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1 Le Christ bénissant et la Vierge

13 juillet 2020

L’idée d’apparier dans deux images séparées le Christ adulte et sa mère est très ancienne. La puissance de la formule de la Pietà, qui montre un contact étroit et dramatique entre les deux corps, et correspond à un moment particulier de la Passion (la Déploration) fait que les diptyques ou pendants Christ-Marie occupent une niche iconographique étroite, moins fusionnelle qu’intellectuelle. On peut y distinguer trois traditions, deux assez rares et une très répandue.

Commençons par la première : celle où le Christ fait le geste de la bénédiction, face à la Vierge à l’Enfant ou à la Vierge en prières.

Très longtemps, il s’agit de deux icônes séparées, où chacun joue son rôle propre : la Vierge intercède pour les pécheurs, le Christ les sauve. Puis vers 1475 les deux sujets fusionnent en un seul : « le Christ bénissant sa mère en prières », qui n’aura guère de succès.



Avec la Vierge à l’Enfant :

des origines byzantines


550 ca Christ and Mary - Diptych. Ivory Museum fur Byzantinische Kunst der Staatlichen Museen zu Berlin

Le Christ et Marie, Diptyque en.ivoire, vers 550,
Museum fur Byzantinische Kunst der Staatlichen Museen zu Berlin

Ce tout premier exemple d’un diptyque avec le Christ bénissant et sa mère a deux particularités saillantes :

  • son caractère officiel : les deux trônent sur des sièges ornées de têtes de lions, sous les figurines du soleil et de la lune, encadrés par deux hauts personnages ;
  • son parti-pris d‘égalité, qui place le Christ et sa mère dans un strict parallélisme :
    • la paume en avant de Saint Pierre fait écho à celle du premier archange ;
    • le livre devant Saint Paul fait écho au globe devant le second archange.



550 ca Christ and Mary - Diptych. Ivory Museum fur Byzantinische Kunst der Staatlichen Museen zu Berlin schema
Cependant, dans une autre lecture, on voit que le Christ majestueux, bénissant et tenant un livre de l’autre main, se projette dans sa propre image enfantine, bénissant et tenant un rouleau, dont la robe affecte les mêmes plis.

Cette double mise en équivalence souligne les deux généalogies :

  • entre la Mère et le Fils d’une part,
  • entre l’Emmanuel et le Christ d’autre part.


396-416 Diptyque de Rufius probianus Prussian Cultural Heritage Foundation Berlin

Diptyque de Rufius Probianus, vice-préfet (vicarius) de Rome, 396-416 Prussian Cultural Heritage Foundation Berlin.

La formule dérive des diptyques consulaires, tablettes à écrire somptueuses dont un nouveau consul faisait don à ses proches pour célébrer son accession au pouvoir. Vu la raréfaction de l’ivoire, Théodose réserva en 384 cet usage aux seuls consuls, mais un simple vice-préfet de Rome fit réaliser celui-ci quelques années plus tard. On retrouve les rideaux et les deux acolytes, ici des notaires : nous sommes au tribunal et les plaignants argumentent en dessous, autour d’une clepsydre. On remarque au fond à gauche un grand diptyque portant l’effigie des deux Empereurs, obligatoire dans tout bâtiment officiel. [1]

Le parallélisme entre les deux valves est presque total, mis à part le geste des mains :

  • à gauche écrivant sur le rouleau la formule autocongratulatrice : « PROBIANE FLOREAS », « Que tu propères, Probianus » ;
  • à droite levant deux doigts non pour bénir, mais pour prendre la parole.


1310-20 Salting-Diptych-Virgin-Christ-ivory-VetA-Westminster

Marie et le Christ, Diptyque Salting
1310-20, provenant probablement de Westminster, Victoria and Albert Museum, Londres

Le seul autre diptyque avec des figures en pied qui n’ait pas été démembré est celui-ci. L’artiste a soigneusement évité tout parallélisme :

  • posture déhanchée de la Vierge et statique du Christ ;
  • robes différentes :
  • gestes de l’Enfant sans rapport avec ceux de l’adulte : il tient dans sa main gauche une pomme et tend la droite vers la fleur que lui offre sa mère.

Le texte du Livre invoque la double nature du Christ  : à la fois Créateur (Deus) et Rédempteur (Dominus) :

Je suis ton Dieu et Seigneur Jésus-Christ, qui t’ai créé, racheté et qui te sauverai.

EGO SU ( M ) D ( OMI ) N ( U ) s D ( EU ) s TUUS 1 ( HESU ) c XP ( ISTU ) Q ( UI ) CREAVI REDEMI ET SALUABO TE

Le temps des verbes explique bien la fonction du diptyque pour son propriétaire : « je t’ai racheté » fait référence à son baptême, « je te sauverai » au Salut personnel qu’il gagnera par ses prières.

Les deux panneaux sont autonomes : Marie n’intercède pas auprès du Christ, mais regarde en souriant le dévot : au point que le rose peut être vue comme un présent personnel qu’elle lui tend, béni au passage par l’Enfant.


En Italie

Une rencontre entre merveilles

L’idée de monter en diptyque les deux images fait sans doute écho aux pratiques processionnelles qui existaient à Rome durant la période médiévale et jusqu’à la Contre-Réforme, durant la nuit précédant la fête de l’Assomption.

Icone acheiropoietede Saint Jean Du LatranIcone acheiropoïète de Saint Jean Du Latran (état actuel et reconstruction hypothétique) [1a] Icone du Pantheon (S. Maria ad Martyres) debut VII secIcone du Pantheon (S. Maria ad Martyres), debut VII siècle

L’icône du Christ, peinte sans la main de l’homme, quittait en procession Saint Jean de Latran tandis que celle de sa mère, peinte par Saint Luc, quittait l’église du Panthéon : les deux images se rencontraient et se saluaient en s’inclinant l’une vers l’autre.


1330-40 Pietro Lorenzetti Tabernacle with Madonna and Child, Florence, Villa I Tatti, Collezione Berenson BVierge à l’Enfant, Villa I Tatti, Collection Berenson 1330-40 Pietro Lorenzetti reliquaire avec un moine franciscain coll priv BChrist bénissant, collection privée, New York

Pietro Lorenzetti, 1310-40, Reliquaire tabernacle double face pour un frère franciscain

Cet exceptionnel reliquaire double-face, reconstitué par F.Zeri [2] , montre d’un côté l’Enfant laissant pendre de la main gauche un rouleau au dessus du frère franciscain, de l’autre le même frère saisissant e rouleau que tient de la main gauche le Christ bénissant.

Il ne s’agit pas d’une question et d’une réponse, mais de deux passages des Evangiles :

Je suis la vigne, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi, et en qui je demeure, porte beaucoup de fruits.

Jean 15,5

Vous qui m’avez suivi… il recevra le centuple et aura la vie éternelle en possession. « 

Mathieu 19:28-29

Ego sum vitis vos palmites qui manet in me et ego in eo hic fert fructum multum

…vos qui secuti estis …centuplum accipiet et vitam aeternam possidebit. 

Ainsi l’Enfant Jésus s’adresse au frère dans sa vie terrestre, lui promettant de « porter beaucoup de fruits » ; tandis que le Christ adulte lui promet la vie éternelle.

Ainsi, en retournant le reliquaire, le frère passe de la position d’humilité (à la gauche de la Madone) à la position d’honneur (à la droite du Seigneur).



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Mis à part cet exemple exceptionnel , on n’a pas d’autre diptyque présentant les deux personnages en pied : les rares autres qui nous restent sont cadrés en buste, voire même sur le visage seulement.

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Mary and Christ, Psalter (from Hildesheim), c. 1235, Stuttgart, Württembergische Landesbibliothek, Ms.Donaueschingen 309, fols. 33v-34 detailBPsautier provenant d’Hildesheim, vers 1235, Stuttgart, Württembergische Landesbibliothek, Ms.Donaueschingen 309, fols. 33v-34

Ce bifolium exceptionnel, sans équivalent en Occident, est probablement l’adaptation locale d’un diptyque byzantin [2a].


Mary and Christ, Psalter (from Hildesheim), c. 1235, Stuttgart, Württembergische Landesbibliothek, Ms.Donaueschingen 309, fols. 33v-34 detailA Mary and Christ, Psalter (from Hildesheim), c. 1235, Stuttgart, Württembergische Landesbibliothek, Ms.Donaueschingen 309, fols. 33v-34 detailB

Les vers léonins sont croisés :

Toi, pour moi, fils et père

Toi, pour moi, fille et mère

Tu, michi, nate, pater

Tu, michi, fila, mater


Le vers ajouté en rouge en bas à gauche invoque la conjonction de ce couple surnaturel, dans l’intimité du livre refermé :

En nous réunissant, être sauvé par toi. En moi, elle espère celui à qui tu l’unisses.

Reun(ien)do a te salvari.

P(er) me sperat q(uem) uniaris.


1342, Pape Clement VI offre au roi Jean II le Bon,copie peinture disparue de la Sainte-Chapelle, BNF Estampes. OA-11 fol, 85

Le roi Jean II le Bon offrant en 1342 un diptyque au Pape Clément VI , copie d’une fresque disparue de la Sainte-Chapelle, BNF Estampes. OA-11 fol, 8

Cette fresque disparue se trouvait au dessus de la porte de la sacristie de la Sainte-Chapelle. On lit parfois que c’est le pape qui donne le diptyque au roi, mais cette interprétation ne cadre pas avec le geste de son index droit qui commande à son serviteur agenouillé (probablement Robert de Lorris) de remettre le diptyque au pape.


1342 Diptyque de Jean le Bon offert a Clement VI. vers 1550. copie par atelier Simon de Mailhy Musee de Pont Saint Esprit.
Marie et le Christ
Copie du diptyque de Jean le Bon, atelier de Simon de Mailhy , vers 1550, Musée de Pont Saint Esprit

Le diptyque a disparu, et cette copie ne permet pas de savoir s’il s’agissait d’une oeuvre byzantine ou italienne. Les deux médaillons dans les pinacles représentent Saint Jean l’Evangéliste et Saint Jean Baptiste se faisant face.


Pietro Nelli Johannes der Evangelist und Hl. Antonius Abbas 1360-1365, Lindenau-Museum Altenburg

Saint Jean l’Evangéliste et Saint Antoine
Pietro Nelli, 1360-65, Lindenau Museum, Altenburg

Ce diptyque italien contemporain présente un peu la même composition, avec dans les médaillons deux archanges se faisant face.

Diptych with Virgin Hagiosoritissa and Christ, Sinai Icon Collection princeton university

La Vierge Hagiosoritissa et le Christ, date inconnue, Sinai Icon Collection, Princeton university

En Orient, les icônes sont rarement à usage privé, et on a très peu d’exemples anciens de diptyques dévotionnels de petite taille : en général la Vierge à l’Enfant y est appariée avec une Crucifixion ou avec l’Homme de douleurs, cas que nous analyserons plus loin.

Ce diptyque exceptionnel montre la Vierge sans enfant, en posture de prière mains ouvertes, intercédant pour le dévot : donc en situation hiérarchique inférieure par rapport au Christ bénissant..



 Avec la Vierge en prières :

en Occident à partir du XVème siècle

C’est cette formule qui vase développer en Occident  à partir du quinzième siècle. A l’origine il s’agit d’illustrer  l’idée d’intercession : la Vierge prie son Fils pour les pécheurs, le Christ les sauve.

A partir de 1475, une certains artistes tenteront de fusionner visuellement les deux gestes en un nouveau sujet qui n’aura guère de succès. : « le Christ bénissant sa mère en prières »,

Aux Pays-Bas

1427-32 Robert Campin Philadelphia museum of Arts

Robert Campin, 1427-32 Philadelphia museum of Art

Il ne s’agit pas encore d’un diptyque, mais ce panneau est reconnu comme le jalon entre les modèles byzantins et les nombreux diptyques Christ-Marie qui vont être produits en Occident.

