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Le paragone chez Gérôme

18 novembre 2023

Dans sa double carrière de peintre et de sculpteur, Gérôme n’a pas cessé de peindre des statues, dans les deux sens du terme : en les intégrant dans ses tableaux et en leur ajoutant une polychromie. Il est à ce titre reconnu comme un acteur majeur du paragone au XIXème siècle [1].

Variations sur Tanagra

Gerome_Tanagra_Salon de 1890 Musee orsay photogravure GoupilTanagra (photogravure Goupil)
Gérôme, 1890, Musée Orsay

Au Salon de 1890, Gérôme, un des artistes les plus connus au monde, fait sensation et scandale en exposant cette statue en marbre, recouverte d’une polychromie hyperréaliste (qui a pratiquement disparu aujourd’hui) [2].


Gerome 1890 Travail du marbre ou L'artiste sculptant Tanagra with Pygmalion and Galatea Dahesh Museum of Art New YorkTravail du marbre ou L’artiste sculptant Tanagra
Gérôme, 1890, Dahesh Museum of Art New York.

La même année, il livre cet autoportrait quelque peu déconcertant. Car Gérôme, comme beaucoup de sculpteurs de l’époque, faisait réaliser ses statues de marbre par des praticiens à partir d’un plâtre. Le titre laisse penser que c’est la statue finale qu’il a fait revenir dans l’atelier pour se réserver le travail le plus noble et le plus minutieux, la finition qui donne vie à la matière ; et que, dans un excès de scrupule, il a fait monter le modèle sur le plateau de la statue, afin de comparer le grain des cuisses.

Or personne ne polit du marbre à la spatule : c’est donc bien le travail du plâtre que Gérôme nous donne à voir, tout en nous disant l’inverse. Loin d’être un mensonge grossier , le titre est à comprendre comme la revendication du droit du Peintre à tromper. La mise en scène est calculée pour rendre équivalents le futur marbre, le présent plâtre, et la peau du modèle, tout comme la polychromie de la Tanagra rendait indiscernable marbre et chair.

A la fois sculpteur et peintre, c’est au second que Gérôme, par le titre du tableau, semble ici accorder la victoire, dans ce débat du paragone qu’il organise entre lui-même et lui-même.


Arguments pour le paragone (SCOOP !)

Gerome 1890 Travail du marbre ou L'artiste sculptant Tanagra schema
La statuette dansante, à droite sur le piédestal, est celle même que Gérôme mettra, en miniature, dans la main de sa Tanagra grandeur nature. On remarquera que, pour le tableau, la statue a probablement été recopiée d’après la photographie Goupil : manière d’impliquer dans le débat séculaire un tout nouvel acteur : le photographe.

Tandis que les traits jaunes illustrent la capacité du Sculpteur à réduire ou augmenter la taille à l’identique, les traits bleus non parallèles, qui prouvent que le plâtre n’est pas un simple décalque du modèle, magnifient la spécialité du Peintre : traduire le volume par la perspective.



Gerome 1890 Travail du marbre ou L'artiste sculptant Tanagra detail mains
Les gants en peau de chamois sont une trouvaille magistrale, suggérant à la fois :

  • la délicatesse du toucher ;
  • le fini de la statue , et la douceur de son grain ;
  • l’isolement supérieur de l’Artiste, dont la peau ne touche ni celle de sa Créature, ni celle de son Modèle.



Gerome 1890 Travail du marbre ou L'artiste sculptant Tanagra detail
Des deux mains gantées, l’oeil passe au bras gauche de la statue, puis au buste du modèle. Il prend alors conscience d’une nouvelle astuce de cette composition à tiroirs : le point de vue choisi fait que le bras gauche de la statue vient se greffer visuellement là où se trouverait le bras droit du modèle.

Gérôme-peintre réalise sous nos yeux un tour de force que Gérôme-sculpteur ne peut qu’approcher : une chimère plâtre-chair.



Gerome 1890 Travail du marbre ou L'artiste sculptant Tanagra detail 2
En élargissant encore le champ de vision, l’oeil s’intéresse au tableau dans le tableau, une autocitation du Pygmalion et Galathée peint par Gérôme la même année 1890 : mythe incontournable pour un artiste passionné par le paragone. On distingue de gauche à droite :

  • le sculpteur,
  • sa statue de marbre en train de prendre vie
  • en guise de deus ex machina, un Cupidon en vol (envoyé par Vénus pour exaucer le souhait de Pygmalion).

Autrement dit l’écho même de la composition principale :

  • Gérôme
  • la figure double marbre et chair
  • la figurine joueuse en mouvement.

Gerome 1890 Travail du marbre ou L'artiste sculptant Tanagra with Pygmalion and Galatea Dahesh Museum of Art New YorkTravail du marbre ou L’artiste sculptant Tanagra, Gérôme, 1890, Dahesh Museum of Art New York. Gerome 1894 L'artiste et son modele, Haggin Museum StocktonL’artiste et son modèle, Gérôme, 1894, Haggin Museum, Stockton

La copie de 1894, quasi identique, mis à part quelques bibelots supplémentaires, a pour principal intérêt de montrer à l’arrière-plan un tableau différent :
Gerome 1890 Pygmalion and Galatea detail fond
Non seulement Pygmalion est passé à droite de Galathée, mais celle-ci est maintenant vue de dos. Ces deux versions recto et verso sont des peintures de Gérôme qui ont réellement existé, nous y reviendrons plus loin.



Le recto-verso comme procédé (SCOOP !)

La pose « Phryné »

Mariette (Marie-Christine Roux) Nadar 1855, Wilson Centre for PhotographyMariette (Marie-Christine Roux) , 1855, Wilson Centre for Photography [3] Gerome_Phryne_revealed_before_the_Areopagus_1861-Kunsthalle-HambourgGérôme, Phryné dévoilée devant l’Aréopage 1861, Kunsthalle, Hambourg

Pour réaliser ce tableau, Gérôme avait commandé à Nadar un tirage de sa photographie de Marie-Christine Roux, un modèle connu que lui-même employait parfois. Malgré les idéalisations qui s’imposaient (suppression des poils, oeil timide exprimant la honte), le nu fut jugé scandaleux et fit la réputation du tableau, deux ans avant le Déjeuner sur l’herbe de Manet.


Gerome 1890 la naissance de venus-(l'Etoile) coll partGérôme, La naissance de Vénus (l’Etoile), 1890, collection privée Gerome dans son atelier 1891Gérôme dans son atelier, 1891

Dans cette photographie très composée, Gérôme se met en scène dans une reprise de sa pose fétiche, cette fois vue de dos. Cette ‘Phrynée » de chair, mais inversée, fait système avec le « tableau dans la photographie », la Vénus vue de face qu’il venait d’achever.

Pour Jean-François Corpataux ([4], p 149), il s’agirait d’un jeu érudit et auto-promoteur, dans lequel Gérôme se met à la place du célèbre peintre Apelle. Car Phryné, selon un texte antique d’Athénée, ne se montrait jamais nue sauf le jour des Saturnales « laissant flotter sa chevelure, sans aucun noeud, pour entrer dans la mer. Ce fut à cet instant que le peintre Apelle la considéra toute nue pour faire sa Vénus sortant des ondes. »

On peut aussi y voir, dans cette année 1890 qui marque l’apogée des réflexions de Gérôme sur le paragone, une nouvelle pièce versée au débat sur la concurrence des Arts, cette fois entre peinture et photographie. A la fois peintre et sculpteur, Gérôme ne pouvait être que fasciné par les possibilités du nouveau mode d’expression.


Gerome Vente d'esclaves a Rome 1884 Ermitage1884, Ermitage Gerome,_Vente_d'esclaves_à_Rome,_1886 Walters Art Gallery Baltimore1886, Walters Art Gallery Baltimore

Gérôme, Vente d’esclaves à Rome

L’arrière-plan théorique mis à part, les variations recto-verso étaient aussi un procédé commode pour ruser avec les répétions, inévitables dans cette production prolifique. D’autant que, aux yeux de ceux qui s’en rendaient compte, elles rehaussaient le prestige d’un peintre-sculpteur capable d’imaginer, en trois dimensions, une scène sous tous les angles.


Gerome,_Phryne_revealed_before_the_Areopagus_(1861) Kunsthalle Hambourg detailPhryné dévoilée devant l’Aréopage, 1861 (détail) gerome 1886 La fin de la pose coll priveeLa fin de la pose, 1886, collection privée

Le procédé de l’inversion recto-verso, combiné avec l’autocitation, devient ici une véritable méthode de composition :

  • le vieux grec assis dans l’ombre est remplacé par le sculpteur en pleine lumière ;
  • celui qui dévoile, vu de face, s’inverse dans celle qui voile, vue de dos ;
  • la fille à la chair marmoréenne, qui n’avait que son coude pour tenter de se protéger, devient une statue d’argile, au visage caché par le drap.



Gerome,_Phryne_revealed_before_the_Areopagus_(1861) Kunsthalle Hambourg detail 2
Ce voile qui protège l’une vient en contrepoint de celui qu’on arrache à l’autre, profanant la Beauté (voir l’agrafe qui vole et l’écharpe tombée par terre, avec le mot ΚΑΛΗ). Si les deux carrés de marbre, blanc et noir, symbolisent l’issue du jugement de Phryné, alors les vieillards diversement lubriques se placent du côté de l’acquittement, tandis que Gérôme, avec sa signature, se place du côté de la condamnation. Comme le remarque Sarah J.Lippert [3a], il y a probablement là une prise de position contre le nu académique, égrillard sous l’alibi de la Beauté, que Gérôme assimile ici à une sorte de déshabillage en public.

Vingt cinq ans plus tard, dans La fin de la pose, sa maîtrise du paragone lui permet de proposer des nus qui échappent à l’exhibitionnisme, et donnent plutôt à voir les conditions de réalisation de l’oeuvre.

D’une certaine manière, Phryné ou la Peinture est vengée par Omphale ou la Sculpture (nous reviendrons plus loin sur cette statue emblématique).



Gérôme et trois fantasmes du sculpteur

Le sculpteur comme gladiateur

jean-leon-gerome-orsay-photo-gladiateurs 1878
Jean-Léon Gérôme et le Gladiateur, 1878

En 1878, Gérôme, peintre au sommet de la reconnaissance et des honneurs, remet tout en cause et repart à zéro dans une nouvelle carrière : celle de sculpteur. Le sujet du Gladiateur triomphant est à la fois une autocitation (ses tableaux sur le sujet sont célèbres) et une provocation : le gladiateur, c’est évidemment lui-même, se proclamant d’emblée vainqueur de ce nouveau combat.

Minuscule et en contrebas, mais rehaussé par sa place d’honneur, il se présente en Créateur qui contrôle sa Créature, tel David vainqueur de Goliath.


Goltzius 1592 Hercule Farnese METHercule Farnese, Goltzius, 1592, MET

Dans sa célèbre gravure, Goltzius montre l’effet inverse, en plaçant les deux touristes à droite, en position d’humilité, écrasés par la splendeur antique.


Aime Morot 1909 Gerome executant les Gladiateurs-musee orsayGérôme exécutant les Gladiateurs
Aimé Morot, 1909, Musée d’Orsay

Pour le monument à Gérôme, son gendre Aimé Morot retiendra la même disposition flatteuse (on notera l’humour involontaire du titre).


