ainsi.
Mais par sa position assise, il rappelle surtout le jeune architecte méditatif peint trois ans plus tôt (voir Vigies).
Un moment de liberté
A l’opposé du pompiste nocturne de Gas, effacé derrière les machines, celui-ci cumule trois attributs positifs des mâles hoppériens :
- la vigie (celui qui voit loin) ;
- le contemplatif (face au soleil couchant) ;
- l’esprit libre (il tient dans sa main droite un petit cigare pour fumer à côté de ses pompes).
La brailleuse
Sa femme est sortie à la fenêtre et l’interpelle dans son dos : comme le dit Jo, « elle trouve que sa sérénité est un test. » Ce tableau est sans doute celui qui affiche le plus ouvertement le conflit homérique entre l’énergie envahissante de l’une et le besoin de liberté de l’autre.
Le store dangereusement baissé traduit d’ailleurs, avec humour, une tentation de décapitation…
Mais derrière cette interprétation facile se cache un message plus subtil…
Les deux routes
Le titre Route à quatre voies attire l’attention sur le fait que la station ne dessert pas une petite route de campagne, comme celle de Gas ; mais une autoroute, autrement dit deux voies séparées par un terre-plein central.
L’autoroute renforce donc l’image du couple dissocié, poursuivant à toute vitesse deux chemins parallèles dans des directions opposées.
Les deux pompes
La lecture évidente conduirait à associer la pompe de gauche, que l’on voit en totalité, avec l’homme assis à l’extérieur. Et la pompe de droite, encadrée dans une fenêtre, avec la femme encadrée dans l’autre.
Les deux fenêtres
Celle de droite est entièrement occupée par la femme. Celle de gauche montre des bouteilles, un objet multicolore qui semble être un abat-jour style Tiffany et, au travers de la fenêtre arrière, la seconde pompe et les bois.
D’une certaine manière, elle fonctionne presque comme un miroir qui refléterait la première pompe.
L’homme-pompe
L’avant-bras de l’homme, posé à angle droit, épouse la forme du terre-plein qui supporte la pompe anthropomorphe, dont le disque est homologue à sa tête.
Dès lors le disque identique de la seconde pompe devrait correspondre à une seconde tête. Or celle-ci existe bien : c’est l’ombre qui se projette sur le mur, au dessous de la seconde pompe.
Le rôle du peintre
Qu’est ce que le rôle du peintre selon Hopper, sinon reproduire le réel dans un cadre et sur une toile blanche ? L’homme tranquille de Four Lane Road affiche dans son dos – certes sa femme qui braille – mais surtout une théorie du réalisme.
La composition de « Four Lane Road » superpose en définitive deux métaphores de la fidélité :
- la fidélité dans le couple, à savoir habiter deux fenêtres voisines et rouler en sens inverse dans deux voies jumelées ;
- la fidélité en art, à savoir dessiner comme l’ombre et peindre comme le miroir.
Dans ces deux tableaux si différents, Hopper invente le concept malicieux de l’artiste non pas pompier, mais pompiste : manipulant son pinceau comme l’autre son pistolet, il fournit aux spectateurs qui s’arrêtent devant le tableau – comme les voitures devant la pompe – l’« essence » la plus pure possible, et qui les fera voyager le plus loin :
- dans Gas, le pomp-artiste apparaît comme une sorte de prêtre au service de forces archaïques mal définies ;
- dans Four Lane Road, la force archaïque prend forme humaine sous les espèces d’une harpie hurlante parfaitement identifiable, et le pomp-artiste se dépeint comme un homme tranquille capable, malgré les hurlements, de savourer son soleil et son cigare en méditant sur ses prochaines oeuvres.
c bien
Merci ! pour l’histoire des art !!!
Super presentation ! wow !
Verbiage. Bavardage purement gratuit. Rien pour étayer les hypothéses. Tissu de suppositions gratuites. Rien n’est analysé. Le commentateur ne nous dit rien sur Hopper, il parle de lui même. Il est son propre sujet, il nous dit toute l’admiration qu’il se voue, il s’écoute écriré s’admire délirer. Reprenez ce baratin et les poncifs qu’il charrie, appliquez le à n’importe quel oeuvre d’art, ça marche. Songe-creux, pensée sans penser. Détestable médiocrité, le génie d’Hopper mérite autre chose, et peut -être d’abord le silence et ensuite la modestie. Tais toi bavard!
NB:Le paralléle avec les statues de l’île de Pâques est à mourir de rire!!!!
Heureux de vous avoir fait rire. Apparemment vous vous êtes trompé d’adresse : ce site ne propose ni des analyses ni des hypothèses, mais des interprétations. Bien sûr que l’interprète se met en valeur en parasitant le créateur. La seule question qui vaille est : ajoute-t-il à l’oeuvre ou la dénature-t-il ? Ces trois pompes génialement mises en scène n’ont-elles vraiment rien de totémique ?
Vous dites que je m’écoute écrire et m’admire délirer : je pense que je m’écoute admirer. Quant aux « poncifs » que vous dénoncez, il semble que certains les nomment « symboles », ou « archétypes », et que quelques rares oeuvres s’en nourrissent.
C’est pourquoi je vous rassure : ce genre de baratin ne s’applique pas à n’importe quel tableau ni à n’importe quel peintre. A mon grand regret.
Rabat joie! Philippe, le jubilatoire est nécessaire, on le trouve ici, et c’est bon.
Bonsoir,
je trouve tes interprétations fort intéressantes, mon cher Philippe. J’approuve tout à fait ton point de vue. Cet Albrecht aurait du tourner sa langue sa langue sept fois dans sa bouche au lieu d’écrire de telles âneries. Le génie d’Hopper est un joyau qui mérite bien plus de respect.
Je vous en prie,
Zak Groot.
belle description ce n’est peut-être pas en rapport avec les critère d’histoire des arts mais il a de très belles interprétation. supposition bien réfléchis.
génial
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