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Pendants architecturaux

La période des tableaux d’architecture est assez courte : mi XVIIème à fin XVIIIème, mais très prolifique. Dans cette production, les pendants ne sont pas rares : moins chers que des peintures d’histoire, ils se prêtaient à une vente par paire. De plus, l’éviction de tout sujet permettait de composer des couples sans trop se creuser la cervelle, une quelconque symétrie pouvant suffire.

Nous allons voir que ces pendants réservent d’heureuse surprises. En commençant par un exemple précurseur, intermédiaire entre la peinture de paysage et la peinture d’architecture, et que nous devons à un très grand artiste.



 

velasquez-1630-vue-du-jardin-de-la-villa-medicis-de-rome_le-pavillon-d-ariane-loggia-de-cleopatre-pradoVue du jardin de la villa Médicis de Rome : Le pavillon d’ Ariane (Loggia de Cléopâtre ) velasquez-1630-vue-du-jardin-de-la-villa-medicis-de-rome_lentree-de-la-grotte-pradoVue du jardin de la villa Médicis de Rome : L’Entrée de la grotte

 Vélasquez, 1630, Prado, Madrid

Ces deux petits tableaux sont très célèbres, car ils sont le tout premier exemple d’une peinture à l’huile réalisée hors de l’atelier, directement sur le motif. Mais pourquoi Vélasquez a-t-il choisi , parmi toutes les beautés du jardin de la Villa Médicis, ces deux détails qui n’ont été représentés par personne d’autre ? Et pourquoi en avoir fait des pendants ?

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villamedicis La couleur et son lieu / Emmanuel Van der Meulen - Teatro delle Esposizioni III - Loggia di Cleopatra - Villa Medici -  Roma

Les deux portiques existent toujours : seule a changé, depuis le temps de Vélasquez, la statue abritée dans la loggia : l’ Ariane endormie (original hellénistique que l’on croyait être Cléopâtre mourante, maintenant au musée des Offices) a été remplacée par une Vénus.

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jardins-de-la-villa-medicis-detail-gravure-giovanni-battista-falda-pianta-del-giardino-del-serenissimo-granduca-di-toscana-alla-trinita-dei-monti-sul-monte-pincio-1683

Pianta del giardino del serenissimo granduca di Toscana alla Trinità dei Monti sul monte Pincio (detail),
gravure de Giovanni Battista Falda, 1683

Les deux vues pointent la première vers le Nord Est, la seconde vers le Sud Est, deux directions où rien de particulier n’est à observer  : la logique du pendant n’est pas topographique (opposer une vue vers Rome et une vue vers la campagne, par exemple).

Incidemment, on peut noter que l’ombre de la statue, à droite de l’entrée de la grotte, est impossible (elle correspondrait à un soleil au Nord) : ce qui relativise le côté « peint sur le motif », et met à mal l’idée souvent avancée que les deux tableaux opposeraient le matin et le soir.

Leur raison d’être est probablement purement architecturale : les tableaux  montrent tout deux une serlienne (ou fenêtre palladienne), groupement de trois baies dont la baie centrale est couverte d’un arc en plein cintre et les deux baies latérales d’un linteau, à la manière d’un arc de triomphe romain.

L’une est une fenêtre ouverte sur le paysage, l’autre une porte fermée sur une grotte sans issue.

En peignant ces deux serliennes des jardins, Vélasquez capte le motif qui synthétise à la fois la villa Médicis et la base de toute architecture : le dialogue entre l’ouvert et le clos.

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Les jardins vus du portail de la Villa Medicis



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La Libération de Saint Pierre
Pieter Neefs l’Ancien, collection privée

Spécialisé dans les intérieurs d’église et les enfilades de croisées d’ogive, Pieter Neefs l’Ancien met en place deux galeries parallèles pour nous montrer Saint Pierre,  guidé par un ange hors de sa prison, qui va sortir par la porte de gauche. Nous sommes ici à la limite des pendants : car pour que les points de fuite coïncident, il faut que les deux tableaux se touchent.



