Pendants solo : homme homme
Ces pendants confrontent deux personnages masculins.
Joachim II, prince électeur du Brandenburg, à 16 ans | Le Duc Johann von Anhalt, à 16 ans |
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Lucas Cranach l’Ancien, 1520, Jagdschloss Grunewal
Mis à part leur âge identique et leur armure très similaire, on ne connaît pas la raison de ce double portrait de jeunes gens. La position du Duc, à droite du pendant donc à gauche du prince, traduit bien son rang subalterne ; de même que son absence de plumet, ses bijoux plus modestes et son geste plus pacifique : il pose la main gauche sur le fourreau de son épée, pointe en bas, tandis que le Prince porte de sa main droite la hache, lame nue vers le haut.
Portrait d’Erasme | Portrait de Pierre Gilles |
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Quentin Metsys, 1517, Galleria Nazionale d’Arte Antica, Rome
On connait bien les circonstances de la composition de ce pendant : les deux amis humanistes, Erasme et Gilles, eurent l’idée de commander au peintre le plus célèbre d’Anvers cette double image, en cadeau pour leur ami commun Thomas More qui venait de retourner en Angleterre. Le portrait d’Erasme fut fini en premier car Gilles était souvent malade, et More les bombardait de lettres dans l’attente de son cadeau [1].
Le triangle amical est suggéré dans le tableau par la lettre de More que Gilles tient dans sa main, tandis qu’il pointe l’autre vers le livre “Antibarbari” qu’Erasme est en train de rédiger : on peut même lire ce qu’il écrit, une paraphrase de l’Epître de St Paul aux Romains, avec son instrument d’écriture favori : une plume en bambou. Grand spécialiste de Saint Jérôme, Erasme est représenté dans la posture caractéristique de ce saint érudit.
La niche avec ses étagères se poursuit d’un tableau à l’autre : les amis sont assis à la même table. Les originaux sur bois ayant été rentoilés et recoupés, on ne sait pas si les deux panneaux étaient présentés en diptyque ou en pendants : leur taille relativement importante (61 x 47) et la continuité horizontale des étagères milite plutôt pour une présentation en pendants.
Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Lucas Cranach l’Ancien, 1532, Staatliche Museen zu Berlin, Gemäldegalerie
Les deux grands réformateurs sont ici âgés de 49 ans et 35 ans, vêtus de la même aube noire. L’aîné est coiffé d’un béret en signe de préséance et placé à gauche, par ordre chronologique.
Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Lucas Cranach l’Ancien, 1543, Collection privée
La demande étant très forte, Cranach et son atelier ont fourni de nombreuses répliques, sans toujours tenir compte du vieillissement. Onze ans plus tard, le cadet a pris du galon, coiffé maintenant d’un béret.
Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Lucas Cranach le jeune, 1546, Collection privée
Trois ans plus tard, Cranach fils entérine le passage du temps et nous montre un Luther grisonnant mais pétant de santé, face à un Mélanchton plus jeune, mais émacié et mal rasé : le tout semblant s’équilibrer. Nous sommes pourtant l’année de la mort de Luther.
Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Lucas Cranach le Jeune, 1558, North Carolina Museum of Art, Raleigh
Douze ans plus tard, Cranach ressuscite Luther avec une chevelure de neige, tandis que Melanchton n’a blanchi encore que de la barbe.
Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Collection particulière
Cette formule désormais figée est déclinée par l’atelier : ici, les deux encadrent une vue imaginaire de Rome. La pelisse de Melanchton est bordée d’une fourrure, bien utile pour réchauffer les vivants.
Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Lucas Cranach le Jeune, après 1560, Stiftung Schloss Friedenstein, Gotha
Les deux sont morts désormais, le jupitérien et le mercurien , si différents physiquement, mais indissolublement associés par la magie sympathique du pendant.
Les demi-figures caravagesques
Surtout exploitées par les hollandais à partir de 1622 avec des figures de buveurs, de musiciens ou de bergers (voir Les pendants caravagesques de l’Ecole d’Utrecht), cette formule touche aussi d’autres peintres caravagesques.