Du pinceau au marteau

Passer de la Peinture à la Sculpture était, au XIXème siècle, exceptionnel, paradoxal, et quasiment contre-nature, ainsi que le note avec emphase Jules Clarétie :

« Oui, cette même main qui maniait le blaireau avec tant de finesse allait, par grandes masses, pétrir la glaise, et, à côté de ses travaux nombreux et des plus intéressants, tous soignés et achevés, dans cette facture lisse qui fait songer parfois à la peinture à porcelaine, mais magistrale et toujours souveraine, Gérôme devait offrir au public un groupe admirable, et ce combat de Gladiateurs, que M. Gérôme exposait comme sculpteur, emportait l’admiration avec sa facture puissante et mâle. » Jules Clarétie [5].

Dans une étude pénétrante, Matthias Krüger souligne le caractère radical de cette évolution, équivalente à une sorte de transition de sexe :

« Devant l’évidente autoréflexivité de la statue d’Omphale de Gérôme, on peut se demander si l’artiste faisait un parallèle entre le fait qu’il devienne sculpteur et qu’Omphale assume le rôle d’Hercule, entre le fait qu’il troque la brosse en blaireau contre le ciseau et qu’elle échange la quenouille contre le gourdin. Rappelons à ce point que Gérôme lui-même comparait le fini à « des travaux d’aiguille et broderie et travaux de dames ». Ainsi, les essais sculpturaux de Gérôme peuvent être interprétés comme une tentative de se dissocier de l’image d’un « blaireauteur ». «  Matthias Krüger ([6], p 57)


Le sculpteur, entre Hercule et Omphale

Gerome Omphale 1887 Musee Georges Garret Vesoul face Gerome Omphale 1887 Musee Georges Garret Vesoul dos

Omphale
Gérôme, 1887, Musée Georges Garret, Vesoul

Au Salon de 1887, Gérôme a gagné son pari : reconnu comme un grand sculpteur, il transforme l’Hercule de Goltzius en cette femme puissante, paradigme de l’inversion des sexes (voir Pendants avec couple pour Rodolphe II) : en prenant possession de sa massue et de sa peau de lion, Omphale a transformé Hercule en esclave, juste bon à filer la laine.

Gérôme ne montre pas Hercule, mais l’évoque de deux manières :

  • le petit Cupidon aux yeux bandés, rencogné sous la peau du lion : officiellement, l’Amour aveugle, officieusement Hercule nanifié et infantilisé, renvoyé sous la jupe de la Femme ;
  • la balle qu’Omphale cache dans son dos : ce n’est pas la pomme de Vénus, mais bien sûr la pelote d’Hercule, résultat insignifiant de son nouveau travail.

La massue, instrument de frappe au repos, évoque la masse du sculpteur, une fois son oeuvre achevée. Tenue à équidistance par les deux protagonistes, elle ne nous dit pas à qui Gérôme s’identifie : à l’enfant aveuglé ou à la femme forte ?

Une série de photographies très étrange va nous permettre de trancher.


La série de Louis Bonnard

Louis Bonnard, Jean-Leon Gerome dans son atelier avec son modele Emma Dupont et la statue Omphale de dos, 1887 coll privee A Louis Bonnard, Jean-Leon Gerome dans son atelier avec son modele Emma Dupont et la statue Omphale de dos 1887 coll privee B

Le Peintre et Sculpteur Jean-Léon Gérôme dans son atelier avec son modèle Emma Dupont et la statue Omphale, Photographies de Louis Bonnard, 1887, collection privée

Parmi les cinq photographies prises par Bonnard, ces deux sont clairement une autocitation de « La fin de la pose ». Au delà de l’aspect promotionnel, leur confrontation quasi stéréoscopique produit un effet d’étrangeté, qui en dit long sur Gérôme et ses trucs.

Comme le remarque Stoichita ([7], p 167), le point de vue choisi transforme la modeste statue (1,32 m) en une superwoman, qui écrase par sa taille le couple des personnages vivants. Les oppositions entre eux (homme et femme, habillé et nu, assis et debout, âgé et jeune, artiste et modèle, créateur et créature) développent celles internes au groupe sculpté (femme adulte dominante et jeune garçon dominé).

D’une photographie à l’autre, le poêle se dévoile, le socle de la statue pivote et la modèle se retourne : seul Gérôme, ordonnateur de ces transformations, demeure imperturbable.

Tandis que tournent avec le socle les instruments du sculpteur, le véritable outil de Gérôme, reste immuable : c’est l’appareil photo, en hors champ.

D’une certaine manière, du point de vue du paragone, ce nouvel outil est une manière de clôturer le débat : composées comme des peintures, ces deux photographies sont une manière de prendre en sandwich la sculpture et de la réduire à un recto-verso.


Louis Bonnard, Jean-Leon Gerome dans son atelier avec son modele Emma Dupont et la statue Omphale de dos 1887 coll privee C Louis Bonnard, Jean-Leon Gerome dans son atelier avec son modele Emma Dupont et la statue Omphale de dos 1887 coll privee D

En deux temps, Emma s’écarte de l’oeuvre, puis s’éclipse. Le rideau, disposé comme un dais, place la statue sous une gloire éternelle, tandis que la charnière du paravent désigne le prochain vivant à disparaître.


Louis Bonnard, la statue Omphale 1887 BNF

Dans la dernière photographie de la série, Gérôme s’éclipse à son tour, laissant à gauche derrière la table une trace fantomatique (Stochita pense qu’il s’agit d’un effet délibéré, exploitant la pose longue). Le dais de gloire a disparu et la charnière du parapet place sous la menace du Temps, désormais, le groupe sculpté.

Les vivants disparus se sont incarnés chacun dans son propre fantasme : l’artiste dans la Femme toute puissante, le modèle dans l’Enfant aux yeux bandés, qui ne parle ni ne voit.

Cette série de photographies très composée fait de cette oeuvre fétiche, que Gérôme ne vendra jamais. une sorte de testament artistique.

Plus il avance dans sa carrière, plus se libère sa dimension dalinienne : mercantile, innovateur, réactionnaire, et metteur en scène de fantasmes que ses contemporains percevaient parfaitement, même s’il était déplacé d’en parler.



Le sculpteur comme Pygmalion

Gerome 1892 Pygmalion et Galathee front coll priv
Pygmalion et Galathée (vue de face)
Gérôme, 1892, collection privée

M. Thévoz [8] a souligné le caractère paradoxal du sujet :

« Cette image onirique doit être interprétée selon la logique du rêve, précisément, et selon le principe de la réversibilité. En effet, il suffit d’inverser la genèse de la sculpture et de sa miraculeuse animation pour rétablir la vérité latente que ce thème a pour fonction de dissimuler, ou plus précisément d’invertir : l’artiste est voué non pas à donner vie au marbre, mais à marmoréiser la vie, à désincarner la femme, à geler le désir, à fixer l’équation de la beauté et de la mort »

Plus précisément, Jean-François Corpataux [4] a montré comment un détail du décor, le bouclier de Méduse, joue un rôle-clé dans cette scénographie :

« Par une mise en scène soigneusement élaborée, Gérôme semble vouloir démontrer la nécessite d’une pétrification du modèle d’atelier avant de pouvoir aspirer à son animation. Cette scène où se rencontrent la pétrification et l’animation par la présence de deux mythes antithétiques (Pygmalion et Méduse) est symptomatique de la démarche de Gérôme. Le bouclier contenant la Gorgone est déposé à même le sol contre la paroi, répondant ainsi à la partie encore (ou déjà) inanimée de la statue, tandis que l’angelot animateur est placé dans la partie supérieure où se situe précisément la partie déjà (ou encore) vivante de la statue. La pétrification et l’animation – deux instants discordants- semblent avoir lieu en même temps et démontrent à quel point Gérôme joue avec les notions de temporalité et d’instantané au sein de ses images, en les poussant ici au-delà des limites convenues »


Sous l’oeil de Cupidon (SCOOP !)

Gerome 1892 Pygmalion et Galathee front coll privPygmalion et Galathée (vue de face)
Gérôme, 1892, collection privée (Ackerman N°386)
Gerome 1890 Pygmalion_and_Galatea_ back METPygmalion et Galathée (vue de dos)
Gérôme, 1890, MET, New York (Ackerman N°385)

D’un tableau l’autre, le groupe sculpté, l’escabeau, le socle tournant et le marchepied pivotent d’un demi-tour. Autrement dit, l’autre tableau nous montre ce que voit le spectateur du fond, le Cupidon en vol : sa flèche, emblème du pouvoir d’animation de l’Amour, est donc aussi celui du Regard, capable de donner vie pourvu qu’il soit jeté de plusieurs angles.

De la même manière que Gérôme restait le seul point fixe dans la série de photographies de Louis Bonnard, c’est ici son marteau, isolé au premier plan, qui échappe aux transformations.


Gerome 1890 Pygmalion et Galathee front coll privPygmalion et Galathée (de face), esquisse à l’huile
Gérôme, 1890, collection privée (Ackerman, N°388)

Mentionnons pour mémoire cette version avec Galathée vue de face, sans Cupidon. On sait que d’autres versions ont existé [9].


Pygmalion_and_Galatea, Jean_Leon_Gereme_Hearst_Castle San SimeonPygmalion et Galathée,
Gérôme, Hearst Castle, San Simeon

Toutes ces variantes ont été facilitées par l’existence du modèle en plâtre (probablement antérieur aux peintures, selon l’usage de Gérôme) puis par la statue en marbre [10], mais les spécialistes ne s’accordent pas sur le chronologie précise de ces déclinaisons.



L’exploitation du paragone

Gerome, 1893 La peinture donne vie a la sculpture Galerie d'art de TorontoLa peinture donne vie à la sculpture (Sculpturae vitam insufflat pictura)
Jean-Léon Gérôme, 1893. Galerie d’art de Toronto

Le titre montre bien comment Gérôme, dans sa dernière période, exploite le thème du paragone comme marque de fabrique, tel Dali les montres molles. Tout comme Dali, il assume les critiques et les retourne en points d’honneur :

  • mercantilisme (production en série, promotion pour sa statuette dansante) ;
  • innovation esthétique (polychromie pour les statues) ;
  • conservatisme (les femmes-peintres sont juste bonnes pour colorier) [11] ;
  • dimension fantasmatique : après le Peintre, après le Sculpteur, Gérôme trouve enfin son incarnation idéale, en Femme qui peint des sculptures.

Sous la joueuse

Joueuse de boules ou Danseuses aux trois masques, coll privCollection privée Gerome, Joueuse de boules ou Danseuses aux trois masques, Musee des Beaux-Arts de CaenMusée des Beaux Arts, Caen

La joueuse de boules, 1902

Pour son avant-dernière sculpture, Gérôme, âgé de soixante dix huit ans, reprend le détail de la balle cachée dans le dos d’Omphale et l’impose comme sujet central : il s’agit maintenant d’un jeu supposément antique, consistant à viser avec des balles les bouches grandes ouvertes de masques posés sur le sol.


Satyr_looking_at_his_tail Galleria dei Candelabri Museo Pio-ClementinoSatyre regardant sa propre queue, Galleria dei Candelabri, Museo Pio-Clementino, Vatican

Sous prétexte de pasticher une statue antique au titre symboliquement vertigineux, Gérôme invente une nouvelle femme forte, dont l’amusement consiste à piétiner et gaver des orifices masculins.

Du point de vue du paragone, cette statue toute en torsion constitue une sorte de pat, n’ayant à proprement parler ni recto ni verso.