La richesse des auréoles, ornées de rubis pour le Christ et de perles pour Marie, fait penser que l’idée était sans doute d’imiter par la peinture le couverture d’or des icônes byzantines. Le cadrage sur le visage seul rappelle fortement le diptyque de Jean le Bon, en inversant les positions de Jésus et de Marie.

Le panneau a été raccourci en haut, mais très peu en bas : l’effet des mains tronqués est donc voulu, pour casser sur la marge la symétrie du panneau et créer une dynamique du regard :

1427-32 Robert Campin Philadelphia museum of Arts detail
Des doigts dupliqués de Marie, l’oeil descend vers la main gauche du Christ qui puis, en passant par le cristal, remonte le long de la main droite bénissante, en une courbe qui épouse celle de l’encolure.

Ce cristal, à ras du cadre mais agrafé à la tunique, d’une pureté divine mais reflétant une fenêtre bien terrestre, apparaît comme le centre symbolique de la composition : entre la main gauche qui fait contact avec le cadre et la droite qui indique le ciel, ce joyau est le le lieu où le bas et le haut se mélangent.

1450 ca Van Der Weyden triptyque-famille-braque louvre

Triptyque de la famille Braque
Van Der Weyden, vers 1450, Louvre

En 1450, Van der Weyden enrichit doublement la composition de son maître :

  • en ajoutant le globe dans la main gauche du Christ bénissant, formule dite du Salvator Mundi (sur la chronologie de cette iconographie, voir 7 Le Christ debout et le globe).
  • en ajoutant le personnage de Saint Jean l’Evangéliste (imitant les gestes du Christ avec sa coupe de poison).

C’est sans doute la puissance de cette formule qui va bloquer le développement des diptyques réduits à la Vierge et au Christ bénissant, dont il n’existe que quelques exemples sporadiques;



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En France

1480-85 Christ benissant Jean Bourdichon Musee des BA ToursChrist bénissant 1480-85 Vierge en oraison Jean Bourdichon Musee des BA ToursVierge en oraison

Jean Bourdichon, 1480-85, Musée des Beaux-Arts, Tours

C’est l’enlumineur Jean Bourdichon qui a semble-t-il l’idée de mettre en présence face à face deux figures imitées de modèles de Fouquet, formant ainsi un nouveau sujet : le Christ bénissant sa mère en prières.

1475-1500 Jean Bourdichon Heures de Charles VIII, BNF 1370 fol 35vfol 35v 1475-1500 Jean Bourdichon Heures de Charles VIII, BNF 1370 fol 36rfol 36r

Heures de Charles VIII, atelier de Jean Bourdichon, 1475-1500 , BNF 1370, Gallica

Le diptyque (ou le pendant) de Tours a été sévèrement rogné. Peut être le Christ posait-il la main gauche sur le cadre, comme dans ce bifolium où la direction du regard et l’avancée de la main droite montrent que la bénédiction est destinée à la Vierge.

La double page fait suite à une prière en français qui appelle Marie à écouter « par ta pitié mes grands péchés » et à prier Jésus-Christ pour « nous et le féaux chrétiens à Notre Seigneur Jésus-Christ ton fils qui vit et règne pour temps infinis. »


1480 ca Jean I Penicaud Christ benissant email de Limoges Musee de Cluny Paris.Christ bénissant 1480 ca Jean I Penicaud Vierge en oraison email de Limoges Musee de Cluny Paris.Vierge en oraison

Jean I Penicaud, vers 1480 émail de Limoges, Musée de Cluny Paris

Ou bien plus probablement le Christ posait la main sur le globe, comme les montre cet émail de Limoges qui est probablement la copie du diptyque de Tours. Les banderoles chantent la beauté du Fils et de sa Mère :

Splendide de beauté, vous surpassez les enfants des hommes

Psaume 45, 3

Speciosus forma prae filiis hominum diffusa

Je suis noire mais belle

Cantique des Cantique, 1,5

Nigra sum sed formosa


1470-75 Livre d'Heures Enlumineur tourangeau proche de Jean Bourdichon, ms . R 60732 BM Saint-Germain en-Laye
Vierge en oraison et Christ bénissant
Livre d’Heures, 1470-1500, enlumineur tourangeau proche de Jean Bourdichon, BM Saint-Germain en-Laye

Cette formule « autarcique » de la bénédiction de Marie ne devait pas aller de soi pour la clientèle ordinaire, puisque cet enlumineur inspiré par Bourdichon est revenu à une image plus traditionnelle où les deux saintes figures agissent l’une derrière l’autre par ordre logique et hiérarchique, pour l’intercession puis pour le salut.

Sauveur du Monde, sauve-nous tous. Sainte mère de Dieu et toujours vierge Marie, intercède pour nous auprès de Dieu, Nous sollicitons encore humblement, par les prières de tous les saints , de partriarches, des martyrs, des confesseurs, et des  vierges saintes…

Salvator mundi, salva nos omnes. Santa Dei genitrix semper Virgo semper Maria intercede pro nobis ad dominum, precibus quorum sanctorum omnium patriarcharum  martirum et confessorum, atque sanctarum virginum, suppliciter petimus…



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En Allemagne

Une variante nuptiale (SCOOP !)

1500 Maria_Rijksmuseum_SK-A-497 1500 Salvator Mundi_Rijksmuseum_SK-A-496

Vierge en oraison bénie par le Salvator Mundi
Anonyme, vers 1500, Allemagne du Sud, Rijksmuseum, Amsterdam [3]

On ne sait rien sur ce diptyque de petite taille (17,5 cm × 13 cm chaque panneau). Une autre version existe au Musée de Bâle, avec à son revers des armoiries non identifiées.

Cette fois les deux figures dialoguent du regard. Le Christ, soutenant le globe et portant la couronne et non plus l’auréole, cumule les attributs du Roi du Ciel et du prêtre (l’étole décorée de croix). Sa bénédiction à sa mère, qui occupe la place d’honneur à sa droite, apparaît comme une alternative à la scène habituelle du Couronnement : mais ici la Vierge est déjà couronnée. L’anneau nuptial qu’elle porte à l’annuaire gauche permet d’identifier la scène comme représentant les noces de l’Eglise et du Christ, célébrées par lui-même.


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Une spécialité des Massys, père et fils

1505 ca Christ_as_Salvator_Mundi_and_Mary_Praying,_by_Quinten_Massijs Royal Museum of Fine Arts Antwerp

 
Vierge en oraison bénie par le Salvator Mundi
Quentin Massys, vers 1505, Musée royal des Beaux Arts, Anvers

Un hommage à Campin (SCOOP !)

Les images infrarouge montrent que, dans un premier temps, la Vierge avait un manteau bleu et un voile blanc opaque sur le front, ce qui la rapproche beaucoup du modèle de Campin. ([4], p 110)

En rendant ce voile transparent, en rajoutant une couronne et dans l’autre panneau le globe du Salvator Mundi, Massys reprend et modernise le cadrage étroit inventé par Campin :

1427-32 Robert Campin Philadelphia museum of ArtsRobert Campin, 1427-32 1505 ca Christ_as_Salvator_Mundi_and_MaryQuinten_Massijs Royal Museum of Fine Arts Antwerp inverseDiptyque de Massys inversé, vers 1505

La coupure par le cadre et les auréoles disjointes remplacent la dynamique interne par la dynamique externe de nombreux diptyques de dévotion flamands : le panneau qui « penche » (ici celui de la Vierge) ramène l’oeil vers le panneau principal (ici celui du Christ, centré et lesté par le joyau) (voir d’autres exemples dans résurrection du panneau perdu (2 / 2)).



1505 ca Christ_as_Salvator_Mundi_and_Mary_Praying,_by_Quinten_Massijs Royal Museum of Fine Arts Antwerp detail croix
La puissance elliptique du cadrage trouve son apogée dans le globe : en hors-champ sous la main de chair, il se retrouve en miniature dans celle du Christ d’or qui trône au centre de la Croix.

1505 ca Christ_as_Salvator_Mundi_and_MaryQuinten_Massijs Royal Museum of Fine Arts Antwerp inverseVierge en oraison bénie par le Salvator Mundi
Quentin Massys, vers 1505, Musée royal des Beaux Arts, Anvers (inversé)
1510-25 CHRIST AND THE VIRGIN atelier QUENTIN MASSYS National Gallery detailVierge en oraison bénie par le Salvator Mundi (détail)
Atelier de Quentin Massys, 1510-25, Musée royal des Beaux Arts, Anvers

Quelques années plus tard, l’atelier décalque la composition, en l’inversant et en élargissant le cadrage :
1510-25 CHRIST AND THE VIRGIN atelier QUENTIN MASSYS National Gallery

Les mains du Christ sont décalées en hauteur, encadrant celles de Marie. Et le globe presque entièrement montré devient un objet de bravoure…
1510-25 CHRIST AND THE VIRGIN atelier QUENTIN MASSYS National Gallery detail globe
…sur lequel se reflètent les pignons de trois maisons flamandes.

1491-1505 quentin-metsys-coll priv werworth fizwilliam collection

Collection privée, retrouvé en 2006 dans l’église de Bradford-on-Avon, collection privée

Fizwilliam collection, Werworth

 Quentin Massys, 1491-1505

Cet autre diptyque, reconstitué récemment, réduit à l’extrême le cadrage et supprime tous les attributs.


1529 Jan-Massys-Virgin-Mary-after-1529-Quentin-Massys-Christ-the-Saviour-ca- Prado

Vierge en oraison, Jan Massys, après 1529 Christ bénissant, Quentin Metsys, 1529, Prado

Vu les tailles discordantes des deux visages et les factures différentes, on n’est pas sûr que ces deux panneaux aient été conçus en diptyque : ils ont pu être achetés séparément, puis assemblés vers 1597, première mention où il sont décrits ensemble comme des « portes » [5]. Les deux ont néanmoins le même revers en faux marbre, celui du Christ étant daté et signé : AN OPUS Quintini metsys. M D XXIX.

Ces deux panneaux ont donné lieu à une mémorable querelle d’attribution. Aux dernières nouvelles ([4], p 104), ils auraient bien été conçus en diptyque et seraient tous deux de la même main : soit celle de Quentin un an avant sa mort, soit celle de Jan.

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1603 Geldorp_Gortzius_Christus coll priv 1604 Geldorp_Gortzius_Maria coll priv

Le Christ et Marie
Gortzius Geldorp, 1603, collection privée

Dans ce dernier exemple, le Christ ne bénit pas sa mère, qui ne prie pas mais fait le geste de la supplique : il se retourne vers le spectateur d’un air sévère, comme pour vérifier le bien-fondé de l’intercession.

Nous touchons ici du doigt ce qui a fait le peu de succès de cette formule : le sujet de l’intercession éloigne par nature le spectateur des deux personnages sacrés, l’un son avocat et l’autre son juge.

Alors que d’autres formules, visuellement équivalentes mais théologiquement très différentes, font jouer à plein l’empathie.


