Pendants temporels : deux moments d'une histoire
Dans ce type de pendant, les deux panneaux illustrent les deux moments d’une histoire.
Le bifolium des Frères de Limbourg
La Crucifixion , f.152v | La Mort du Christ, f.153r |
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Frères de Limbourg, Très Riches Heures du duc de Berry, 1411-1416, Musée Condé, Chantilly
Ce bifolium très exceptionnel met en pendant la Crucifixion, en plein jour, et l’instant précis de la Mort du Christ, où les ténèbres se font (voir 2 Croix-poutres, croix-troncs)
La découverte du Graal
La Table ronde (La Tavola ritonda), 1446, dessin de Bonifacio Bembo, Florence, Biblioteca Nazionale Centrale, Pal. 556 vue 306 [0]
Cette scène, l’une des plus importantes du roman, est décrite dans deux dessins formant une architecture continue : les trois chevaliers Bohors (casque avec soleil), Perceval (casque avec ange) et Galaad pénètrent dans une chapelle obscure, puis descendent dans la crypte où ils découvrent les instruments de la Passion [0a].
Présentation de la Vierge au Temple
Francesco de Rimini, 1440-50, Louvre, Paris
Dans le retable des Douze scènes de la vie de la Vierge, ces deux panneaux juxtaposés utilisent le même décor pour montrer deux moments successifs, comme dans un dessin animé :
- la fillette en bas de l’escalier, encouragée par ses parents ;
- la fillette au milieu de l’escalier : en bas Joachim s’est redressé et en haut le grand prêtre s’est avancé à sa rencontre.
Mais pourquoi le commanditaire a-t-il jugé bon de consacrer deux panneaux sur douze à des scènes si peu différentes ? Il faut pour le comprendre revenir au texte :
« Quand Marie eut deux ans, Joachim dit à Anne, son épouse : « Conduisons-la au temple de Dieu, afin d’accomplir le vœu que nous avons formé et de crainte que Dieu ne se courrouce contre nous et qu’il ne nous ôte cette enfant » Et Anne dit: « Attendons la troisième année, de crainte qu’elle ne redemande son père et sa mère» » Et Joachim dit : « Attendons. » El l’enfant atteignit l’âge de trois ans et Joachim dit : « Appelez les vierges sans tache des Hébreux et qu’elles prennent des lampes et qu’elles les allument» et que l’enfant ne se retourne pas en arrière et que son esprit ne s’éloigne pas de la maison de Dieu. » Et les vierges agirent ainsi et elles entrèrent dans le temple. Et le prince des prêtres reçut l’enfant et il l’embrassa… » Proto-évangile de Jacques, chapitre VII
Ce que le retable veut mettre en évidence, c’est l’extraordinaire maturité de Marie, qui ne se retourne pas vers ses parents au moment où elle est offerte définitivement à Dieu.
« Et ses parents descendirent, admirant et louant Dieu de ce que l’enfant ne s’était pas retournée vers eux. » Proto-évangile de Jacques, chapitre VIII
Mais pourquoi l’avoir figurée au milieu de l’escalier , et non pas en haut, accueillie par le grand prêtre ? Là encore, il faut revenir au texte, cette fois au chapitre précédent :
« L’enfant se fortifia de jour en jour. Lorsqu’elle eut six mois, sa mère la posa à terre pour voir si elle se tiendrait debout Et elle fit sept pas en marchant et elle vint se jeter dans les bras de sa mère. Et Anne dit : « Vive le Seigneur mon Dieu; tu ne marcheras pas sur la terre jusqu’à ce que je t’ai offerte dans le temple du Seigneur. » Et elle fit la sanctification dans son lit, et tout ce qui était souillé elle l’éloignait de sa personne, à cause d’elle. » Proto-évangile de Jacques, chapitre VI
En montrant Marie sur la septième marche, le peintre fait allusion à ces sept premiers pas miraculeux, qui valurent ensuite à Marie de passer deux ans et demi au lit pour éviter toute souillure.