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La Libération de Saint Pierre
Pieter Neefs l’Ancien, 1637, Hoogsteder & Hoogsteder, La Haye

Dans cette autre version, d’ailleurs, les deux décors ont été fusionnés en un tableau unique. Le sens de parcours a été inversé  : Saint Pierre et son guide entrent par la porte de gauche dans le corps de garde où, à perte de vue, autour d’un brasero ou d’une chope, tous les soldats ont été endormis par la puissance de l’Ange : ainsi la perspective  magnifie le miracle.


Au tournant entre le XVIIème siècle et le XVIIème, s’est développé un genre très spectaculaire et assez radical de peinture, où l’oeil jouit des techniques  pour elles-mêmes (la perspective, le tracé des ombres, les règles de l’architecture) – sans exiger la moindre signification. Un peu comme au début des images de synthèse, d’autant plus saluées que leur exactitude surhumaine les rendaient plus artificielles.



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Intérieur de temple
Coccorante, début XVIIIème siècle

panini-1725-1750-ca-statues-in-a-ruined-arcade-marble-hill-house-londonStatues sous des arcades en ruines
Panini, 1725-1750, Marble Hill House, Londres

 

La stricte application de la perspective centrale à un bâtiment composée de structures répétitives (colonnes, voûtes) créée mécaniquement un effet d’abyme, spectaculaire, mais vite lassant. Trois procédés, visibles ici, permettent d’introduire une certaine variété dans cette jouissance fractale :

  • le décentrage du point de fuite casse la symétrie tout en conservant l’exactitude géométrique, qui est l’argument de vente de ces oeuvres techniciennes ;
  • les staffages, ou figurines de remplissage miniatures, rendent le bâtiment plus imposant  et en même temps plus vivant ; elles doivent se livrer à des activités anonymes et anodines, de manière à ne pas transformer en peinture d’histoire (genre  plus onéreux) ce qui doit rester un exercice de style à vocation décorative ;
  • les parties  ruinées rajoutent des discontinuités bienvenues et des échappées vers le ciel, qui font entrer  la couleur et le nuageux dans cet univers rectiligne.

Le tableau de Panini,à droite, constitue un comble de l’échappée multidirectionnelle : en profondeur, en largeur et en hauteur.



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Colonnes en ruine
Gennaro Grecco, début XVIIIème siècle

On voit ici le passage à la limite de ces trois procédés :

  • le point de fuite sort du tableau ;
  • les figurants, placés à un endroit stratégique et dans des poses dramatiques, deviennent sujet d’attention ;
  • une ruine dont le toit et les cloisons  ont disparu crée un effet fascinant de mélange entre intérieur et extérieur.

Ces deux exemples montrent les limites relativement étroites du genre, avec lesquelles les différents artistes vont devoir composer. Malgré leur nom qui signifie  « fantaisie », les capricci sont moins des oeuvres glorifiant l’imaginaire que des objets techniques valorisant le savoir-faire, des fabrications en série générées par une combinatoire de motifs  et l’application mécanique des mêmes règles : au point qu’il est impossible de leur donner un titre distinctif. En outre, l’absence de datation rend  difficile de distinguer les innovateurs et les suiveurs, dans ce marché très spécialisé qui nous a laissé des centaines d’oeuvres, étalée sur deux générations.

Et parmi celles-ci, quelques dizaines de pendants. Nous allons en présenter quelques-uns, qui permettent de se faire une idée des règles non-écrites régissant ces compositions.


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Capricci architettonici con figure (accrochage 1)
Coccorante, début XVIIIème siècle, collection Piranéseum

Les deux grandes arches ferment symétriquement les bords externes du pendant. La grande statue vue de dos, à gauche, contemple l’ensemble et donne le sens de la lecture. Au centre, deux enfilades de même hauteur  se raboutent : à gauche des colonnes ioniques jumelles, portant un linteau sans balustrade ; à droite des pilastres avec balustrade.

