L'âge classique : sujets mythologiques ou allégoriques
Sujets mythologiques
Au XVIIème siècle, les pendants mythologiques sont pratiqués par tous les artistes majeurs, italiens ou hollandais (voir les articles détaillés dans Iconographie).
Ce court article regroupe quelques cas isolés, chez des artistes qui n’ont guère pratiqué la formule.
Diane et Calisto, collection privée | Des nymphes coupant la barbe de Pan, Mauritshuis |
---|
Jordaens, vers 1640
D’un côté, des nymphes forcent Callisto, la favorite de Diane, à se dévêtir pour le bain, découvrant ainsi sa grossesse ;
De l’autre, elles coupent la barbe de Pan pour se moquer de lui, car il danse trop mal. Edith Wyss [1] a expliqué la provenance de cette scène rare : il s’agit d’une ekphrasis, la reconstitution d’un tableau antique décrit par Philostratus, que Jordaens a pu connaître au travers de la traduction en français par Blaise de Vigenère, éditée avec une illustration en 1629.
La logique du pendant (SCOOP !)
Apollon, qui domine le second tableau, ne figure ni dans le texte ni dans l’illustration de Vigenère. Sa présence se justifie pour équilibrer celle de Diane dans le premier, les deux étant, comme le rappelle E.Wyss, les enfants de Latone.
Ce pendant, formule rarissime chez Jordaens, est contesté à cause de sa composition selon deux diagonales montantes (et non en V comme il est d’usage à l’Age classique). Cette composition parallèle est selon moi voulue justement pour créer un parallélisme, côté féminin et côté masculin, de ces deux histoires de « déshabillage » forcé.
Persée coupant la tête de Méduse | Scène mythologique |
---|
Francesco Maffei, vers 1650, Musée de l’Accademia, Venise
Ce pendant, par un peintre vénitien rare et virtuose, n’a jamais été complètement élucidé. Autant le sujet du premier tableau est clair, autant celui du second est vague : on a proposé, sans conviction, les Amours de Mars et de Vénus, avec pour les deux personnages intermédiaires Vulcain en bas à droite et Mercure en haut à gauche.
SCOOP !
Il faut regarder le tableau dans le détail pour comprendre que le personnage du bas possède une longue oreille pointue, et que celui du haut tient entre deux doigts de sa main gauche une baguette, tandis qu’il introduit de sa main droite quelque chose dans le récipient, orné d’un Amour doré, que tiennent simultanément l’homme et la femme.
Il n’en faut pas plus pour remonter à l’histoire d’Ulysse et de Circé, racontée dans l’Iliade : alors qu’elle a déjà transformé tous ses compagnons en porcs (d’où l’oreille pointue), Circé propose à Ulysse un breuvage qui va l’asservir à son tour. Mais Mercure, le Dieu à la baguette d’or, a fourni à Ulysse un antidote, une plante nommée Môly, grâce à laquelle il va échapper à la baguette de la magicienne et la soumettre à sa propre virilité.
Bref… La logique du pendant est donc celle de deux héros vainqueurs de deux femmes fatales.
Persée coupant la tête de Méduse | Mercure protégeant Ulysse des charmes de Circe |
---|
Annibal Carrache, 1595-1597, fresque du Camerino Farnese, Palais Farnese, Rome
L’amusant est que ce pendant délibérément elliptique n’est pas une invention de Maffei : il existe bel et bien, peint par Annibal Carrache cinquante ans plus tôt, dans un angle du Camerino Farnese.
Persée coupant la tête de Méduse | Mercure protégeant Ulysse des charmes de Circe |
---|
Le cadrage resserré et l’inversion gauche/droite de la scène de Circé participent à l’intention cryptique : la décapitation de Méduse, montrée par Carrache, est cachée par Maffei derrière le bras de celle-ci, tandis qu’une femme aux seins nus, sereine, brouille les pistes à l’arrière-plan. Et la scène de Circé est embrouillée par l’embouteillages de mains autourd’une coupe non identifiable et d’une baguette quasi indiscernable.
Le pendant de Maffei ne pouvait d’adresser qu’à des amateurs cultivés et amateurs d’énigmes : la devinette mythologique servant de prélude à la révélation spectaculaire du pastiche.
Sujets allégoriques
L’Honneur ? | La Vertu ? |
---|
Alessandro Turchi 1606, Royal Academy Trust Buckingham Palace
En 1606, l’Accademia Filarmonica de Vérone chargea Turchi de peindre les volets d’un orgue, pièce maîtresse de son music-hall nouvellement construit. Les volets clos montrent un couple de figures allégoriques dont le sens précis est incertain. Debout devant les portes avec lance et couronne de laurier, elles font figure de sentinelles gardant l’ouverture.
La Musique | La Poésie |
---|
L’ouverture des volets fait apparaître, de part et d’autre de l’orgue, deux allégories féminines évoquant le chant : musique et parole.
Allégorie de la Vanité |
Allégorie de la Fugacité |
---|
Leonard Bramer, vers 1640, Kunsthistorisches Museum, Vienne
Ce pendant a pour but de distinguer deux concepts habituellement mélangés, en les illustrant par deux couples qui se répondent :
- au luthiste jouant une partition marquée VANITAS, correspond le philosophe lisant un papier marqué MEMENTO MORI ;
- à la jeune femme qui se regarde dans un miroir correspond le squelette qui regarde un crâne ;
- à la collection du musicien – instruments à corde et flûte – correspond la collection du squelette – des crânes animaux, dont celui d’un cheval (voir Le crâne de cheval dans la peinture flamande).
Côté Vanité, des objets précieux s’accumulent : vases en d’argent, pièces, médaillon et chaîne d’or. Côté Fugacité, des objets fragiles se détériorent : plat et pots de terre cassés, sceau rongé et livres froissés, verre et pipe brisés.
La cuirasse sert d’objet-charnière : d’un côté, elle git aux pieds de la dame, suggérant que la bravoure a cédé à la vanité des plaisirs ; de l’autre, elle est posée sur la table à l’aplomb du crâne de cheval, suggérant que le chevalier qui la portait n’a laissé que sa carapace.
Le Temps ravit la Beauté | Le Temps dévoile la Vérité |
---|
Giovanni Domenico Cerrini, 1670 – 1680 Kassel Museum
Ce pendant assez maladroit illustre deux effets classiques du Temps, l’un négatif et l’autre positif :
- d’une part, tenant son sablier, il nous montre une coquette à sa toilette, dont la beauté est éphémère comme la fleur ;
- d’autre part, arrachant sa robe, il révèle en pleine lumière la Vérité (une jeune femme vertueuse qui a posé sa palme sur son livre, sur fond de sagesse antique) au grand dam de l’Envie (se mordant les doigts) et de l’Ignorance (aux oreilles d’âne).
Le problème est que l’héroïne positive est manifestement effrayée, tandis que la coquette semble tout à fait satisfaite, ce qui brouille quelque peu le message.
Aucun commentaire to “L'âge classique : sujets mythologiques ou allégoriques”