La pierre devant le tombeau
Malgré son caractère spectaculaire, on n’a pratiquement jamais représenté comme ronde, avant une époque très récente, la pierre qui, d’après les Evangiles, avait été roulée pour fermer le tombeau de Jésus. Difficulté de dessin, préférence occidentale pour le carré, obstacle théologique ?
Cet article s’interroge sur cette réticence, puis examine les deux seules oeuvres qui illustrent cette iconographie mal aimée.
La Pierre roulée : sources textuelles et iconographiques
Le point sur la question, en suivant l’ouvrage de référence de G.Millet ([1], p 517 à 540 )
La pierre mise en place
. »Joseph prit le corps, l’enveloppa d’un linceul blanc,et le déposa dans un sépulcre neuf, qu’il s’était fait tailler dans le roc. Puis il roula une grande pierre à l’entrée du sépulcre, et il s’en alla » Marc 15,46
La pierre enlevée
Les trois Evangiles qui racontent l’épisode diffèrent légèrement :
« Après le sabbat, à l’aube du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie allèrent voir le sépulcre. Et voici, il y eut un grand tremblement de terre; car un ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre, et s’assit dessus. Son aspect était comme l’éclair, et son vêtement blanc comme la neige. Les gardes tremblèrent de peur, et devinrent comme morts. Mais l’ange prit la parole, et dit aux femmes: Pour vous, ne craignez pas; car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié » Mathieu 28,1-5
« Lorsque le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé, achetèrent des aromates, afin d’aller embaumer Jésus. Le premier jour de la semaine, elles se rendirent au sépulcre, de grand matin, comme le soleil venait de se lever. Elles se disaient entre elles : » Qui nous roulera la pierre de l’entrée du sépulcre? » Elles regardèrent et observèrent que la pierre avait été roulée de côté; or elle était fort grande. Entrant dans le sépulcre, elles virent un jeune homme assis à droite, vêtu d’une robe blanche, et elles furent saisies de frayeur. » Marc 16,1-5
« Le premier jour de la semaine, elles (les femmes qui étaient venues de la Galilée avec Jésus) se rendirent au sépulcre de grand matin, portant les aromates qu’elles avaient préparés. Elles trouvèrent que la pierre avait été roulée de devant le sépulcre; et, étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. Comme elles ne savaient que penser de cela, voici, deux hommes leur apparurent, en habits resplendissants » Luc 24, 1-4
Celles qui dirent ces choses aux apôtres étaient Marie de Magdala, Jeanne, Marie, mère de Jacques, et les autres qui étaient avec elles. Luc 24, 10
Les théologiens byzantins ont essayé de concilier les trois textes en imaginant soit qu’il y avait eu deux visites (les Maries étant revenues ensuite accompagnées de Salomé), soit deux groupes (deux Maries, puis les autres) ([1], p 538).
Ces discordances entre les textes expliquent pour partie les flottements dans l’iconographie : certains artistes ont amalgamé les trois formules, rajoutant souvent une troisième « myrophore » (porteuse de myrrhe), voire plus (puisque Luc ne précise pas le nombre), tout en situant la scène à l’extérieur. De manière générale, l’Orient suivra plutôt Mathieu (deux femmes, ange assis sur la pierre roulée à l’extérieur) et l’Occident plutôt Marc et Luc (trois femmes ou plus, un ou deux anges à l’intérieur assis sur un sarcophage), mais cette dernière iconographie n’apparaîtra que bien plus tard.
Les anciens types
Au départ, les plus anciennes figurations suivent Mathieu et sont de trois types :
Ivoire de Munich (Reidersche Tafel ), vers 400, Bayerisches Nationalmuseum, Munich | 6ème siècle, Sant’Apollinare nuovo, Ravenne |
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Le type hellénistique, le plus ancien, montre une scène idéalisée : l’Ange assis à gauche fait pendant à deux ou trois Saintes femmes autour d’une architecture de fantaisie.
Tétraevangile du Bristish Museum, XIIeme siècle, [1] fig 564 | Manuscrit Copte 13, [1] fig 565 |
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Le type syriaque, à gauche, montre une sorte de rite, autour d’un monument qui figure ici le Saint Sépulcre recouvert de marbre (tel qu’il apparaissait alors aux pèlerins dans l’église de Constantin de Jérusalem).