Pourtant, quelque chose nous laisse sur notre faim dans cette disposition. Essayons l’accrochage inverse…

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Capricci architettonici con figure (accrochage 2)
Coccorante, début XVIIIème siècle, collection Piranéseum

Maintenant, ce sont les arches qui se raboutent au centre, et les colonnades  qui ferment les bords. L’oeil expert trouve ici une double jouissance : celle de pouvoir comparer les deux types différents d’architecture (colonnes ioniques jumelles contre pilastres), tout en se laissant tromper, au centre, en recollant deux arches qu’il sait pourtant différentes

Ce qui nous donne deux conventions des  pendants architecturaux :

  • 1) sur les bords externes, être fermés par des motifs qui se répondent et qui se renvoient le regard, comme une balle entre deux frontons ;
  • 2)  au centre, faire « comme si » les deux pendants constituaient deux  vues d’une réalité unique, tout en le déniant subtilement : car l’acheteur paye pour deux inventions originales, pas pour une copie en miroir. Nous baptiserons cette règle : la continuité paradoxale.

Enfin, une troisième règle, très évidente dès lors qu’on s’intéresse à la question de l’éclairage, est un corollaire de la deuxième :

  • 3) 3) faire « comme si » le soleil était approximativement situé entre les deux pendants.

C’est d’ailleurs la raison principale qui rendait insatisfaisant le premier accrochage : les deux éclairages latéraux induisaient inconsciemment une impression de divergence visuelle.

Voici une série de pendants se conformant strictement à ces trois règles :



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Capricci architettonici con tombe di imperatori romani
Coccorante, début XVIIIème siècle



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Pair of architectural capricci with figures before a sarcophagus and figures in a ruined arcade
Coccorante, début XVIIIème siècle



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Gennaro Grecco
Thermes antiques en ruines

Ici, la continuité paradoxale s’applique dans toute sa perversité : les arches du premier plan sont identiques et se recollent vraiment, faisant accroire que la piscine du second plan est la même dans les deux tableaux.



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A capriccio of the inside of a temple with ruins beyond; a lacustrine landcape with classical ruins
Codazzi, début XVIIIème siècle

Ce dernier pendant ajoute l’opposition terrestre/aquatique, que l’on trouve plutôt dans les pendants paysagers.


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Mais l’intérêt d’une règle, c’est bien sûr de pouvoir l’enfreindre, ce qui offre une nouvelle source de variation et d’épate.



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Architectural capriccios
Coccorante, début XVIIIème siècle

Ici est enfreint  le deuxième commandement, celui de la continuité paradoxale : au centre, non seulement les arches emboîtées ne peuvent se rabouter , mais leur disproportion délibérée vaut ironie – regardez bien comme nous sommes différentes, quoique semblables.


pietro-capelli-1Capriccio with Hercules and the Nemean Lion pietro-cappeli-2Capriccio with equestrian statue

Pieto Capelli, début XVIIIème siècle, collection Piranéseum

Chez cet ennemi juré de Coccorante, le principe de continuité est délibérément remplacé par un principe de contradiction  :

  • au carré de terre surplombé au fond par une statue pédestre, s’oppose la piscine surplombée sur le côté par une statue équestre ;
  • au porche interrompu, à une arcade, s’oppose le portique à deux arcades qui ferme toute la largeur ;
  • à la cour en grisaille s’oppose le vide du paysage qui s’estompe.



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Apôtre prêchant et Repos durant la fuite en Egypte
Alberto Carlieri, début XVIIIème siècle

Ici c’est la règle N°3 qui trépasse : deux soleils éclairent latéralement les deux décors, qui restent néanmoins conformes aux règles N°1 et N°2.


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Pair of architectural capricci
Coccorante, début XVIIIème siècle, collection Piranéseum

Ici les deux premières règles sont violées (pas d’effet fronton, pas de continuité paradoxale) et la troisième est violentée : le soleil reste unique, mais pas au centre des deux pendants.  Conséquence cruciale : il n’y a plus d’accrochage obligé, les deux pendants peuvent être intervertis à loisir.



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Capriccio with Ancient Ruins and Figure, Dawn
Coccorante, début XVIIIème siècle

Apparemment, ce pendant satisfait les trois règles. Pourtant nous avons triché…


coccorante_-_capriccio_with_ancient_ruins_and_figure_dawn_1


… car le pendant réel est celui-ci qui, comme le précédent, les viole ou les violente toutes. Nous rencontrons ici un système totalement différent, où les pendants se répondent non par symétrie, mais par translation : le plaisir visuel vient ici, non plus du raboutement  façon puzzle,  mais de la comparaison de variantes, façon jeu des sept erreurs.