Autoportrait avec La joueuse de boules, Gérôme, 1904, Musée Georges Garret, VesoulAutoportrait avec La joueuse de boules, Gérôme, 1904, Musée Georges Garret, Vesoul

Dans son dernier autoportrait, resté inachevé, Gérôme se représente enfin en position d’humilité, à droite et en contrebas de son dernier et plus parfait fantasme : sous sa Géante recouverte de cire, imitant la chair à la perfection, il se livre à l’activité féminine de colorier le troisième masque, celui dont la joueuse, sans même regarder derrière elle, va clouer définitivement le bec.

Joueuse de boules ou Danseuses aux trois masques, visage Joueuse de boules ou Danseuses aux trois masques visages

A l’extrême fin de son existence et au tout début du nouveau siècle, il semble que Gérôme anticipe brillamment les fantasmes du recto-verso qui suivront :

dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954Jeune Vierge autosodomisée par les cornes de sa propre chasteté,
Dali, 1954, Collection privée
Poupee Bellmer 1936 METPoupée, Bellmer, 1936, MET

(Sur le tableau de Dali, voir Les variantes habillé-déshabillé (version moins chaste))



Références :
[1] Sarah Lippert « Jean-Léon Gérôme and Polychrome Sculpture: Reconstructing the Artist’s Hierarchy of the Arts » 2014, Dix-Neuf 18, issue 1 https://www.academia.edu/37865635/Jean_L%C3%A9on_G%C3%A9r%C3%B4me_and_Polychrome_Sculpture_Reconstructing_the_Artists_Hierarchy_of_the_Arts
[3a] Sarah J.Lippert « The Paragone in Nineteenth-Century Art » , p 186
[4] Jean-François Corpataux « Phryné, Vénus et Galatée dans l’atelier de Jean-Léon Gérôme « Artibus et Historiae » Vol. 30, No. 59 (2009), https://www.jstor.org/stable/40343670
[5] Jules Claretie, Peintres et sculpteurs contemporains (Paris: Librairie des Bibliophiles, 1884), p 77
[6] Matthias Krüger « Jean-Léon Gérôme, His badger and his Studio » dans « Hiding making – showing creation: the studio from turner to Tacita Dean » publié par Ann-Sophie Lehmann, Sandra Kisters, Rachel Esner, p 43 https://books.google.fr/books?id=ztAjAwAAQBAJ&pg=PA43#v=onepage&q&f=false
[7] Stoichita « L’effet Pygmalion: pour une anthropologie historique des simulacres » p 237-259
[8] M. Thévoz « L’académisme et ses fantasmes. Le réalisme imaginaire de Charles Gleyre », Paris, 1980
[10] Annoncée par Gérôme dans une lettre à Fanny Field Hering de Janvier 1891
[11] Dans une étude intéressante, mais qui omet le côté « dalinien » de la dernière période, Susan Waller interprète les derniers autoportraits comme des tentatives de réaffirmation de Gérôme, dépassé par les innovations esthétiques et sociales :
Susan Waller, “Fin de partie: A Group of Self-Portraits by Jean-Léon Gérôme,” Nineteenth-Century Art Worldwide 9, no. 1 (Spring 2010), http://www.19thc-artworldwide.org/spring10/group-of-self-portraits-by-gerome

Le paragone chez Burne-Jones

17 novembre 2023

Bien que Burne-Jones n’ait pas laissé d’écrit théorique sur le paragone, il en a assimilé la problématique, qui transparaît dans plusieurs de ses oeuvres.

Le paragone dans les deux séries « Pygmalion et Galatée »

Le projet d’illustrations avorté

En 1867, Burne-Jones réalise une série de douze croquis sur l’histoire de Pygmalion, parmi ceux destinés à illustrer le cycle de poèmes de son ami Morris, le Paradis Terrestre. Certains de ces croquis s’inspirent d’illustrations du Roman de la Rose, d’après un manuscrit que les deux amis avaient consulté, lors de leurs études, à la Bodleian Library.


The_Heart_Desires 1867 Bodleian Library MS. Douce 195 fol 116vNature fait son deul (s’attriste)
Bodleian, MS. Douce 195 fol 116v
The_Heart_Desires 1867 etude Birmingham museumBurne Jones, Croquis préparatoire, 1867, Birmingham museum

La miniature conclut un long passage où Nature se lamente de toujours devoir refaire son ouvrage contre la Mort, et ouvre un chapitre où sont énumérés les plus grands artistes, qui ne peuvent rivaliser avec elle :

Tous ils n’y sauraient rien entendre,
Ni Pygmalion la tailler.
En vain se pourrait travailler
Parrhasius; et même Appelle,
Que pourtant bon peintre j’appelle [1]

Les cinq statuettes nues posées sur un autel illustrent en particulier l’impuissance de Zeuxis à rivaliser avec Nature (il est ici considéré comme un sculpteur) :

Un jour donc il prit pour modèles
Cinq jeunes filles les plus belles
Qu’en tout le monde on pût trouver,
Pour ses traits au temple graver.
Elles se sont tretoutes nues
Tout debout devant lui tenues,
Afin qu’il pût les observer
Et voir s’il leur pourrait trouver
…. quelque défaut
Sur les membres, le corps, la peau.
Mais cependant rien ne put faire
Zeuxis, si bien sût-il pourtraire.

Dans son croquis, Burne-Jones ajoute deux bas-reliefs que Zeuxis vient de graver, et transforme les cinq statuettes sur l’autel en cinq statues grandeur nature sur un piédestal (deux hommes, une femme nue, une femme habillée, un chien). Pour exprimer l’impuissance de l’artiste à atteindre à la perfection du vivant, il nous montre, à l’extérieur du temple, les mêmes personnages en mouvement.


The_Hand_Refrains 1867 Bodleian Library MS. Douce 195 fol 149rPygmalion est surpris de la Beauté de l’image
Bodleian, MS. Douce 195 fol 149r
The_Hand_Refrains 1867 etude Birmingham museumBurne Jones, Croquis préparatoire, 1867, Birmingham museum

La miniature ouvre le chapitre où Pygmalion tombe amoureux de sa sculpture :

« Et par celle-ci ma pensée
Voilà toute bouleversée
Et mon cœur brisé sans retour.
D’où me vient ce fatal amour?
J’aime une image sourde et mue
Qui ne branle ni ne remue. »

Burne-Jones reprend l’idée de la main portée au visage, pour exprimer la surprise et l’incertitude.



Burne Jones Pygmalion serie 0 1867-69 schema
Dans l’argument de son long poème « Pygmalion and the image » [2], Morris isole deux autres moments qui ne sont pas illustrés dans le manuscrit de la Bodleian :

  • celui où Vénus intervient pour animer la statue ;
  • celui où Pygmalion épouse Galatée.

Il existe bien dans le Roman de la Rose un épisode, illustré dans un autre manuscrit de la British Library, où Pygmalion se jette à genoux. Mais cet épisode se place avant l’intervention de Vénus : Pygmalion demande pardon à la statue de toutes les folies qu’il a faites avec elle, bien vainement :

Elle n’a cure de l’amende,
Puisque rien n’ouït ni ne sent

Il n’existe pas de dessin préparatoire complet de la scène où Pygmalion s’agenouille devant Galatée vivante : il est donc probable qu’elle a été inventée par Burne-Jones, pour figurer une  demande en mariage.

En définitive, le projet d’illustration du poème est abandonné, et Burne-Jones va recycler ses croquis dans une série de quatre tableaux.


La série privée

Burne Jones Pygmalion serie 1 1868-70Pygmalion première série, Burne Jones, 1868-70, collection privée

J’ai conservé les titres conventionnellement utilisés, bien qu’il s’agisse d’un quatrain rédigé par Morris pour l’exposition de la seconde série, en 1878 [3].

Par rapport aux croquis antérieurs, quelques évolutions sont à noter.


The_Heart_Desires 1867 etude Birmingham museum The_Heart_Desires_Pygmalion_Burne-Jones

La première image est rendue plus énigmatique par la suppression des bas-reliefs et des outils du sculpteur. S’enlaçant deux par deux, les quatre nus monocolores tentent d’imiter les passantes aux robes colorées. Mais pour les connaisseurs des Métamorphoses d’Ovide, une autre lecture est possible. Car l’histoire de Pygmalion est précédée immédiatement par celle des Propétides :

« Cependant, les impures Propétides eurent l’audace de nier
la divinité de Vénus ; dès lors, suite à la colère de la déesse,
elles furent les premières, dit-on, à prostituer leurs corps et leur beauté ;
puis, après avoir perdu leur pudeur, quand le sang de leur visage se durcit ,
elles devinrent, sans subir grande modification, des rocs rigides. » Ovide, Métamorphoses, livre X, 238-242

Ainsi se superposent les lectures négatives des quatre nus :

  • statues incapables de rivaliser avec les passantes ;
  • Propétides pétrifiées, faute d’être entrées dans le temple.

The_Godhead_Fires, 1868 etude Birmingham museum The_Godhead_Fires_Pygmalion_Burne-Jones

Dans la troisième image, la déesse est désormais habillée et accompagné de colombes, à la fois en tant qu’attribut vénusien et pour symboliser l’animation. A l’arrière-plan, Pygmalion se prosterne devant la statue habillée de Vénus, de sorte que l’image montre en fait deux statues s’animant simultanément.


Burne Jones Mary Zambaco etude pour Venus 1870 Birmingham museumEtude pour Vénus Burne Jones Mary Zambaco etude pour Galatee 1870 Birmingham museumEtude pour Galatée

Portraits de Mary Zambaco, Burne Jones, 1870, Birmingham museum

La série était une commande de la famille Cassavati, de riches grecs amateurs d’art. Burne-Jones avait rencontré leur fille Mary Zambaco dès 1866, lorsqu’elle était rentrée à Londres après avoir abandonné en France son mari et ses enfants [4]. La série a donc été réalisée, entre 1868 et 1870, dans une période très particulière : pendant l’histoire d’amour entre Mary et Burne-Jones, et un peu après (ils rompirent tapageusement en janvier 1869).



Burne Jones Pygmalion serie 1 1868-70 schema
Il ne fait pas de doute que la série, tout en élaborant à partir des croquis antérieurs, soit aussi un reflet de cette aventure. Dans le deuxième tableau en particulier, le geste du bras replié vers le visage crée un effet de miroir entre la statue et le sculpteur. Or Mary Zambaco, en plus d’être un modèle d’une exceptionnelle beauté, était aussi une sculptrice talentueuse : d’une certaine manière, elle est dans cette image à la fois Galatée et un Pygmalion très androgyne. Le retournement de Mary, entre le troisième et le quatrième tableau, est tout aussi significatif : ses bras lâchent ceux de l’Amour divin pour s’offrir à son amant terrestre.

Ainsi les quatre tableaux dans leur séquence peuvent être lus comme des métamorphoses successives de Mary (cadre rose), avec Edward aux deux extrémités, se morfondant puis gratifié.

Comme le note Liana De Girolami Cheney ( [5], p 32), le thème de la transformation fonctionne à différents niveaux, de manière inextricable :

« …il y a celle de Pygmalion, artiste antique, en Burne-Jones lui-même, artiste préraphaélite, tous deux tombant amoureux de leur modèle, Galatée ou Mary. Dans un autre sens, pour les deux artistes, la transformation de la forme féminine, d’imaginée à réelle, provoque souffrance et bonheur. A l’inverse, dans une autre transformation, le sculpteur antique Pygmalion se projette dans la sculptrice préraphaélite Zambaco… »


La série publique

The_Heart_Desires 1867 etude Birmingham museumPygmalion seconde série, Burne Jones, 1878, Birmingham museum

Dix ans plus tard, Burne Jones expose à la Grosvenor Gallery cette seconde série, jugée par les commentateurs très semblable à la première. Les quelques évolutions méritent cependant d’être analysées, car elles dénotent un état d’esprit et des objectifs totalement différents.