Soldat levant son verre | Soldat levant sa fiasque |
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Nicolas Tournier, 1619-24, Palazzo dei Musei (Modena)
L’homme au plumet rouge se tranche un saucisson et du fromage sur le coin d’un chapiteau, tandis que l’homme au plumet blanc dîne d’un pâté sur une table. Tournier a trouvé une solution très simple pour mettre en symétrie ces deux buveurs droitiers :
- montrer l’un de face et l’autre de profil ;
- inverser la position du verre et de la fiasque.
Un soldat | Saint Paul |
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Tournier, vers 1630, Musée des Augustins, Toulouse
Ces deux tableaux de même taille ont été conservés durant des siècles dans la même famille, c qui laisse epnser qu’ils constituaient des pendants. Une inscription découverte récemment au dos du Saint Paul (« trois tableaux pour le Sr Pennautier ») [1a] confirme la provenance, mais n’éclaire pas le sujet.
La logique du pendant (SCOOP !)
La mise en pendant d’un personnage profane et d’un personnage sacré est intrigante. Sauf si l’on remarque que le soldat fait le geste de tirer de la main droite une épée invisible, tandis que le saint tient sous son bras gauche celle de son martyre.
Le thème sous-jacent pourrait donc être un « martyre de Saint Paul » particulièrement radical, réduit à l’opposition caravagesques entre l’homme de guerre et l’homme de Dieu, entre le velours et la bure.
Samson | David |
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Valentin de Boulogne , 1630-31, The Cleveland Museum of Art
Les deux héros bibliques mis ici en correspondance représentent avant tout deux types de beauté masculine : le jeune homme imberbe et l’homme mûr velu (on sait que la force de Samson venait de ses cheveux). La pose identique (tous deux accoudés comme de part et d’autre d’une même table) et le drapé somptueux sont étudiés pour mettre en valeur la rondeur du genou et de l’épaule.
Deux attributs (la fronde en bandoulière et la mâchoire d’âne) permettent d’identifier les deux héros, tandis que les têtes énormes de Goliath et du lion rappellent leur victoire contre un être hors de proportion.
Le tour de force du pendant est d’équilibrer deux figures par ailleurs antithétiques : le jeune berger chétif et le premier des malabars.
Ixion | Tityus |
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Ribera, 1632, Prado, Madrid
Ce pendant montre deux des quatre « Furias » (Ixion, Tityus, Tantale , Sisyphe), personnages mythologiques punis pour avoir offensé Zeus.
Ixion, ayant séduit Junon et de plus s’en vantant, fut condamné par Zeus à être attaché par les quatre membres sur une roue environnée de serpents. Tityus est un géant qui, pour avoir attenté à l’honneur de Latone, fut précipité dans les Enfers où un vautour lui dévore le foie et les entrailles, qui repoussent éternellement.
Ribera réduit le mythe au minimum : deux hommes allongés, l’un vu de dos et l’autre de face, attachés par les quatre membres, montrés en plongée sur un fond sombre sans repère visuel . Les détails pittoresques (les serpents, le gigantisme) sont éliminés, seul demeure le dialogue atroce entre l’homme attaché et son bourreau inlassable : le faune qui tourne la roue, l’aigle qui dévide les entrailles.
L’ordre d’accrochage est incertain : dans celui que nous proposons, l’oeil monte du faune en contrebas au rapace surplombant, des Enfers au Ciel, de l’exécuteur des basses oeuvres au dieu courroucé, Zeus sous la forme de l’aigle noir.
Héraclite | Démocrite |
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Rubens, 1636-38, Prado , Madrid
Le couple que forment le Philosophe qui rit et la Philosophe qui pleure a fait l’objet de nombreux pendants au début du XVIIème siècle (voir Les pendants caravagesques de l’Ecole d’Utrecht). Rubens suit la mode pour ce pendant grandeur nature, destinée à décorer un pavillon de chasse de Philippe IV, la Torre de la Parada [1b].