Saint Joseph et les prétendants | Mariage de la Vierge |
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Dans le même retable, deux autres panneaux suivent le même principe du décor unique, pour deux épisodes consécutifs :
« Le grand-prêtre prit les baguettes de chacun, il entra dans le temple et il pria et il sortit ensuite et il rendit à chacun la baguette qu’il avait apportée, et aucun signe ne s’était manifesté, mais quand il rendit à Joseph sa baguette, il en sortit une colombe et elle alla se placer sur la tête de Joseph. Et le grand-prêtre dit à Joseph : « Tu es désigné par le choix de Dieu afin de recevoir cette vierge du Seigneur pour la garder auprès de toi. » Et Joseph fit des objections disant : « J’ai des enfants et je suis vieux, tandis qu’elle est fort jeune ; je crains d’être un sujet de moquerie pour les fils d’Israël. » Le grand-prêtre répondit à Joseph : « Crains le Seigneur ton Dieu et rappelle-toi comment Dieu agit à l’égard de Dathan, d’Abiron et de Coreh, comment la terre s’ouvrit et les engloutit, parce qu’ils avaient osé s’opposer aux ordres de Dieu. Crains donc, Joseph, qu’il n’en arrive autant à ta maison. » Joseph épouvanté reçut Marie et lui dit : « Je te reçois du temple du Seigneur et je te laisserai au logis, et j’irai exercer mon métier de charpentier et je retournerai vers toi. Et que le Seigneur te garde tous les jours. » Proto-évangile de Jacques, chapitre IX
Ainsi la première scène illustre l’instant juste avant l’apparition de la colombe miraculeuse ; et la seconde développe les trois mots « Joseph reçut Marie », en montrant une véritable scène de mariage chrétien là où le texte n’évoque qu’un engagement de Joseph de devenir le « gardien » de Marie.
En faisant l’ellipse sur la colombe miraculeuse et les atermoiements du vieillard, les deux panneaux coupent court aux incertitudes du texte : le mariage découle de la désignation de Joseph, aussi simplement que le bâton qui passe de sa main droite à sa main gauche.
Il est remarquable que la fresque de l’abside représente un futur et même un double futur : Marie et Saint Jean debout, non aux pieds de la croix comme dans la représentation traditionnelle, mais aux pieds de Jésus ressuscité, en gloire dans sa mandorle. Ceci est logique une fois admise la convention de mettre en scène l’histoire de Marie dans des décors et des costumes contemporains, autrement dit à un moment où la fin de l’histoire est connue.
Loin de s’inscrire dans le miraculeux médiéval, le retable démontre une volonté très moderne de rationalisation du texte, par l’image.
Allégorie de la Vertu | Allégorie de la Mort |
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Ecole néerlandaise, vers 1540, Collection privée
Cette double allégorie fonctionne sur le mode Avant-Après.
Avant
Armée de sa virginité (la licorne blanche) et sûre de sa force (la colonne), la Jeunesse saute par dessus l’Amour, se riant de ses flèches d’enfant.
Après
Malheureusement, elle est tombée de sa licorne, sa colonne s’est brisée et c’est la Mort qui saute par dessus elle, chevauchant un bouc noir et brandissant un crâne et un ciseau.
Moralité
La Jeunesse qui se croit plus forte que l’Amour, La Mort sera plus forte qu’elle. [0b]
Abraham et Isaac sur le chemin | Le Sacrifice d’Isaac |
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Ludolf Backhuysen, 1696-1700, Ostfriesisches Landesmuseum, Emden
Sur ce pendant, voir Le sacrifice d’Isaac : 4 variantes, formes atypiques
Le rapt des Sabines | Les Sabines séparant les Romains et les Sabins |
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Sébastiano Ricci, vers 1700, collections du Prince de Liechtenstein [1]
Ce pendant montre deux scènes de violence : l’une à l’intérieur de Rome, l’autre à l’extérieur de la cité.
Les deux tableaux montrent le déclenchement et le dénouement d’une histoire racontée par Tite-Live:
- dans le premier, les Romains ramènent dans leur cité les femmes de la tribu voisine, ce qui déclenche les hostilités ;
- dans le second, à la fin de la guerre gagnée par les Romains, les mêmes Sabines s’interposent pour réconcilier les belligérants.
Encore très poussinien dans l’esprit, la composition intègre néanmoins un procédé plus récent : l’opposition entre centre plein et centre vide. (voir notamment Les pendants de Watteau).