En premier lieu, la ressemblance avec Mary est plus lointaine : elle sert occasionnellement de modèle à Burne-Jones, mais leur aventure tempétueuse est close depuis longtemps.

En second lieu, les vers énigmatiques de Morris intellectualisent la série, en particulier le deuxième et le quatrième tableau :

  • « la main se retient » attire l’attention sur le geste interrompu du sculpteur et biaise la signification de l’image : au lieu de représenter la surprise de Pygmalion tombant amoureux, elle montre le moment où l’Artiste, sentant la perfection inatteignable, renonce à aller plus loin ; ainsi la naissance de l’amour (physique) est assimilé à une déception ;
  • « l’âme obtient » biaise également la dernière image : au lieu de signifier l’union charnelle de Galatée et Pygmalion, elle suggère que l’intervention divine est de naturelle spirituelle : l’Oeuvre ne s’anime que dans l’âme de l’Artiste, ou dans celle du spectateur.

Plutôt qu’une aventure érotique, c’est un manifeste esthétique qui nous est maintenant proposé.



The_Heart_Desires,_2nd_series,_Pygmalion_(Burne-Jones)
L’esthétisation de la première image est particulièrement significative : les statuettes ont perdu tout rapport avec les passantes et les Propétides, elles adoptent maintenant la pose classique des Trois Grâces, tout en faisant référence à la vue triple (de face, de dos et de profil), par laquelle la Peinture prétend égaler la Sculpture. La moitié inférieure montre l’autre procédé paragonesque, le reflet sur le marbre. Puisqu’aucun instrument n’identifie Pygmalion comme un sculpteur, le titre pourrait tout aussi bien se compléter en « le coeur désire, mais la Peinture déçoit ».



Burne Jones Pygmalion serie 2 1878 schema
Le deuxième tableau a perdu l’effet de miroir entre l’Artiste et son oeuvre : les deux sont dans des camps séparés, celui du maillet tenu et celui du maillet abandonné. Ainsi la Déception de la Sculpture complète la Déception de la Peinture.

Le troisième tableau, celui de l’Intervention divine, est à part : Galatée se retourne d’un coté pour se transformer en déesse, de l’autre pour se transformer en mortelle. Au centre, se crée un nouvel effet de miroir entre les deux Beautés nues qui s’enlacent.

Avec le quatrième tableau, ce que l’« âme atteint » est une construction mentale, qui résout les apories de la Peinture et de la Sculpture par une solution pré-cinématographique : la série fait sens dans son ensemble. Le miroir sphérique vu de profil clôt l’histoire sur elle-même et la renvoie aux temps pré-paragonesques, et pré-raphaelesques, où l’Art ne décevait pas.



Le paragone dans la série « Persée et Andromède »

En 1875, le futur Premier ministre Lord Arthur Balfour commanda à Burne-Jones une série de peintures pour la salle de musique de sa maison londonienne, sur le sujet du mythe de Persée. Burne-Jones a travaillé sur le projet pendant dix ans, sans réussir à le mener à bien [6].

Le paragone par la vue multiple

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1876 Edward Burne-Jones Perseus and Andromeda Art Gallery of South Australia, AdelaidePersée et Andromède
Edward Burne-Jones, 1876, Art Gallery of South Australia, Adelaïde

Cette esquisse constitue une première approche du thème. Burne-Jones recourt délibérément à deux procédés « pré-raphaélites » :

  • deux moments sur la même image : Persée se présente à Andromède enchaînée, puis il la délivre en tuant le dragon ;
  • le principe du paragone : Andromède vue de face et de dos.

Descendre le long du rocher, c’est voir simultanément l’autre face de l’héroïne et la suite de l’histoire

La composition est doublement subtile :

  • graphiquement, elle combine le parallélisme, pour Persée, et le recto-verso, pour Andromède ;
  • symboliquement, elle confère à l’enjeu du combat un privilège que n’a pas celui qui, dans dans le plan du tableau, se bat pour la conquérir : la Femme est Idéale parce qu’elle existe dans une autre dimension, en volume.

1884-85 Edward_Burne-Jones_-Serie perseus 8 The rock of doom Southampton City Art Gallery, SouthamptonThe rock of doom (Perseus N°8), 1884-85 Perseus (1875-1888)The doom fulfilled (Perseus N°9), 1888

Edward Burne-Jones, Southampton City Art Gallery, Southampton

Dans les gouaches de Southampton, la scène est scindée en deux panneaux et la narration est plus explicite : la libération d’Andromède se traduit par le geste de ses mains qui retrouvent leur mobilité (on voit sur la chaîne la menotte ouverte) et par la suppression, par rapport à la version 1876, des spires terminales de la queue.

On notera que Burne-Jones ne montre pas réellement une scène recto-verso : puisque Andromède est toujours à droite du rocher, ce n’est pas nous qui avons tourné autour d’elle, mais elle qui a pivoté sur elle-même. Le rocher n’est pourtant plus exactement le même, comme le montre la modification du point d’attache de la chaîne. De même les rocs à fleur d’eau du premier plan n’étaient cachés « derrière » le rocher, ils viennent de surgir magiquement devant lui, ouvant un chemin vers la liberté.

Burne-Jones utilise ce « paragone » délibéremment approximatif comme un procédé du sortilège.


1881-2-Edward_Burne-Jones_-Serie-perseus-6-The-Death-of-Medusa-II-Southampton-City-Art-Gallery-SouthamptonThe Death of Medusa II (Perseus N°6), 1881-2
Edward Burne-Jones, Southampton City Art Gallery, Southampton

Il l’avait dèjà expérimenté dans le panneau précédent de la série, consacré à une autre aventure de Persée. Juste après avoir tranché la tête de Méduse, Persée la cache dans son sac (le Kibisis) pour supprimer son regard pétrifiant. Protégé par son casque d’invisibilité (le tourbillon au dessus de lui), il échappe aux recherches des deux sœurs immortelles de sa victime.

Celles-ci obéissent au principe du paragone approximatif : on croirait voir une seule femme recto verso, mais les gestes des jambes et des bras sont parallèles, et non pas inversés. L’effet traduit ici moins la magie que la désorientation des deux femmes, incapables de poursuivre et d’attraper.


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Le paragone par le reflet

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burne jones Cycle Persee 1 1877 L'appel de persee Southampton City Art Gallery

L’appel de Persée (Cycle de Persée 1)
Burne Jones, 1877 Southampton City Art Gallery

Dès la première toile, Burne Jones pose sa convention graphique d’éliminer le bouclier. On voit les deux temps de l’histoire : d’abord Persée désespéré se penche sur une rivière, cherchant vainement la solution pour vaincre Méduse ; puis Athéna la lui amène sous forme d’un miroir à main, transférant d’emblée Persée dans le camp des héros féminisés.


burne jones Cycle Persee 3 1877 persee et les nymphes de la mer Southampton City Art Gallery

Persée et les nymphes de la mer (Cycle de Persée 3)
Burne Jones, 1877 Southampton City Art Gallery

Dans la troisième toile, le cache-cache continue : le bouclier manquant réapparait dans cette flaque circulaire formant pavois au pied des trois nymphes, et dont la justification est purement symbolique (la vraie mer se trouve à l’arrière-plan).


burne jones Cycle Persee 4 1882 aquarelle Etude pour La decouverte de Meduse Birmingham Museum and Art GalleryBirmingham Museum and Art Gallery burne jones Cycle Persee 4 1882 aquarelle La decouverte de Meduse Southampton City Art GallerySouthampton City Art Gallery

Etudes à l’aquarelle pour La découverte de Méduse (Cycle de Persée 4), Burne Jones, 1882

Non réalisé, le quatrième opus aurait constitué une apothéose du narcissisme : Persée vêtu de reflets, équipé de sa lame miroitante et de son miroir face à main, le regard fixé sur son propre éclat, s’attaque à son antithèse symbolique : Méduse en noir et au regard vide.


burne jones Cycle Persee 10 1887 The-Baleful-Head-Southampton City Art Gallery,La tête funeste (Cycle de Persée 10)
Burne-Jones, 1887, Southampton City Art Gallery

Dans le dernier tableau du cycle, Persée, pour pouvoir épouser Andromède, doit lui prouver son origine divine en lui montrant la tête de Méduse. Burne-Jones imagine un dispositif  où les deux se retrouvent de part et d’autre d’une fontaine, miroir octogonal qui révèle ce que chacun regarde : Persée regarde sa future épouse directement, tandis qu’Andromède regarde le reflet de la tête de Méduse brandie au dessus d’eux.

Ainsi, à la fin de l’aventure, le miroir d’eau reproduit le stratagème du début, où Persée avait échappé au regard mortel de Méduse en la regardant par réflexion dans le bouclier d’Athéna. La capacité du miroir à désarmer le monstre est démontrée visuellement, puisque la face de Méduse y apparaît débarrassée des serpents qui la hérissent.

Ce dernier tableau est un condensé du procédé de collage et de substitution typique du préraphaélisme :

  • Andromède remplace Athéna,
  • l’octogone de la fontaine florentine ressuscite le bouclier grec,
  • la situation évoque d’autres couples mythiques :
    • Zeus et Héra sous le pommier des Hespérides,
    • Adam et  Eve sous celui du jardin d’Eden ;
    • Tristan et Yseult sous le pin, découvrant le roi Marc par son reflet dans la source.


burne jones Cycle Persee 10 1887 The-Baleful-Head-Southampton City Art Gallery detail,
Dans le reflet, le visage aux yeux clos du monstre autrefois terrifiant répond au problème implicite de la série : la synthèse entre les deux sexes est possible, mais dans le narcissisme et la mort.

Il n’est pas inutile de mentionner qu’Andromède a les traits de Mary Zambaco, l’amour impossible du peintre, tandis que Méduse ressemble à Georgina, son épouse légitime [5a].



Références :
[1] Le Roman de la Rose, édition Pierre Marteau, 1879, Tome IV,  https://www.gutenberg.org/cache/epub/44713/pg44713-images.html
[2] « A man of Cyprus, a sculptor named Pygmalion, made an image of a woman, fairer than any that had been seen, and in the end came to love his own handiwork as though it had been alive: wherefore, praying to Venus for help, he obtained his end, for she made the image alive indeed, and a woman, and Pygmalion wedded her. »
[3] The heart desires, the hand refrains, the godhead fires, the soul attains
[5] Liana De Girolami Cheney « Edward Burne-Jones Mythical Paintings »

A poil et en armure

5 novembre 2023

Un titre trivial pour une situation qui ne l’est pas moins : le comble du vêtement – l’armure qui couvre le corps jusqu’à le caricaturer – contre l‘absence de tout voile. Cette situation électrique est aussi un choc de textures, et de deux manières de renvoyer la lumière : comme l’acier ou comme la blancheur.

Cet article retrace les différents prétextes que les peintres ont trouvés pour justifier une collision improbable.



Mars et Vénus


Mars Venus 1497 Andrea Mantegna - The Parnassus
Mars et Vénus (Le Parnasse, détail)
Andrea Mantegna, 1497, Louvre

L’armure et la nudité sont les attributs habituels de Mars et de Vénus. Autant on les montre ainsi lorsqu’ils sont séparés, autant lorsqu’ils sont ensemble on les représente la plupart du temps en tant qu’amants, nus ou légèrement vêtus, Mars gardant à la rigueur son casque.