Le type byzantin, à droite, le plus fidèle au texte, montre une grotte dans le rocher (contenant le linceul vide) et l’Ange assis sur la Pierre roulée.
La question des reliques
Une complication s’introduit du fait que la relique vénérée à Jérusalem semble avoir été composée de deux éléments : une plaque de pierre rectangulaire formant porte, devant laquelle était placée la pierre roulée, pour la bloquer. Or vers le VIIIème siècle, cette dernière est partagée en deux morceaux réutilisés comme autels, l’un cubique revêtu de bronze et l’autre de tissu. Du coup la forme ronde de la pierre perd de son importance.
Reliquaire cruciforme de Pascal I, 7eme siècle, Trésor du Sancta Sanctorum (dessus de la branche horizontale)
L’Ange est ici assis,à la manière hellénistique, sur la plaque rectangulaire, elle même posée sur la pierre.
De nouvelles formules en Occident
Evangiles dits de Metz, Lat 9390 (détail)
Ange assis sur la plaque de la porte, ajout d’un sarcophage ouvert à l’intérieur
Tandis que l’Orient choisit de représenter la pierre (non plus ronde, mais sous forme d’un rocher ou d’une pierre de taille), l’Occident préfère la plaque rectangulaire, puis rajoute à l’intérieur du tombeau un banc funéraire, ou un sarcophage (dont le couvercle va quelque fois être confondu avec la plaque elle même).
Influence des nouvelles formules sur l’Orient
« Le banc funéraire devient un sarcophage, l’ange, d’abord assis sur la pierre roulée, plaque ou pierre de taille, prend place ensuite sur le banc ou le sarcophage, le plus souvent par dessus le couvercle déjeté. Or lorsque l’Orient, à partir du XIVème siècle, représente le sarcophage…, il laisse l’ange sur la pierre roulée ou sur le couvercle, à côté Il ne peut souffrir de voir, même un immatériel, assis sans respect à la place que le corps divin a sanctifié. ».[1] p 530
Konigsfelden Diptychon, Musée d’Histoire, Berne | Stéatite du Vatican [2] |
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Ces deux exemples du XIIIème siècle marquent l’arrivée, dans une iconographie typiquement byzantine (grotte, ange assis à la mode hellénistique sur une pierre ou sur un monticule arrondi) de deux motifs occidentaux : la troisième femme et le sarcophage.
A la fin de cette longue évolution, la pierre ronde finit par réapparaître en Russie dans les icônes des Myrophores, qui juxtaposent de manière totalement a-réaliste un sarcophage, une grotte, et une pierre roulante qui ne peut fermer ni l’un ni l’autre.
La Pierre roulée de Bruegel l’Ancien
La Résurrection
Bruegel l’Ancien, 1562-63, Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam
Ce dessin a servi pour une gravure, bien plus lisible, éditée la même année :
Joannes et Lucas van Doetecum, d’après Frans Floris, 1557 | Philips Galle d’après Pieter Bruegel, 1562–63, MET |
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La Résurrection
Réalisée quelques années auparavant, la gravure d’après Flans Floris suit l’iconographie la plus répandue, qui assimile la Résurrection à une sorte de déflagration faisant du même coup exploser la porte du tombeau et valser les soldats.
Pour Walter S. Melion ([3], p 172), la composition de Bruegel s’inscrit en réaction à ces facilités, et marque un retour décidé au texte des Evangiles. En témoignent :
- la présence de cinq Saintes Femmes, tentative de réconcilier les différentes versions de l’épisode ;
- le soleil :
- levant lorsque les Saintes Femmes arrivent au tombeau (Marc 16, 12) ;
- couchant le même jour, lors de l’épisode des pèlerins d’Emmaüs (Luc 24, 13-14)
L’Ange assis sur la pierre (SCOOP !)
Là encore cette invention de Bruegel vise à illustrer fidèlement le texte :
« Mais l’ange prit la parole, et dit aux femmes: Pour vous, ne craignez pas; car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié. Il n’est point ici; il est ressuscité, comme il l’avait dit. Venez, voyez le lieu où il était couché, et allez promptement dire à ses disciples qu’il est ressuscité des morts. Et voici, il vous précède en Galilée : c’est là que vous le verrez« . Mathieu 28, 5-7
Les bras en V inversé montrent d’une part « le lieu où il était couché » et d’autre part la Galilée, le lieu « où vous le verrez ».
