2 La pêche au bord du Soir (version rose)
Après la version bleu sombre de la pêche à la ligne, voici la version rose bonbon.
A 45 ans, Forain est marié depuis 5 ans avec l’artiste-sculpteur Jeanne Bosc : et c’est toute la famille – l’épouse, l’enfant, la bonne et le caniche, qui se déplace désormais pour le coup du soir.
La femme de l’artiste pêchant
Jean-Louis Forain, 1896, Collection of Mr. and Mrs. Paul Mellon, National Gallery of Art
La composition
Forain a conservé la même composition en diagonale, mais le fleuve n’est plus qu’un ruisseau, et les deux rives, celle du peintre et celle de sa famille, sont quasiment identiques : sinon quelques fleurs côté Jeanne et deux épis de roseau côté Jean-Louis.
La dynamique
Dans le tableau de 1884, tout était statique : le pêcheur et le chien assis, le fleuve sans courant. Ici, la scène s’anime : un nuage d’oiseau, au fond, quitte son arbre pour un coup du soir aérien. En dessous, le chien court de droite à gauche et le ruisseau de gauche à droite (d’après la position du bouchon), ce qui établit un sorte de sens de lecture giratoire : plus besoin de pont pour réunir les deux rives.
Cliquer pour agrandirTenue de soirée
Décidément, chez les Forain, on s’habille pour aller à la pêche : Jeanne porte un chapeau et une robe rose, choisie pour s’harmoniser avec la couleur du couchant.
Les charmes de la pêche
Le tableau rend explicite les trois thèmes qui, en 1884, étaient seulement sous-entendus. « La pêche à la ligne, c’est la liberté ! », jappe le caniche en bondissant dans les herbes. « La pêche à la ligne, c’est l’enfance ! », proclame la bonne en brandissant la progéniture du peintre. « La pêche à la ligne, c’est amorcer et attendre que çà morde… » rappelle Jeanne, soulignant ainsi le caractère substantiellement féminin (passif, floral, patient et manipulateur) de ce loisir. Imaginerait-on, dans le même décor vespéral, une dame empoignant sa pétoire pour décimer les moineaux ?
La femme-bouchon
Cliquer pour agrandirDans la version masculine de la pêche à la ligne, le bonhomme au bout de la poutre pouvait vaguement faire penser au bouchon au bout de la canne. Dans la version féminine, la même métaphore est reprise et développée : la courbe de la route dans le pré, au bout de laquelle se trouve Madame Forain tout en rose, reproduit exactement celle de la ligne, au bout de laquelle flotte le petit bouchon rouge.
Un message intime
Ici Forain n’a pas signé à droite sur le quai, mais à gauche dans l’eau, à proximité du bouchon. Ainsi le jeune père de famille se met-il en situation, cinq années après son mariage, de se faire à nouveau appâter et ferrer par sa femme.
Dans les deux tableaux où il a traité le thème, Forain dépasse la description d’une activité agréablement ludique et de divertissement : il représente la pêche du soir comme un moment de grâce dont le but n’est pas de manger du goujon : mais bien de retenir, au bout d’un fil fragile, les derniers instants du jour qui s’en va.
Aucun commentaire to “2 La pêche au bord du Soir (version rose)”