Le miroir transformant 4 : transgression
Le miroir onaniste
Une transgression mythologique (SCOOP !)
Femmes au bain autour d’un miroir
Hans Baldung (copie tardive) Kunsthalle, Karlsruhe
Trois femmes nues aux cheveux dénoués se regroupent autour d’un miroir :
- la première les relève pour bien voir son visage ;
- la deuxième regarde son sexe en le peignant ;
- la plus vieille ne se mire pas, mais tient un ciseau qui ne coupe rien.
Une quatrième femme nue, portant une coiffe, observe le groupe depuis l’arrière.
Grien s’amuse à transposer, dans les bains, la représentation classique des Trois Parques, en remplaçant le thème du fil de la vie par celui des poils de la femme :
- Clotho, qui brandit la quenouille, soulève ici sa crinière sauvage ;
- Lachésis, qui enroule le fil sur le fuseau, manipule une brosse bien nette pour mettre en ordre sa toison ;
- Atropos couple le fil.
Le miroir sphérique joue ici un double rôle : accessoire lubrique et symbole du Monde soumis à la Fatalité.
Femme au miroir
Ecole de Hans Baldung Grien, 1524, Alte Pinakothek, München
Ici est retenu seulement le caractère auto-érotique du miroir.
Des sorcières lubriques
La sorcière ou Sainte Marguerite Agostino Veneziano, 1510-20, British Museum |
Sainte Marguerite, 1518, Raphaël, Louvre |
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Cette gravure énigmatique pourrait être un pastiche à visée érotique de la Sainte Marguerite de Raphaël, en supprimant l’auréole, en remplaçant la palme par un miroir de sorcière, en dévoilant les seins et les cuisses et en rajoutant de manière embarrassée une flaque dans laquelle la femme s’examine.
Sorcière mirant son sexe
Arent van Bolten (attr), vers 1600, collection particulière.
Ce dessin laisse suspecter qu’il a pu exister une association d’idée entre les sorcières et le miroir onaniste, mais on n’en a aucune source textuelle.
Des filles curieuses
Femme s’examinant dans un miroir
Jean-Frédéric Schall, 1780-1820
Schall a eu deux périodes galantes, à la toute fin de l’Ancien Régime et après l’intermède vertueux de la période révolutionnaire. Ce tableau, qui appartient très probablement à la première période, met en scène deux transgressions :
- au lieu d’être à sa place sur la table de toilette, le miroir est placé par terre ;
- le V inversé des rideaux rouge conduit l’oeil vers le V inversé du bonnet blanc, puis vers le V inversé des jambes roses.
La solitude instructive de Madame Convergeais, ci-devant comtesse de Branlemont
Figure 7 de L’Echo foutromane, imprimé à Démocratis aux dépens des fouteurs démagogues, 1792 (réédition Gay et Doucé de 1880) [0]
Cependant, c’est bien sous la Révolution française qu’apparaît la première représentation du miroir masturbatoire, pour illustrer un texte très explicite :
« Elle passe dans son boudoir, saisit son miroir de toilette, et assise sur un fauteuil d’osier, le coude droit appuyé sur la table où est le miroir qu’elle tient dressé sous ses yeux avec sa main, le pied opposé portant sur un tabouret peu élevé, elle se contemple à loisir…. Elle proteste…qu’elle ne veut prendre dorénavant que cette route pour lui rendre hommage ; qu’elle n’aura d’autre amant que son doigt, d’autre conseil, d’autre guide que son miroir, d’autre plaisir enfin que celui de décharger sans la participation des hommes. »
La Curieuse | Effets du mois de Mai |
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Jean Jacques Lequeu, avant 1825, BNF, Gallica
Ces deux lavis conçus en pendant (dans une série de quatre) n’illustrent pas un Avant et un Après (les sièges et les coiffes diffèrent) mais plutôt les deux facettes de l’onanisme féminin tel que Lequeu le conçoit, où la caresse du regard et celle de la main s’équivalent.
Jeune con dans une attitude des conjonctions de Vénus
Dans une autre série de quatre lavis, Lequeu prend la place du miroir pour nous montrer ce que la femme contemple, et l’annoter avec l’étonnement du célibataire endurci :
« A force de frotter avec l’Index, les femmes jouissent ainsi que nous. »
Femme devant un miroir, Francois Souchon, avant 1857 (C) RMN-Grand Palais, Palais des Beaux Arts, Lille, photo Herve Lewandowski
Dans tout le viril XIXème siècle, on ne trouve que ce seul exemple d’une femme se caressant devant un miroir, avec l’alibi d’essayer ses bijoux : la satisfaction féminine ne se conçoit que pécunière.