Certifier la Résurrection
« Joseph prit le corps, l’enveloppa d’un linceul blanc, et le déposa dans un sépulcre neuf, qu’il s’était fait tailler dans le roc. Puis il roula une grande pierre à l’entrée du sépulcre, et il s’en alla » Mathieu 27, 59-60
Ainsi la pierre est une première preuve de la Résurrection, puisqu’elle clôt le tombeau dès la première nuit, du vendredi au samedi.
Le détail du papier scellé sur la tranche de la pierre provient de Mathieu, qui détaille la démarche des principaux sacrificateurs et des pharisiens auprès de Pilate, le samedi :
« Ordonne donc que le sépulcre soit gardé jusqu’au troisième jour, afin que ses disciples ne viennent pas dérober le corps, et dire au peuple: Il est ressuscité des morts. Cette dernière imposture serait pire que la première. Pilate leur dit: Vous avez une garde; allez, gardez-le comme vous l’entendrez. Ils s’en allèrent, et s’assurèrent du sépulcre au moyen de la garde, après avoir scellé la pierre.« Matthieu 27, 64-66
Le sceau et la présence de la garde ajoutent un nouveau degré de preuve, en garantissant que le corps du Christ n’a pas été dérobé dans la nuit du Samedi au Dimanche, jour au matin duquel les Saintes femmes arrivent au tombeau.
Bruegel insiste sur l’armement important des soldats (hallebardes, arbalète et sa manivelle), sur leurs moyens d’éclairage (la lanterne, le pot à feu au bout d’un manche, les restes de bûches sur le sol, la ficelle du fagot qui a été consumé, le fagot de réserve encore intact). Il s’agit de nous faire comprendre que la garde était vigilante, et que les trois soldats prostrés ne sont pas endormis, mais « comme morts », tel celui que l’officier en armure secoue du bout d’un bâton. Le soldat qui se cache les yeux pour ne pas voir l’ange illustre ceux qui « tremblèrent de peur ».
Les trois soldats debout près de l’escalier, et l’ouvrier qui ramasse un pic, obéissent à une autre logique : juste à côté du sceau brisé, ils sont les autorités qui certifient la disparition surnaturelle du corps.
La Résurrection sans témoins
L’analyse des regards (flèches jaunes) confirme cette subdivision en trois zones étanches :
- ceux qui ne voient rien, parce qu’ils sont comme morts ou tremblants (en rouge) ;
- ceux qui constatent l’absence du corps (en orange) ;
- celles qui voient l’Ange (en vert).
Le Christ ressuscité, situé bien au dessus, n’est vu par personne, sauf le spectateur.
Comme le remarque Walter S. Melion ([3], p 177), cette disposition est pleinement conforme à la signification théologique de la pierre roulée, telle que l’explique par exemple Bède le Vénérable :
L’ange a roulé la pierre, non pour ouvrir la porte à la sortie du Seigneur, mais pour en donner la preuve aux hommes. Car celui qui a pu, mortel, entrer dans le monde en naissant à travers l’utérus clos d’une vierge, a pu en sortir, immortel, en ressuscitant à travers un sépulcre fermé. |
Angelus revolvit lapidem, non ut egressuro Domino ianuam pandat, sed ut egressus eius iam facti, hominibus praestet indicium. Qui enim mortalis clauso virginis utero potuit nascendo ingredi mundum, ipse factus immortalis clauso sepulchro potuit resurgendo exire de mundo. |
Cette image à grand spectacle est donc totalement à côté de la plaque, puisque le Christ n’a pas eu besoin que la pierre soit ouverte pour sortir.
La Résurrection n’a pas eu de témoin direct ni de moment bien défini, mais sa véracité se construit par plusieurs indices indépendants :
- la pierre roulée par Joseph d’Arimathie,
- le sceau et les gardes placés par les Juifs,
- la pierre à nouveau roulée par l’Ange.
Trois disques de lumière
Une autre manière d’appréhender la composition magistrale de Bruegel est de se concentrer sur les trois cercles de lumière, qui remplacent les trois sources éteintes du bas (le feu de bois, la lanterne et le pot à feu) :
- le corps glorieux du Christ se disjoint définitivement du trou sombre où s’est aboli son corps mortel ;
- le corps angélique vient tangenter le disque de pierre ;
- le disque solaire vient à le rencontre des vivants, myrophores ou pèlerins d’Emmaüs.
