Les pendants de Wilkie
David Wilkie, un des peintres les plus côtés de la période de la Régence, commença à faire fortune avec des scènes de genre imitées des hollandais (Teniers, Van Ostade). Il réalisa ainsi plusieurs pendants pour le Régent (devenu ensuite le roi George IV), qui appréciait beaucoup cette formule. Après 1828, son style évolua vers un romantisme à la Delacroix, sans qu’il cesse pour autant de sacrifier à la mode des pendants.
La jeune malade (The sick lady), gravure de Engleheart, 1838 | Le doigt entaillé (The cut finger), collection privée |
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Wilkie, 1809
Conçus comme des pendants, les deux tableaux n’ont été ni exposés ni vendus ensemble. Le premier réalisé montre une maladie grave dans une demeure bourgeoise, le second un bobo dans une cuisine campagnarde :
- le docteur prend d’un air soucieux le pouls de la jeune malade, tandis que la grand mère panse le doigt du benjamin (qui s’est taillé en confectionnant des petits bateaux) ;
- le chien empathique contraste avec le chat indifférent ;
- les objets suspendus se répondent par symétrie ; aux objets manufacturés et futiles (le vide-poches d’où s’échappe un ruban, la guitare, le baromètre et la cage à oiseaux) font écho des objets simples et utiles (la flasque de vin, la lanterne, l’ardoise et la volaille) ;
- au lit clos qui sent déjà la mort, avec sa bougie coiffée d’un éteignoir, s’oppose la cheminée avec sa marmite qui chauffe.
Wilkie peignit le Colin-Maillard pour faire pendant au tableau de Bird, que le Régent possédait déjà. Le thème commun est celui d’une communauté villageoise qui s’organise autour d’un meneur de jeu, soit pour chanter (le bedeau) soit pour s’amuser (l’homme aux yeux bandés).
D’amusantes scènes secondaires sont à découvrir :
- chez Bird :
- le marmot qui ne veut pas aller au lit,
- la cage à serin collée au plafond et aveuglée par un linge pour ne pas gêner les chanteurs ;
- chez Wilkie :
- le gamin qui s’est fait mal au pied avec la chaise renversée,
- le chien écrasé, l’homme au balai attendant sa proie,
- le gamin plaqué contre le mur,
- le couple qui profite du tohu-bohu pour s’embrasser.
Le Colin-Maillard (Blind Man Bluff) Wilkie, 1812, The Royal Collection |
Le mariage à un Penny (The Penny Wedding ) Wilkie, 1818, The Royal Collection |
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En 1813, pour remplacer le tableau de Bird, le prince demanda un nouveau pendant à Wilkie qui, submergé par les commandes, ne le livra qu’en 1818. Le titre fait allusion à la coutume écossaise de donner un penny par invité, pour contribuer aux frais du mariage et à l’installation du jeune ménage.
Le marié incite la mariée à rentrer dans la danse, tandis qu’une fille se penche pour rajuster son soulier. Derrière eux , un second trio leur fait écho : un jeune homme remet son gant d’un air entendu en proposant de danser à une fille dubitative , tandis que son amie assise la pousse à y aller. Entre les deux trios de jeunes gens, une vieille femme s’intéresse surtout à la boisson.
Ce nouveau pendant insiste sur la cohésion et la gaieté naturelle d’une communauté de gens simples, toujours prêts à pousser les chaises pour se réjouir tous ensemble.
Le doux berger (The gentle shepherd) Wilkie, 1823, National Galleries of Scotland, Edimbourg |
La toilette à la ferme (The cottage toilet) Wilkie, 1824, The Wallace Collection, Londres |
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Ces tableaux sont inspirés de la comédie pastorale écossaise de Allan Ramsay, The gentle shepherd (1725). La composition est très simple : dans chacun, deux filles au premier plan à gauche, un homme et un chien en arrière-plan à droite. Ces pendants en parallèle, et non en miroir, sont fréquents chez Wilkie, et laissent toute liberté pour l’accrochage.
Dans le premier tableau, en extérieur, Roger joue de la flûte pour Jenny. On a de la peine aujourd’hui à comprendre l’émotion intense qu’a pu produire cette oeuvre chez les contemporains en proie à la scottishmania :
« Je n’y ai jeté qu’un coup d’oeil ; mais j’ai vu la nature si joliment représentée, qu’en dépit de tout, , les larmes jaillirent de mes yeux, et les impressions qu’elle me fit sont aussi puissantes maintenant qu’alors. […] Jamais rien de ce genre ne m’a fait une telle impression. [1]
Dans le second tableau, en intérieur, Glaud, son chien entre les jambe, regarde ses filles qui font la toilette .
« Tandis que Peggy lace son corsage, Avec un noeud bleu Jenny attache sa chevelure. Glaud près du feu du matin jette un oeil Le soleil levant brille à travers la fumée La pipe en bouche, les chéries le réjouissent, Et de temps en temps il ne peut s’empêcher une plaisanterie.’ » |
« While Peggy laces up her bosom fair, With a blew snood Jenny binds up her hair; Glaud by his morning ingle takes a beek, The rising sun shines motty thro’ the reek, A pipe his mouth; the lasses please his een, And now and than his joke maun interveen.’ » The Gentle Shepherd, Act V, Scene II |
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Ainsi, sous le rustique béret écossais, la pipe de l’amour paternel fait écho au pipeau de l’amour pastoral.