Article suivant : 2 Homme de douleurs, Vierge à l’Enfant

Références :
[1] Anna Maria Cust « The Ivory Workers of the Middle Ages » https://books.google.fr/books?id=MoaODwAAQBAJ&pg=PT11&lpg=PT11&dq=PROBIANE+FLOREAS
[2] Federico Zeri « Reconstruction of a Two-Sided Reliquary Panel by Pietro Lorenzetti », The Burlington Magazine, Vol. 95, No. 604 (Jul., 1953), pp. 244-245 (2 pages) https://www.jstor.org/stable/871164
[2a] Monika E. Müller « Einflüsse aus West und Ost in der Hildesheimer und in der thüringisch-sächsischen Buchmalerei des 12. und 13. Jahrhunderts » dans Zentrum oder Peripherie? Kulturtransfer in Hildesheim und im Raum Niedersachsen (12. –15. Jahrhundert), Wiesbaden, p 352 https://www.academia.edu/40215300/Monika_E_M%C3%BCller_Einfl%C3%BCsse_aus_West_und_Ost_in_der_Hildesheimer_und_in_der_th%C3%BCringisch_s%C3%A4chsischen_Buchmalerei_des_12_und_13_Jahrhunderts
[4] Prayers and Portraits, Yale University Press, 2006 https://books.google.fr/books?id=xT9w9uHtyWwC&pg=PA40#v=onepage&q&f=false

2 Homme de douleurs, Vierge à l'Enfant

13 juillet 2020

Le Christ est ici représenté deux fois : en corps aimé et en corps torturé. Rien d’ évident dans l’idée d’apparier ces deux images, qui opposent frontalement les joies de la naissance et les souffrances de la mort.

Ce choc narratif se double d’un choc visuel : le corps enfantin, vêtu et intact, s’affronte au corps adulte, dénudé et ouvert.

D’où sans doute la grande rareté de ces diptyques violents.

Article précédent : 1 Le Christ bénissant, Marie en prières



La réticence byzantine

L’iconographie de l’Homme de douleurs, que l’on dit apparue en premier en Orient [6] , a été ramenée et développée en Occident par les ordres mendiants, dans le cadre de la dévotion envers les plaies du Christ à la suite de Saint François d’Assise [7] .

Mais en Orient, on ne l’y trouve  jamais côte à côte avec une image de la Vierge à l’Enfant.

1175-1200 Double sided Icon of the Virgin Hodegetria Byzantine Museum KastoriaVierge Hodegetria 1175-1200 Double sided Icon of theMan of Sorrows Byzantine Museum KastoriaChrist Akra Tapeinosis

Icône double-face, 1175-1200, Byzantine Museum, Kastoria

Cette icône montre recto-verso une Vierge à l’enfant au visage empreint d’une profonde tristesse, et la plus ancienne image connue de l’Extrême Humiliation (Akra Tapeinosis).

Pour Hans Belting [8], cette double image a pour source l’évolution au XIIème siècle de la liturgie de la Passion, au début de laquelle la Vierge se rappelle avec tristesse de l’enfance de Jésus. Les deux anges qui tendent les bras dans l’attente de recevoir le sacrifice montrent bien la conjonction des deux moments. Plus récemment, Maximos Constas [6] a proposé pour source lointaine une série de poèmes liturgiques du IXème siècle dédiés à la douleur de la Vierge devant la Croix, les Stavrotheotokia.

L’icône de l’Homme de douleurs est quant à elle une figure composite évoquant non pas une scène précise, mais plusieurs moments de cette liturgie (Déposition, Lamentation, Mise au Tombeau). L’idée de représenter le Christ en buste résulte justement de son appariement avec la Vierge Hodegetria. La position croisée des mains est celle du Saint Suaire de Turin, qui était probablement conservé à Constantinople avant sa disparition en 1204, lors de la Quatrième croisade.

Le terme consacré en Occident d’« Homme de douleurs » ne cadre pas avec ce qui est inscrit en haut de la Croix : « Roi de Gloire ». L’expression sereine du Christ est en effet en contraste complet avec celle de sa mère. L’artiste a tout fait pour éviter de représenter les blessures et la souffrance : front intact, cadrage au-dessus du niveau du coup de lance, mains en hors champ Seule la rotation du chrisme par rapport aux branches de la Croix traduit la rupture que constitue cette mort.

Cette retenue spécifiquement orientale face à la la représentation de la douleur ne sera pas reprise en Occident, qui développera au contraire les possibilités dramatiques qu’ouvre cette nouvelle iconographie.



1380-1420 Icone doube face Kastoria Musee byzantin

Christ Akra Tapeinosis, Vierge Paramythia
Icône double-face, 1380-1420, Byzantine Museum, Kastoria

Deux siècles plus tard, cette autre icône double face provenant également d’un atelier macédonien de la région de Kastoria montre une déconnexion entre les deux images : l’expression de douleur de la Vierge a disparu, et son visage est tourné vers l’Enfant. Comme mentionné dans l’inscription, elle est maintenant paramythia, consolatrice.

L’image du « Roi de gloire », en revanche, n’a pratiquement pas changé.

Un trou dans la tranche inférieure montre que l’icône était montée soit sur une hampe pour les processions, soit sur pivot. pour tourner selon les offices.


1480-1500 Triptych with the Madre della Consolazione and the Man of Sorrows, Crete, Morsink Icon Gallery, Amsterdam closed
Homme de Douleurs
Triptyque fermé, Crète, 1480-1500, Morsink Icon Gallery, Amsterdam [9]

Cet autre exemple byzantin tardif n’est pas une icône double face, mais un triptyque où l’Homme de Douleurs est devenu un Christ sortant du tombeau. Il est visible lorsque le triptyque est fermé…


1480-1500 Triptych with the Madre della Consolazione and the Man of Sorrows, Crete, Morsink Icon Gallery, Amsterdam semi closed
Saint Jean Baptiste, Saint Louis de Toulouse, Saint Jérôme

… tandis qu’un premier niveau d’ouverture fait apparaître trois saints…



1480-1500 Triptych with the Madre della Consolazione and the Man of Sorrows, Crete, Morsink Icon Gallery, Amsterdame
…et que l’ouverture complète révèle la Vierge à l’Enfant, avec à gauche l’Archange Raphaël tenant Tobie par la main.

L’ouverture/fermeture remplace ici la rotation de l’icône double face.



La dramatisation italienne

C’est en Italie que la charge émotionnelle de cet appariement est véritablement assumée et exploitée, pendant environ un siècle.


1250-69 Master of the Borgo Crucifix . National Gallery

Vierge à l’Enfant et Homme de douleurs
Master of the Borgo Crucifix, 1250-69, National Gallery, Londres

Le thème y a été propulsé par le dolorisme franciscain : c’est le Maître des crucifix franciscains qui apparie pour la première fois les deux images byzantines, dans une composition plus élaborée qu’il n’y paraît.

Côté Christ, on remarque le détail empathique des deux anges qui, pris d’horreur devant le panonceau redevenu ironique (« Roi des Juifs »), se couvrent les yeux et la bouche. Le Chrisme ne suit plus l’inclinaison de la tête, mais reste parallèle à la croix : manière subtile de montrer que seul le corps de Jésus est brisé par la mort, sa nature divine restant intacte.



1250-69 Master of the Borgo Crucifix . National Gallery schema
Un jeu de lignes brisées (en bleu) identifie à sa mère l’enfant Jésus levant la tête, et l’oppose au Christ dont les yeux clos, au même niveau, sont fermés et ne voient plus la terre. Le mimétisme des mains (en jaune et vert) fait voir la cruauté de la mort, avec ce cadavre qui n’est plus enlacé que par lui-même.


1300-25 Robert Lehmann collection Marie METVierge à l’Enfant 1300-25 Robert Lehmann collection Ecce homo METHomme de douleurs

Ecole de Duccio, 1300-25, Robert Lehmann collection Ecce homo MET.

Soixante ans plus tard, l’Homme de Douleurs est devenu populaire, et en 1330 le pape Jean XXII lui attache une indulgence. Plusieurs diptyques apparaissent dans la région de Sienne.


1326-1328 Simone Martini, Madonna with Child, and Christ de pitie Horne Museum Florence

Vierge à l’Enfant et Homme de douleurs
Simone Martini, 1326-1328, Musée Horne, Florence

Simone Martini l’associe à la Vierge à l’Enfant dans une version moins tragique, qui prolonge le sous-thème, fréquent dans les Madones, de la préfiguration de la Passion : la Vierge regarde, au delà de l’Enfant, non pas la mort qui l’afflige, mais la Résurrection qui la consolera. Le tombeau ouvert, en bas, fait oublier le panonceau et la croix.

Pietro Lorenzetti: Madonna mit Kind [Um 1340-1345, Lindenau-Museum Altenburg]Vierge à l’Enfant 1340-45 Lorenzetti Pietro Ecce homo Lindenau Museum AltenburgHomme de douleurs

Pietro Lorenzetti, 1340-45, Lindenau Museum, Altenburg

Quelques années plus tard, alors que Simone Martini est parti à Avignon, le thème est repris par l’autre grand peintre de Sienne, Pietro Lorenzetti . Il signe sur la margelle de ce qui est à la fois un sarcophage redressé et une fenêtre :
PETRUS LAVRETII DE SENI ME PIXI.

Très narrative, cette version s’éloigne encore plus des types byzantins et dramatise l’idée de Simone Martini : la Vierge se recule en arrière et serre au plus près de son visage le bébé emmailloté, comme pour éloigner la vision de ce grand cadavre sans bandelettes…
1340-45 Lorenzetti Pietro Ecce homo Lindenau Museum Altenburg sans aureole
… que seule l’auréole fait échapper à l’étreinte hexagonale du marbre.

Cette composition puissante retrouve, en mode expressionniste, le message initial de la théologie byzantine : que l’Incarnation et le Sacrifice comme les deux facettes indissociables d’un unique dessein.

1355 Diptych Tommaso da Modena chateau de Karlstejn
Retable de la Vierge à l’Enfant et de l’Homme de douleurs
Tommaso da Modena, 1355 , château de Karlstejn

C’est aussi sur le tombeau que signe Tommaso da Modena, dans ce diptyque beaucoup plus conventionnel : il ne s’agit pas ici de confronter, mais simplement de juxtaposer les deux images de piété. Le cadre imposant évite toute interaction, et la Madone, tout comme les deux archanges des frontons, fixe le spectateur du regard sans se préoccuper de l’autre compartiment

1366 ca Allegretto Nuzi, Virgin and Child; Man of Sorrows, Diptych, , Phladelphia Museum of Art
Vierge à l’Enfant et Homme de douleurs
Allegretto Nuzi, vers 1366, Phladelphia Museum of Art

Même parti-pris de compartimentation, avec les incrustations identiques dans le fond d’or, auréoles et second cadre. On contemple ici deux images montrant le début et la fin de l’existence du Christ. Et la préfiguration de la Passion se limite, comme d’habitude, au chardonneret dans la main de l’Enfant.



Une excursion en Europe Centrale

Meister von Hohenfurth Diptychon Prag, um 1360 Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle

Meister von Hohenfurth, Prague, vers 1360, Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe

Ce petit diptyque dévotionnel est représentatif de l’art de cour à Prague sous l’empereur Karl IV. Il a pu être conçu indépendamment des diptyques italiens, car la Madone suit ici un type byzantin différent : celui de la Vierge « elagonitissa » (avec l’enfant qui joue).

L’ajout de la couronne de Reine des Cieux côté Marie, et de l’inscription misericordia domini côté Christ, jouent dans le sens de la déconnexion entre les deux images, au moins du point de vue chronologique (Marie n’est pas encore couronnée lorsque Jésus est enfant).

1415-20 Wiener Meister Man of Sorrows; Virgin and Child . Kunstmuseum Basel
Diptyque reliquaire : Homme de douleurs et Vierge à l’Enfant
Maître viennois, 1400-10, Kunstmuseum, Bâle [10]

Plus tardif, ce reliquaire se moque à la fois de la chronologie – le Christ ressuscité est en première position – et de la littéralité : il porte, en contrepoint au manteau bleu de Marie, le manteau rouge qui a été joué aux dés avant la Crucifixion.

Marie obéit à un autre type byzantin, celui de l’Eleousa (vierge de compassion, joue contre joue avec l’Enfant).

Tout semble fait ici pour accentuer la symétrie : couronne d’épines contre couronne dorée, regards croisés, comme si la mère anticipait le futur et la Fils regrettait le passé. Le fait que le Christ soit passé à la place d’honneur a sans doute à voir avec la position héraldique masculine : car, pour les étiquettes des reliques qui ont été déchiffrées, celles autour du Christ étaient celles d’évêques ou de martyrs, et celles autour du Christ de saintes.

