2 Sirènes de proie
En 1891, Waterhouse réalise une remarquable traduction, en couleurs, en grandes dimensions et en perspective, de la scène en 2D du vase du British Museum. Il s’en écarte cependant sur quelques points…
Ulysse et les sirènes
J.W.Waterhouse, 1891, National Gallery of Victoria, Melbourne
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Une copie fidèle
Le vase inversé : cliquer pour agrandirPour la rendre plus lisible aux regards contemporains, Waterhouse a inversé la scène du vase afin que le bateau progresse de gauche à droite, dans le sens normal de la lecture. Pour le reste, il s’est montré remarquablement fidèle à son prédécesseur grec.
Le pilote
Nous retrouvons le gouvernail en forme de rame, auquel s’ajoute une corde qui permet de le verrouiller en position. Le pilote est debout, adossé au château-arrière, presque entièrement masqué par une sirène.
Les rameurs
Les bouchons de cire étant difficiles à représenter, le peintre anglais a eu une idée qui n’était pas venue à son prédécesseur : coiffer les rameurs de foulards étroitement ajustés, qui ont le mérite d’individualiser les membres de l’équipage et d’animer le tableau par des tâches de couleur.
La rame qui manque
Pour la rame qui manque dans l’original grec, Waterhouse propose une explication rationnelle, qui accentue l’intensité dramatique de la scène en illustrant ce qui pourrait arriver : un rameur, dont les bouchons de cire étaient sans doute mal ajustés, a laissé échapper sa rame. Paralysé, assis contre le bastingage, il est juste capable de se boucher les oreilles des deux mains, saturé de chants, accablé de remords.
Les marins et leur nombre
Waterhouse a scrupuleusement respecté le même rapport de forces de deux pour un : quatorze marins, sept sirènes.
Les falaises
Waterhouse a conservé l’idée du bateau à mi-chemin : vu « à plat », la poupe recourbée se trouve effectivement entre deux rochers. Vu en perspective, le bateau se trouve engagé au centre d’un cercle de falaises abruptes.
L’atmosphère romantique
C’est ici que Waterhouse commence à s’éloigner d’Homère. Loin de se passer en plein midi, toute la scène baigne dans l’ombre : l’artiste veut nous faire comprendre que le bateau se trouve physiquement à deux doigts d’une falaise, et métaphoriquement dans l’obscurité de l’épreuve : seule la passe d’où il vient, au fond à gauche, est éclairée par les derniers rayons du soleil.
Par ailleurs, au lieu d’être pliée, la voile est gonflée par un vent qui souffle dans le bon sens, rendant inexplicable l’effort des rameurs.
En sacrifiant au romantisme des falaises et du vent, Waterhouse diminue sans s’en rendre compte l’intensité du texte d’Homère : l’épreuve initiatique sous les feux de Midi devient, au delà des colonnes d’Hercule, un incident de navigation du côté des îles Shetland.
Des sirènes contestables
Le même affadissement touche les sirènes, volatiles improbables aux visages typiquement pré-raphaélites. Ces lourdes chimères plaisaient aux amateurs de l’époque, sous la double caution de l’exactitude archéologique et de la beauté britannique : quatre brunes, deux rousses, une blonde : l’échantillon respecte les statistiques.
En obligeant à répartir les sirènes en cercle à l’intérieur du cercle des falaises, la vue en perspective leur donne inévitablement l’apparence d’oiseaux de proie tournant autour d’une charogne, plutôt que de déités aériennes aux vocalises irrésistibles.
Les sirènes posées
Waterhouse a probablement mal interprété sur le vase grec, la sirène qui se suicide, en pensant qu’elle cherchait à se poser sur la bateau. Aussi nous en montre-t-il deux qui ont réussi l’abordage : l’une s’est agrippée comme elle a pu à un cercle de métal sur le mât, juste au dessus de la tête d’Ulysse, d’où elle le harangue personnellement.
L’autre est perchée sur le bastingage, en train de démarcher un rameur dont le foulard rouge a peut être attiré son regard.
