8 Mystères déchiffrés (SCOOP !)
Quelques index énigmatiques, quelques scoops…
La Vierge aux rochers
Léonard de Vinci
1486, Louvre, Paris | 1507- 1508, National Gallery, Londres |
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Double clic pour voir l’ensemble
Vinci a traité deux fois le même thème, avec quelques différences notables. Il s’agit d’une scène rare, racontée uniquement dans des apocryphes : lors de la Fuite en Egypte, la Sainte famille rencontre dans le désert Jean-Baptiste qui, venant de perdre sa mère Elisabeth, se prépare pour sa mission, sous la protection de l’archange Uriel.
Dans le première version, à gauche, Uriel pointe l’index droit en direction de Saint Jean Baptiste et non de l’Enfant Jésus, de manière très énigmatique, tout en fixant le spectateur du regard.
Dans la seconde version [1], plus conventionnelle, Vinci a rajouté les auréoles, la croix sur le bras de Saint Jean Baptiste, et caché la main droite de l’Ange, supprimant ainsi le geste étrange de l’index.
Dans la version de Paris, le regard de l’Ange invite notre oeil profane à contempler, de manière orthogonale, les regards et les geste des saints personnages dans le plan sacré du tableau. Son index joue un rôle central pour comprendre la dynamique complexe conçue par Vinci :
- il nous désigne (flèche violette) la subtilité qu’il faut voir : que la main droite de Marie non pas accompagne, mais tente de retenir du pouce l’avancée de Jean Baptiste, celui qui annonce le Christ (encore un instant monsieur le bourreau) [2] ;
- en interrompant la ligne verticale sous la main bénissante de Marie (flèche rouge), il nous signifie d’une autre manière le même message tragique :
la protection maternelle n’arrêtera pas le destin.
Dans la version de Londres, l’Ange a perdu son rôle d’admoniteur. La subtilité de la main qui retient devient imperceptible, masquée de plus par le rajout de la croix.
Sur la raison de ces deux versions, Mirella Levi D’Ancona a fourni en 1957 une explication complexe ([2],p 73 et ss), liée à la querelle de l’Immaculée Conception qui faisait rage à l’époque : la version de Paris, en mettant trop l’accent sur Saint Jean Baptiste, n’aurait pas été compatible avec la destination du tableau, le retable central d’une chapelle dédiée à l’Immaculée Conception. La symbolique des plantes vient à l’appui de cette explication : celles de Paris (aconit, palmier, iris) sont liées à la Passion du Christ, tandis que celle de Londres (violettes, lys et roses) insistent sur la pureté de Marie.
L’enterrement du Comte d’Orgaz
El Greco, 1586-88, Eglise de Santo Tomè, Tolède
Ce très célèbre tableau a été commandé pour l’Eglise de San Tomè où il se trouve toujours.
La composition
Le tableau représente un miracle qui s’était produit au Moyen-Age dans la même église, et qui venait d’être officiellement reconnu en 1583 : Saint Etienne et Saint Augustin seraient apparus en chair et en chasuble pour mettre en terre le Comte d’Orgaz. Son âme, sous forme d’une sorte de nymphe nuageuse, est portée par un Ange jusqu’à Jésus, qui trône tout en haut.
Le patron de la paroisse, Saint Thomas, reconnaissable à son équerre, figure au toute premier rang des saints, à droite [3].
Dans le registre inférieur, Greco a représenté la scène en costumes de son époque, en prenant pour modèles de nombreux personnages de son entourage. Son autoportait se trouve juste au dessus de Saint Etienne, tandis que son fils Jorge Manuel est le jeune garçon qui se trouve devant le Saint.
Le fils du peintre
Sur le mouchoir qui s’échappe de sa poche, Greco a inscrit sa signature en grec (« Δομήνικος Θεοτοκόπουλος (Domenicos Theotocópoulos) ἐποίει 1578 ». Marque d’amour paternel, la date n’est pas celle du tableau, mais celle de la naissance de Jorge Manuel, huit à dix ans plus tôt.
