7-4 Le cas des Annonciations inversées
Dans ce type assez rare d’Annonciation, l’Ange se présente par la droite. Encore plus rares sont celles qui comportent un donateur.
La logique voudrait qu’il passe à droite dans le sillage de l’Ange. En fait il reste presque toujours à gauche, en position de visionnaire et d’introducteur à l’image : la logique du sens de la lecture prime sur la logique interne de l’Annonciation.
En Italie : le cas florentin
Annonciation avec le donateur Bellozzo di Bartolo
Orcagna (Andrea_di_Cione), 1346 , Collection Conte Gerli, Milan (provient de l’église S. Remigio de Florence)
Ce panneau fait partie des « Annonciations par la droite » florentines, une spécialité née peut être d’un besoin de variété dans l’écrasante production de copies de la peinture la plus révérée de la ville, la Santissima Annunziata (voir 7-1 …au centre et sur les bords).
Le donateur est identifié par l’inscription : «Hoc opus feciti fieri Bellozzius Bartholi lanifex Andreas Cionis de Flor(entia) me pinxit». Sa taille souris et la couleur sombre de son manteau, qui fusionne avec celui de la Vierge, évite toute compétition avec l’Ange.
Les deux livres (retournés)
La Vierge lit dans son livre la prophétie d’Isaïe (« Ecce Virgo concepiet ») tandis que l’Ange lui présente, inversé pour qu’elle puisse le lire, le texte de sa salutation (« Ave Maroa Gratia Plena »). Le présence de ces deux textes est une raison supplémentaire de l‘inversion :
- d’abord Marie consulte la prophétie,
- ensuite l’Ange la réalise.
Annonciation avec un donateur
Bicci di Lorenzo, vers 1420, Couvent de Fuligno, Florence
On connait de Bicci di Lorenzo plusieurs Annonciations inversées, mais celle-ci est la seule avec donateur, plus précisément avec une donatrice. Cette formule a l’avantage de la laisser à sa place traditionnelle à gauche, tout en permettant une identification avec la Vierge, par la posture mais aussi par les vêtements (coiffe blanche et robe noire) : la donatrice n’est pas ici montrée en supplication, mais en imitation de Marie, et sa taille enfant évite toute concurrence avec l’Ange.
Dans les Pays germaniques
Annonciation avec des donateurs et les armes des seigneurs de Tegerfeld
Meister des Münchner Drachenkampfes, vers 1450, Furstlich Furstengebirge Museum, Donaueschingen
A la différence des rares Annonciations inversées italiennes, les Annonciations inversées germaniques, assez fréquentes, montrent en général Marie non pas face à l’Ange, mais face à une fenêtre, et se retournant à son arrivée.
Pour les donateurs de taille souris (ici un père et ses deux enfants), la logique reste celle des compositions italiennes : les donateurs indiquent le sens de la lecture et se casent à gauche de l’image.
Volets de retable de l’église paroissiale de Langenargen
Hans Strigel l’ancien , 1465, Staatsgalerie, Stuttgart
Ici en revanche, la taille et le nombre des donateurs imposent de revenir à la logique de la scène, en les plaçant côté porte, dans le sillage de l’Ange.
Il s’agit ici du comte Hugo XIII von Montfort-Tettnang zu Rothenfels und Argen et de son épouse Elisabeth von Werdenberg [3] suivis par leur famille (dont un moine) derrière une banderole commune : Sancta dei genitrix intercede pro nobis
Vers 1510, region de l’Allgäu, Tyrol, Diözesanmuseum, Rottenburg | Vers 1500, Allemagne du Sud, collection privée |
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Cette Annonciation inversée se rapproche beaucoup de l’Annonciation normale de droite :
- Dieu le Père envoyant l’Enfant sur un rayon de soleil ;
- scène de la Visitation en miniature à l’arrière-plan
- compagnons aviaires de l’Ange, sous forme d’un perroquet et d’un couple de faisans en cage ;
La cage ajoute une idée supplémentaire : de même qu’un oiseau est attiré par des appelants, l’Ange est attiré par la Chasteté de Marie.
Le donateur s’est avancé ici en position très immodeste, son couvre-chef sur la tête, à l’aplomb de l’embryon de Jésus, et précédant l’ange comme un alter-ego miniature, avec une banderole presque aussi grande. Elle porte sa supplique personnelle : « o maria unica spes mea ora deum <fin illisible> »
En France : de rares Livres d’Heures
Annonciation avec une donatrice
Heures (Bruges), 1425-59, BM Boulogne sur Mer, MS 89 fol 36, IRHT
D’une main l’ange apporte sa banderole, de l’autre il présente la donatrice, qui intercepte le texte « Dominus tecum » comme pour prendre à son compte « Le Seigneur soit…avec toi ».
On peut remarquer que la partie centrale concentre, sous Dieu en surplomb, deux métaphores matricielles qui se retrouvent dans l’Annonciation de Van der Weyden au Louvre (voir 3 Du lit marital au lit virginal) : le noeud de rideau et le placard ouvert. Plus le vase, dont les deux fleurs de lys, l’une épanouie, l’autre fermée, réfèrent mécaniquement à Marie et à la donatrice.
On peut donc supposer que le caractère exceptionnellement intrusif de cette miniature – la seule du manuscrit où la donatrice soit représentée – s’explique par un rôle d’ex-voto, un souhait personnel de maternité.
Cette page est aussi la seule du manuscrit où des animaux figurent dans les marges :
- le perroquet en bas s’explique par le fait que cet oiseau était sensé dire naturellement le mot AVE (voir – Le symbolisme du perroquet) ;
- le chien blanc avec son collier rouge était probablement l’animal familier de la donatrice ; il met en fuite un petit carnassier brun à moustaches difficile à identifier (une martre ou une fouine dont le plastron blanc ce serait effacé ?), en tout cas un sauvage qui ici représente le Mal.
Annonciation avec Jacqueline de Morainvillers
1498, BM Poitiers, MS 53, f 18
Le sexe féminin autorise bien des complicités. Dans le Livre d’Heures de Poitiers, Jacqueline de Morainvillers n’a pas craint pas de se faire représenter en dame d’honneur, présente dans la chambre avant même que l’Ange n’y soit entré par la fenêtre.
Livre d’Heures de Renée de France, 1527, Musée de Casa Romei, Ferrare
Ce petit livre d’Heures réalisé à Paris a suivi Renata à Ferrare, lors de son mariage, à l’âge de 17 ans, avec le duc d’Este Hercule II.
Pour cette composition en bifolium, l’enlumineur a suivi la convention du diptyque dévotionnel flamand, qui place dans le volet droit le donateur en demi-figure (voir 6-1 …les origines).
Une Annonciation traditionnelle aurait mise Renée dans un position immodeste, en imitatrice de Marie et récipiendaire en second du message de l’Ange. En l’inversant, l’enlumineur crée non plus un parallélisme gênant entre les deux femmes, mais une symétrie élogieuse, qui sous-entend que la dévotion de la princesse, aujourd’hui, se compare à celle de Marie, hier.
Vitrail de l’Annonciation avec l’évêque Yves Mahyeuc, 1536, église de La Guerche-de-Bretagne, photographie J.Y.Cordier, www.lavieb-aile.com [1]L’Annonciation inversée est imposée ici par la position de la verrière du côté Sud de la nef : ainsi l’évêque prie en direction de la Vierge et du maître autel, comme dans bien d’autres édifices (voir notamment 6-1-1 …les vitraux de la cathédrale d’Evreux).
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