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tiepolo-et-gerolamo-mengozzi-colonna-vesr-1725-coll-privee-the-interior-of-a-church-with-vestal-virgins-and-other-figures-and-the-interior-of-a-classical-library-with-figures

Intérieur d’une église avec des Vestales et autres figures
Intérieur d’une bibliothèque avec figures
Tiepolo (figures) et Mengozzi-Colonna (architecture), vers 1725, Collection privée

Même principe de comparaison dans ce pendants exceptionnel, sur lequel on ne connait rien de certain  : ni les auteurs, ni la date, ni les sujets (scènes de théâtre ?), ni les circonstances de la composition. A l’évidence, les deux décors sont construits de la même manière : même source de lumière en haut à gauche,  même choeur démesurément surélevé desservi par un grand escalier, entre deux portes latérales donnant sur des escaliers descendants.



tiepolo-et-gerolamo-mengozzi-colonna-vesr-1725-coll-privee-perspective

Le point de fuite est situé à la même hauteur dans les deux tableaux, très au dessus de la hauteur d’homme: le spectateur est supposé planer au niveau du choeur tout en se trouvant dans la nef.

La position du point de fuite nous donne, à défaut d’une signification, du moins une  logique de contemplation :

  • en se plaçant au niveau du premier point de fuite, le spectateur observe le choeur de loin, ce qui lui permet de voir la croisée de transept  et de lever son regard vers la  coupole ;
  • en se décalant ensuite devant le second point de fuite, le spectateur  pénètre dans la profondeur du  tableau, à l’intérieur  du transept, d’où il peut maintenant plonger son regard dans  les escaliers descendants.

Ainsi, en se décalant latéralement  d’un pendant à l’autre, l’oeil jouit d’une double transformation :

  • la transformation  purement géométrique des formes, dû au décalage dans la profondeur ;
  • leur métamorphose purement architecturale, due à l’imagination de l’artiste : pilastres, choeur carré, arrière-choeur arrondi   contre colonnes torses, choeur arrondi et arrière-choeur carré.



Avec Panini, nous sommes  à la limite entre le tableau d’architecture et le tableau d‘histoire. Faisant désormais jeu égal avec le décor, les figures grandissent en taille et en signification, offrant de  nouvelles possibilités de variation face à la demande toujours croissante de souvenirs romains, pour les voyageurs du Grand Tour.



 

panini-1718-19-alexander-the-great-at-the-tomb-of-achilleswalters-art-museum-baltimoreAlexandre le Grand à la tombe d’Achille panini-1718-19-alexander-the-great-cutting-the-gordian-knot-walters-art-museum-baltimoreAlexandre le Grand coupant de Noeud Gordien

 Panini, 1718-19, Walters Art Museum, Baltimore

Dans ce pendant de type « comparaison de variantes », les deux scènes de la vie d’Alexandre se superposent plutôt qu’elles ne s’opposent. Dans les deux, le sujet d’intérêt (la tombe ou  le noeud) est situé sous un portique (ionique ou corinthien ), au pied d’une statue tutélaire (Achille ou Jupiter).  Le contraste se limite à l’arrière-plan (ouvert ou fermé) et à l’état du bâtiment, qui suit la logique de l’histoire : ruine, dont l’antiquité est soulignée  par la pyramide égyptienne, ou palais neuf, contemporain d’Alexandre. Le soleil étant à la même place en haut à gauche, il n’y a pas d’ordre privilégié pour l’affichage autre que la chronologie des bâtiments (cet emplacement du soleil est systématique chez Panini).

 Panini-1719-Ruins-of-a-Temple-with-a-Sibyl-Ruines d’un Temple avec une Sibylle  Panini-1719-Ruins-of-a-Temple-with-an-Apostle-Preaching-Holburne-Museum-BathRuines d’un Temple avec un Apôtre

Panini, 1719, Holburne Museum, Bath

On retrouve ici le même type de composition superposable, avec arrière-plan fermé ou ouvert. Les sibylles ont prévu la venue de Jésus, les apôtres ont propagé son message : il y a donc ici aussi un ordre chronologique d’accrochage, et un obélisque égyptien qui signale la scène la plus ancienne.


panini-1720-ca-ruins-with-a-sibyl-and-other-figures-hashmolean-museum-university-of-oxfordRuines avec une Sibylle et autres figures panini-1720-ca-ruins-with-a-prophet-and-other-figures-hashmolean-museum-university-of-oxfordRuines avec un Prophète et autres figures

Panini ,vers 1720, HAshmolean Museum, Université dOxford

Un autre couple de devins trouve également sa place naturelle parmi les ruines  : le prophète biblique et la sibylle, son pendant dans le monde antique (à la Chapelle Sixtine, Michel Ange les a fait alterner équitablement).

