Les pendants d'histoire : temps modernes
Isaïe d’Issenheim
Garouste, 2007, Diptyque
Nous avons la chance d’avoir une description par l’artiste de cette oeuvre complexe. Nous la citons presque intégralement.
Le panneau de gauche
Garouste réinterprète le panneau de l’Annonciation du retable d’Issenheim :
Grünewald, 1512-16, Musée Unterlinden, Colmar
Le décor
On retrouve « le dallage polychrome du sol, les culs-de-bouteille des verrières, les remplages flamboyants des baies, les colonnettes et les moulures des arcs ogifs. Dans le dallage du sol de la chapelle, Gérard Garouste a inscrit des motifs géométriques gris-bleu dont plusieurs présentent la forme d’une croix chrétienne. L’intention didactique de l’artiste français apparaît ici en toute clarté : le spectateur doit comprendre que l’espace dans lequel l’artiste allemand a installé la figure de Marie représente, dans l’Isaïe d’Issenheim, le monde du christianisme. »[8]
Isaïe
« Chez Gérard Garouste, le prophète Isaïe retrouve un statut de personne, là où Grünewald le réduit au simple stéréotype du prophète juif enturbanné, traité telle une statue au format réduit par opposition à Marie, figure monumentale aux couleurs de la vie. Tandis que Grünewald a eu l’idée d’associer la statue du prophète à une branche en pierre, l’artiste français a souhaité intégrer ce motif de la branche à la figure du prophète, opérant une fusion de l’humain et du végétal. Des mains et des pieds nus d’Isaïe partent des racines qui constituent à l’évidence, une référence imagée au thème des racines juives de la civilisation chrétienne. » [8]
Les deux livres
La vue plongeante permet, tout en respectant l’architecture de la chapelle, d’escamoter le personnage de Marie, dont seul le livre est resté au sol. A la place de l’archange Gabriel, un Garouste aux ailes tricolores se trouve enserré dans une camisole de force, bâillonné par un papier illisible.
« Dans l’ombre de la voûte qui surplombe la scène de l’Annonciation, le prophète Isaïe tient un livre ouvert dont le texte est illisible. Dans l’oeuvre de Grünewald, ce dernier fait pendant à un autre livre ouvert, quelques centimètres plus bas, aux pieds de la Vierge : une citation de l’Evangile de Mathieu y est inscrite en latin, parfaitement lisible, qui passe pour être une traduction du livre tenu par Isaïe. Mais si l’on se donne la peine d’ouvrir le Livre des Prophètes, à la page dite (Isaïe, VII, 14) et de lire le texte hébreu, on s’aperçoit que cette traduction est erronée. » G.Garouste [9]
Le texte du bâillon est donc la traduction correcte, mais interdite, du texte d’Isaïe, tandis que le livre de Marie exhibe la traduction fautive [10].
Le panneau de droite
« …Mais le sujet est tabou. De ce détournement et de cette spoliation en règle, on ne parle pas. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Je suis allé frapper un jour d’escapade à la porte d’une église. J’attendais un miracle. J’aurais pu l’attendre longtemps car j’étais paralysé, faute d’avoir avalé un certain médicament. Un infirmier est venu me délivrer. » G.Garouste [9]
La logique du pendant
« Ambiance gothique. Unité de lieu, une église : vue extérieure sur le parvis, vue intérieure plongeante depuis une voûte. L’unité de temps s’opère par le moyen du raccourci entre l’ange enroulé dans une camisole et le personnage figé sur le dos, pattes en l’air, comme un gros scarabée. Quant à l’unité d’action, ce pourrait être la Chute. Par cette mise en scène, je reviens sur un sujet que j’ai déjà abordé, celui de la transmission des connaissances et de l’ambiguïté des valeurs culturelles. Mais cette fois, c’est le Fou qui prend la parole car il est un fait acquis qu’un fou parle tout seul et voit des choses que les autres ne voient pas, par exemple les signes manifestes d’une duperie collective. Il est libre de tout dire. » G.Garouste [9]
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