Dans le rôle classique de l’admoniteur, Jorge Manuel montre au spectateur ce qu’il doit regarder en premier dans ce immense tableau : le cadavre en armure du Comte d’Orgaz.
Mais certains se sont demandé s’il ne touche pas plutôt la rose blanche brodée sur la chasuble de Saint Etienne.
Le martyre de Saint Etienne
Juste en dessous, dans un tableau dans le tableau qui résume l’ensemble, Greco a représenté Saint Etienne lapidé par cinq personnages nus, avec le Christ dans le ciel qui attend son âme.
La fleur brodée que montre l’enfant pourrait représenter la rose blanche du martyre, et rappeler que le miracle de l’enterrement du comte d’Orgaz a le même effet que la mort en martyr : conduire l’âme directement au ciel.
Le reflet de Saint Etienne
Mais un peu au delà apparaît une troisième image de Saint Etienne : non plus dans le tableau, ni dans le tableau dans le tableau, mais dans une autre couche d’abstraction picturale : un reflet sur la cuirasse. Ce procédé était largement passé de mode à l’époque (voir 4 Reflets dans des armures : Italie), mais Greco lui trouve ici un emploi doublement justifié :
- prouver que l’apparition est bien réelle, puisque le métal la reflète (au même titre que la main en chair et en os de l’alcade, juste au-dessus) ;
- exprimer visuellement, par son emplacement sur le coeur, que la vie du comte a été à l’imitation du Saint.
Ce que l’enfant montre vraiment (SCOOP)
En prenant un peu de recul, on saisit la symétrie de la composition. De part et d’autre, un moine franciscain et le curé de la paroisse flanquent les bords : le religieux régulier du côté du Saint Martyr, le religieux séculier, avec son livre, du côté du Père de l’Eglise.
Du coup apparaît une autre symétrie entre le jeune Jorge Manuel et l’économe de la paroisse, que le différence de taille masquait : l’un de face et l’autre de dos, les deux ouvrent les bras. Tandis que la main gauche de Jorge Manuel touche le médaillon à la rose, la main droite de l’économe vient s’insérer entre deux autres médaillons brodés sur la chasuble du prêtre : en bas un crâne et en haut Saint Thomas, présent une seconde fois dans le tableau sous cette forme minuscule.
Ainsi, tout en touchant la rose, l’index de Jorge Manuel nous montre, au delà, le comte d’Orgaz sanctifié par le reflet de Saint Etienne et, au delà encore, le médaillon paroissial : ainsi sont conjoints les trois temps du miracle :
- dans le passé lointain – la mort en martyr de Saint Etienne ;
- dans le passé proche – la vie édifiante du comte d’Orgaz ;
- aujourd’hui et ici-même – dans l’église de Saint Thomas.
Comme Saint Thomas
L’incrédulité de Thomas (retourné de gauche à droite) Caravage, 1602-03, Sanssouci, PotsdamSaint Thomas est le saint du doute, mais aussi celui de la certification : en sondant la plaie du Christ, il prouve la résurrection. Caravage a magistralement représenté le double rôle de cet index : à la fois toucher et montrer (voir Le toucher de l’incrédule).
En lui faisant tendre l’index pour toucher la chasuble de l’apparition, Greco donne a son fils le rôle même de Saint Thomas : celui de certifier le miracle.
Et c’est pourquoi il l’identifie en tant que témoin véridique, avec son nom et sa date de naissance.
Le Sacrifice d’Isaac
Caravage, 1597-1603, Musée des Offices, Florence
» L’ange dit : N’avance pas ta main sur l’enfant, et ne lui fais rien ; car je sais maintenant que tu crains Dieu, et que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique. Abraham leva les yeux, et vit derrière lui un bélier retenu dans un buisson par les cornes ; et Abraham alla prendre le bélier, et l’offrit en holocauste à la place de son fils. « Genèse, 22, 12-13
Un ange qui agit
Caravage invente ici une iconographie novatrice, où l’Ange arrête par le geste, et pas seulement par la parole, le bras infanticide. Mais que désigne-t-il de l’index gauche ?