C’est sans doute cette fonction de classement des reliques qui a conduit ici à ce diptyque très inhabituel.

Bien que la tendance aujourd’hui soit de l’attribuer à un artiste français travaillant à Vienne (Meister von Heiligenkreuz) , le style avait été rapproché par Robert Suckale [11] de celui d’un retable bohémien, qui porte à son revers la même rare iconographie :

Paehler Altar vers 1400 Bayerische Nationalmuseum reversPähler Altar, vers 1400, Bayerische Nationalmuseum (fermé)

La Madone et l’Homme de Douleurs y sont représentés en pied, ce dernier debout entre la croix et les arma christi, en haut, et le tombeau ouvert en bas.


Paehler Altar vers 1400 Bayerische Nationalmuseum

Saint Jean Babtiste, Crucifixion entre Marie et Saint Jean l’Evangéliste, Saint Barbe
Pähler Altar (ouvert)

L’ouverture des volets fait apparaître Marie au calvaire à la place la Vierge à l’Enfant, et Saint Jean l’Evangéliste à la place du Ressuscité, comme si le revers montrait à la fois le Passé et le Futur de la scène de l’avers.


1410-15 Altarpiece of Roudnice Musee national Prague

Retable de Roudnice
1410-15 , Musée national, Prague [12]

Ce retable est un des rares subsistants d’avant les guerres hussites. Il montre, à l’avers, la Mort de Marie, avec dans le panneau gauche une Vierge de Miséricorde, ainsi nommée parce qu’elle accueille sous son manteau des suppliants : ici ils sont huit, avec le pape et le roi (sans doute Wenceslas IV). Le caractère unique de cette composition est la présence, dans le volet droit, d’un « Christ de miséricorde », qui accueille également huit suppliants, dont un jeune chanoine et un jeune évêque.



1410-15 Altarpiece of Roudnice Musee national Prague ferme
Le verso est tout aussi singulier : il montre à le couple Marie (sans l’Enfant) et l’Homme de douleurs, iconographie qui fera l’objet du prochain article (3 Homme de douleurs, Mater Dolorosa). En dessous, un couple de donateurs anonymes avec leurs huit enfants, quatre filles. et quatre garçons.

En choisissant de dédier le volet gauche (recto-verso) à Marie et le volet droit  au Christ, l’artiste a été obligé d’enfreindre l’ordre héraldique des familles de donateurs (voir 4-5 …en groupe), en plaçant à gauche la mère et les filles, et à droite le père et les garçons.


1430 Doroty (Wroclaw) Vierge Muzeum Narodowe w Warszawie 1430 Doroty (Wroclaw) Christ Muzeum Narodowe w Warszawie

1430, provenant de l’église Sainte Dorothée de Wroclaw, Musée national, Varsovie

Tout comme dans le retable de Roudnice, les deux figures sont conçues comme deux images indépendantes, sans aucune interaction. La présence de l’Enfant impose l’ordre chronologique : la Madone à gauche et l’Homme de douleurs à droite.



Le lait et le sang

Une variante exceptionnelle de la scène est celle où l’Homme de Douleurs est confronté à Marie allaitante

1430 ca Winterfeld Diptych church of Notre Dame in Gdansk, Gdansk Musee National Varsovie avers gaucheVierge allaitante et homme de douleurs, Ecce homo 1430 ca Winterfeld Diptych church of Notre Dame in Gdansk, Gdansk Musee National Varsovie avers droitAscension de Marie Madeleine

Diptyque Winterfeld, 1430-35, provenant de l’église Notre Dame de Gdansk, Musée National, Varsovie [13]

Dans ce diptyque à l’iconographie extraordinaire, la confrontation entre Marie allaitante et son fils adulte  apparaît en haut du panneau mobile, à gauche, au dessus de la scène de l’Ecce homo qui en est le préambule.

La vierge allaite l’Enfant, en face du Christ debout sur sa pierre tombale, qui est en même temps une table d’autel. Sont posés dessus les trois vêtements de la Passion (le manteau rouge de la dérision, le linceul blanc, et la gloire jaune de la Résurrection). Le blason imaginaire, sommé par la main de Dieu, porte les Arma Christi. Des cinq plaies majeures jaillissent cinq jets de sang vers le calice, tandis que d’innombrables gouttes perlent de la couronne d’épines et des marques de la flagellation.


Sainte Lance, Tresor imérial, Hofburg, Vienne

Sainte Lance, Trésor impérial, Hofburg, Vienne

Entre les deux est représentée la relique de la Sainte Lance.

1500 ca diptych-of-the-mother-of-god-milk-giver-and-the-pity-of-christ-Monastery of Pedralbes Barcelone

Vierge allaitant et Christ soutenu par un ange
Maître des Pays-bas méridionaux, vers 1500 , Monastère de Pedralbes, Barcelone

La même association entre le lait et le sans se retrouve, de manière plus discrète, dans ce  diptyque de dévotion, où la main droite du Christ sert de réceptacle au sang du coup de lance.

Pris isolément, chacun des deux panneaux suit des modèles bien connus dans l’art flamand .


Van der Weyden 1450 ca Diptych_of_Jean_de_Gros_Musee des BA de TournaiDiptyque de Jean de Gros (panneau gauche)
Van der Weyden, vers 1450, Musée des Beaux Arts de Tournai
Le Christ de pitie soutenu par un ange pays-bas-meridionaux-Musees rioyaux des Beaux Arts de BelgiqueLe Christ de pitié soutenu par un ange
Pays-bas-méridionaux, Musées royaux des Beaux Arts de Belgique

Pour Rafael Cornudella [14], la Vierge au lait dérive de modèles de Van der Weyden, et le panneau avec le Christ a un jumeau au Musée des beaux Arts de Bruxelles : noter la main droite qui recueille les gouttes de sang, peinte en débordement sur le cadre. L’inscription « Fils de David, aie pitié de moi! » est tirée de Jean 23,18.


1500 ca diptych-of-the-mother-of-god-milk-giver-and-the-pity-of-christ-Monastery of Pedralbes Barcelone

La singularité du diptyque de Barcelone est que les deux panneaux sont de la même main, et que la bande nuageuse en bas montre la volonté d’unifier les deux scènes en une même vision mystique.

Cet appariement inédit conduit à une série de métaphores :

  • entre le lange et le linceul ;
  • entre les bras de Marie et les bras de l’Ange, émissaire du Père ;
  • entre le sein nourricier et le flanc percé ,
  • entre le lait dans la bouche et le sang dans la main.

L’époque est propice à cette combinaison de thèmes.


1475-79 Memling The_Man_of_Sorrows_in_the_Arms_of_the_Virgin Nationa Gallery of Victoria

L’Homme de douleurs dans les bras de la Vierge
Memling, 1475-79, National Gallery of Victoria

Tout se passe comme si le pendant de Barcelone, en introduisant le thème du lait et l’Ange, décomposait en deux images ce que Memling exprime en une seule : l’identification de l’Homme de douleurs à l’Enfant dans les bras de sa mère.

Ce type de composition ne fait en somme que renverser le thème de l' »anticipation de la Passion dans les Vierges à ‘Enfant », en « souvenir de l’Enfance dans les Piétas ».


Article suivant : 3 Homme de douleurs, Mater Dolorosa

Références :
[6] Fr. Maximos Constas, « The Mother of God and the Passion: A Byzantine Icon of the Virgin and the Man of Sorrows » ; Symposium, « Heaven and Earth: Perspectives on Greece’s Byzantium, » J. Paul Getty Museum and the UCLA Center for Medieval and Renaissance Studies, Los Angeles, California, 3 May 2014. https://www.academia.edu/36413824/The_Mother_of_God_and_the_Passion_A_Byzantine_Icon_of_the_Virgin_and_the_Man_of_Sorrows
[7] Byzantium: Faith and Power (1261-1557) Department of Medieval Art and the Cloisters, Metropolitan Museum of Art (New York, N.Y.) p 454 et ss https://www.metmuseum.org/art/metpublications/Byzantium_Faith_and_Power_1261_1557
[8] Hans Belting « An Image and Its Function in the Liturgy: The Man of Sorrows in Byzantium » Dumbarton Oaks Papers Vol. 34/35 (1980/1981), pp. 1-16 https://www.jstor.org/stable/1291445
[11] Robert Suckale, « Das Diptychon in Basel und das Pähler Altarretabel: Ihre Stellung in der Kunstgeschichte Böhmens », in: «Nobile claret opus». Festgabe für Frau Prof. Dr. Ellen Judith Beer zum 60. Geburtstag (Zeitschrift für Schweizerische Archäologie und Kunstgeschichte, 43, 1/1986), S. 103–112 http://docplayer.org/65190485-Das-diptychon-in-basel-und-das-paehler-altarretabel-ihre-stellung-in-der-kunstgeschichte-boehmens.html
[14] Rafael Cornudella, « Díptic de la Verge de la llet i el Crist de Pietat. Anònim dels Països Baixos meridionals, ca.1500 » https://www.academia.edu/43235721/D%C3%ADptic_de_la_Verge_de_la_llet_i_el_Crist_de_Pietat._An%C3%B2nim_dels_Pa%C3%AFsos_Baixos_meridionals_ca.1500

3 Homme de douleurs, Mater Dolorosa

13 juillet 2020

Ce thème joue toujours sur l’opposition entre corps nu et corps habillé, mais minoré par la différence des sexes. Les deux images se réconcilient dans le thème de la souffrance, morale et physique : celle de Marie, « mater dolorosa » contemplant le corps supplicié de son fils, « Homme de douleurs ». Le geste de ses mains ne traduit pas ici la prière de l’intercession, mais les différentes formes de la douleur d’une mère : priant parfois, mais aussi se tordant, acceptant, ou prenant à témoin.

Cette charge empathique a valu au thème pendant plusieurs siècles, aussi bien en Orient qu’en Occident, une popularité constante.



Une invention des polyptyques italiens


1300 ca Triptyque avec l’Homme de Douleur Simon van Gijn Museum, Dordrecht

Triptyque avec l’Homme de Douleurs, vers 1300, Simon van Gijn Museum, Dordrecht

Le plus ancien exemple connu de confrontation entre Marie en pleurs et l’Homme de douleurs est ce petit triptyque de dévotion dominicain : lors de sa fermeture, la Mère « embrasse » le fils, puis le Saint non identifié se rabat par dessus.


1300 ca Triptyque avec l’Homme de Douleur Simon van Gijn Museum, Dordrecht revers

Triptyque avec l’Homme de Douleurs, fermé

Au revers apparaissent un père dominicain bénissant un frère (sans doute le possesseur du triptyque), sous l’égide du Saint Esprit et du Christ en gloire.

Ce premier exemple montre que, à l’origine, la confrontation de la Mère et du Fils est atténuée par la présence d’un tiers. Saint Jean l’Evangéliste est un bon candidat, à cause de la scène où Jésus en croix lui confie Marie :

« Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Jean, 16, 26-27

Mais ce pourrait être également Saint Jean Baptiste, qui apparaît dans le trio byzantin de la Déesis.

Comme le note H. W. van Os [15], ce schéma à trois se popularise dans l’Italie du XIVème siècle :

1315-21 Tomba famiglia Della Gherardesca Camposanto Pise

Tombe de la famille Della Gherardesca, 1315-21 , Camposanto, Pise

Dans ce monument funéraire, la Vierge et Saint Jean l’Evangéliste flanquent le Christ au centre, entourés de part et d’autre par trois autres apôtres. Il n’y a pas d’interaction entre Mère et Fils, sinon graphiquement, par la position inverse des mains croisées : vers le haut pour la vivante, vers le bas pour le mort qui a les yeux clos, mais ne présente aucune plaie.