C’est parce que Le Parnasse constitue une sorte de galerie officielle des Dieux que Mantegna a choisi cette représentation symétrique, qui permet de comparer visuellement :

  • le casque et la chevelure ;
  • la cape et le ruban ;
  • la lance et la flèche ;
  • la cuirasse et le torse.

Mais nous ne sommes pas encore dans une confrontation de matière entre l’acier et la chair.


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Mars Venus 1482-1516 Giulio Campagnola (attr) Brooklin MuseumGiulio Campagnola (attr), 1497-1516, Brooklin Museum Mars Venus 1509-16 Jacopo-Barbari NGAJacopo de Barbari, 1509-16, NGA

Ces deux suiveurs n’y pensent pas non plus.


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1500-10 Giovanni Battista Palumba A2 Vulcan forging a winged helmet with Mars and Venus British museumVulcain forgeant un casque ailé, avec Vénus et Mars
Giovanni Battista Palumba (maître IB), 1500-10, , British Museum 

Cette gravure, avec son nu féminin vu de dos, très audacieux pour l’art italien de l’époque, nous montre Mars visiblement attiré par Vénus (la branche suggestive qui perce l’armure derrière lui), tandis que le mari légitime se contente de pilonner un casque, sans prendre garde au petit Cupidon dans son dos.

Bien que la chair nue reste disjointe du métal, leur voisinage commence ici à participer à la charge érotique.


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Mars Venus 1560 paris-bordone Kunsthistorisches Museum AMars et Vénus couronnés par la Victoire Mars Venus 1560 paris-bordone Kunsthistorisches Museum BVénus, Mars, Flore et Cupidon

Allégories, Paris Bordone, 1560, Kunsthistorisches Museum, Vienne

La technique des Vénitiens pour représenter le métal permet enfin d’obtenir la première confrontation remarquable. Ces allégories assez obscures faisaient partie d’une série de dix scènes érotico-mythologiques destinées à un cabinet d’Augsbourg.

Dans les deux conservées, Vénus est représentée de la même manière, selon le type de la courtisane vénitienne, blonde, à la poitrine nue et montrant sa cuisse.

Mars en revanche est très différent : on pense que le jeune homme imberbe, très individualisé, est le commanditaire. C’est sans doute un choix de celui-ci de se faire représenter en armure, à la manière des portaits de noble. Car cette carapace noire et hermétique vient plutôt contrarier le thème. Il s’agit de célébrer la victoire de l’Amour sur la Guerre, comme le montrent les nombreux symboles nuptiaux : les deux couronnes de myrte, l’arc et le carquois remplacés par un panier de roses dans les mains de Cupidon, l’échange de roses et l’offrande d’un coing, emblème classique du mariage [1].


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Veronese, Paolo, 1528-1588; Mars and Venus with Cupids and a HorseMars désarmé par Vénus
Copie XVIIème d’après Véronese, National Trust, Stourhead

Véronèse a traité a plusieurs reprises le thème du couple de Mars et de Vénus, mais cette composition des années 1570 (connue par cette copie et une gravure) est la seule à représenter Mars en armure. La raison découle du sujet : Vénus s’attaque à la cuirasse tandis qu’un amour retient le cheval et que l’autre finit de déshabiller la déesse. Le geste inverse de Mars, tenant de se remonter sa cape, est donc voué à l’échec : le guerrier se résigne, mélancoliquement, à passer à la casserole.


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Mars Venus 1610-12 sisto-badalocchio-rouen-musee-des-beaux-artsMars et Vénus
Sisto Badalocchio, 1610-12, Musée des Beaux-arts, Rouen

Dans cette composition en revanche, Mars n’a aucune réticence à tomber l’armure en vitesse. En bas à droite un amour escamote le glaive de la Guerre tandis qu’à gauche, sous le rideau, un autre nous montre d’un air entendu le carquois bourré de flèches de l’Amour.


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Mars Venus 1612 Rubens Los Angeles, Getty MuseumLe retour de la guerre : Mars désarmé par Vénus
Rubens et Jan Brueghel l’Ancien, vers 1612, Getty Museum, Los Angeles

Les deux peintres ont cumulé leurs talents, l’un pour la somptuosité de personnages, l’autre pour la profusion de la nature morte. D’emblée la composition se place sous le signe de l’humour, puisque ces préliminaires galants ont lieu en au fin fond des forges de Vulcain, le mari légitime : l’enclume vide dit son absence et la cloche le moque.

La partie « nature morte  » accumule les allusions :

  • du côté de Mars, les fûts de canon braqués dans toutes les directions, la poire à poudre et la collection de bandoirs à manivelle l’exhortent à des coups redoublés ;
  • derrière Vénus, la collection de mors affiche que la Tempérance n’est pas de mise ;
  • devant eux, les deux cochons d’Inde signalent qu’il est temps de se déshabiller (les feuilles de vignes qu’ils rongent) avant de déguster les délices de l’Amour (les grappes).

C’est à cet effeuillage de Mars que s’emploient les amoretti, l’un s’attaquant à sa sandale, un autre à son épée, un autre à son bouclier, tandis que Vénus, en haut de la pyramide, se réserve d’enlever le casque.

Ce qui est intéressant pour notre thème est qu’elle touche le casque, s’appuie sur la cuirasse et frôle la jupe au travers de trois tissus différents, comme si le contact direct entre le métal et la peau féminine était jugé trop vulgaire, ou trop sensuel.


Mars Venus 1613-14 rubens Comparaison Couronnement du heros Alte Pinakothek München INVERSELe couronnement du héros vertueux par la Victoire (inversé)
Rubens, 1613-14, Alte Pinakothek, Münich

Dans la même période, Rubens réalise un de ses très rares pendants (voir Les rares pendants de Rubens) : à un Hercule ivre soutenu par un satyresse et un satyresse, il oppose un Héros vertueux couronné par la Victoire (un « Chevalier chrétien » d’après l’inventaire de 1640 ( [2], p 66)), ici inversé pour favoriser la comparaison :

  • La posture du guerrier est pratiquement identique, mis à part le bras droit qui tient la lance : levé pour faire écho au bras droit de la Victoire et baissé pour dégager l’échappée vers le paysage.
  • Celle de la femme nue a été plus profondément modifié, puisque la Victoire abaisse la couronne de lauriers tandis que Vénus soulève le casque.
  • La grappe de raisin, qui se justifie par le contexte bachique du pendant, est plus incongrue dans le Mars et Vénus, seul élément naturel perdu au milieu des artefacts (avec le couple de cochons d’Inde).

Ces points de comparaison tendraient à prouver que le pendant bachique précède le Mars et Vénus (la chronologie exacte n’est pas établie).

Pour le sujet qui nous occupe, on remarquera que :

  • la cuirasse du Chevalier Chrétien reflète une fenêtre (la lumière divine) et est en contact direct avec le sein nu de la Victoire ;
  • la cuirasse de Mars reflète le corps de Vénus, mais fait contact au travers d’un tissu.

De même, la main gauche du chevalier touche directement la hanche de la Victoire, totalement nue mis à part un bout de linge pudique ; alors que la main gauche de Mars touche la hanche de Vénus à travers son voile, qui serpente de la tête au sexe.


Tous ces points vont à contresens des intentions alléguées : le tableau supposément moral est plus risqué que le tableau supposément érotique. Les ailes de la Victoire, qui en font une allégorie et non une femme réelle, suffisent-elles à justifier ces audaces ? C’est plus probablement la destination des deux oeuvres qui joue : un pendant à usage privé dans un cas (il est resté jusqu’à la mort du peintre dans sa collection personnelle), un tableau officiel dans l’autre.


Mars Venus 1630-35 Rubens Dulwich Picture GalleryMars et Vénus
Rubens, 1630-35, Dulwich Picture Gallery

Rubens n’a en tout cas jamais peint d’autre contact rapproché entre un corps féminin et une armure. Dans ce tableau familial, les deux amants sont prudemment séparés par le rideau rouge, et par le Cupidon goulu qui monopolise la poitrine de sa mère, tandis que Mars fait tapisserie.


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venus, mars et amour, le guerchin 1615-1616 Galerie Estense de Modene

Mars et Vénus
Le Guerchin, 1615-16, Galerie Estense, Modène

Cupidon est ici totalement dans le camp de Vénus : son arc est parallèle au carquois qu’elle touche de la main droite, sa flèche est parallèle à l’index de sa main gauche, qui menace le spectateur (sur ce motif, voir1 Sous l’oeil de l’archer). Mars est au contraire dans le camp adverse, celui des hommes que transpercent les flèches de l’Amour.

L’opposition entre armure et chair nue vaut ici avertissement : aucune cuirasse n’est invulnérable à l’Amour.


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Jan Lievens,  Mars and Venus

Mars et Vénus
Lievens, 1653, Stiftung Preussische Schlösser und Gärten Berlin-Brandenburg

« La nature sensuelle de l’image se révèle au premier regard. Ce tableau d’extérieur capture un moment intime : Vénus nue regarde rêveusement son amant en armure, qui se penche et étend le bras pour lui caresser un sein. Mars est tellement enchanté par les charmes de Vénus qu’il ne la voit pas confisquer son bâton de commandement – dans une référence ouvertement phallique – pas plus que les trois putti qui lui prennent son épée et son casque à plumes. Le putto en bas à droite tire l’épée du fourreau dans un mouvement qui expose ses organes génitaux de chérubin, tout comme sa cuirasse est une version miniature de celle de Mars. » [3]

Comme l’a montré Jacquelyn N. Coutré, le portrait historié était à la mode à la cour d’Orange. Aussi étrange que cela puise nous paraître, c’est bien Louise Henriette d’Orange-Nassau et son époux l’électeur du Brandebourg Friedrich Wilhelm qui prennent ces poses ouvertement érotiques, à la guise des divinités de l’Amour et de la Guerre. Le tableau s’inspire probablement d’un Mars et Vénus de Rubens, disparu en 1945, peint vers 1617 pour la génération précédente de la famille d’Orange.

Ici, l’inversion de l’ordre marital, immuable dans les portraits de couple, est à la fois un hommage au pouvoir vénusien et une manière de souligner le caractère allégorique de la scène : l’union des deux souverains, comme celle des deux divinités, apporte la Paix à leurs sujets.


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Mars Venus 1776 Allegory of Peace and War Pompeo Batoni Art Institute Chicago

Allégorie de la Guerre et de la Paix
Pompeo Batoni, 1776, Art Institute Chicago

La composition oppose le dragon du casque à la tresse, la lame au rameau d’olivier, la cuirasse à la poitrine nue, la main crispées sur le pommeau à celle qui effleure la garde, la Force à la Tendresse.


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Etty, William, 1787-1849; Venus, Cupid and Mars1836-37, National Trust, Anglesey Abbey Mars Venus 1800xx EttyNon daté, collection particulière

Mars et Vénus, William Etty

Fortement influencé par les matières somptueuses de Rubens, Etty trouve dans les sujets mythologiques une manière d’introduire auprès d’un public puritain les nus féminins dont il a fait son miel. Mais l’audace ne va pas jusqu’à frotter la peau à la cuirasse.


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chevalier 1920 Leopold Reutlinger

L’Armure
Leopold Reutlinger, 1920

Un siècle plus tard, les jambes voilées de gaze frôlent la cuisse d’acier, les mains douces s’attaquent au gantelet : dans le contexte de l’immédiate après-guerre, le spectateur n’avait pas trop de mal à reconnaître dans cette photo suggestive le vieux thème de Vénus désarmant Mars.