Pécheresses (série de cartes postales), Albert Joseph Penot, vers 1910
L’idée que le regard curieux n’est pas un monopole masculin commence à être mise en image au début du XXème siècle. Cette série de cartes postales légères montre de petites femmes s’étudiant dans toutes les positions.
Dans le demi monde (carte postale), Suzanne Meunier, 1912
Ici le gag visuel du miroir suggère malicieusement que la main peut caresser autre chose que la nuque.
Qui souvent se mire s’admire
Qui trop s’admire se méconnaît
Les réflexions d’un miroir, Fabiano, La Vie Parisienne, 10 mai 1916 (gallica)
Cette composition recto-verso propose un système d’équivalence bizarre entre le texte, qui se veut relevé, et l‘image, qui se veut légère. Ainsi :
- « se mire » est synonyme de « montre sa croupe habillée »
- « s’admire » est synonyme de « montre son visage »
- « se méconnait » est synonyme de « ne montre pas sa croupe déshabillée ».
Au final, ce n’est pas tant la fille que le spectateur, qui méconnait ce qu’il voudrait bien voir.
Gerda Wegener, miroirs intimes, vers 1920
Edouard Chimot, 1928 | Paul-Emile Becat, 1937, illustration pour Une jeune fille à la page, d’Helena Varley |
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Durant la libération tous azimuts de l’Entre deux guerres, le thème du miroir intime connaît une popularité limitée.
Carte postale, années 20
Presque toujours cependant, la femme au miroir reste parfaitement anodine, sauf dans ce cas de surréalisme probablement involontaire où le mur semble prendre la relève du miroir pour « refléter » le pubis dans le vase.
Réflexion
Pin-up d’Euclid Shook, Avril 1952, Esquire
Dans le texte assez balourd, la pinup réfléchit à se faire teindre en blond Titien, met son miroir à contribution pour choisir la bonne teinte (ou le bon homme), et conclut que jamais elle ne renoncera « au reflet qui compte dans l’oeil d’un mec ». Bien que le dessin place le miroir à l’endroit évident de l’autosatisfaction, le texte dénie l’interprétation malséante, avec toute l’hypocrisie de l’ordre moral restauré.
Véronique (autoportait )
Garouste, 2007, collection de l’artiste
Cette oeuvre terminale finit par transgresser la transgression, en inversant l’inversion.
Le miroir excitant
Miroirs japonais
Douze épisodes de sensualité, Isoda Koryusai, vers 1775-77
Le Japon n’a aucun tabou quant à l’effet érotique du miroir :
- émoustillant pour l’acteur, qui y trouve ce qui l’intéresse,
- décevant pour le spectateur, auquel il ne montre rien.
Amants devant un miroir, planche 8 de l’album Negai No Itoguchi (Le Prélude au désir), Kitagawa Utamaro, 1799
Doublement didactique, le miroir aux orteils fait écho à la main masculine et souligne l’extensibilité féminine.
Amants s’observant dans un miroir
Isoda Koryusai (attr), vers 1770, collection particulière
Dans ce dispositif astucieux, la pulsion scopique est partagée par les acteurs assis – qui contemplent dans le miroir leurs deux visages accolés – et par le spectateur debout – qui jouit d’un supplément d’infotmation.
Estampe japonaise, vers 1850 | Calendrier (e-goyomi) pour l’année Bunsei 1, 1818, British Museum |
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L’estampe de gauche expérimente l’effet érotique de la découpe avec trois types de miroirs circulaires : à chevalet, à manche, ou suspendu, sans se préoccuper de la position de la dame.
A droite, le miroir posé sur la table est plus compatible avec l’auto-érotisme. L’analogie des formes ovales compare le miroir à la tasse, et les plaisirs raffinés de la vision à ceux du thé.
Miroirs d’Occident
Illustration pour Geschichten aus Aretino, Franz von Bayros, 1907 [0a]
Dans ce recueil pour amateurs avertis, une page est dédiée pour la première fois au miroir comme adjuvant pour le couple, dans l’image centrale et dans les frises.
Illustration pour Die Grenouillere, Franz von Bayros, 1907
La même année, le même illustrateur présente le même objet comme un accessoire saphique.
Le miroir voyeur
La chandelle
Achille Deveria, vers 1830
Sensé exciter les acteurs, le miroir est ici disposé à l’intention du spectateur, auquel il enseigne l’usage récréatif de la chandelle. La plupart du temps, c’est ce point de vue voyeuriste qui est choisi, le miroir fournissant sous un autre angle un duplicata pour le même prix.
Démangeaison
(extrait de la série des Cent légers croquis pour réjouir les honnêtes gens ; 1878-1881)
Félicien Rops , Namur, Musée Rops
Le miroir explique doublement le titre : il montre le bras de la femme qui se gratte, et la face barbichue du client, attiré ici par une autre démangeaison.