Ménippe | Esope |
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Vélasquez, 1639-41, Prado , Madrid
Pour le même pavillon, Vélasquez, choisit un couple plus original de célébrités antiques, tous d’eux d’anciens esclaves : d’où sans doute leurs pauvres vêtements.
Ménippe, philosophe célèbre pour sa cupidité, s’enveloppée dans un grand manteau noir et arbore un sourire cynique.
Esope le fabuliste est représenté comme un bon vivant, la main sur la panse, mais au visage triste et amaigri. Le baquet à sa gauche pourrait être une allusion à une anecdote avec son maître Xanthus qui avait parié, étant ivre, qu’il boirait toute l’eau de la mer : Esope lui conseilla de se faire amener un grand récipient d’eau de mer et, au moment de le boire, de dire qu’il s’était engagé à boire l’eau de la mer, mais pas celle des rivières qui s’y déversent. Quant à l’objet posé à droite sur le matelas, il s’agirait de la verrerie que les habitants de Delphes avaient caché dans ses bagages, pour le faire accuser de vol et exécuter.
Vélasquez met ici en scène un couple paradoxal, qui semble prendre le contre-pieds de celui de Rubens : l’homme qui sourit est en fait un triste sire, tandis que l’homme à l’expression désabusée est un être attachant et plein de fantaisie [1c].
Le Génie de la Sculpture Palais Pitti, Florence |
Le Génie de la Peinture Prado, Madrid |
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Livio Mehus, vers 1650,
Dans ce pendant inspiré et redécouvert récemment, le jeune peintre représente deux stades de son évolution artistique. Nous avons la chance d’avoir une explication détaillée de ses intentions :
« Dans le tableau sur la Sculpture, il avait l’intention de montrer l’amour qu’il avait toujours porté à toutes les sculptures anciennes et belles, et qu’il dessinait volontiers du temps où il se trouvait à Rome ; et dans celui sur la Peinture, l’affection avec laquelle, lorsqu’il était à Venise, il étudiait parmi les magnifiques peintures du siècle de Titien. Dans celui sur la Peinture, il a mis son propre portrait, en train de contempler le beau tableau du Martyre de Saint-Pierre, que le Génie de la Peinture, sous la forme d’un très bel enfant, assis sur une pauvre chaise de paille presque entièrement consumée par le temps , est en train de recopier avec une grande attention . Avant que cette oeuvre ne sorte de ses mains, le peintre avait écrit dans un endroit approprié cette expression qui faisait allusion à lui-même : » Beau Génie dans un pauvre siège » ; mais, ne doutant pas qu’une telle mention ne fut estimée trop ambitieuse par certains, il la supprima. Dans celui de la Sculpture, on voit bien le portait de sa personne, parmi les sculptures de cette grande cité les plus renommées et les plus chères à son coeur : parmi lesquelles la colonne Trajane, et son Génie en train de dessiner, voulant montrer par là les deux pensées qu’à Rome, on dessine et à Venise, on peint.« [2]
Ajoutons que la peinture consacrée à Rome montre les jambes de l’Hercule Farnèse, ainsi qu’une statue dorée de Minerve que Mehus devait posséder (il l’a peinte dans une étude sous deux autres angles).
Le Silence | La Surprise mêlée de terreur |
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Ducreux, 1791-99, Nationalmuseum Stockholm ( 66,5 x 52,5 cm)
Connu pour ses autoportraits qui sont en même temps des têtes d’expression, Ducreux a eu l’idée de confronter ces deux images de lui-même, sous un même éclairage et le même accoutrement (chapeau et houppelande), dans une sorte de dialogue contradictoire où l’une recommande la retenue dont l’autre manque absolument :
- chevelure dans la lumière contre chevelure dans l’ombre,
- poing fermé contre paume ouverte,
- lèvres serrées contre bouche béante.