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Chevalier 1945 jantzen

Vienne le jour merveilleux…
Publicité pour les gaines Jantzen, 1945

A la fin du conflit suivant, il s’agit de préparer le retour prochain du héros à la maison, et de l’accueillir avec la tenue de combat qui rend toutes les femmes « minces et adorables ».



Persée et Andromède

Perseus and Andromeda 0000 fresque PompeiPersée et Andromède, fresque de Pompéi

Dans les représentations antique du mythe, le décorum veut que le héros soit nu et la princesse habillée.


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1570-72 Vasari Florenz, Palazzo Vecchio

Persée et Andromède,
Vasari, 1570-72, Palazzo Vecchio, Florence

A la Renaissance, les conventions s’inversent : le héros se déguise en soldat romain et la princesse en statue antique, ce que justifie faiblement le texte d’Ovide : « si le souffle léger des Zéphyrs n’eût pas agité ses cheveux, si des pleurs n’avaient pas coulé de sa paupière tremblante, il l’aurait prise pour un marbre, ouvrage du ciseau. »

Les nymphes dénudées, quant à elles, sortent strictement du texte des Métamorphoses qui décrit la naissance du corail à partir des algues et du sang de la Gorgone :

« Persée lave dans l’onde ses mains victorieuses, et de peur que les cailloux ne blessent la tête aux cheveux de serpents, il couvre la terre d’un lit de feuilles tendres, sur lesquelles il étend des arbustes venus au fond de la mer ; c’est là qu’il dépose la tête de la fille de Phorcus. Ces tiges nouvellement coupées, et dont la sève spongieuse est encore pleine de vie, attirent le venin de la Gorgone, et se durcissent en la touchant ; les rameaux, le feuillage contractent une roideur qu’ils n’avaient point encore. Les nymphes de la mer essaient de renouveler ce prodige sur d’autres rameaux, et à chaque fois se réjouissent d’y avoir réussi. À diverses reprises, elles en jettent les débris dans les eaux, comme autant de semences. » Ovide, Les Métamorphoses, Livre IV, chapitre V

Le panneau de Vasari était d’ailleurs accroché sur la porte du cabinet contenant la collection de coraux du duc de Toscane.


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Perseus and Andromeda 1639-40 Rubens Prado

Persée et Andromède, Rubens et Jordaens, 1639-40, Prado

Cette oeuvre a été commandée par Philippe IV pour la Palais de l’Alcazar de Madrid, comme allégorie de la puissance de la monarchie espagnole ; ce pourquoi Persée porte ici une armure contemporaine. La scène de la délivrance se prête peu à un contact rapproché, mais la cuissarde frôlant la cuisse est néanmoins évocatrice d’un rapprochement de conjoints, sous le double patronage de l’Amour et du Mariage, Cupidon avec son carquois et Hymen avec sa torche.


Perseus and Andromeda 1639-40 Rubens Prado detail
L’insistance sur l’anneau et le dénouage matériellement impossible sont une manière subtile de signifier que le lien s’est substitué à la chaîne : plutôt que la délivrance d’Andromède, c’est son enjeu et son résultat, à savoir l’union avec Persée, qui est ici célébrée.


Laissé inachevé à la mort de Rubens, le tableau a été achevé par Jordaens.


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1884-85-Edward_Burne-Jones_-Serie-perseus-8-The-rock-of-doom-Southampton-City-Art-Gallery-SouthamptonLe rocher du destin (the rock or doom) , 8ème panneau du cycle de Persée et Andromède
Edward Burne-Jones, 1884-85, Southampton City Art Gallery, Southampton

Les enjeux esthétiques de ce cycle sont multiples (voir Comme une sculpture (le paragone) et 1 Le Bouclier-Miroir : scènes antiques ). Pour ce qui nous intéresse ici, notons que Burne-Jones invente une armure organique qui souligne les lignes du corps au lieu de les casser : adolescent androgyne, double métallisé d’Andromède, Persée repousse de la main le phallus rocheux auquel elle est assujettie.


1888-Edward_Burne-Jones_-Serie-perseus-9-The-doom-fulfilled-Southampton-City-Art-Gallery-Southampton.Le destin accompli (the doom fulfilled), 9ème panneau du cycle de Persée et Andromède
Edward Burne-Jones, 1884-85, Southampton City Art Gallery, Southampton

La suite du cycle laisse entendre que Persée n’en a pas fini avec les complexités de l’autocastration.


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Perseus and Andromeda 1890 Charles Napier KennedyPersée et Andromède, 1890, Charles Napier Kennedy

A côté de ces ambiguïtés, les personnages en celluloïd de Kennedy sont d’une simplicité reposante : comme dans tout couple victorien, l’homme y est orthogonal à la femme, séparé par un bouclier et ne la touchant que du bout des lèvres. Ce héros britannique est si craint qu’il n’a même pas besoin d’épée pour tenir en respect le monstre marin : l’ostension de ses victoires passées suffit.



Angélique et Roger

L’épisode est tiré du Roland Furieux de l’Arioste (début 16ème siècle), qui démarque ouvertement le mythe d’Andromède et Persée. Les premières illustrations sont panoramiques, et montrent Roger sur son hippogriffe (qui remplace Pégase), l’orque marine et sa pâture, Angélique nue enchaînée au rocher. Cette jeune princesse « toute nue, tout aussi charmante que la nature l’avait formée, n’avait pas un seule voile qui pût couvrir les lys et les roses vermeilles placées à propos où leur éclat pouvait embellir un si beau corps », et elle provoqua aussitôt « l’amour et la pitié » dans le coeur de Roger, qui « eut peine à retenir à ses larmes ».

L’idée de confronter la nudité de la victime à l’armure du héros ne vient pas de l’épisode principal, Angélique sauvée de l’orque (chants X), mais de sa suite immédiate (chant XI), qui en constitue le retournement.

Angelique 1862 by Adolphe Pierre François Leofanti

Angélique sauvée par Roger
Adolphe Pierre François Leofanti, 1862, collection particulière

Déjà, pendant le vol, le héros avait senti sa fureur contre le monstre se transformer en une certaine ardeur :

« Roger, plein de joie et d’amour, et qui sent cette jeune beauté derrière lui, se retourne souvent, et couvre de ses baisers brûlants ces yeux charmants, ranimés par sa délivrance, et ce beau sein qu’il sent encore palpiter. » ( [4], p 34)

Dès l’atterrissage, la situation se tend :

« A peine est-il descendu, que mille nouveaux désirs se succèdent. Il ne se connaît plus ; il sait seulement que des armes dures et incommodes arrêtent ou du moins retardent son bonheur; il les arrache à la hâte, et les disperse de tous côtés. Jamais il n’eut tant de peine, jamais il ne se trouva si maladroit pour s’en débarrasser. Son ardeur pétulante trouble sa tête, égare sa main, qui souvent pour délier le nœud d’une attache, en forme deux plus serrés encore. » ([4], p 35)


Angelique 1623-24 Angélique se cache de Roger avec l’anneau Billivert Giovanni entre 1623 et 1624 Florence, Palais Pitti, Galerie Palatine

Angélique se cache de Roger grâce à son anneau
Giovanni Billivert, 1623-24, Galerie Palatine, Palais Pitti, Florence

Billivert montre à la fois ce dénouage hasardeux, l’hippogriffe qui repart, et Angélique, à qui Roland avait confié un anneau magique, sur le point de le placer dans sa bouche, ce qui va la rendre invisible et sauver sa vertu.



Angelique 1623-24 Angélique se cache de Roger avec l’anneau Billivert Giovanni entre 1623 et 1624 Florence, Palais Pitti, Galerie Palatine detail
L’image rend compréhensible l’idée qui sous-tend le texte : si la disparition d’Angélique coïncide avec la disparition de l’anneau, c’est que, d’une certaine manière, Angélique est assimilable à l’anneau : pour échapper au viol, il faut qu’elle s’avale elle-même.

Dans cette version du tableau, le voile aurait été rajouté suite aux critiques de la grande duchesse Christine de Lorraine, dont un texte d’époque raconte un dialogue savoureux avec le peintre :

« Alors tu es ce brave homme qui a fait un tableau pour mon fils, qui est jeune et aussi cardinal, avec une femelle qui montre toutes ses parties honteuses ! Après l’avoir laissée dire, il lui avait répondu : elle montre son dos, et moi je ne savais pas que les femmes sont honteuses, sauf par devant. » [5]

Ce bon mot, probablement inventé, montre que la question de la pénétration déjouée, et de l’anneau mis en sécurité, était bien le centre de l’histoire.

Loin de se repentir de sa tentative de viol, Roger se montre d’ailleurs très dépité de la perte de cet objet :

« Ingrate beauté, s’écrie-t-il, est-ce donc là le prix que tu me donnes ! aimes-tu donc mieux m’arracher cet anneau par surprise que le recevoir de ma main? Eh! ne te l’aurais-je pas donné, si tu l’avais désiré ? ce bouclier, ce cheval ailé, moi-même, tout n’était-il pas à toi pour en disposer en souveraine? ([4], p 38)



Angelique 1623-24 Angélique se cache de Roger avec l’anneau Billivert Giovanni Florence Offices

Offices, Florence

Billibert a produit d’autres versions pratiquement identiques, hormis le voile. C’est peut être sur le rapport visuel trop étroit entre cet anneau magique (prétendûment nuptial) et un orifice plus secret, que se fondaient les réticences de la Grande duchesse [6].


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Angelique 1640-45 s’apprête à disparaître devant Roger - Cecco Bravo Chicago, Smart Museum of Art

Angélique s’apprête à disparaître devant Roger
Cecco Bravo, 1640-45, Smart Museum of Art, Chicago

Dans cette composition évanescente, tout est subtilement suggéré :

  • qu’Angélica a déjà mis dans sa bouche l’anneau, puisqu’on ne le voit plus sur sa main ;
  • qu’elle est sur le point de s’évanouir, comme l’hippogriffe dans le lointain, la montagne dans la brume, et sa propre chair dans l’ombre – trois manières de traduire visuellement la métaphore du texte : « elle disparaît aux yeux de l’amoureux paladin, comme le soleil s’enveloppe sous le voile d’un épais nuage. »

Cecco Bravo pousse à la limite la tension qui nous occupe : tandis que Roger échoue à se dévêtir de son armure, Angélique réussit à subtiliser jusqu’à sa propre nudité.


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Angelique 1876 La délivrance. Roger et Angélique Joseph Paul Blanc PBA Lille

La délivrance (Roger et Angélique)
Joseph Paul Blanc, 1876, PBA, Lille

Dans cette composition très étudiée, un tissu évite le contact direct entre Angélique et le rocher, tout comme le métal de la jambière, de la jupe et de la cuirasse évite le contact direct avec la peau de son sauveur. Au deux chimères réussies – le cheval ailé et le tigre à queue de poisson – s’opposent deux unions contrariées : de la femme avec le rocher, de la femme avec le guerrier.


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Angelique 1880 Böcklin Museum Kunstpalast, Dusseldorf

Roger sauve Angélique des griffes du dragon (Ruggiero befreit Angelica aus den Klauen des Drachen)
Böcklin, 1880, Museum Kunstpalast, Düsseldorf (disparu en 1945)

Böcklin, qui avait déjà traité le thème en version panoramique en 1873, y revient ici en cadrage étroit et en contreplongée, dans une composition bizarre qui confine à la caricature. On a dit [7] qu’il s’agissait d’une sorte de satire des lourdeurs du wagnérisme, dans lequel on tentait alors de l’enrôler, une exagération délibérée des héroïnes éplorées et des chevaliers aux larges épaules.