Au centre, l’Ange comme le Christ font compas, de leurs deux bras, entre l’Avant et l’Après de la Résurrection.
Les paradoxes de Cecco di Caravaggio
[4]Francesco Buoneri, dit Cecco del Caravaggio, était un élève de Caravage, qui lui a servi de modèle dans plusieurs tableaux [5]. On lui doit une Résurrection très problématique, sur laquelle nous allons tenter de jeter quelques lueurs.
La Résurrection
Cecco del Caravaggio, 1620, Art Institute, Chicago
Ce tableau monumental (les personnages sont grandeur nature) est une oeuvre maudite :
- refusée par le commanditaire, cette toute première grande commande publique de Cecco n’a jamais rejoint la chapelle familiale des Guicciardini à laquelle elle était destinée ([6], p 500) ;
- mésestimée par les historiens d’art, elle est jugée confuse car elle ne se rattache à rien de connu.
Chapelle Guicciardini, Santa Felicita, Florence
La toile était prévue pour faire pendant à une Adoration des Bergers de Honthorst (détruite aux Offices en 1993). Son emplacement sur le mur droit de la chapelle explique :
- l’absence de source de lumière à l’intérieur de la toile (la lumière étant fournie par la fenêtre haute centrale) ;
- le geste de l’ange montrant cette fenêtre haute (le Ciel de l’Est) ;
- le surgissement du Christ en direction des fidèles ;
- le repoussoir que forment, en bas à droite, le sarcophage et la cuirasse du soldat.
Caravage, 1599-1602, Chapelle Contarelli, Saint Louis des Français
Cecco reprend les leçons de son maître à la Chapelle Contarelli, où :
- la fenêtre centrale sert de source de lumière aux deux tableaux latéraux ;
- le dos d’un soldat sert de repoussoir dans l’angle droit.
Plus fort que Caravage
On sait que Caravage avait peint en 1609, quelques mois avant sa mort, une Résurrection qui était certainement une de ses oeuvres les plus provocantes, et qui a disparu sans laisser de traces lors du tremblement de terre de Naples en 1798. La barre était donc haute pour Cecco, choisi dix ans plus tard pour traiter le même thème dans la même veine.
On considère injustement que l’oeuvre n’est qu’un collage mal maîtrisé de procédés caravagesques : reflets sur les armures, blancheur des plumes, raccourcis outranciers, fessiers soyeux, homosexualité rampante….
Dans une analyse philosophico-littéraire du tableau, Michael Fried fait même l’hypothèse que l’ensemble de la scène serait le rêve du soldat dont on ne voit que la tête en raccourci, endormi sous les ailes de l’ange ([7], p 131).
En fait, les complications excessives de la composition tiennent à la fois à l’esprit volontiers tortueux de Cecco (voir L’Amour à la source ) et au fait qu’il a voulu pousser encore d’un cran les provocations de son maître.
La Mort de Hyacinthe, Anonyme, Musée d’art Thomas Henry, Cherbourg-Octeville (détail) |
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Le frôlement entre les pieds chaussés et déchaussés d’un vieillard, d’un ange, et de deux jeunes soldats renvoie au type de promiscuité masculine qu’affectionnait Caravage [8].
Un Musicien, vers 1615, National Gallery (détail) | La Résurrection (détail) |
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La bourse mise en évidence sur le fessier du vieux soldat est à la fois un objet personnel de Cecco (on la retrouve sur la table du Musicien de la National Gallery), un morceau de bravoure hyperréaliste et un sous-entendu lourdement signifiant.
Amor vinxit Omnia (détail), Caravage, 1602, Gemäldegalerie, Berlin | La Résurrection (détail) |
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De même que Caravage s’était amusé à placer un porte-mine rouge à côté d’un sexe adolescent (en l’occurrence celui du jeune Cecco), de même Cecco adulte réussit la gageure de caser le même attribut au premier-plan d’une Résurrection, à côté d’un bougie consumée.
Il n’est pas impossible que le rejet de l’oeuvre soit dû à ces références et auto-références dangereuses.
L’ambiguïté graphique au service de l’ambiguïté textuelle (SCOOP !)