La chasse de Diane | Diane et ses compagnes se reposant après la chasse |
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Louis de Boullogne, 1707, Musée des Beaux-Arts Tours
Ce pendant soigneusement équilibré se divise en trois groupes de figures, depuis les bords jusqu’au centre :
- trois chasseuses et deux chiens ;
- Diane en pleine action avec sa lance ou au repos avec son arc ;
- deux chasseuses et une proie, sanglier vivant et biche morte.
Rencontre de Didon et Enée | Mort de Didon |
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Anonyme, 1750-60, Musée de Nancy
Les scènes représentées ici sont les plus marquantes de la vie de Didon, reine de Carthage, telles que racontées dans l’Eneide de Virgile :
- dans le premier tableau, Didon d’Enée tombe amoureuse d’Enée, dissimulé jusque là par une nuée protectrice envoyée par sa mère Vénus (Livre I) ;
- dans le second, abandonnée par Enée, elle escalade le bûcher et se suicide avec l’épée même du héros (Livre IV).
Ce pendant intérieur-extérieur a donc pour sujet la naissance et la fin brutale d’un amour, entre la brume qui se dissipe et la fumée qui va gagner.
L’unité visuelle entre les deux scènes est assurée par le vêtement identique de Didon, les trois marches et la contre-plongée.
Les Adieux de Coriolan à sa famille | Coriolan reçoit sa mère et son épouse au camp des Volsques |
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Johann Tischbein, 1777, Muesum Kassel
Les deux scènes choisies dans la vie de Coriolan mettent en scène les mêmes personnages, lui et sa famille, à l’intérieur et à l’extérieur de la Cité. :
- dans la première scène, injustement condamné, il s’enfuit de Rome pour aller trouver refuge chez les Volsques ;
- dans la seconde, le sort s’est retourné : alors qu’il se prépare à marcher sur Rome avec les Volsques, sa famille vint l’implorer et il renonce à sa conquête.
Le pendant nous administre une démonstration de Sublime :
- la première scène prouve l’affection entre Coriolan et les siens, et la cruauté de la séparation ;
- la seconde montre comment néanmoins chacun agit sublimement, c’est à dire à l’inverse de son sentiment naturel :
- par patriotisme, la famille préfère sa ville à son parent ;
- par affection, le général préfère sa famille à son triomphe.
Admète pleurant Alceste | Hercule ramène Alceste à Admète |
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Johann Tischbein, vers 1780
Admète et Alceste sont l’exemple du couple uni jusqu’à la mort – et même au delà ;
- dans le premier tableau, Admète pleure son épouse, qui s’est empoisonnée pour prendre sa place aux Enfers [2] ;
- dans le second, Hercule revient des Enfers en ramenant l’épouse méritante.
Pour contrebalancer Hercule, Tischbein a dû introduire le personnage secondaire de la servante affligée, plus les deux enfants pour faire bon poids. La ressemblance entre les deux Alcestes ne saute pas aux yeux. Pour éviter la même difficulté côté Admète , le peintre a recouru à la facilité de la main cachant le visage.
Au final, ce pendant en V (diagonale descendante / diagonale ascendante) réussit très honnêtement l’exercice de symétrie, entre deux scènes ayant peu à voir.
Pour décorer le palais de la famille Marescalchi à Bologne, Ubado Gandolfi a réalisé une série aujourd’hui dispersée de six tableaux mythologiques, tous très spectaculaires par leurs forts contrastes lumineux et la vue en contre-plongée. .
Eurydice mordue par un serpent | Orphée allant chercher Eurydice aux Enfers, |
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Ubaldo Gandolfi, 1770-75, collection privée
(Le premier tableau a été légèrement retaillé latéralement).
Ce pendant montre le versant positif de l’histoire d’Orphée et d’Eurydice:
- dans le premier tableau, Euridyce descend aux enfers (matérialisés par la fosse carrée en bas à droite) ;
- dans le second, elle ressort des Enfers (matérialisés par la triple tête de Cerbère).
Le troisième moment, où Orphée la perd définitivement pour s’être retourné trop tôt, n’est pas montré.