Pour traiter ce thème, Panini a choisi ici l’autre type de composition : celle du pendant symétrique avec murs frontons latéraux et continuité au centre assurée par les colonnes. La symétrie latérale est renforcés par les deux objets d’art (urne inspirée du Vase Borghese et statue) ainsi que  par les deux bas-reliefs posés près de la mare.


Panini 1731 Ruins with Prophet (left) and Ruins with Sibyl (right) coll priv

Ruines avec Prophète  et Ruines avec  Sibylle, Panini, 1731, collection privée

Même composition symétrique pour ce pendant où le prophète, à gauche, fait face à un groupe de femmes tandis que la sibylle, à droite, s’adresse à un groupe de soldats.  Architecturalement, les entablements horizontaux  du portique font contraste avec les arcatures féminines du temple démoli. Aux bords extrêmes, le grand sarcophage équilibre la statue bénissante tandis qu’au centre, comme dans le pendant précédent, les deux bas-reliefs ornés d’un sphinx et l’arbre sont chargés d’assurer une forme de continuité.


Museo Thyssen- BornemiszaL’expulsion des marchands du Temple(Jean, 2, 13)
Museo Thyssen- BornemiszaLa piscine de Bethesda (Jean, 5, 1)

Panini, 1724, Musée Thyssen Bornemisza, Madrid

Ce pendant illustre deux scènes racontées par Jean, situées toutes deux à Jérusalem. L’épisode des marchands du Temple témoigne de la juste indignation de Jésus, tandis que celui de Bethesda met en lumière sa compassion : à un paralytique incapable de se soigner en se baignant comme les autres dans l’eau salvatrice, il ordonne de prendre son grabat et de marcher.

Panini recourt ici à nouveau à la composition « superposable ». Les deux scènes reçoivent le même éclairage, du haut à gauche ; un chien noir et blanc marque la limite de l’ombre, en face une femme tient son enfant nu  et entre les deux, au sommet de ce triangle d’attention, Jésus se dresse en robe rouge et voile bleu.

C’est l’architecture qui vient ici magistralement appuyer la sémantique opposée des deux scènes : à gauche, le temple arrondi et l’escalier, vus latéralement et en contreplongée, matérialisent l’Expulsion, tandis qu’à droite, le centre vide, la vue de face et de plain-pied attirent vers Jésus  les invalides, tout autant que le regard du spectateur.


panini-1742-predication-de-saint-paul-grenoble-musee-des-beaux-artsPrédication de Saint Paul panini-1742-predication-de-saint-pierre-grenoble-musee-des-beaux-artsPrédication de Saint Pierre

Panini, 1742, Musée des Beaux Arts, Grenoble
(Photographies de Jean Louis Mazieres, https://www.flickr.com/photos/mazanto/)

Saint Paul est représenté dans un paysage romain de fantaisie, entre les trois colonnes du temple des Dioscures et la pyramide de Celsius. Saint Pierre quant à lui prêche au pied de la basilique de Maxence, dont les trois arches font contrepoint aux trois colonnes.

Nous retrouvons les bas-reliefs antiques posés près de la mare pour conforter la symétrie latérale. La continuité centrale est assurée par l’arbre derrière les deux objets d’art : ici c’est une statue de lion qui fait pendant au pseudo-vase Borghese.

