La mort en secret
Bijoux à secret macabre
Le macabre a toujours été une branche florissante de l’orfèvrerie : bagues ornées de têtes de mort ou de squelettes, montres ou flacons en forme de crâne.
Nous nous intéressons ici aux objets, moins fréquents, qui ne laissent voir la Mort qu’aux initiés.
Bagues de deuil
Aux XVIe et XVIIe siècles, la pratique de léguer des bagues appartenant au défunt à ses amis et à sa famille est progressivement remplacée par celle de laisser une somme d’argent pour acheter des bagues commémoratives et de deuil. La plupart portent des motifs funèbres visibles : mais nous nous intéressons ici à celles qui cachent leur jeu.
Bague avec chaton tournant, 16ème siècle, British Museum
La Mort est agréable aux hommes bons |
MORS BONIS GRATA |
Cette bague appartenait à un marchand (qui n’avait donc pas droit à des armories) et lui permettait d’apposer sa marque sur ses marchandises.
Bague avec chaton tournant, vers 1600, Victoria and Albert Museum, Londres
Cette autre bague de marchand porte sur sa couronne l’inscription « ‘NOSSE TE IPSUM » (Connais-toi toi-même), et permettait donc de faire des affaires tout en méditant sur la Vanité de la richesse.
Bague à chaton tournant portant un sceau armorié, vers 1640, collection privée
On trouve donc des bagues avec un crâne caché bien avant l’exécution du Roi Charles I : celld-ci appartenait à un aristocrate, dont les armoiries n’ont pas été identifiées.
Les bagues du roi martyr
Face : portait en intaille de Charles |
---|
Bague à chaton tournant avec le portrait de Charles I, vers 1649, Victoria and Albert Museum, Londres
Pile : Le crâne avec les initiales C R, entre les mots GLORIA et VANITAS, la couronne du martyre et la couronne terrestre
A l’intérieur de la bague : « Emigravit gloria Angl the IA 30/1648″ (La Gloire de l(Angleterre a disparu le 30 janvier 1648)
Bague funéraire de Charles I, vers 1650
Celle-ci date de la période dangereuse juste après l’exécution. L’émail noir est signe de deuil, mais c’est seulement en soulevant le précieux diamant qu’apparaît le portrait du Roi.
Bague Memento Mori de Charles I, probablement ancienne collection Horace Walpole, Bristish Museum
Cette bague porte à l’intérieur une invitation à mourir pour la Royauté : « Soyez prêt à me suivre (Prepared be to follow me) ».Il s’agirait d’une des sept bagues remises à ses proches lors de son enterrement.
Bague Memento mori de Charles I, collection privée
L’inscription à l’intérieur est ici « Martye populi (Martyr du peuple). »
Il existe plusieurs bagues de Charles I avec crâne au revers : soit réalisées peu après son exécution, soit après la restauration de la monarchie en 1560, soit bien après [1]. L’exécution a eu lieu le 9 février 1649 en calendrier grégorien, mais la date gravée (30 janvier 1648) est celle du calendrier julien, en usage en Angleterre jusqu’en 1752.
Médaillon de Charles I, vers 1700, collection privée
Dans ce médaillon plus récent, l’année a été indiquée dans les deux calendriers.
Bague Memento mori de Charles I, milieu XVIIème, National Gallery of Victoria, Melbourne
Le portrait a été monté en bague pivotante au XIXème siècle, d’où la date 48 mentionnée sur l’émail, et 30 janvier 1749 gravée sur la monture.
Bague Memento mori de Charles I, collection privée
L’inscription « more than conqueror » fait allusion à sa mort en martyr :
Selon qu’il est écrit: » A cause de toi, tout le jour nous sommes livrés à la mort, et on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie. » Mais dans toutes ces épreuves nous sommes plus que vainqueurs, par celui qui nous a aimés.
Epitre aux Romains, 8:36-37
Un crâne scandaleux (SCOOP !)
Cette dernière bague nous fait sentir la raison pour laquelle, dans le milieux royalistes, ces bagues avec crâne caché ont rencontré un tel succès : il ne s’agit pas ici d’un memento mori générique, comme dans les bagues pivotantes avec sceau ou marque, mais bien de la tête décapitée ce jour précis. Et l’idée du régicide et de la fin de la monarchie est si contre-nature qu’elle doit être non seulement dissimulée par pudeur (rappelée seulement par le contact permanent avec la peau), mais retournée de haut en bas, comme il sied dans un monde renversé.