Il me semble que cette composante humoristique n’épuise pas la dimension expérimentale du tableau. Entre la femme nue aux membres fermés et le chevalier noir aux membres ouverts, le tissu rouge constitue à la fois une idée prosaïque (une serviette pour sécher et réchauffer la rescapée) et un symbole astucieux (la cape du chevalier prend possession de la femme sans défense). L’image est à lire comme une sorte de gageure graphique, dans laquelle Böcklin a cherché à superposer les deux épisodes contradictoires : le sauvetage et le viol.

D’où l’ironie du titre : Angélique n’échappe aux griffes du dragon que pour tomber dans les pattes de Roger.

Ainsi, son visage exprime non seulement la terreur rétrospective, mais aussi la crainte de ce qui la menace. De même, la face sombre de Roger anticipe son noir dessin. Sous l’entrejambe de la jeune femme, le cou sectionné du monstre, d’où jaillit un jet rouge, évoque le combat passé, mais aussi la défloration annoncée, puis le désir interrompu : sous l’entrejambe de Roger, la grimace déçue du monstre traduit comiquement leur double échec, d’engloutir et d’être englouti.



Angelique 1880 Böcklin Museum Kunstpalast, Dusseldorf detail
Ainsi la jonction impossible de la peau nue et de l’acier, en haut, se conclut en bas par une coupure sanglante.


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Perseus and Andromeda 1900 Lovis Corinth musée Georg Shäffer munich

Persée et Andromède
Lovis Corinth, 1900, musée Georg Shäffer, Münich.

Vingt ans plus tard, Corinth s’approprie l’idée de la cape-serviette de Böcklin, et s’en démarque par le nom du couple, désormais interchangeable. Il élude le risque comique en plaçant la gueule du monstre en hors champ.



Perseus and Andromeda 1900 Lovis Corinth musée Georg Shäffer munich schema
Les griffes vides matérialisent le transfert de propriété entre les deux cuirassés.



Perseus and Andromeda 1901 Lovis Corinth

Persée et Andromède
Lovis Corinth, 1901, collection particulière

Dans cette variante peu fine, le geste de défense d’Andromède a sans doute quelque rapport avec l’hypertrophie de la lance.



Amoretta et Britomart

Ce sujet typiquement anglais est tiré de « The Faerie Queene » d’Edmund Spenser (1570).

Amoretta 1792 The Freeing of Amoret gravure de Francesco Bartolozzi d'apres John Opie British MuseumLa libération d’Amoretta, gravure de Francesco Bartolozzi d’apres John Opie, 1792, British Museum

Amoretta a été enchaînée par le magicien Busirane (la baguette et le grimoire écrit avec le sang de l’innocente jeune fille), qui n’a pas manqué de la torturer (le poignard). Au centre s’interpose un chevalier en armure, Britomart.


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Amoretta 1783 avant Fussli Britomart Delivering Amoretta from the Enchantment of Busirane Goethe Haus FrankfurtBritomart délivrant Amoretta de l’Enchantement de Busirane
Füssli, 1824, Goethe Haus, Francfort

Un artiste aussi retors que Füssli ne pouvait manquer d’exploiter ce qu’Opie ne montre pas : que Britomart est en fait une jeune fille habillée en chevalier. Il inverse la composition et illustre tout autre chose : une dominatrice rousse qui élève son épée contre un vieil homme tombé à terre, avec sa baguette impuissante. A droite, la belle Amoretta, enchaînée dans une posture en miroir, est en fait l’image dénudée de Britomart.

Ainsi le tableau ajoute les charmes du déshabillage à ceux du travestissement.


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Britomart Redeems Faire Amoret exhibited 1833 by William Etty 1787-1849

Britomart rachète la loyale Amoretta (Britomart Redeems Faire Amoret)
Etty, 1833, Tate Britain.

Dans ce tableau qu’il considérerait comme une de ses oeuvres majeures, Etty revient à l’alibi moral qui lui permettait de faire accepter ses nus féminins à une Angleterre qui les avait prohibé depuis 1787 [8]. Dans l’épopée de Spencer, Amoretta symbolise la Vertu conjugale et l’héroïque guerrière Britomart représente à la fois la Chasteté et la Reine vierge, Elizabeth I.

Tout en édulcorant la violence de la scène, Etty améliore la fidélité au récit puisque Britomart intervient au moment précis où Busirane va poignarder la captive. Sa natte chinoise, l’arcade orientale et les motifs païens de la colonne ajoutent à la guerrière la touche très britannique d’un Saint Georges, combattant le Mal sous toutes ses formes.


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Amoretta 1854 Britomartis Unveiling Amoret Joseph Pitts Porcelaine de Coalport National Museums Liverpool

Britomar dévoilant Amoretta (Britomartis Unveiling Amoret)
Joseph Pitts, Porcelaine de Coalport, 1854, National Museums, Liverpool

Au second degré, le groupe reprend l’idée de Füssli, selon laquelle Amoretta n’est autre que la féminité cachée de Britomart, qui se dévoile en quelque sorte elle-même. Au premier degré, la scène joue habilement avec les conventions de l’époque : un chevalier déshabillant une femme aurait été très choquant, mais si ce chevalier est une fille, pas de problème :

« L’utilisation de la porcelaine de Paros intensifie la sensualité du tissu et de la peau nue d’Amoretta, tout en soulignant la pureté suprême des deux femmes. Cette représentation est fidèle au texte de Spenser, où le couple s’engage dans une conversation intime et érotique. Notamment, après la révélation que Britomart est une femme, Amoretta l’invite dans son lit pour « de dures aventures entre elles seules », une expression typique, dans la littérature de l’époque, pour évoquer le contact érotique entre femmes De telles relations intimes étaient généralement acceptées et considérées comme une démonstration « innocente » de liens émotionnels intenses entre compagnes. Ils étaient considérés comme un moyen de préserver la chasteté féminine et de se préparer aux exigences sexuelles de la vie conjugale, et non à l’infidélité. » [9]


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Britomart-and-Acrasia.-The-Faire-Queene-Khnopff 1892 Musee royaux d'art et d'histoire

Acrasia et Britomart (The Faire Queene)
Khnopff, 1892, Musées royaux d’art et d’histoire, Bruxelles

Le pendant oppose, dans des poses symétriques, le Plaisir charnel et la Vierge cuirassée.



La Demoiselle et le Chevalier

Menzel 1867 Blindekuh Colin maillard gouache coll part

Colin maillard (Blindekuh)
Menzel, 1867, lithographie

On doit à Menzel des études d’armure d’une bluffante virtuosité, réalisées entre 1861 et 1865 dans la salle de la Garde du Corps du château de Berlin. Il met ici son savoir-faire au service d’un sujet de genre original, où la visière transpose le foulard du jeu de colin-maillard : en la soulevant, la dame va savoir qui se cache sous l’armure.

Bien que le titre ne le dise pas, il s’agit en fait d’un conte populaire, Le Bourreau de Bergen (Der Scharfrichter von Bergen) [9a] : au cours d’un bal masqué donné à Francfort pour l’élection de l’Empereur, son épouse danse agréablement avec un chevalier noir de belle prestance. A la fin du bal, lorsque tous les masques sont tombés, il est obligé de la laisser relever sa visière, et tout le monde reconnaît le bourreau de Bergen. Pour laver l’offense faite à l’impératrice, il propose à son époux la seule solution : le faire chevalier sur le champ. Ainsi le faux noble devient un vrai, et l’audace efface l’infamie.



Menzel 1867 Blindekuh Colin maillard coll part

Colin maillard (Blindekuh)
Menzel, 1867, collection particulière

Ce tableau est une élaboration de la même histoire, délibérément énigmatique : la cuirasse est étincelante et non pas noire, l’impératrice a pour déguisement ses cheveux dénouées et une couronne de fleurs. Le moment montré est celui où le faux chevalier se détourne pour éviter de se laisser démasquer.

Menzel a rajouté deux éléments insolites :

  • le garde barbu qui nous fixe, à l’arrière-plan ;
  • le bouquet qui s’attaque à la visière, et se fait sentir à travers elle.



Menzel 1867 Blindekuh Colin maillard coll part schema

La composition donne une clé de lecture :

  • à droite, la main nue posée sur l’amure fait pivot entre la main nue du garde et la main gantée du faux chevalier : on comprend alors que ce soldat vulgaire n’est autre que l’image démasquée du bourreau ;
  • à gauche les deux mains nues créent un parallèle entre l’épée et le bouquet, autrement dit les deux accessoires de déguisement : pas plus que le chevalier n’en est un vrai, l’impératrice n’est une jeune fille libre de conter fleurette.

Le titre « colin-maillard » invite à un niveau plus profond de lecture : le principe du jeu est de suppléer par le Toucher à la suppression de la Vue ; ici l’armure supprime le Toucher, suppléé à son tour par l’Odorat.


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Chevalier 1870 Millais The Knight Errant Tate Britain premiere version reconstitution

Le Chevalier Errant (reconstitution de la première version)
Millais, 1870, Tate Britain

Lors de sa présentation à la Royal Academy en 1870, le tableau était accompagné d’un texte explicatif dans le catalogue : « L’ordre des chevaliers errants a été institué pour protéger les veuves et les orphelins et pour secourir les demoiselles en détresse» [10].

L’alibi moral n’empêcha pas le scandale : pour la seule et unique fois où il tentait un nu féminin, Millais avait choisi, un peu innocemment, la formule la plus explosive : une femme nue et un chevalier à l’épée échangeant des regards entendus de part et d’autre d’un gros bouleau.

Devant le feu des critiques, Millais découpa le torse d’Angélique et le prit pour base d’un autre tableau, La martyre de Solway, dont la radiographie a permis de retrouver la direction initiale du regard [11].


The Knight Errant *oil on canvas *184.1 x 135.3 cm *1870

Le Chevalier Errant (retouché en 1871)
Millais, 1870, Tate Britain

La genèse de ce sujet problématique vient certainement de l’intention de transposer dans le monde médiéval le mythe, très à la mode à l’époque, de Persée et Andromède. Pour aider à la compréhension, Millais a multiplié les détails narratifs, mais qui passent inaperçus dans le décor ;

  • côté féminin, le croissant de lune et un bout de robe ;
  • côté masculin, un torse transpercé et deux voleurs mis en fuite.

La version retouchée trouva finalement un acquéreur en 1874 : c’est donc moins la confrontation entre le nu et la cuirasse qui clochait, que l‘affrontement équilibré des volontés. Une fois redevenue victime honteuse et subsidiaire, la femme nue ne choquait plus.



Chevalier 1870 Millais The Knight Errant Tate Britain detail
Et sa chevelure dénouée, symbole de provocation sexuelle, reprenait le rôle pudique de voile de sa nudité.


1898, Edmund J. Sullivan La Verite et le Prince des mensonges Illustration pour Sartor Resartus de Carlyle, p. 15 photo George P. Landow

La Vérite et le Prince des mensonges
Edmund J. Sullivan, 1898, Illustration pour Sartor Resartus de Carlyle, p. 15 (photo George P. Landow)

Le miroir, ajouté dans les mains de la femme pour symboliser la Vérité, transforme la composition en un motif beaucoup plus complexe que celui de Millais (voir 4 Fatalités dans le rétro ). Fermement tenu en main, il est l’instrument de la victoire de la Femme contre la Mort, qui laisse tomber son épée.