Master_of_Tressa_The_Saviour_Blessing_and_Stories_of_the_True_Cross_1215_Siena_Pinacoteca.Master of Tressa, Christ bénissant et scènes de la Vraie Croix, 1215 1315 ca San Paolo, la Madonna, San Giovanni Evangelista, San Romualdo Segna di Buoventura Siena_PinacotecaSaint Paul, Mater dolorosa, Saint Jean l Evangeliste, Saint Romuald, vers 1315, Segna di Buonaventura

Provenant du monastère d’Abbadia, Castelnuovo Berardenga, Pinacoteca Nazionale, Sienne

Ces deux retables dont l’un a sans doute remplacé l’autre dans la même église montrent l’évolution du goût et de la piété, à un siècle de distance : en se rapprochant de sa mère (et de Saint Jean), le Christ trônant avec tous les attributs de Dieu le père est devenu un Fils souffrant, membre de la famille humaine. L’hypothèse très vraisemblable que le retable de Segna comportait au centre un Homme de douleurs est due à James H. Stubblebine [16].


1320 Simone_Martini Saint Catherine of Alexandria Polyptych Musee national de San Matteo Pise

Polyptyque de Sainte Catherine d’Alexandrie
Simone Martini, 1320, Musée national de San Matteo, Pise

Simone Martini l’emploie au centre de la prédelle du polyptyque de Pise (réalisé pour l’église dominicaine de Santa Catarina), sous la Vierge à l’enfant : le troisième personnage est ici Saint Marc. Celui-ci était considéré par les Dominicains « comme un saint de leur ordre, parce qu’ils croient que les communautés religieuses où il a mené la vie monastique embrassèrent, au moins après sa mort, la règle de Saint Benoît » [17]


1343-45 Paolo Veneziano Pala feriale Couvercle de la Pala d'Oro Musee de San Marco venise
Pala feriale (Couvercle de la Pala d’Oro)
Paolo Veneziano, 1343-45, Musée de San Marco, Venise

Chez Paolo Veneziano, le troisième place revient à Saint Jean l’Evangéliste (Saint Marc étant décalé juste derrière la Vierge).


1343-45 Paolo Veneziano Pala feriale Couvercle de la Pala d'Oro Musee de San Marco venise

Polyptique
Ferre Bassa, 1345-50, Catalogne, Morgan Library

Presque simultanément la formule apparaît en Espagne, dans les frontons de ce polyptyque à quatre panneau où la croix avec les instruments de la Passion vient compléter le même trio.


1400 ca Catalogne Triptyque Musee national Prague
Anonyme catalan, vers 1400, Musée national, Prague

Autre manière de répartir notre trio sur un petit triptyque tabernacle. La croix a été remplace par le tombeau.


Et pendant ce temps, en Orient

La rareté des exemples rend difficile de déterminer s’il y eu influence, ou invention simultanée : en tout cas les figurations de la Vierge sans enfant appariée avec l’Homme de douleurs apparaissent en Orient à peu près à la même époque.


1380-1400 Monastery of the Transfiguration Meteora

Vierge de douleurs et Homme de douleurs
1380-1400, Monastère de la Transfiguration, Météores

Le plus ancien diptyque conservé entier est celui-ci. Une inscription postérieure, au revers, indique qu’il devait être utilisé lors de l’office du Samedi Saint. Les diptyques de ce type ont dû être assez nombreux, on les plaçait sur la poitrine des morts [18] .


 

1250 ca Vierge de douleurs icone Galerie Tretyakov Moscou

Vierge de douleurs, vers 1250, Galerie Tretyakov Moscou

Un siècle plus tôt, cette Vierge de douleurs constituait probablement le panneau gauche d’un tel diptyque : ses deux mains embrassent le vide au lieu du corps de l’Enfant.



1275-1300 Crucifixion Icon gallery Ohrid Macedoine

Crucifixion
1275-1300 , Icon gallery Ohrid Macedoine

Ce geste apparaît à la même époque dans cette Crucifixion.


 

1300-50 Virgin_in_Lament,_Macedonian_workshop Benaki_Museum,_AthensVierge de douleurs
1300-50, atelier macédonien; Musée Benaki, Athènes.

Cet autre type de Vierge de douleurs, la main gauche sous la joue, constituait probablement aussi le panneau gauche d’un diptyque.


1376-77 Sv._Dimitrij_Markov_Manastir

Vierge de douleurs et Homme de douleurs
1376-77, Eglise Dimitrij, Monastère de Markov, Macédoine

On la retrouve à gauche de l’arc triomphal, en face de l’Homme de douleurs qui occupe ici une place très inhabituelle : il se trouve habituellement dans l’abside Nord (prothesis) des églises en croix [19] : la procession du pain et du vin depuis cette abside jusqu’à l’autel principal symbolisait en effet le transport du corps du Christ du Golgotha au tombeau.


1271 diakonikon Annuncation church Gradac monastery JPGHomme de douleurs (diakonikon)
 Vierge de douleurs (prothesis, fresque détruite )

1271, Eglise de l’Annonciation, monastère de Gradac, Serbie

Exceptionnellement, à Gradac, l’Homme de douleurs se trouvait à l’abside Sud (diakonikon), couplé avec la Vierge de douleurs dans l’abside opposée.


En Pologne, première moitié du XVème siècle

La Pologne de la première moitié du XVème siècle affectionne la rencontre de Marie avec l’Homme de douleurs, toujours en pied : soit dans un même panneau, soit au verso des volets de triptyques.


1390 ca Grudziądz_Polyptych-ensemble

Polyptyque de Grudziądz
vers 1390, Musée national, Varsovie [20]

Ce polyptyque à effets spéciaux ornait la chapelle du château de Grudziądz, appartenant aux chevaliers teutoniques.



1390 ca Grudziądz_Polyptych_ etat 1
Lorsque pour les grandes fêtes il était totalement ouvert, on s’émerveillait devant quatre scènes de l’Enfance du Christ, autour de deux grands panneaux représentant le Couronnement de Marie au dessus de sa Dormition.



1390 ca Grudziądz_Polyptych_ etat 2
Un niveau intermédiaire d’ouverture montrait, en huit épisodes, la Passion du Christ, du Jardin des Oliviers à la Résurrection.



1390 ca Grudziądz_Polyptych_ etat 3
Enfin, le retable fermé affichait deux scènes postérieures à la Résurrection :

  • à gauche Marie en prières devant l’Homme de douleurs montrant sa plaie au flanc, au dessus de la Résurrection des morts ;
  • à droite Marie et Jean Baptiste intercédant au dessous du Christ du Jugement dernier.



1390 ca Grudziądz_Polyptych_ etat 3 schema
Très astucieusement, cette composition scinde en trois panneaux la structure habituelle du Jugement dernier, pour le mettre en balance avec la scène des Douleurs. Ainsi voyons-nous se transformer

  • celles de Marie en compassion pour les pécheurs ;
  • celles du Christ en salut pour les morts.


1443 Wrocław_Christ_as_Man_of_Sorrows National Museum Warsaw

Marie et l’Homme de douleurs
1443, provenant de Wroclaw, Musée national, Varsovie

La panoplie complète des instruments de la Passion entoure Marie et le Christ debout sur la table d’autel. Ici Marie ne se contente pas de prier, mais s’avance jusqu’à toucher son fils, pour l’essuyer avec son voile.

Cette scène tragique trouve certainement sa source dans les malheurs du temps, comme le précise le texte :

En 1428 la ville et l’église furent détruites et incendiées par les hérétiques au Christ, les Hussites jaloux. C’est en 1443 seulement que ce tableau a été acquis par le vicaire Kaecherdorff.

Anno domini M°CCCC°XXVIII praesens civitas et ecclesia devastata et combusta est per emulos ihesu cristi hereticos hussitas, demum praesens tabula comparata est Anno domini M°CCCC°XLIII per n. Kaecherdorff altaristam

La communion sous les deux espèces, une des revendications des Hussites, leur fut finalement accordée lors du concile de Bâle, terminé en 1441. L’hostie et le calice, en bonne place entre le mère et le fils, ont donc probablement ici valeur de réconciliation.


1450 ca Triptyque provenant de hel Musee national Varsovie

Vers 1450, revers d’un triptyque provenant de Hel, Musée national, Varsovie

Sur les treize revers de diptyque de ce type listés dans le catalogue du Musée National [21], deux seulement inversent la position de Marie et du Christ : l’absence de l’Enfant supprime la contrainte chronologique, mais il reste néanmoins logique de laisser à Marie la place d’honneur, à la droite de son fils. On évite également toute analogie malvenue avec les pendants conjugaux, où le mari est toujours dans le panneau de gauche (voir Pendants solo : mari – épouse).


En Allemagne, au XVIème siècle

Comme en Pologne, le thème se propage essentiellement, en version debout, sur le verso des volets de retable.


1504 meister-der-stalburg-bildnisse-fluegel-des-retabels-aus-der- Hauskapelle der Stalburg in Frankfurt ,staedel museum
Mater dolorosa et Homme de douleurs
Retable de la Chapelle Stalburg, revers
Meister der Stalburg Bildnisse, 1504, Staedel museum, Francfort

La position traditionnelle, avec la Verge à gauche, a d’autant plus de sens ici que l’ouverture du retable produisait un effet d’inversion entre le couple divin…


1504 meister-der-stalburg-bildnisse- Claus Stalburg et epouse Margarethe vom Rhein

Claus Stalburg et son épouse Margarethe vom Rhein
Retable de la Chapelle Stalburg, avers

…et le couple des donateurs, qui encadraient une Crucifixion (brûlée en 1813).

1510-20 Cranach Cranach L'ancien Adam Kunsthistorishes Museum Wien 1510-20 Cranach L'ancien Eve Kunsthistorishes Museum Wien

Adam et Eve
Cranach l’ancien, 1510-20, Kunsthistorishes Museum, Vienne

Cranach renverse la proposition : il place à l’extérieur d’un retable le couple humain : Adam et Eve de part et d’autre de l’Arbre du péché originel.


L.Cranach d.Ä., Schmerzensmann - Man of Sorrows / Cranach th.E./c.1510/20 - L.Cranach, Maria als Schmerzensmutter - Mary as Mater Dolorosa / Cranach /c.1510 -

Homme de douleurs et Mater dolorosa

Du coup, à l’intérieur du retable, il inverse la position habituelle du couple divin pour montrer que le Christ est le nouvel Adam et Marie, couverte de pied en cap comme une ménagère allemande, la Nouvelle Eve. Les deux couples, autour de l’arbre et autour du panneau central manquant (qui logiquement, pour faire écho à l’Arbre, devait être une Crucifixion) partagent le même sol caillouteux.


1540 ca Lucas_Cranach_der_AltereAschaffenburg_031_Schloss_Johannisburg,_Staatsgalerie Homme de douleurs 1540 ca Lucas_Cranach_der_AltereAschaffenburg_031_Schloss_Johannisburg,_Staatsgalerie Marie

Homme de douleurs et Mater dolorosa (revers du retable de la Crucifixion)
Cranach l’ancien, vers 1540, Schloss Johannisburg, Staatsgalerie Aschaffenburg

C’est toujours cette position que conservera Cranach pour le verso des volets de ce retable…


1540 ca Lucas_Cranach_der_AltereAschaffenburg_031_Schloss_Johannisburg,_Staatsgalerie,__-_Kreuzigungsaltarche

Retable de la Crucifixion

… dont le recto montre six scènes de la Passion.


sb-line

La « Femme de douleurs »

Dans cette iconographie, la douleur de Marie est visualisée par une épée qui lui perce la poitrine.