Le seul Evangile qui parle des gardes qui « devinrent comme morts » est celui de Mathieu : « Et voici, il y eut un grand tremblement de terre; car un ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre, et s’assit dessus »
Puisque l’ange n’est pas assis, c’est qu’il est encore en train de « rouler la pierre » : en fait, on le voit posant la main sur un bloc rectangulaire, dans un geste peu compréhensible : accompagne-t-il la chute de la porte, déclenchée par le tremblement de terre ?
L’absence des saintes femmes est en revanche logique, puisque Matthieu nous dit que l’ange ne s’adresse à elles qu’une fois assis sur la pierre.
Une ambiguïté majeure de la composition est qu’il n’est pas certain que nous nous trouvions à l’extérieur du tombeau :
- la lumière très forte tombe depuis le coin en haut à gauche, sans source visible : il peut s’agir aussi bien de la lumière de la lune que d’une torche en hors champ ;
- le sol est de terre lisse, mis à part une marche (soulignée par un bout de bâton), une plante grasse et quelques rares touffes d’herbe ;
- la nature morte de droite (une lanterne posée devant un bas-relief antique) évoque tout aussi bien une scène en extérieur nuit qu’une exploration dans les catacombes.
Je pense que cette incertitude entre l’extérieur et l’intérieur n’est pas une maladresse, mais un effet savamment construit, dans le but d’illustrer simultanément des textes contradictoires. Trop ambitieux, ce parti-pris est resté incompris.
L’ange roulant la pierre (SCOOP !)
Pour y voir plus clair, éclaircissons le tableau…
Sort alors de l’ombre, à droite, un détail passé inaperçu : une porte à demi fermée par des planches, sous une potence à laquelle est attachée une chaîne. Cette porte de cave n’aurait aucun sens à l’intérieur d’un tombeau : nous sommes donc bien dans une courette extérieure.
Sur la gauche se précise l’architecture étrange de la porte : le crépi tombé révèle un mur de brique, devant lequel est plaqué un encadrement en relief. Le papier blanc n’est pas en vol, comme on le lit souvent, mais collé sur le linteau par un cachet de cire. L’autre fragment du papier se trouve non pas à l’avant, mais à l’arrière de la plaque manoeuvrée par l’ange. La seule explication logique est que le papier a été collé d’abord sur la face interne de la pierre (côté tombeau), ensuite sur le linteau : le bloc rectangulaire n’était donc pas encastré, mais simplement posé devant l’encadrement.
Bien que le bloc soit rectangulaire, l’ange est donc bien, au sens propre, en train de le faire rouler sur un angle, afin de dégager l’ouverture.
La « résurrection » des Niobides (SCOOP !)
La mort des enfants de Niobe, Sarcophage, copie romaine d’un original de Phidias, Ermitage
Les historiens d’art ont depuis longtemps identifié le bas-relief copié par Cecco, mais n’ont pas expliqué sa présence.
On pourrait croire que la bougie sert à éclairer ce bas-relief, mais il n’en est rien, puisqu’on voit bien l’ombre portée de la lanterne qui se projette sur lui. En fait, la pierre est éclairée a giorno par la lumière surnaturelle qui tombe du haut à gauche, et qui révèle une transformation subtile : sous nos yeux le bas-relief de Phidias est en train de se transformer en sculpture, puisque les bras droits de la jeune femme et du cadavre se détachent et sortent du marbre.
On comprend alors que le bas-relief n’a pas été choisi par hasard :
- au bras droit de la femme, pris dans le bloc du sarcophage, s’oppose celui de l’ange faisant pivoter la porte du tombeau ;
- au torse du jeune mort fléchi vers la terre s’oppose le corps du Christ qui se déploie au dessus du Monde.
Si puissante est la lumière de la Résurrection qu’elle réanime les morts figés dans le marbre antique.
Melencolia I, Dürer, 1514 (détail)
Mis à part les deux Résurrections de Bruegel et de Cecco, il n’y pas d’autre exemples de pierre roulée dans l’art occidental, mis à part celle de la Melencolia de Dürer (voir 9 Un rien de Religion ).
https://www.academia.edu/28935034/CARAVAGGIO_and_Pictorial_Narrative_Dislocating_the_Istoria_in_Early_Modern_Painting_6
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