Un des plaisirs du genre est le placement désordonné des personnages, en contraste avec la symétrie du décor. La seule règle  évidente est ici l’inversion des postures  : Saint Paul debout au centre des auditeurs assis, Saint Pierre assis au centre des auditeurs debout.


pannini-1753-l-adoration-des-mages-Brooklin MuseumL’Adoration des Mages pannini-1755 l-adoration-des-bergers-Brooklon MuseumL’Adoration des bergers

Panini, 1753-55, Brooklin Museum

La convention du pendant architectural permet de faire cohabiter deux crèches différentes, telles l’escalier noble et l’escalier de service : l’une se niche dans des ruines imposantes pour recevoir les Rois, l’autre dans des ruines plus ordinaires  pour la visite des bergers.



Autre artiste apprécié par les touristes, Canaletto a lui aussi réalisé un pendant architectural.

Giovanni_Antonio_Canal,_il_Canaletto_-_Capriccio with Classical Ruins and Buildings_ Accademia 1750Capriccio avec des ruines classiques et des bâtiments Giovanni_Antonio_Canal,_il_Canaletto_-_Capriccio_with_Ruins_and_Porta_Portello,_Padua_-_WGA03971 Accademia 1750Capriccio avec des ruines et la Porta Portello de Padoue

Canaletto, vers 1750, musée de l’Accademia, Venise

La mise en pendant ne se justifie ici que par la présence des deux loggias fermant les bords externes, l’une de style renaissance, l’autre de style gothique. Les visiteurs munis de longs bâtons ajoutent un semblant d’unité.



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guardi-1785-ca-capriccio-avec-un-arc-coll-privCapriccio avec un arc guardi-1785-ca-capriccio-avec-un-arc-pres-de-la-lagune-coll-privCapriccio avec un arc près de la lagune

Guardi, vers 1785, collection privée.

Dans cette composition similaire, un motif en arche harmonise une scène terrestre et une scène maritime.



Trop répétitif et italianisant, le pendant purement architectural  va se démoder et perdre son statut de genre à part entière. Quelques  artistes vont y revenir sporadiquement et le déplacer, selon leur tempérament, dans les jardins, à la ville, à la campagne…



de Lajoue II, Jacques, 1687-1761; Garden with Eastern FiguresLe Grand Turc sur un tapis turc, avec une sultane se penchant sur un Nègre dans le jardin des plaisirs de Lajoue II, Jacques, 1687-1761; Neptune's FountainLa Fontaine de Neptune

Jacques de Lajoue, 1740, National Trust, Waddesdon Manor.

A gauche, la turquerie est faiblement accréditée par les deux croissants en haut des pilastres, tout le reste du « jardin des plaisirs » étant d’un rococo échevelé. Le pendant offre de quoi s’amuser aux amateurs de symétries architecturales : colonnes torses ioniques contre colonnes droites corinthiennes ; ferronnerie contre marbre ; statue de Vénus allongée sur des coussins, vue de face, avec Cupidon et sa torche, contre naïade allongée sur une urne, vue de dos, avec un Amour tenant une ligne.

Le regard circule de gauche à droite, d’abord en descendant l’escalier qui mène à la fontaine turque,  puis en remontant celui qui mène, depuis la fontaine de Neptune, aux personnages d’ici et maintenant.


jacques-de-lajoue-le-canal-1740-ca-coll-priveeLe canal jacques-de-lajoue-la-promenade-en-barque-1740-ca-coll-priveeLa promenade en barque

Jacques de Lajoue, vers 1740, collection privée

Ces deux pendants proposent eux-aussi une promenade en continu, du bord externe gauche au bord externe droit  :

  • d’abord, on arrive en barque depuis le canal, on débarque, on monte par l’escalier qui tourne autour de l’arbre ;
  • ensuite, on redescend derrière l’arbre, on embarque, on passe la porte entre les deux fontaines et on ressort par le tunnel du fond.



hubert-robert-1754-60-roman-figures-under-an-arcadeFigures romaines sous une arcade hubert-robert-1754-60-roman-figures-in-a-caveFigures romaines dans une grotte

Hubert Robert, 1754-60, Collection privée

Dans ces deux tableaux datant de ses années romaines, Hubert s’amuse  avec les conventions du  pendant : seule la portion de paysage visible par l’ouverture montre à gauche un paysage terrestre, à droite un paysage maritime. Les scènes représentées (un repas et une halte) ont moins d’importance ici que le décor : les deux pendants se raboutent l’un à l’autre pour former une sorte de tunnel, dans lequel le cavalier qui entre à gauche et celui qui sort à droite indiquent le sens de la circulation.