Le pendant unifie deux autoportraits indépendants, réalisés précédemment :
Le discret, Spencer Museum of Art, University of Kansas, Lawrence, Kansas | La Surprise mêlée de terreur, collection privée |
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Ducreux, 1791
Si près – si loin (So nah – und doch) | La clé perdue (Verlorene Schluessel) |
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Un jour d’hiver, jour et nuit
Karl Kronberger, fin XIXème, Collection privée
Le jour et la nuit, la tempête et le calme, hors les murs et dans les murs, le haut de forme et la casquette, le mouchoir jaune et le mouchoir rouge : les deux scènes de genre se complémentent pour moquer le citadin découronné et dépité, dépossédé en un instant de ses signes de pouvoir et réduit à courber l’échine devant la toute puissance de la neige.
A l’occasion d’une restauration, on vient de redécouvrir le portrait du tsar au dos d’un portrait de Lénine, badigeonné, retourné et accroché au même emplacement, dans la salle d’honneur d’une école de commerce devenue une école primaire.[4]
Présentée côte à côte, les deux faces constituent un pendant convainquant et secret, qui a dû être imaginé par le second artiste pour sa seule satisfaction personnelle : intérieur contre extérieur, tapis contre pavés, colback contre casquette, uniforme militaire contre uniforme prolétarien.
Le tsar, encadré par le miroir qui reflète un double à cheval de lui-même, semble statufié vivant dans sa propre image. Le bonhomme Lénine lui tourne le dos, et dirige son regard, au delà de la flèche de la Cathédrale Pierre-et-Paul, vers un idéal encore plus élevé et doré.
Sur le modèle du couple Luther-Melanchton, on aurait pu s’attendre à trouver de nombreux portraits croisés de ces deux autres pères fondateurs : Lénine et Staline. Veston contre vareuse, petite taille contre carrure imposante, barbiche contre moustache, calvitie contre chevelure argentée, non-fumeur contre fumeur de pipe, il aurait été facile de mettre en scène la complémentarité du colérique et du sanguin qui semble à la base de toute bonne révolution réussie.
De tels pendants sont en fait rarissimes : nous n’avons trouvé que celui-ci :
Au nom du Communisme
Affiche de V. Govorkov, 1951, Moscou
Lénine à gauche lance l’électrification, comme le prouve derrière lui l’image d’un barrage avec sa centrale électrique.
Staline a droite parachève l’oeuvre, en rayant le mot « Désert » dans le libellé « Désert du Karakoum ». Il s’agissait à l’époque d’y creuser le grand canal du Turkmenistan, projet qui sera finalement abandonné. Le plan derrière lui montre un fleuve déjà équipé de deux barrages.
Il y a en fait assez peu de représentations des deux dirigeants ensemble, et ils sont montrés le plus souvent côte à côte et de profil, ce qui évite toute confrontation et légitime les idées de coopération et de succession.
La ressemblance physique est magnifiée, au point que le vivant pourrait passer comme la réincarnation du mort.
A l’issue, absorbés par le drapeau rouge, les deux se désincarnent en motifs purement textiles, agités par les bras et le vent.
« in quello della scultura ebbe intenzione di far vedere l’amore ch’ei porto sempre all’ antiche e bellissime sculture, e quanto egli volentieri nel tempo, che e’si trattenne in Roma, le disegno ; e similmente in quello della pittura, l’affetto, con che nell’essere a Venezia fece i suoi studi intorno alle mirabili pitture del secolo di Tiziano. In quello della pittura espresse il proprio ritratto, in positura di accennare verso la stupenda tavola del san Pier Martire, mentre il Genio della pittura, in figura di un bellissimo fanciullo, in atto de sedere sopra una povera seggiola di paglia, quasi consumata dal tempo, la sta con grande attenzione ricavando. Aveva il pittore, avanti che questa opera uscisse di sua mano, in un bene adatto luogo scritte queste parole, alludenti a se stesso: « Bel Genio in povera sedia » ; ma, dubitando che tal concetto non fosse da taluno stimato troppo ambizioso, le cancello. In quello della scultura si vede pure il ritratto di sua persona fra le pi’ rinomate a lui piu care sculture di quella gran citta : efra le quali fu la colonna Trajana, e il suo Genio in atto di disegnare volendo inferire con questi due pensieri che a Roma si disegna, e a Venezia si dipinge »
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