Autres bagues à secret macabres
Bague Memento Mori, Flandres, 1525-1575, British Museum
Cette bague ne cache pas son jeu, puisqu’un crâne est posé sur la couverture du Livre, accompagné de deux crapauds et d’un serpent, et entouré de quatre joyaux. Ouvrir le livre, c’est remonter à la naissance et constater que déjà le jeune enfant cohabite avec .la Mort et le sablier.
Dirige ton chemin vers le Seigneur, fais-lui confiance, et lui, il agira (Psaume 36:5) |
Sive vivim(us) sive morimur domini sum(us) Commenda Domino viam tuam, et spera in eum, et ipse faciet. |
Les parties latérales de ce somptueux bijou en expliquent la cause : la Chute de l’Homme (le serpent est caché dans l’arbre entre Eve et Adam) et l’Expulsion du paradis.
L’arrière de la bague montre deux mains enserrant un coeur.
Vers 1650 | Vers 1800 |
---|
Ces deux bagues développent le même symbolisme :
Deux mains, un coeur, jusqu’à ce que la mort nous sépare |
Two hands, one heart, till death us part |
Bague Memento Mori, fin 17ème, Ashmolean Museum | Bagues jumelles début 17ème, collection privée |
---|
Ces deux bagues exploitent le même thème de la coïncidence entre le Début et la Fin : en retournant ou en disjoignant l’anneau, on constate que l’enfant et le squelette ne sont séparés que par une infime épaisseur : notre vie.
Bague « gimmel », Allemagne, 1631, MET, New York
Dans cet exemple, on retrouve sur les deux flancs le symbole des mains tenant un coeur. L’inscription explique l’usage de ce type de bague séparable :
Ce que Dieu a conjoint, l’Homme ne ne séparera pas. |
QUOD DEUS CONJUNXIT HOMO NON SEPARABIT |
De l’autre côté sont inscrits les noms des deux fiancés : Jacob Sigmund von der Sachsen et Martha Wurmin. Lors des fiançailles, chaque promis gardait une des deux moitiés, qui étaient ensuite réunies comme bague de mariage pour l’épouse [2].
Bague de deuil, 1721
Le sablier, le squelette et les outils de fossoyeur, se dissimulent en éléments décoratifs étirés le long de la bague, tandis que le crâne du défunt, avec ses initiales, se laisse voir dans sa tombe transparente.
Bague pour le deuil de Greorge BUCHANAN, 1731, British Museum
Le cristal laisse deviner un crâne et des cheveux du défunt.
Inscription : GEORGE BUCHANAN OBT IUNE 10.1731.
Bague à chaton ouvrant, Epoque géorgienne (fin XVIIIème, début XIXème)
Ce modèle assez courant fonctionne sur le principe du « Connais-toi toi-même » : d’abord un miroir déformant, puis le Réel.
Crânes maçonniques
Les bagues maçonniques ne cachent pas le crâne, mais le montrent au contraire ostensiblement. Voici quelques rares objets qui le dissimulent.
D.Eames, 1811, probablement New York | William L. Peets, 1824, Connecticut |
---|
Marques de Franc-maçons, Scottish Rite Masonic Museum, Lexington [3]
Ces marques, personnalisées pour chaque propriétaire, présentent des forme et de décorations très variées. Parmi celles qui sont en forme de bouclier, certaines ont des découpes qui évoquent très probablement la forme du crâne.
Globes à secret
Ces globes sont apparus vers 1890-1900, à la fin de l’époque victorienne. La forme de gauche est la plus courante : la boule s’ouvre et se déploie en une croix à six pyramides, aux facette ornées de symboles [4]. Le modèle de droite, en pentagramme, est plus rare.
Dans cette autre forme, la boule développe quatre motifs :
- les deux colonnes (l’entrée du Temple) ;
- l’équerre et le compas (grade d’Apprenti) ;
- l’étoile flamboyante (grade de Compagnon) ;
- le crâne (grade de Maître).
[4] Pour leur explication, voir http://wharfedaleantiques.blogspot.com/2016/11/masonic-orb-pendant.html
Aucun commentaire to “La mort en secret”