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Le_Chevalier_aux_Fleurs_1894_Georges_Rochegrosse Musee Orsay

Le Chevalier aux Fleurs
Georges Rochegrosse, 1894, Musée d’Orsay

Le wagnérisme produit en France cette spectaculaire composition florale. Dans l’acte 2, scène 2 de Parsifal, le héros met en fuite les chevaliers de Klingsor puis s’égare dans le jardin que la sorcière Kundry a peuplé de séduisantes filles-fleurs. Comme tout paladin qui se respecte, il résiste à leurs tentations et reste chaste, malgré le tripotage de son pommeau.

L’armure ne sert plus ici de conducteur érotique, mais d’isolant. L’effet de miroir de la cuirasse (voir 3 Reflets dans des armures : Pays du Nord) confère un zeste d’invisibilité à cette superposition réussie du héros teutonique à notre Pucelle nationale.


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Chevalier 1894 Max Slevogt Frau Aventure, Städel Museum, FrancfortDame Aventure (Frau Aventure)
Max Slevogt, 1894, Städel Museum, Francfort

Le motif resurgit la même année de l’autre côté du Rhin, probablement sous l’influence non pas du Chevalier errant de Millais, mais du Roger et Angélique de Böcklin, qui avait été exposé à Münich en 1890. La scène semble avoir été inventée par Slevogt, sans référence à une source littéraire précise : Frau Aventure est un personnage du Parzival de Wolfram von Eschenbach (chap 433) mais dans un contexte qui n’a rien à voir avec la violence ambigüe de la scène représentée : on a l’impression que la femme tente de protéger son cou de l’étranglement, mais il pourrait tout aussi bien s’agir d’une victime qu’on relève.


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Chevalier 1903 Max Slevogt Der Ritter und die Frauen , Staatliche Kunstsammlungen Dresden

Le Chevalier et les femmes (Der Ritter und die Frauen)
Max Slevogt, 1903 , Staatliche Kunstsammlungen, Dresden

Cette composition est tout aussi ambigüe, entre le viol collectif perpétré par un guerrier fou, et le chevalier tentant d’échapper à une escouade de putains. La femme près de rideau pourrait tout aussi bien appeler des gardes à l’aide ou d’autres courtisanes à la rescousse.

C’est en fait l‘interprétation morale qu’il faut retenir, celle du combat de la Vertu contre les Vices [12].


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Chevalier 1911 avant Carl von Marr Dans le jardin magique coll partDans le jardin magique, avant 1911 Chevalier 1912 Carl von Marr Adam et Eve Ritter und junges Weib coll partAdam et Eve en costume moderne, 1912

Carl von Marr, collection particulière

Dans ces deux oeuvres d’un peintre germano-américain, la vieille Europe se frotte au Nouveau Monde et le wagnérisme aux temps modernes : le chevalier à la lance tantôt prête allégeance à la Féminité, tantôt la salue par un vigoureux shake hand.


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alexander-rothaug_der-schwarze-ritter_coll part

Le chevalier noir (der schwarze Ritter)
Alexander Rothaug, non daté, collection particulière

La composition établit une certaine équivalence entre :

  • chevelure et crinière, ligature et bride, victime et monture, du côté des dominés ;
  • écorce et armure, du côté des dominants.


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Chevalier 1910 Kalmakoff Nicholas - Death and the maiden

La Mort et la Jeune Fille
Nicholas Kalmakoff , 1910, collection particulière

Un guerrier sortant des flammes relève sa visière et son gantelet pour montrer qui il est vraiment. Ainsi le chevalier, qui normalement sauve la demoiselle en détresse, se revèle être sa plus cruelle ennemie. Kalmakoff a le génie de rendre malsains les thèmes éculés : dans La Jeune Fille et la Mort, le squelette est sensé arracher la jeune fille aux plaisirs de la vie. Ici nous est montré l’inverse : le jeune fille enlaçant la genouillère du guerrier, pour l’empêcher d’aller détruire plus loin et pour le retenir auprès d’elle, jalouse de son bourreau hérissé d’armes phalloïdes.


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Chevalier 1913 Von Stuck THE DRAGON SLAYERLe Tueur de dragon, Von Stuck, 1913, collection particulière

A côté de ces tortuosités, la version de Von Stuck paraît presque anodine. C’est pourtant la première fois que l’homme de fer enlace la pâle beauté, on mesure le chemin parcouru depuis Millais. Le titre générique ne cherche même plus à invoquer une référence connue. Avec sa dent qui sort et la lance qui rentre, le dragon est dans la lignée de ceux de Böcklin, plus comiques que redoutables.


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Chevalier 1916 Schiksal Richard MullerLe destin (Schiksal)
Richard Müller, 1916, oeuvre disparue

Implacable comme la statue du Commandeur, le Destin cuirassé sépare le couple, la femme qui s’incline pour l’accepter et l’homme qui se cache les yeux de désespoir.

La composition est truffée de symboles : la boule dont la femme descend pour la Fortune qui tourne, le bouquet de fleurs pour la vie coupée, le chien pour la douleur du maître, l’aigle dévorant un hamster pour la Mort qui régit la nature. La boucle de l’Elbe, à l’arrière-plan, est une image du Temps qui assiège et érode  toute chose.

L’oeuvre s’inscrit au carrefour de deux thématiques : un macabre typiquement germanique et une formule particulière à Müller, consistant à apparier un nu féminin à un partenaire incongru (tapir, marabout, ours…). On ne peut donc pas dire que cette composition soit particulièrement liée à la guerre en cours.



Chevalier 1919 RITTER UND MÄDCHEN Richard Muller

Le chevalier et la jeune fille (Ritter und Mädschen)
Richard Müller, 1919, collection particulière

La jeune fille et le chevalier se font face, dans des postures symétriques. De la main droite, il dirige vers elle le pommeau de son épée, dans une menace immédiate ; de la main droite, elle enlève sa seule protection, la feuille de vigne, et la brute d’acier se fige. A gauche, la Mort, fascinée elle-aussi ce que le spectateur ne voit pas, arrête sa tâche de fossoyeur. Le sablier n’est qu’à moitié vide, le Pouvoir féminin a, pour un temps encore, stoppé la Violence et la Mort.


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delorme-raphael-femme-aux-armures-ca 1945 coll part

Femme aux armures, Raphaël Delorme, vers 1945, collection particulière

Cette femme debout, caressant sa tresse serpentine au milieu de cinq cuirasses aux becs saillants, est à lire comme une Léda, ainsi que l’indique le cygne doré sur le casque. Delorme a souvent utilisé le contraste nu/habillé (voir Habillé/déshabillé : la confrontation des contraires)


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Sous le chêne (Under the Oak Tree)
Siana Park, 2019

Le Chevalier est comme un chêne, qui protège la fille fauve des renards tourbillonnants.



Les outsiders

La libération d’Arsinoé

 

Jacopo_Tintoretto 1556 The_Liberation_of_Arsinoe_Gemaldegalerie Alte Meister DresdeLa libération d’Arsinoé
Tintoret, 1556, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde

Retenue en otage par les Romains sur l’île de Pharos, la princesse égyptienne Arsinoé est délivrée par l’eunuque Ganymède, qui va prendre la tête des troupes révoltées contre César. Les textes évoquent ce sujet rarissime de manière lapidaire :

« Cependant la jeune sœur de Cléopâtre, Arsinoé, par l’industrie de son esclave Ganymède, parvient au camp des ennemis. » Lucain, La Pharsale, Livre X

Tintoret élabore avec humour, en imaginant :

  • qu’Arsinoé était prisonnière dans le phare,
  • que Ganymède lui a envoyé une échelle de corde à l’aide de son arbalète,
  • que la fuite s’effectue en gondole.

Au premier degré, la cuirasse identifie Ganymède comme un guerrier. Au second, elle fait allusion à son incapacité physique, qui le condamne à ne tirer que des flèches non métaphoriques : l’armure donne ici à voir l’union charnelle impossible.

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Ulysse et Calypso

Lairesse 1680 ca Odysseus and Calypso Rikjsmuseum

Ulysse et Calypso
Gérard de Lairesse, vers 1680, Rijksmuseum, Amsterdam

Ce tableau est le seul exemple où Ulysse et Calypso sont représentés à la manière de Mars et Vénus, très intentionnellement car Lairesse est un peintre savant appréciant les énigmes visuelles : un oeil inattentif pourrait facilement prendre le petit amour, qui transfère le casque du héros à l’enchanteresse, pour un Cupidon ordinaire.


Lairesse 1680 ca Mercury Ordering Calypso to Release Odysseus RikjsmuseumMercure ordonnant à Calypso de libérer Ulysse
Gérard de Lairesse, vers 1680, Rijksmuseum, Amsterdam

Le second tableau du pendant, avec l’intervention de Mercure, révèle l’identité des deux Dieux (voir Les pendants complexes de Gérard de Lairesse).


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Saint Georges et la Princesse

Sanctus Georgius 1906 Solomon Joseph Solomon Royal Academy of Arts,Sanctus Georgius
Solomon Joseph Solomon, 1906, Royal Academy of Arts,

Dans les compositions habituelles, la princesse sauvée du dragon joue les utilités en marge du combat. Exceptionnellement, le saint Patron de l’Angleterre est représenté ici sous la forme d’un montagnard aux mollets d’acier, cumulant le coup de lance de Persée et de Roger avec la capacité d’emport de Pégase et de l’hippogriffe.

Le contact charnel entre le Saint et sa cavalière est habilement éludé par les tissus qui bouillonnent.



Références :
[1] Art and Love in Renaissance Italy, Metropolitan Museum of Art, p 324 https://books.google.fr/books?id=-X3eGY5W1WkC&pg=PA324
[2] Lisa Rosenthal « Gender, Politics, and Allegory in the Art of Rubens » https://books.google.fr/books?id=tIa0iUVpGbcC&pg=PA64&dq=rubens+%22return+from+war%22+hero
[3] Jacquelyn N. Coutré, « Decoration à l’Orange: Jan Lievens’s Mars and Venus in Context, » Journal of Historians of Netherlandish Art 5:2 (Summer 2013) https://jhna.org/articles/decoration-a-lorange-jan-lievens-mars-and-venus-in-context/
[4] L’Arioste, Roland Furieux, Paris, 1810 https://books.google.fr/books?id=KL4Ky2R3fm8C&pg=PA29
[5] « …e voi siete quell’huomo da bene che avete fatto un quadro al mio figliuolo che è giovane e è pur cardinale con una femmina che mostra tutti i vituperi , quando l’ebbe lasciata direrisposele q.ta mostra le reni e io non so che le donne abbiano vituperi se non dinanzi». Cité par Roberto Contini « Bilivert: saggio di ricostruzione » p 83
[6] Dans son interprétation de la scène, Morten Steen Hansen voit dans l’épée posée par terre le symbole habituel de la virilité déçue. Mais il ne reconnaît pas dans l’anneau (qui selon lui symboliserait la Raison) le symbole opposé, celui de la féminité reprenant le contrôle. Voir Morten Steen Hansen « Angelica’s Virginity: The Orlando Furioso and the Female Body in Florentine Seicento Painting » MLN Johns Hopkins University Press Volume 133, Number 1, January 2018 https://web.archive.org/web/20190426150503id_/https://muse.jhu.edu/article/697008/pdf
[7] Elizabeth Tumasonis, “Böcklin and Wagner: The Dragon Slain.” Pantheon 44 (1986)
[12] Katja Petzold « Hinweg von mir! »: Zur ikonographischen Quelle von Max Slevogts Gemälde « Der Ritter und die Frauen » 2021