Deux autres tableaux de la série forment eux-aussi un pendant Avant-Après :
Mercure endormant Argus avec sa flûte | Mercure se préparant à décapiter Argus |
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Ubaldo Gandolfi, 1770-75, North Carolina Museum of Art Raleigh
Sur l’ordre de Jupiter, Mercure est envoyé récupérer sa favorite Io, transformée en vache, que Junon a donné à garder au berger Argus :
- dans le premier tableau, l‘enjeu (la vache) se trouve entre Mercure en position inférieure et Argus en position dominante ;
- dans le second, la vache se trouve aux pieds de Mercure qui demande la discrétion au spectateur, tandis qu’Argus en contrebas a laissé tomber son bâton.
Les nuages, qui épousent la forme d’un aigle symbolisent la mort imminente tout en dénonçant le véritable meurtrier.
Ubaldo Gandolfi, 1770-75, collection privée
La flûte posée à côté du caducée a remplacé, sur le sol, le glaive caché sous le manteau.
Avec une maîtrise pré-hitchcockien du cadrage, Gandolfi a choisi de mettre en scène deux étapes de la menace croissante sans montrer l’inéluctable résolution.
Contrairement à l’intuition, les deux derniers tableaux de la série ne constituent pas un troisième pendant indépendant : ils semblent plutôt destinés à compléter chacun des deux pendants précédents, en leur fournissant une sorte de synthèse à la fois sur la forme et sur le fond.
Eurydice mordue par un serpent | Orphée allant chercher Eurydice aux Enfers | Hercule enchaînant Cerbère (esquisse) |
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Dans ce premier trio, aux tonalités fuligineuses, Gandolfi élude la fin tragique pour la remplacer par une happy-end : le dernier des travaux d’Hercule, la capture du gardien des Enfers.
Mercure endormant Argus avec sa flûte | Mercure se préparant à décapiter Argus | Séléné et Endymion |
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De la même manière, dans ce trio aux tonalités lunaires, Gandolfi substitue à Argus décapité un autre dormeur que ne vient même pas effleurer la faucille du croissant.
Cette série très originale en deux pendants, plus deux conclusions inattendues – sortes de pirouettes visuelles et narratives – a sans doute à voir avec la manière dont les six tableaux étaient accrochés dans la même pièce (« a pian terreno detto de’Marmi, nella Terza camera » [2a] ).
Alexandre , Apelle et Campaspe | Alexandre et Diogène |
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Gaetano Gandolfi, 1792, collection privée [2b]
Cet autre pendant intérieur-extérieur met en scène cette fois deux épisodes de la vie d’Alexandre :
- dans le premier tableau, en ami des arts couronné de lauriers, il offre au peintre Apelle sa propre favorite pour le récompenser de son talent : le transfert de propriété est matérialisé par la main droite de Campaspe, encore tenue par Alexandre, et sa main gauche qui frôle déjà l’ombre de la main d’Apelle ;
- dans le second tableau, en conquérant casqué, Alexandre se présente devant le tonneau de Diogène, qui en craint pas de le rabrouer : « Ote-toi de mon soleil ! ».
Ici encore la lumière tombant de la droite joue un rôle majeur, puisque les deux mains de Diogène se trouvent dans l’ombre portée par la main levée d’Alexandre.
La logique du pendant
Alexandre en manteau pourpre et à la chevelure blonde, suivi de ces soldats casqués, occupe les bords du pendant. Au centre, le quart de cercle lumineux du vitrail , s’opposant au cercle sombre du tonneau, laisse entendre qu’il est ici question de l’ombre et de la lumière.
Car si le sujet est « le conquérant s’inclinant devant un génie supérieur », sa traduction visuelle est : « la main éclairée cédant à la main d’ombre ».
A noter que si Gandolfi s’est amusé représenter Apelle en habit du XVIIIème siècle, ce n’est pas pour autant un autoportrait (il avait 72 ans à l’époque).
Les Amours de Héro et Léandre | Héro découvrant le corps de Léandre |
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Fulchran-Jean Harriet , 1796, Musée des Beaux-Arts, Rouen
Le pendant oppose deux aubes, l’une heureuse et l’autre tragique.
Héro, prêtresse de Cypris, vit seule avec son esclave dans une tour. Amante en secret de Léandre, qui vit sur la côte asiatique du détroit des Dardanelles, elle allume chaque nuit un feu en haut de la tour, afin qu’il vienne la rejoindre. Le premier tableau montre la séparation des deux jeunes gens au petit matin, alors que Léandre, nu pour mieux nager, va rentrer chez lui, du côté du soleil levant.