 

1480 ca Man of Sorrows Lautenbach Master Strasbourg Cloisters MET 1480 ca Mater dolorosa Lautenbach Master Strasbourg Cloisters MET

Vitraux provenant de Strasbourg
Lautenbach Master, vers 1480, Cloisters, MET

On sent dans ces vitraux très décoratifs la  volonté de rendre équivalentes les deux figures, en les insérant dans un même réseau végétal :

  • les branches à feuilles d’acanthe en grisaille, totalement identiques.
  • le brocard bleu et noir du fond, légèrement différent entre les deux panneaux ;

Malgré cette unification graphique, les deux figures restent indépendantes : Le Christ montre ses plaies au spectateur et la Vierge prie les yeux baissés.


1490-1500 köln schnütgen museum 1490-1500 christ koln schnutgen museum

1490-1500, Schnütgen museum, Cologne

A l’inverse les deux figures sont ici disjointes graphiquement : la Vierge dans son oratoire et le Christ devant la croix et la colonne de la flagellation. Mais elles sont unifiées par le regard baissé, et l’ajout du symbole de la Douleur de Marie : l’épée qui lui perce le coeur comme la lance perce le flanc.


1512 Wolf Traut Homme de douluers et Marie poeme de Sebastien BrandtWolf Traut, 1512, poème de Sebastien Brandt 1515-16 d'apres hans baldung grien Chartreuse de Freiburg Badisches LandesMuseum KarlsruheVitrail dessiné par Hans Baldung Grien, 1515-16, provenant de la Chartreuse de Freiburg, Badisches LandesMuseum Karlsruhe

Homme de douleurs et Femme de douleurs

Après la gravure de Traut, la position « héraldique » semble désormais préférée en Allemagne pour le couple Homme de douleurs/ Femme de Douleurs.


1525-30 Lucas Cranach der Altere atelier Kulturhistorisches Museum Magdeburg au dos d'un St SebastienHomme de douleurs (au revers d’un Saint Sébastien) 1525-30 Lucas Cranach der Altere atelier Marie Kulturhistorisches Museum Magdeburg au dos d'un St PaulMater dolorosa (au revers d’un Saint Paul)

Atelier de Cranach l’ancien, 1525-30, Kulturhistorisches Museum Magdeburg

C’est le cas à l’extérieur de ce retable, dont l’avers (Saint Sébastien et Saint Paul) ne crée pas de contrainte de placement. Le panneau central est perdu.


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Le diptyque de Holbein

1521 hans-holbein diptych-with-christ-and-the-mater-dolorosa Kunstmuseum, Offentliche Kunstsammlung, Basel

Homme de douleurs et Mater Dolorosa,
Hans Holbein, 1521, Kunstmuseum, Offentliche Kunstsammlung, Bâle

Ces petits panneaux (29 x 19.5 cm chacun) datant de la jeunesse de Holbein semblent une démonstration de perspective en contre-plongée.



1521 hans-holbein diptych-with-christ-and-the-mater-dolorosa Kunstmuseum, Offentliche Kunstsammlung, Basel perspective

En fait, la perspective n’est ni unifiée entre les deux panneaux, ni totalement exacte (lignes rouges). L‘éclairage en revanche est très subtil, la source de lumière étant doublement en hors champ : en avant et entre les deux panneaux. Autant elle est intense côté Christ, laissant sur son corps des traces grillagées ; autant elle est douce côté Marie : deux modalités de la Volonté divine.


1519 Holbein Kupferstichkabinet Berlin

Holbein, 1519, Kupferstichkabinet, Berlin

Holbein avait expérimenté cet éclairage deux ans plus tôt, pour ce Christ à un moment chronologiquement  impossible : il est coiffé de la couronne d’épines, donc après la flagellation ; mais il n’en porte aucune marque, plus méditatif que souffrant.


Durer 1514 Melancolie detail

Mélancolie (détail)
Dürer, 1514

Il s’agit clairement d’un détournement (ou dévoilement) de la célèbre gravure de Dürer, dont un des thèmes est la Passion du Christ (voir 9.2 L’Imagerie de la Passion) : jusqu’à l’éclairage tombant de la droite et à la date 1519 en haut à droite, tagguée en grand au lieu d’être dissimulée dans le carré magique.



1521 hans-holbein diptych-with-christ-and-the-mater-dolorosa Kunstmuseum, Offentliche Kunstsammlung, Basel schema
De la même manière que le Christ mélancolique du dessin est assis au centre de la Croix, celui du diptyque est assis sur son immense manteau rouge, qui couvre comme une traîne l’escalier et met d’autant plus en évidence la chair offerte aux regards. En face, Marie est engoncée dans des tissus surabondants.

Cette rencontre entre un Homme sans douleurs, avant la Crucifixion, et une Marie qui se retourne vers lui comme la Vierge vers l’Ange juste avant l’Incarnation, a lieu à un moment indéfini, et dans un lieu purement symbolique.

Un contrepoint architectural s’établit entre :

  • côté Christ, le pilastre carré et le portique en losange dont les poutres vues par en dessous préfigurent la Crucifixion imminente ;
  • côté Marie, la colonne et le portique circulaire, dans un leu qui, avec son lit et son coussin prie-Dieu. a tout de la chambre de l’Annonciation,

Entre les deux, la salle voûtée, ouverte à la fois vers l’au delà du mur de brique et vers le ciel au travers de l’oculus, sert de tabernacle de présence divine.

Ambitieuse et intellectuelle, cette scénographie fait du théâtre d’avant-garde avec de l’imagerie pieuse.


sb-line

1700 ca austrian-school ecce-homo-(+-maria-und-johannes-beim-kreuz

Le Christ avec Caïphe, la Vierge avec Saint Jean
Autriche, vers 1700, pastel (19.5 x 15.5 cm) collection privée

Bien plus tard, ce pastel tout aussi expérimental exploitera lui-aussi le manque entre les deux images pour évoquer, non la présence divine, mais la Croix, dont la poutre inclinée fait écho au roseau.


En Italie, après 1450


En Italie, l’Homme de douleurs continue sa carrière en haut des polyptyques :

  • soit au centre d’un trio de type déesis (ici avec Saint Jean l’Evangéliste) :

Andrea Mantegna, Polittico di san Luca, 1453-1455Milan, Pinacoteca di Brera

Polyptyque de Saint Luc
Andrea Mantegna, 1453-1455, Pinacoteca di Brera, Milan

  • soit comme figure sommitale :
Jacopo,_gentile_e_giovanni_bellini,_polittico_della_madonna,_da_s.m._della_carita,_1464-70_ca. AccademiaPolyptyque de la Madone, provenant de Santa Maria dell Càrita
Jacopo Gentile et Giovanni Bellini, 1464-70, Accademia, Venise
Vittore Crivelli 1489 Monte san MartinoVittore Crivelli 1489, Monte san Martino


L’influence de Memling

1485 Hans_memling,_cristo_benedicente,_Palazzo Bianco genovaChrist bénissant, Palazzo Bianco, Gênes 1485 Hans_memling,_mater dolorosa coll privVierge en oraison, collection privée

Hans Memling, 1485

Ce diptyque réalisé par Memling pour un client de Florence  y aura une certaine influence, puisque Guirlandaio recopiera le Christ à l’identique (on ne sait pas s’il a aussi copié la Vierge). Avec sa main qui ébauche une bénédiction, ce Christ tend vers l’unification des deux types : Homme de Douleurs et Salvator Mundi.


Le diptyque perdu de Botticelli

 

1495-1500 Botticelli atelier Redempteur Accademia Carrara Bergamo

Homme de douleurs

Mater dolorosa (achetée par Marie, Grande Duchesse of Russie, et disparue depuis 1912)

 Atelier de Botticelli, 1495-1500, Accademia Carrara, Bergame

L’unification avance encore d’un cran dans cette image où la couronne d’épines se double d’une auréole fulgurante, où toutes les plaies rayonnent et où l’ostension de celle de la main droite coïncide explicitement avec une bénédiction.


1495-1505 Botticellli Homme de douleurs coll priv 1495-1505 Botticellli Homme de douleurs coll priv schema

Homme de douleurs
Botticellli, 1495-1505, collection privée

Autre type mixte inventé par Botticelli : ce Christ aux liens qui est aussi un Ressuscité, avec une extraordinaire auréole octogonale faite d’anges portant les instruments de la Passion.

Le diptyque perdu de Solario

1507-09 Mailly Simon de detto Simon de Chalons Dolorosa galleria Borghese copie solario 1507-09 Mailly Simon de detto Simon de Chalons Ecce Homo galleria Borghese copie solario

Mater dolorosa et Ecce Homo
Copie de Solario par Simon de Mailly (dit Simon de Châlons), 1507-09, Galleria Borghese, Rome

Il s’agit ici d’une imitation des modèles flamands que nous verrons dans l’article suivant : mère et fils communient par les larmes et l’empilement de tissus côté d’un côté rend d’autant plus frappante de l’autre l’exhibition de la chair torturée.


1520-30 Bernardino_luini,_dittico_con_mater_dolorosa_e_andata_al_calvario,__Museo Poldi Pezzoli Milan

Mater dolorosa et Portement de Croix
Bernardino Luini, 1520-30, Museo Poldi Pezzoli, Milan

Luini  normalise la formule par rapport aux textes : si Marie n’a pas assisté à la scène de l’Ecce homo, elle était bien présente lors du Portement de Croix.


En Espagne, au XVIème siècle

Titien 1547 Ecce homo sur ardoise Prado 69x56 cmEcce homo, 1547, sur ardoise Titien 1553 Mater Dolorosa sur bois Prado 68 x 61 cmMater Dolorosa, 1553, sur bois

Titien, Prado

Titien a peint pour l’Empereur Charles Quint deux versions successives de ce pendant (voir Les pendants de Titien)


Anonyme Ecce homo Mater dolorosa Prado

Ecce homo et Mater Dolorosa, Anonymes, vers 1556, Prado

Quelques années plus tard, pour le nouvel empereur Philippe II, il a peint une autre version, disparue, dont ces deux tableaux seraient une copie.


1550-1600 flemish-school-la-dolorosa-y-el-ecce-homo-(diptych coll priv
Mater Dolorosa, et Ecce homo
Ecole flamande, 1550-1600, collection priée

Ce diptyque en est une autre copie, inversée.


1560 - 1570 Luis de Morales The Virgin Dolorosa Prado 1560 - 1570 Luis de Morales Ecce Homo Prado

Mater Dolorosa, et Ecce homo
Luis de Morales, 1560 – 1570, Prado

Le grand spécialiste espagnol des Ecce Homo est Luis de Morales, qui les produit en série. Pour le pendant, il invente cette formule où le Christ tourne le dos à sa mère.


1550-1575 Ecce Homo y Dolorosa Luis de Morales Museo de Malaga1550-1575 Ecce Homo y Dolorosa Luis de Morales Museo de Malaga
Mater Dolorosa, et Ecce homo 
Luis de Morales, 1550-1575, Museo de Malaga

Elle existe également en version mono.


1660 -70 Murillo Ecce Homo Prado 1660 -70 Murillo Mater Dolorosa Prado

Ecce homo et Mater Dolorosa
Murillo, 1660 -70 , Prado

Un siècle après, Murillo retrouvera le caractère dramatique du cadrage serré des premiers diptyques flamands.