Réduit à une tête, presque à un oeil vers lequel convergent les fuyantes, celui-ci représente la figure quasi-théorique du voyeur : comblé par le miroir qui lui permet de voir, simultanément, le recto et le verso de l’objet de son adoration.
Illustration pour Die Grenouillere, Franz von Bayros, 1907
Accessoire de boudoir, le miroir donne au spectateur un point de vue arrière sur le couple.
Madame est servie, Auguste Roubille, vers 1900Le but est ici de montrer en une seule vue les zones « servies » par le domestique quelque peu satanique de cette sorcière Belle-Epoque.
Les traitrises du miroir 1907, Prejelan | Un Incident fâcheux Icart, 1912 |
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Même principe, réduit au verso.
Le miroir persifleur
Quelquefois, le miroir qui inverse tout prétend renverser une fausse évidence : la transgression consiste alors à montrer la vérité rectifiée.
Otto Dix, 1921, tableau détruit | Dans le miroir (Am Spiegel) Otto Dix, 1922, gravure |
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En plus du sexe décourageant de la laideronne, le miroir exhibe implacablement ces deux tue-l’amour que sont la clope au bec et la houppette à la main.
Le voyeurisme est en peinture une transgression bénigne, mais la transgression de cette transgression ne l’est pas, d’où le procès que valut à Dix cette toile. Peu après la Seconde Guerre Mondiale, elle eut un destin semblable à son sujet, puisqu’elle finit transformée en sac à patates par un paysan.[1]
Tracts de propagande allemande, 1940
Le mécanisme est le même que dans la composition d’Otto Dix,au point qu’on peut se demander s’il ne s’agirait pas là d’une sorte de retour du refoulé. La photographie est bien plus percutante que la version dessinée. Elle ajoute :
⦁ l’opposition blonde/brune qui avait échappée au dessinateur,
⦁ la nudité, plus excitante qu’un chiffon de papier, et qui fait ressortir l’érotisme pioupiou du casque de Tommy associé aux escarpins.
Dans les deux cas, les reflets du S et du E sont faux, pour faciliter le décryptage aux moins lettrés.
Blanche Neige au miroir,
Julius Zimmermann, 2001
On pourra consulter ici https://hentaidatabase.blog.br/hqs/quadrinhos_eroticos_branca_de_neve.html une série de croquis du même tonneau, montrant que Blanche Neige n’est pas si blanche et pas si froide qu’on le dit.
On comprend au détail de la boîte à outils que l’ouvrier en casquette vient d’être embauché comme mannequin de mode. Et le miroir nous montre que cette reconversion ne lui déplaît pas.
Le miroir en photo
En photographie (sauf montage), le miroir est scotché à la réalité : son pouvoir de transformation se limite à l’utilisation voyeuriste de cet oeil déporté, qui offre au spectateur un point de vue transgressif.
Carte postale érotique, vers 1920 |
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Bien sûr, en première instance, le miroir est là pour nous montrer ce que la jupe cache : en ce qui concerne la cuisse , la fille coquine est celle du miroir. Mais en ce qui concerne la tête, c’est la fille du miroir qui lit et celle en dehors du miroir qui aguiche.
Dans cette drôle de photographie, le miroir ne sépare pas un monde licite et un monde interdit : il prend scrupuleusement le contrepied de ce que la réalité lui soumet.
Julian Mandel, années 1930
Le miroir montre ce que l’objectif ne montre pas ; le chat noir suggère ce que le miroir ne montre pas.
Exemple moderne de cette démultiplication de l’image, où l’écran de l’ordinateur apparaît comme un miroir, en plus moderne.
Helmut Newton
Helmut Newton, Vogue Paris, Mai 1997
Ici, le miroir montre ce que cachent le chapeau et le manteau.
Helmut Newton
Réciproquement, ici, le miroir habille ce que la réalité déshabille.
« Autoportrait avec June et modèles », Helmut Newton, 1981
Dans cette composition plus complexe, le miroir révèle le côté face de cette beauté sculpturale, le photographe, mais aussi une seconde femme, visible seulement par ses jambes dans le reflet.
Ainsi la partie inférieure qui , dans la réalité, manque au modèle principal, pourrait être récupérée dans le virtuel.
A côté du miroir, June contemple en direct, derrière ses lunettes rondes, exactement ce que son mari voit dans le miroir au travers de son objectif rond .
Mais elle ne peut pas voir ce que nous, nous voyons, dans le champ un peu plus large de la photographie :
un homme miniaturisé qui rentre la tête dans sa gabardine,
coincé entre le coude de la Beauté Nue et celui de sa femme qui le surveille,
et garde la porte marquée « Sortie ».
Le miroir de Lady Chatterley, Eduardo Luiz, 1969
Le miroir à main révèle enfin sa double nature, à la fois vaginale et phallique.
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