Pas le bélier de substitution puisque, selon le texte biblique, c’est Abraham qui y pensera en regardant derrière lui, ce qu’il n’a pas encore fait à l’instant que Caravage nous montre.
Le geste de l’Ange n’est pas celui de la désignation, mais de la prescription, du commandement.
L’index et le couteau (SCOOP)
Et le petit miracle du tableau, évident mais jamais remarqué à ma connaissance, c’est que la posture de l’Ange (main gauche pointant le vide et main droite enserrant le poignet) inverse la posture d’Abraham (main droite pointant le couteau et main gauche enserrant le cou) : manière géniale de montrer, graphiquement, comment l’intervention divine contrecarre l’intention humaine.
Avec son ange juvénile, tendre comme la victime et brutal comme le bourreau, Caravage invente la métaphore visuelle d’un index tranchant comme un couteau.
Métaphore qui joue aussi entre les deux tableaux et les deux mains retenues au poignet.
Pour un autre problème d’index tendu chez Caravage, voir La vocation de Saint Mathieu.
Et in Arcadia ego
Poussin, 1638-1640; Louvre, Paris
Il est devenu difficile de regarder librement ce tableau, sans que viennent s’interposer les innombrables interprétations, qu’il a suscitées, savantes, littéraires ou cryptiques [4].
Une manière simple de le laisser s’exprimer à nouveau est d’observer uniquement les postures des quatre personnages, et les symétries de la composition.
Du fond vers l’avant
Les quatre personnages s’étagent depuis le point le plus en arrière (le bras gauche du berger s’appuyant sur le tombeau) jusqu’au point le plus en avant (le coude gauche de la femme). La différence de taille entre les deux personnages debout traduit bien cette profondeur, de même que le fait que le tombeau soit vu de biais.
Ainsi, bien que la composition apparaisse visuellement très plate, elle se déploie logiquement dans la profondeur.
Deux groupes contrastés
Les deux bergers de gauche apparaissent comme des êtres séparés, à l’instar des deux arbres qui les surplombent. Chacun touche le tombeau d’une main.
La femme surplombe le berger de droite et le touche, comme pour fusionner avec lui, à l’image du groupe d’arbres au dessus. Ce berger est le seul personnage qui ne touche rien, mais qui montre.
Toucher ou montrer
Au centre du tableau, autour de l’énigmatique inscription, Poussin fait se frôler deux gestes identiques de l’index, mais deux modalités opposées de l’esprit :
- toucher et déchiffrer ;
- montrer et interroger.
Qui est EGO ?
Le berger en robe rouge, interroge la femme du regard. Celle-ci lui répond avec un regard triste, sans parler, simplement en posant la main sur son épaule, tout comme son acolyte pose la main sur le tombeau.
Ce berger au regard interrogatif, dont un pied est déjà sur la tombe et dont l’index a perdu la faculté de toucher, surplombé comme le mot EGO par la femme qui est à la fois ARCADIA et la Mort, est celui auquel vient d’être révélé le secret très simple du tableau :
toi aussi, tu as vécu en Arcadie, et toi aussi tu mourras.
Le bon guide
Henri Avelot Le Rire, 17 Octobre 1908, Gallica
Nous avons fini avec Watteau. Maintenant, regardez-bien, cà, c’est Boucher !
Pour finir moins noblement, voici une autre énigme basée sur le « jeu de geste » entre montrer et toucher : au double-sens graphique s’ajoute, en français, un double-sens verbal.
Un exemple d’interprétation cryptique : http://www.rennes-le-chateau-archive.com/les_bergers_darcadie_versions_2.htm
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