Références :
[15] H. W. van Os « The Discovery of an Early Man of Sorrows on a Dominican Triptych » Journal of the Warburg and Courtauld Institutes Vol. 41 (1978), pp. 65-75 https://www.jstor.org/stable/750863
[16] Pour certains auteurs l’origine serait occidentale : voir par exemple James H. Stubblebine « Segna di Buonaventura and the Image of the Man of Sorrows » Gesta Vol. 8, No. 2 (1969), pp. 3-13 https://www.jstor.org/stable/3837930
[17] Adrien Baillet, « Les Vies des Saints, … , avec l’histoire de leur culte, selon qu’il est établi dans l’Eglise Catholique, et l’histoire des autres festes de l’année », Volume 1, 1724, p 325 https://books.google.fr/books?id=KpxJAAAAcAAJ&pg=RA5-PA325&lpg=RA5-PA325
[18] Teodora Burnand « The complexity of the Iconography of the Bilateral Icon with the Virgin Hodegetria and the Man of Sorrows, Kastoria » dans Wonderful Things: Byzantium through its Art: Papers from the 42nd Spring Symposium of Byzantine Studies, London, 20-22 March 2009, chapitre 9 https://books.google.fr/books?id=1QGoDQAAQBAJ&pg=PT196&lpg=PT196&dq=Kastoria+paramythia+double+sided+icon&source=bl&ots=zrIJtkNuQN&sig=ACfU3U1qrM2jvNFdKvuzJvyzHoVa27Z2w&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiH37_C3JLqAhW2DWMBHb22CFIQ6AEwC3oECAgQAQ#v=onepage&q=Kastoria%20paramythia%20double%20sided%20icon&f=false
[19] Tomić-Đurić Marka « The man of sorrows and the lamenting virgin: The example at Markov Manastir » , Zbornik radova Vizantoloskog instituta, 2012(49):303-331 https://www.researchgate.net/publication/270379087_The_man_of_sorrows_and_the_lamenting_virgin_The_example_at_Markov_Manastir
[21] Rocznik Muzeum Narodowego w Warszawie — 15,1.1971 https://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/roczmuzwarsz1971a/0011/thumbs

4 Aux Pays-Bas, après 1450

13 juillet 2020

La formule explose aux Pays-Bas à partir de 1560 en se moulant dans la spécialité locale : les diptyques dévotionnels, qui positionnent à gauche la figure sacrée et à droite le donateur en prières (voir 6-7 …dans les Pays du Nord).

On pourrait donc s’attendre à ce que l’Homme de douleurs figure dans le panneau de gauche, et que Marie en situation d’intercession se substitue au donateur dans celui de droite. Mais cette convention des diptyques de dévotion est contrariée par une autre habitude visuelle : celle de Marie non pas en prières, mais exprimant son affliction au pied de la Croix : elle est dans ce cas toujours en position d’honneur par rapport à son fils, c’est à dire dans le panneau de gauche.

Avec leur cadrage étroit rendant la scène indécidable, les  diptyques flamands vont nécessairement osciller entre ces deux conceptions.



Le diptyque atypique de Van der Weyden

Rogier van der Weyden, 1450 ca Crucifixion Diptych Philadelphia Museum of Art

Diptyque de la Crucifixion
Rogier van der Weyden, vers 1450,Philadelphia Museum of Art

Contrairement à la convention universelle des Crucifixions à trois personnages – Marie en position d’honneur et Saint Jean de l’autre côté, les deux se trouvent ici sur la gauche, Saint Jean soutenant la Vierge : dispositif qui existait déjà, mais uniquement dans les scènes du Calvaire avec un nombre important de personnages.

La composition est si atypique que plusieurs historiens d’art y voient le fragment d’un ensemble plus large, triptyque ou quadriptyque [22].


L’hypothèse de Mark Tucker (2012) est qu’il s’agirait de deux des quatre volets extérieurs d’un très large retable sculpté.

La composition partage pourtant un point essentiel avec les diptyques de dévotion dont Van der Weyden est, sinon l’inventeur, du moins le grand initiateur dans les Flandres : le panneau principal est vu de face tandis que le panneau secondaire présente quelque chose qui penche, et qui ramène l’oeil vers la panneau principal : ici i s’agit tout simplement de la pente de la pelouse, le bout de la robe de Marie servant de motif de jonction.

Le tremblement de terre qui a marqué la mort de Jésus a fait ressortir du sol le crâne d’Adam, et créé dans le sol une fissure qui, dans le monde terrestre, sépare la mère de son fils. Dans le monde sacré représenté par le mur et les draps d’honneur pliés en vingt quatre rectangles égaux, mère et fils sont en revanche unis dans un culte identique.

Cette Crucifixion décentrée et austère, sans doute peinte pour un couvent de Chartreux (le mur symbolisant la clôture) n’a eu aucune postérité.



L’invention de la formule flamande

1460 ca Simon_Marmion _Virgin_and_the_Man_of_Sorrow_-_WGA14125 Musee des BA Strabourg

Vierge et homme de douleurs
Simon Marmion, vers 1460, Musée des Beaux Arts, Strasbourg

Le plus ancien exemple suit la logique de la Crucifixion : les mains de Marie sont croisées sur sa poitrine en signe d’acceptation douloureuse.

Absente dans les premières figurations de l’Homme de douleurs (encore imprégnées de la sérénité byzantine), la couronne d’épines, seul attribut de ces images austères, prend d’autant plus d’importance, en contraste avec la douceur immaculée du voile blanc.

Les vêtements couvrants de Marie font d’autant plus ressortir le scandale de la chair plus que nue : déshabillée et ouverte.

Triptych of Pope Clemens VII, Brusselsworkshop, c. 1500, Museo Diocesano, Cagliari
Triptyque du Pape Clément VII, atelier bruxellois, vers 1500, Museo Diocesano, Cagliari

Les deux saintes figures ont été ici, bien plus tard, fusionnées en un seul panneau. Selon toute probabilité [22a], Giulio de Medici a acquis ce panneau lors d’un voyage à Bruxelles en 1494, et lui a fait rajouter les deux panneaux latéraux :

  • à gauche, côté Marie, un thème exaltant la maternité (Saint Anne, sa fille Marie et son petit-fil Jésus) ;
  • à droite, derrière le Christ, une allusion à la Résurrection (Sainte Marguerite sauvée du Dragon).

Il a ramené ensuite le triptyque à Rome, où il est devenu pape en 1521, sous le nome de Clément VII.


1470 ca Master of the Dinkelsbühler Kalvarienberges, Christ as Man of Sorrows and Virgin Stiftsmuseum, Aschaffenburg

Homme de douleurs et mater dolorosa 
Master of the Dinkelsbühler Kalvarienberges, vers 1470, Stiftsmuseum, Aschaffenburg

Nous sommes ici dans la seconde logique : celle de la dévote à droite. Comme dans presque tous les diptyques dévotionnels flamands, elle ne fixe pas la figure sacrée, puisqu’il s’agit avant tout d’une vision intérieure suscitée par la prière. Ici, son très jeune âge fait qu’elle pourrait toute aussi bien bien être une donatrice – et peut-être s’agit-il effectivement d’un portrait en guise de mater dolorosa.

Le cadrage un peu moins serré permet de mettre en place d’autres contrastes :

  • entre les mains qui appuient sur la plaie comme pour la faire saigner encore plus, et les doigts fins qui se touchent à peine ;
  • entre le rouge et le noir (noter le filet de sang qui trace comme un second collier).



La formule Bouts

1470-75 Dirk Bouts atelier Marie National Gallery 1470-75 Dirk Bouts atelier Christ National Gallery.jpg

Mater dolorosa et homme de douleurs
Atelier de Dirk Bouts l ‘Ancien 1470-75 National Gallery, Londres [23]

Le diptyque original a disparu, mais on en connaît de nombreuses copies d’atelier : c’est le premier grand succès de cette formule qui va devenir une spécialité de la famille Bouts.

Un détail significatif est la supression de la marque des clous sur les mains. Elle transforme l’icône théorique et intemporelle de la Douleur en une image temporellement plausible du Christ tel qu’il aurait pu apparaître lors de la scène de l’Ecce Homo, au moment où il est moqué et exhibé comme le roi des Juifs, revêtu d’un manteau rouge et coiffé de la couronne d’épines,  juste après la Flagellation. 


Le cadrage serré

Le cadrage serré autorise donc une ambiguité sur le statut du diptyque : juxtaposition de deux icônes selon la formule traditionnelle, ET éclatement en deux gros-plans d’une rencontre entre la Mère et le Fils au moment de l’Ecce Homo (même si les Evangiles n’en parlent pas).


van eyck (copie) salvator mundi Gemaldegalerie BerlinSalvator Mundi, copie d’après un original perdu de Van Eyck, Gemäldegalerie, Berlin 1445 ca Sainte Face Petrus Christus METSainte Face, Petrus Christus, vers 1445, MET

Le cadrage serré permet aussi de rapprocher le panneau du Christ des images de la Sainte face, en version avec ou sans  couronne d’épines, qui se développent depuis une trentaine d’années. Mais elle tranche par l’absence de toute idéalisation et le réalisme de l’expression de la douleur.


1511-17 Bouts atelier MET
Atelier Bouts, 1511-17, MET

Cette copie date, d’après la dendrochronologie, de l’époque des fils Bouts, Dirk le jeune et Albrecht. Elle a le mérite, grâce à la dissymétrie du fond d’or, de fixer l’ordre d’accrochage, conforme à la convention des Crucifixions (Marie à la droite du Christ) . Cependant les mains non encore percées montrent que nous sommes ici au moment de l’Ecce Homo. 

La composition marque un triple détachement – presque une désinvolture par rapport :

  • à la position standard du dévot dans les diptyques dévotionnels ;
  • à l’exactitude narrative,
  • à la vieille image de l’Homme de Douleurs, qui a habituellement les yeux clos, dans un état de suspens entre vie et mort.

Ces libertés marquent l’autonomisation du diptyque Christ-Marie, qui privilégie l’expressivité du contraste bleu et rouge, et la contagion des pleurs partagés : cette recherche de l’empathie entre le spectateur et les figures sacrées est typique du mouvement spirituel de la « devotio moderna », qui irrigue tout le XVème siècle hollandais.



1511-17 Bouts atelier MET detail
Le gros plan, désactivant l’accoutumance, nous restitue à neuf la crudité extrême de l’image :  yeux sanguinolents, traînées de sang qui commencent à peine à couler et dont l’une, à droite, se mêle avec une larme


1511-17 Bouts atelier MET detail macro

….épines aiguës qui se voient en transparence sous la peau.


1470-75 Bouts_Ecce_Homo_Mater_Dolorosa Collections of the Czartoryski Princes in Gołuchow ( Poznan), lost 1941

Homme de douleurs et Mater dolorosa
Atrelier de Dirk Bouts, 1470-75, Collections des princes Czartoryski à Gołuchow ( Poznan), disparu en 1941

Il est intéressant de constater que l’accrochage inverse a pu être préféré, disjoignant visuellement les deux scènes : celle de l’Ecce Homo précède alors, conformément à la chronologie; celle où Marie pleure aux pieds d’une Croix en hors champ.

Aucune des versions connues ne nous est parvenue sous forme de diptyque à charnières : les deux visages était probablement destinés à être accrochées en pendant. L’intérêt de cette version est qu’elle possédait un encadrement unifié, probablement d’époque.

Les inscriptions des cadres sont extraits du Stabat Mater, une prière du XIIIème siècle qui commémore explicitement la douleur de Marie lors de la Curicifixion, comme le montre le début :

« La Mère de douleurs baignée de larmes était près de la croix sur laquelle son Fils était attaché. »

Les inscriptions des cadres sont dans l’ordre de la prière :

Quel est l’homme qui ne pleurerait de voir Jésus Christ <la Mère du Christ dans la prière originale> en un tel supplice ?

Qui peut ne pas s’affliger en contemplant cette Mère si tendre souffrir avec son Fils ?

QUIS EST HOMO,QUI NON FLERET IESUM CRISTUM SI VIDERET IN TANTO SUPPLICIO

QUIS POSSET NON CONTRISTARI, PIAM MATREM CONTEMPLARI, DOLENTEM CUM FILIO,

 Le dévot qui a commandé cet encadrement et détourné ingénieusement le « Stabat mater » en un « Stabat filius et mater » voulait donc bien distinguer la souffrance physique du Christ lors du Couronnement d’épines (supplicio) et la souffrance morale de Marie au pied de la croix, qui prolonge invisiblement le diptyque sur la droite.