Les pifferrari Wilkie, 1826, The Royal Collection |
Princesse romaine lavant les pieds des pélerins (A Roman Princess Washing the Feet of Pilgrims) Wilkie, 1827, The Royal Collection |
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Encore un pendant en parallèle : deux escaliers, en extérieur et en intérieur, montent de droite à gauche vers une image sainte.
Dans le premier tableau, deux femmes s’agenouillent devant la Madonne, but de leur pélerinage. Des pifferari lui rendent hommage avec leur musique lancinante que Wilkie avait pu comparer, les entendant jouer à Rome pour Noël, avec les cornemuses écossaises.
Dans le second tableau, deux autres femmes pèlerin, avec leur coiffe plate caractéristique, se retrouvent maintenant assises en position dominante, tandis qu’une jeune fille noble s’agenouille pour leur laver les pieds, une autre debout tenant la serviette. La scène est censée se passer dans l’église de la Sainte Trinité des Pèlerins, à Rome, la fille agenouillée serait la princesse Doria. Deux des femmes essuient leur visage en sueur, preuve d’un chaleur qui les accable même dans l’église.
Ce pendant est typique du renouvellement radical de Wilkie tant pour le style – qui rompt complètement avec le fini à la hollandaise, que pour le sujet – qui abandonne le folklore écossais pour l’exotisme méditerranéen, assaisonné de piment catholique.
Le départ pour la guérilla Sir David Wilkie, 1828 |
Le retour de la guérilla Sir David Wilkie, 1828 |
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Royal Collection Trust
D’un voyage sur le continent, Wilkie ramène en 1828 un changement de style (plutôt Delacroix que Teniers) et des scènes de genre participant à l’hispanophilie ambiante, qui évoquent la guerre contre Napoléon avec un parti-pris espagnol.
Le départ
« La référence au jeune mendiant de Murillo assure la couleur locale… Devant une église, un moine carmélite, peut-être son confesseur, donne du feu à un guérillero. Le geste est une couverture leur permettant de chuchoter . Peut-être s’agit-il d’informations secrètes ou d’instructions venant du moine. Ou bien est-ce une confession privée, le guérillero se voyant accorder une sorte d’absolution a priori. L’allumage du cigare suggère également la mise à feu d’une mèche, comme si le moine était par procuration l’auteur de l’ explosion ». Notice du Royal Collection Trust.
Le retour
« Le Guérillero revient blessé sur sa mule, le bras gauche en écharpe. Il est accueilli par sa femme horrifiée, tandis qu’une autre femme agenouillée près d’une cuvette se prépare à laver ses plaies. Le confesseur l’aide à descendre pour qu’il puisse se cacher dans la maison (ou est-ce l’église) avant le jour. Comme pour beaucoup de ces scènes de genre, il existe de curieuses réminiscences religieuses : ici, un écho ironique de l’Entrée du Christ à Jérusalem. » Notice du Royal Collection Trust
La logique du pendant
Départ le matin, retour le soir, sans doute pas le même jour puisque le guérilléro a changé de pantalon. Parti debout à côté du moine assis, il rentre assis à côté du moine debout. Le jeune garçon armé seulement d’un balai (le pauvre peuple qui rêve de balayer l’étranger) est remplacé par une autre figure du nettoyage et de l’absolution : la femme à la cuvette. Au feu qui allume les combats s’oppose l’eau qui lave les blessures : toute la question de la guerre résumée en deux tableaux.
Le bénédicité (Grace before meat) Wikie 1837 Birmingham Museums Trust |
Samedi soir chez les cotters (The Cotter’s Saturday Night) Wikie 1837 |
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Ces deux pendants rembranesques sont inspirés par un poème de Robert Burns, Address to the Haggis (Hommage à la panse de brebis farcie) [2]. La composition est toujours en parallèle : à gauche la cheminée, à droite la table familiale où l’on dit le Bénédicité à midi, et où l’on lit les Ecritures le samedi soir.
« Le thème est celui des « cotters », paysans auxquels le propriétaire fournissait un cottage en échange de travail, plutôt que d’un loyer. Ce système avait disparu dans les années 1820. avec la réforme agraire. Il était lié à la tradition du culte à la maison, qui disparaissait tout aussi rapidement. En 1836, l’Église d’Écosse avait distribué à tous ses ministres une lettre pastorale les invitant à encourager parmi leurs paroissiens cette pratique mourante. Au cœur du presbytérianisme se trouvait l’aspiration de laisser la gouvernance de l’Eglise au soin des chefs de famille , plutôt qu’aux propriétaires fonciers locaux, comme c’était, grossièrement parlant, le cas dans la pratique anglicane. Ces tableaux , comme d’autres de Wilkie, mettent en valeur la vertu domestique comme une caractéristique particulière et spéciale des Ecossais. » [3]
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