L’hiver arrive et les traversées continuent. Une nuit, Léandre lutte vainement contre les vagues et se noie en arrivant, au moment où l’aquilon souffle le flambeau. Héro
« aperçoit au pied de la tour son époux sans vie, et déchiré par les pointes des rocs. À cet aspect, elle arrache le beau vêtement qui couvre son sein, jette un cri aigu et se précipite du sommet de la tour. » [2c]
La difficulté du sujet était de faire rentrer la tour dans les deux cadres et Fulchran, malgré la maladresse de son style, est un iconographe créatif. Dans le premier tableau, il nous la montre baignée d’une lumière rose, qui laisse dans l’ombre l’escalier. Par la magie du cadrage et de l’éclairage, le facile symbole sexuel devient tendrement vaginal.
Dans le second tableau, c’est l’inverse : la tour est dans l’ombre, et l’escalier est éclairé de l’intérieur, révélant la spirale montante qui, comme l’indique l’esclave avec ses voiles noir va conduire Héro à la mort.A la traversée funeste va succéder l’ascension fatale, et la lune va pour toujours succéder au fanal.
Ce pendant méconnu saisit bien la mécanique du mythe, qui dénonce une double hybris : inverser le rythme quotidien de la nuit et du jour, et substituer à la lumière naturelle une lumière artificielle.
L’Horoscope tiré | L’Horoscope réalisé |
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Pauline Gauffier, 1798, Musée Magnin, Dijon
Sous un porche sombre, cette jeune italienne se fait lire les lignes de la main, en compagnie d’une amie. Le vase d’eau pure et le linge blanc suggèrent sa virginité.
Devant sa maison lumineuse, la même arbore un ventre rebondi, en compagnie de son mari. La carafe de vin et la corbeille parlent de plaisir et de fruit.
Le 2 mai 1808 à Madrid (El dos de Mayo) | Le 3 mai 1808 à Madrid (El tres de Mayo) |
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Goya, 1814, Prado, Madrid [3]
Un pendant mésestimé
Les deux tableaux ont été commandés par le gouvernement de la Régence en février 1814, pour rendre hommage aux événements qui, six ans plus tôt, avaient déclenché le soulèvement de l’Espagne contre Napoléon . Mais le roi Fernando VII – peu favorable à l’idée de révolte, populaire, prit le pouvoir le 11 mai 1814, Les tableaux furent achevés et payés, mais rapidement mis au placard.
On a dit qu’ils faisaient partie d’une série de quatre consacrés à la rébellion, mais les factures montre qu’il n’en est rien [3a].
La modernité du second tableau fait qu’il a totalement éclipsé le premier, et les innombrables commentaires ne mentionnent qu’anecdotiquement l’existence d’un compagnon moins célèbre.
Un pendant classique
Portant c’est elle qui explique les grands choix de composition, qui sont ceux d’un pendant classique :
- scène de jour et scène de nuit :
- scène dynamique et scène statique ;
- pendant en V inversé (diagonale montante / diagonale descendante ;
- centre plein et centre vide ;
- deux moments d’une même histoire : le soulèvement et sa conséquence, l’exécution des rebelles le lendemain.
Mêlée et cloisonnement
La foule des rebelles progresse des bords vers le centre du pendant, dans une sorte d’entonnoir ascendant (flèches jaunes).
Coté combat, tout est mélange (soldats de différents uniformes, rebelles de différentes conditions, chevaux de différentes robes) tout est mouvement :
- horizontalement : il y a des rebelles des deux côtés et des morts dans chaque camp ;.
- verticalement : un rebelle monte poignarder un cavalier, un autre fait descendre un mamelouk pour l’achever (flèches blanches).
Côté exécution, tout est au contraire cloisonné (lignes rouges) : les Meurtriers et les Victimes (par la verticale du clocher) mais aussi, parmi celles-ci, les Morts, les Mourants et les Condamnés : leur file est à l’arrêt, stoppée dans l’attente de la prochaine salve qui va la faire progresser d’un rang, transformant les Mourants en Morts et les Condamnés en Mourants.