Des femmes de tête
Emplumés jusqu’au cou, ces volatiles bavards sont dépourvus de toute sexualité. Ce sont des créatures cérébrales, qui n’agissent que par le discours. Leur tactique consiste à faire perdre l’esprit aux rameurs pour qu’ils lâchent leur instrument, dans l’espoir que le bateau, devenu ingouvernable, se fracasse sur les falaises.
Les détails militaires
Les rameurs sont des soldats : l’un d’eux, juste à gauche du mât, a d’ailleurs gardé son casque. Leurs boucliers, dorés ou argentés, sont posés en vrac contre le château-arrière, ou accrochés au bastingage ; il sont ornés de figures animales – lions et taureaux – , effrayantes pour des combats à terre, mais totalement inopérantes en cas de combat aéronaval contre des femmes-oiseaux. Quant aux trous de rames, ils sont ornés de gueules de lion tout aussi inadaptées.
Les images propitiatoires
Pour rajouter une profondeur symbolique au tableau, Waterhouse a multiplié les images propitiatoires : l’oeil porte-bonheur de la proue, conforme à l’original grec, a été redoublé sur la partie incurvée de la poupe.
Entre ces deux yeux supplémentaires se devine un visage féminin. On comprend alors que ces deux yeux peints sont comme les projections des yeux d’Ulysse : ce qu’il regarde si intensément, ce qui le soutient au milieu de l’épreuve, ne peut être que le visage consolant de Pénélope.
Cliquer pour agrandirEnfin, la paroi du château-arrière est décorée par une scène de circonstance : Persée combattant le monstre marin (ce héros était à la mode depuis le cycle que Burne-Jones lui avait consacré en 1885).
Le bateau-oiseau
Cliquer pour agrandirSeul élément symbolique moins lourdement appuyé – et probablement involontaire : un motif en forme de plumes orne l’angle de la voile, comme pour évoquer une aile. Si on lui ajoute le motif de la proue retournée, qui ressemble à une queue emplumée, il s’établit un sorte d’équivalence formelle entre le bateau et un grand oiseau posé sur l’eau.
Comme si le bâtiment lui-même commençait à prendre la marque des assaillantes…
Les femmes-oiseau de Waterhouse se veulent fidèles à l’original du British Museum, mais le passage en trois dimensions leur est fatal. Plus ridicules qu’effrayantes, trop anglaises pour être grecques, elles ont abandonné toute prétention métaphysique : qui peut croire que ces volatiles patauds soient porteurs d’une connaissance totale ?
En soulignant les détails militaires, en rajoutant le panneau de Persée, Waterhouse dégrade Ulysse en un héros comme les autres, et les sirènes en monstres marins ordinaires : toute dimension initiatique a disparu.
Pire : le visage de Pénélope soutenant son époux dans l’épreuve ajoute à l’affaire un pathos plus chrétien qu’homérique : Ulysse ficelé ressemble à n’importe quel martyr conforté par une image sainte.
Reste un point qui a peut être échappé à Waterhouse, mais qui redonne au tableau un mordant inattendu : Ulysse fixé au bois du mât est entouré par douze « disciples », dont l’un l’a trahi en laissant échapper sa rame…
Tout simplement passionnant ! Merci !
S.B.
cool
pas mal
C’est une très bonne description du tableau, mais je trouve que certains passages étaient un peu inutiles.
Je pense que tu pourrais rajouter d’autres informations (7 (le nombre de sirènes) est le chiffre du malheur. Tu n’as pas non-plus parlé de Circé ni dit si l’épreuve des sirènes était un échec ou une réussite: il ne faut pas simplement décrire le tableau).
bonjour, en quoi 7 est le chiffre du malheur ?
Sept est plutôt considéré aujourd’hui comme le chiffre du bonheur. Mais cette symbolique n’avait pas de sens dans la Grèce ancienne.
merci
nul à chiez
c’est trop bien
merci c’est super vous m’avez beaucoup aidé! Très bien préciser et interprété
Très bien sauf qu’il n’y a pas les informations que je cherchais…
frenchmant se cite é nule ils ser a ri1 cé du kaka
Très bonne analyse. Merci.
trop cool et à la fois trop nul !!
Merci mais ce n’est est pas ce que je chercher
J ai appris plein de chose