1495 ca Albrecht_Bouts, Man of Sorrows Harvard Art_Museum 1495 ca Albrecht_Bouts, Mater_Dolorosa Harvard Art_Museum

Homme de douleurs et Mater dolorosa
Albrecht Bouts, vers 1495, Harvard Art Museum

Le fils de Dirk inverse le profil de la Vierge, qui perd ainsi toute relation avec la Crucifixion et reprend la place habituelle du dévot dans les diptyques dévotionnels.

Il pousse encore plus loin l’expressivité : gouttes de sang sur le torse du Christ, cernes, joues creusées, plaies des mains qui crèvent les yeux : on appelle « Salvator coronatus » ce type de figure, qui magnifie l’Homme de douleurs en lui donnant tous les attributs de l’Ecce homo, plus les plaies.

Le cou découvert de Marie (sa guimpe remplacée par un simple voile) et son âge plus accusé rapprochent ses traits de ceux de son fils.


1500-15 ca France du Nord ou Pays Bas meridionaux coll priv
Vers 1500-15, France du Nord ou Pays Bas meridionaux, collection privée

Ce petit diptyque anonyme illustre toutes les possibilités combinatoires offertes par la formule Bouts : ici c’est le Christ qui fait le geste de prière, et la Vierge d’ostension des mains.


1480 ca southwest_german_school ecce_homo_and_mater_dolorosa coll priv

Allemagne du Sud-Ouest, vers 1480

Ici, retour à l’Ecce Homo : le Christ a les mains liées (sans plaies des clous).


1500-1515 ALBRECHT BOUTS, ECCE HOMO MATER DOLOROSA, VERS , HUILE SUR BOIS, SUERMONDT-LUDWIG-MUSEUM, AACHEN

Albrecht Bouts, vers 1500-15, Musée Suermondt-Ludwig, Aachen

Dans cette production tardive de l’atelier Bouts, l’Ecce Homo tient en main un roseau, sceptre dérisoire. Les volets latéraux portent des vers latins du pape Pie II, et au revers se trouve une Annonciation. Les études récentes ([4], p 40) ont montré que l’assemblage en triptyque date du début du XIXème siècle, et que même les deux portraits n’ont pas été réalisés à la même date ni par la même main. Toute la souplesse de la formule Bouts tient de l’autonomie des deux visages : la production des Christs seuls, en version Ecce Homo ou Crucifié, pouvait être faite à l’avance, et assemblée à la demande pour les clients souhaitant la paire.


1520 ca Niedesachsisches Museum Hannover

Anonyme brugeois, vers 1520, Niedersächsisches Museum, Hanovre

La variante avec le roseau est  reprise dans ce diptyque anonyme : le fond doré de l’atelier Bouts est remplacé par des halos rayonnants.



Autres formules à demi-figures

1473 ca Book of Hours France, Bourges, Morgan Library MS M.677 fol. 37vfol. 37v 1473 ca Book of Hours France, Bourges Morgan Library MS M.677 fol. 38rfol 38

Livre d’Heures, France, Bourges
vers 1473, Morgan Library MS M.677

La mode du double portrait Christ-Marie n’a guère influencé la production très stéréotypée des Livres d’Heures : on connaît ce seul exemple de bifolium, qui a trouvé à se caser pour illustrer le Stabat mater.


Des gestes novateurs (SCOOP !)

1485 Hans_memling,_cristo_benedicente,_Palazzo Bianco genovaChrist bénissant, Palazzo Bianco, Gênes 1485 Hans_memling,_mater dolorosa coll privVierge en oraison, collection privée

Hans Memling, 1485

Memling a expérimenté une variante ingénieuse, dans laquelle le sang est minimisé et le geste de la main droite montrant sa plaie confine à une bénédiction : l’image de l’Homme de Douleurs tend ainsi vers celle du Salvator Mundi.


1485 Hans_memling,_mater dolorosa coll priv detail 1485 Hans_memling, copie mater dolorosa Offices detailCopie des Offices

Le geste très sophistiqué des doigts de la Vierge qui s’imbriquent est lui aussi une invention subtile et méconnue : il n’a été repris dans aucune des autres copies d’époque, notamment celle des Offices [24]. Il s’agit également ici d’un geste intermédiaire : entre prier et se tordre les mains de douleur.


sb-line

1505-15 Colijn de Coter Man od Sorrows coll priv 1505-15 Colijn de Coter Dolorosa coll priv.

Homme de douleurs et Mater dolorosa
Colijn de Coter, 1505-15, collection privée

Avec le temps et l’accoutumance, les images sont forcées de se complexifier : ici l’harmonie habituelle bleu rouge a été déplacée, le bleu unifiant les manteaux et le rouge les rideaux. Les expressions ont tendance à s’inter-changer : traits tirés et mains crispées de la Mère, relative sérénité du Fils scarifié et ligoté.

Les échappées vers le paysage ajoutent à l’arrière-plan le symbolisme christique de la porte (« je suis la porte des agneaux ») et le symbolisme marial de la forteresse (« turris eburnea »).



1505-15 Colijn de Coter Man od Sorrows coll priv detail.
Enfin, les feuilles trinitaires (rosier ou roncier) font voir, derrière la couronne d’épines, la couronne royale.


sb-line

Master-of-1518-triptych-Royal-Collection-trust-closed-left Master-of-1518-triptych-Royal-Collection-trust-closed-right

Triptyque de la Crucifixion (fermé)
Master of 1518, Royal Collection trust

Les volets externes de ce triptyque montrent le Christ d’un côté, la Vierge et Saint Jean de l’autre, hypothétiquement réunis sur le balcon de l’Ecce Homo. Purement émotionnelle au départ, la formule se cherche une rationnalité.


Altar before 1506 Herzog Anton Ulrich-Museum Braunschweig detail
Retable, avant 1506, Herzog Anton Ulrich-Museum, Braunschweig (détail)

Issu des Mystères, l’épisode de Marie s’évanouissant, soutenue par Saint Jean, Marie-Madeleine et Marie Salomé, apparaît d’ailleurs quelquefois à l’époque comme détail dans la scène de l’Ecce Homo.


Master-of-1518-triptych-Royal-Collection-trust-openedTriptyque de la Crucifixion (ouvert)

Cette rencontre non-écrite du Fils et de la Mère n’est au fond guère plus étonnante que les libertés de composition qu’autorisent les charnières et le paysage continu, compris à cette époque comme des sortes de conventions théâtrales. Ainsi dans le même retable, ouvert :

  • la charnière de gauche sépare le Portement de Croix et la Crucifixion, deux scènes déconnectées dans le temps mais connectées dans l’espace ;
  • celle de droite sépare la Crucifixion et la Résurrection, déconnectées à la fois dans le temps et dans l’espace.


sb-line1500-25 Maitre du Saint Sang Glorification Vierge Ara Coeli, Madonne avec Sybilles, Saint Jean Patmos, Saint-Jacques Bruges ferme

Triptyque de la Glorification de la Vierge (fermé)
Maître du Saint Sang, 1500-25, église Saint-Jacques, Bruges

Dans cet autre retable, la fermeture transporte Saint Jean, la Vierge et même Saint François d’Assise sur le parvis de l’Ecce Homo, qui devient de plus en plus une scène de théâtre propice aux rencontres appréciées du public.


sb-line

1530–40 Christ Crowned with Thorns (Ecce Homo), and the Mourning Virgin Adriaen Isenbrant MET
 
Ecce homo et Mater dolorosa
Adriaen Isenbrant, 1530–40, MET

En plaçant dans ce somptueux balcon Marie en symétrie parfaite avec le Christ, Isenbrant signifie que la Vierge a pris part égale aux souffrances de son fils exhibé à la foule (un état initial du tableau montrait l’épée lui perçant le coeur)..



1530–40 Christ Crowned with Thorns (Ecce Homo), and the Mourning Virgin Adriaen Isenbrant MET detail
Selon Susan Urbach [25], la petite scène à l’arrière-plan montrerait Marie repoussée par un garde alors qu’elle tente de rejoindre son fils dans le prétoire.



1530–40 Christ Crowned with Thorns (Ecce Homo), and the Mourning Virgin Adriaen Isenbrant MET detail chapiteau
Si c’est bien le cas, le balcon du premier plan, avec sa colonne où sont liés les fouets maintenant inoffensifs, surmontée par l’image de Daniel vainqueur du lion, serait une serait une sorte de balcon de gloire, revanche sur le balcon d’infamie inaccessible au delà du mur.



Le prototype perdu de Lucas de Leyde (vers 1522)

1522 ca copy after Lucas van Leyden, Christ as the Man of Sorrows, 1557-1600 Rijksmuseum 1522 ca copy after Lucas van Leyden, Dolorosa 1557-1600 Rijksmuseum)

Ecce homo et la Mater dolorosa
Copie d’après Lucas de Leyde, vers 1557-1600, Rijksmuseum [26]

A rebours des exemples précédents, ce diptyque cultive une grand sobriété : fond noir, aucun attribut. Tout se joue sur l’intensité psychologique des regards échangés. L’inclinaison identique des visages penchant l’un vers l’autre, les mains croisées, la manche bouffante, montrent par leur mimétisme l’empathie entre la mère et le fils.

On connaît une vingtaine de copies de ce type, d’après un original perdu de Lucas de Leyde.


Vierge au rosaire, Lucas de Leyde vers 1520
Vierge au rosaire, Lucas de Leyde vers 1520

Il existe effectivement une gravure de Lucas de Leyde montrant la Vierge dans la même position.


1600-28 Lucas van Leyden christus-als-man-van-smarten-en-maria-als-mater-dolorosa

Gravure d’après Lucas de Leyde, vers 1600

Cette gravure de la fin du siècle, période de regain d’intérêt pour l’oeuvre de Lucas de Leyde, suggère que l’oeuvre perdue était un panneau sur fond de paysage, datant de 1522.


1625-1650 d'apres Lucas de Leyde

Gravure d’après Lucas de Leyde, vers 1600

Datant de le même période, cette variante est sans doute plus fantaisiste, puisqu’elle perd le mimétisme qui faisait toute l’originalité de la formule.



Ces gravures sont la dernière marque d’intérêt pour les diptyques Christ-Marie, qui disparaissent pratiquement en Hollande après 1530 : leur vogue aura donc duré un demi-siècle.


1600-1700 mater-dolorosa---ecce-homo flemish coll priv

Ecole hollandaise, XVIIème siècl,e collection privée

Cette lointaine résurgence montre la rupture complète avec le thème de la douleur partagée : la couronne d’épines aseptisée d’une part, l’habit noir de religieuse de l’autre, font du fils et de la mère deux dévots qui se s’intéressent plus l’un à l’autre et s’adressent séparément à Dieu.

 

Références :
[4] Prayers and Portraits, Yale University Press, 2006 https://books.google.fr/books?id=xT9w9uHtyWwC&pg=PA40#v=onepage&q&f=false
[22a] Till-Holger Borchert, Ars Devotionis: Reinventing the Icon in Early Netherlandish Painting, https://www.academia.edu/31122626/Ars_Devotionis_Reinventing_the_Icon_in_Early_Netherlandish_Painting?email_work_card=view-paper
Sur l’histoire mouvementée du triptyque après le sac de Rome, et son arrivée en Sardaigne, voir https://www.meandsardinia.it/il-trittico-di-clemente-vii-e-la-sacra-spina-la-curiosa-storia-di-due-preziose-reliquie-venerate-durante-la-festa-dellassunta-a-cagliari/
[24] Incontro con Paula Nuttall – Memling e la pittura italiana https://www.youtube.com/watch?v=opyc-y7ytMc
[25] Susan Urbach. « An Unknown Netherlandish Diptych Attributed to the Master of the Holy Blood: A Hypothetical Reconstruction. » Arte cristiana 95 (November/December 2007), p. 432