Entre la construction humaine retournant à la nature, et la carrière dans laquelle des blocs ont été taillés, entre la ruine et la grotte, c’est la continuité qui compte.


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Le Canal et la Cascade
Hubert Robert,  1774, Collection privée

Vingt ans plus tard, en France, ce pendant est conçu selon le même principe. Les  pseudo-paysages italiens servent à illustrer les deux esthétiques du temps : le parc à la française à son crépuscule, avec sa porte couverte de lierre, et le jardin à l’anglaise à son aurore, sans porte ni clôture.  La perspective rectiligne et le calme du canal contrastent avec les rocailles tourmentées et les chutes torrentielles. Cependant, le massif central, composé à gauche d’un arbre et à droite d’un rocher, assure une continuité ascensionnelle entre les deux conceptions : comme si notre peintre-paysagiste, attiré par la nouvelle, ne pouvait se résoudre à renier l’ancienne.

hubert-robert-1777-lentree-du-tapis-vert-a-versailles-musee-national-du-chateau-de-versailleshubert-robert-1777-les-bains-dapollon-musee-national-du-chateau-de-versailles

L’entrée du Tapis Vert à Versailles
Les Bains d’Apollon
Hubert Robert, Salon de 1777, Musée national du Château de Versailles

Décidé par Louis XVI, l’abattage des arbres du parc, qui dataient de Louis XIV et étaient devenus trop haut pour être taillés,  se fit durant plusieurs hivers. Les deux scènes  peintes par Hubert Robert eurent lieu durant l’hiver 1774-75, en deux endroits différents, et offrent deux points de vue opposés : vers le Nord Ouest et le parc, pour le premier, vers le Sud Est et le Palais , pour le second.

Dans le tableau de gauche, la famille royale est représentée au premier plan, au pied de la statue de Milon de Crotone par Puget (dont un moulage a été récemment remis au même endroit du parc). Juste à côté, des jeunes du peuple ont  improvisé une balançoire, dans le prolongement exact du grand canal. A gauche, sous le Castor et Pollux de Coysevox, c’est la pause des bûcherons : un marchand ambulant portant une fontaine sur son dos vient leur  donner à boire, une marchande leur porte à manger. Entre les familles du peuple  et la famille royale, aucune barrière :  l’abattage des arbres trop haut du Roi Soleil et leur transformation en balançoire  sert ici la propagande d’une monarchie éclairée.

Le tableau de droite est dédié à une autre propagande : celle d’Hubert Robert lui-même. La campagne d’abattage allait en effet de pair avec un autre grand projet : la réfaction des Bains d’Apollon, qui serait confiée l’année suivante au peintre lui-même. La statue des chevaux du soleil, par Marsy, est montrée ici à un emplacement provisoire, de même que les autres fragments sculptés qui gisent au sol. Cette fois, les bûcherons sont en plein travail : à noter le jeune homme qui descend le long d’un tronc, auquel il vient d’attacher une corde, que ses collègues commencent à tirer.


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Démolition des maisons du Pont Notre Dame
Hubert Robert, 1787,  musée Carnavalet, Paris
Démolition des maisons du Pont au Change
Hubert Robert, 1788,  musée Carnavalet, Paris

Dix ans plus tard, Robert reprendra l’idée des pendants pour un autre type d’abattage. A la veille de la Révolution, ces deux tableaux  apparaissent comme emblématiques de la victoire du rationnel et de l’organisé, contre la sclérose anarchique héritée des temps médiévaux. Car les boutiques de luxe envahissaient ces deux points de passage obligés, gagnant à chaque génération en largeur et en hauteur, au point de compromettre leur propre raison d’être.

Le Pont Notre Dame est consacré au fleuve et à sa vie grouillante : barques pour transporter les matériaux de récupération, bateau  de lavandières, bateau-moulin (sous la deuxième arche). On voit sous la troisième et la quatrième, l’arrière de la pompe Notre Dame, imposante construction sur pilotis  qui se trouvait de l’autre côté du pont.