La composition traduit visuellement l’idée de révolte par une mêlée, et celle de retour à l’ordre par un cloisonnement :
- à gauche la furia et la dynamique des fluides,
- à droite l’horreur froide d’une mécanique à cliquet.
Mathilde surprise par Malek-Adhel dans les jardins de Damiette, 1817 | Mathilde et Malek-Adhel au tombeau de Montmorency, 1814 |
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Rosalie Caron, Monastère royal de Brou, Bourg-en-Bresse
Exposées à trois ans d’intervalle au Salon, ces toiles « troubadour » illustrent deux scènes du roman « Mathilde ou Mémoires tirés de l’histoire des croisades », publié par Sophie Cottin en 1805.
Mathilde et Malek-Adhel dans l’église
La vierge Mathilde, soeur de Richard Cœur de Lion, est promise contre son gré à Lusignan, un chrétien qu’elle déteste. Dans le tombeau de Josselin de Montmorency, son ancien prétendant mort au combat, elle a rendez-vous avec celui qu’elle aime, le musulman Malek-Adhel. Dans le roman :
« il court à elle, il embrasse ses genoux. « Laisse-moi, dit-elle d’un air égaré, laisse-moi; » mais elle ne peut se soutenir, elle chancelle, fléchit, et s’assoit sur le cercueil ».
Rosalie Caron a opté pour une version plus noble, où la vierge chrétienne, debout, garde sa robe blanche à l’écart de ses deux amoureux, le Musulman bien vivant (reconnaissable à son turban) et le Croisé mort (reconnaissable à son écu).
Mathilde et Malek-Adhel au jardin
Le tableau peint trois ans plus tard en complément montre, en pendant de la rencontre à l’intérieur de l’église, la première rencontre dans les jardins de la mosquée. Voyant arriver le « superbe Arabe » qui la cherche, Mathilde s’enfuit, mais
» la course d’une vierge timide, qui a passé sa vie dans une étroite clôture, ne la sauvera pas longtemps de la poursuite d’un guerrier tel que Malek Adhel. Sûr de l’atteindre quand il voudra, il s’arrête et la regarde courir. »
Enflammé par la poursuite, il la rattrape,
« la saisit par son habit, il voudrait la presser dans ses bras et pourtant il n’ose le faire ; si la divine beauté de la princesse l’attire, la dignité de sa contenance le retient… une sorte de respect que jusqu’à ce jour il n’avait éprouvé qu’à l’aspect de son père ou dans le temple de Mahomet, le fait tomber aux genoux de Mathilde ».
Pour ceux qui ne connaîtraient pas le roman, la vierge chrétienne se reconnaît, entre turban et minaret, à son rosaire et à son « vêtement blanc de vestale ».
Qui est-ce ? (who can this be ?) | De qui est-ce ? (whom can this be from ?) |
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Charles-Robert Leslie, vers 1839, Victoria and Albert Museum
Dans le parc, en promenade avec son vieux mari, la jeune femme fait mine de s’intéresser à son chien plutôt qu’au gentilhomme qui les salue.
Au salon, entre le livre ennuyeux et le portrait du mari qui ne l’est pas moins, la même jeune femme s’interroge sur l’aventure qu’amorce la lettre cachetée.
Une affaire d’honneur | La réconciliation |
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Emile-Antoine Bayard, 1884, localisation actuelle inconnue
Au Salon de 1884, Emile Bayard fait sensation avec Une affaire d’honneur, duel de dames à la poitrine nue. Un peu plus tard, il le complète par un pendant montrant l’issue de l’affaire, La réconciliation.
Sur ce duel, largement imaginaire, et sur l’importance du pendant pour le sujet des escrimeuses qui va émoustiller mondialement pendant un bon demi-siècle, voir 1 Les escrimeuses : premières passes .
Als . sterckheit . compt .met . haer . ghewelt / So wort . ionckheit . ter neder . ghevelt (Lorsque la force vient avec sa violence, aussitôt la jeunesse est mise à bas)
Noiit . Niewat . ter werelt . so sterck . gehacht / Die doot . die . heeft . hely (?) . iouder (?) . ghebracht (?) (signification inconnue)
http://www.liechtensteincollections.at/en/pages/artbase_main.asp?module=browse&action=m_work&lang=en&sid=87294&oid=W-1472004121953420174
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