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La joute des mariniers entre le pont Notre Dame et le Pont au Change
Raguenet,1756, Musée carnavalet, Paris


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Hubert Robert a choisi le moment où la moitié des maisons ont été démolies, laissant voir la façade des maisons de l’autre côté, avec les magasins au rez-de chaussée     (parmi eux se trouvait la boutique de Gersaint, le marchand de Watteau, dont l’enseigne en forme d’arcade a été conservée). Au milieu du pont, à gauche du portique d’accès à la Pompe Notre Dame, un trou dans les maisons laisse voir la Tour de l’Horloge. Au fond, encore intact, le Pont au Change, qui sera nettoyé de ses maisons l’année d’après. Et derrière encore le Pont Neuf, qui n’avait pas de maisons. Au premier plan, le peintre en manteau rouge.

 

Pour Le Pont au Change, Robert a choisi un point de vue et un moment radicalement différents : dans l’axe du pont, et alors que les deux côtés ont été démolis. Une disproportion piranésienne rend les humains minuscules dans cette tranchée de gravats. Au fond, la Tour de l’Horloge fait le lien avec l’autre pendant.



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Artistes dessinant à Tivoli
La Fontaine de la Liberté
Hubert Robert, Collection particulière

Ces deux pendants ont été peints durant l’emprisonnement de Robert sous la Terreur, entre janvier et août 1794 : c’est pourquoi dans la signature les initiales du peintre sont suivies par S.L., Saint Lazare.

Le premier est un souvenir de l’Italie, paradis des peintres et de la nature sublime. Peut être la cascade impétueuse prenant sa source sous le temple antique a-t-elle valeur de métaphore révolutionnaire,  l’eau qui sort du premier tableau alimentant la fontaine du second.

Cette Fons Libertatis a des similitudes étroites avec la statue en plâtre de F.F. Lemot, placée au centre de la Place de la Révolution en août 1793 pour le Festival de l’Unité. Cette sculpture était posée sur le piédestal de la statue équestre de Louis XV de Bouchardon, détruite en 1792, prouvant physiquement le triomphe de la république sur la monarchie. Monarchie que symbolise, à droite,  la stèle déchue et cassée .

Un pendant aussi ouvertement  républicain avait sans doute pour but de se concilier les bonnes grâces des geôliers.


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Soldats avec des femmes dans leur campement
Michel-Hamon Duplessis, fin XVIIIème, collection  particulière

Duplessis s’était spécialisé dans de petites scènes militaires dans le style de Wouwermans, souvent présentées en pendants.  Ici, c’est le motif en arche qui crée la symétrie : pont moderne au dessus de l’eau, arche antique au dessus de la route. Particularité assez rare : le paysage se prolonge d’un panneau à l’autre (voir par exemple la tente coupée sur la gauche du second panneau) : les deux scènes n’en font en fait qu’une.



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Scènes dans une grange
Giuseppe Bernardino Bison, fin XVIIIème, collection privée

Ce pendant amusant montre deux scènes de bamboche campagnarde.

A gauche, un garçonnet joue aux bulles avec un bébé, sous le regard de la grand-mère assise. De part et d’autre d’une poutre, la mère qui balaye s’intéresse au colporteur qui vient d’entrer à gauche, tandis que le père, qui s’intéresse à sa femme, veut l’attirer vers l’arrière.

A droite, un couple en état d’ébriété danse, sous le regard de trois convives dont l’un renverse un plat, tandis qu’une vieille femme jette sur eux le contenu d’un pot de chambre. De part et d’autre d’un tonneau, un moine boit à la bouteille et une femme vomit, intéressant un chien qui passe. L’aubergiste sort à gauche en emportant les plats.

Les deux granges en briques,  à l’imposante charpente, ont en commun d’exposer de saintes images (nous sommes en Italie) : une gravure du Christ au dessus de la porte d’entrée, une Vierge à l’Enfant au dessus du tonneau. Les personnages sont disposés de manière analogue  : un couple qui s’amuse, des spectateurs assis, un homme isolé qui entre ou qui sort. Enfin, un couple légitime autour d’une poutre, et un couple d’ivrognes autour d’un tonneau.

A gauche, on s’aime et on s’amuse. A droite, on se saoûle et on vomit.

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