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3 : Victoire sur la plage

Cinq ans après la Pointe de la Hève à marée basse, passant l’été en Normandie, Monet peint un autre couple de tableaux marins : l’Hôtel des Roches Noires et la Plage à Trouville. Il est devenu un peintre connu, sa touche est passée du réalisme à l’impressionnisme, et le monde qu’il nous décrit est l’opposé de celui des travailleurs le mer : une station balnéaire huppée, où la haute société profite des loisirs balnéaires tandis que gronde, très loin à l’Est, la guerre de 1870.

La Plage à Trouville

1870, Hartford, Wadsworth Atheneum Museum of Art

Une composition en cinq zones

Et pourtant, le second tableau, La plage à Trouville est ordonné selon une composition en cinq zones qui  décalque celle de   « Le Pointe de la Hève à marée basse » : en étirant latéralement le tableau pour lui donner le même format que son devancier, la superposition est quasi parfaite. Auto-citation consciente, ou coïncidence due  à la similitude des motifs ? Il est en tout  cas intéressant de se demander si cette nouvelle oeuvre traduit elle-aussi une réflexion sur la limite et, si oui, de quelle marée il s’agit.

La mer

Première zone, la mer, réduite ici à sa plus simple expression et vide de toute présence humaine : un triangle bleu, sans bateaux. Ce n’est plus le lieu du travail, du risque ou du voyage : juste un prétexte pour la promenade.

La plage et les gens

Deuxième zone, la plage. A la place des récifs, des silhouettes,  innombrables. Un couple élégant se distingue : l’homme en canotier, veste noire, pochette blanche, et  la femme avec son ombrelle et sa robe à tournure, dont la mode commence juste cette année là : la plage est une extension du salon.
Plus loin, trois enfants assis sur le sable sont les seuls à profiter du sable pour ce qu’il est.

Toutes ces présences humaines sont statiques : sur la plage on ne se promène pas : on pose.

Les planches et les promeneurs

Troisième zone, les planches : comme dans la Pointe de la Hève, le lieu du passage facile est au centre. Mais ici, il s’agit d’une facilité  artificielle, construite par l’homme et non pas concédée temporairement par la nature. Les planches  couvrent le sable, le dominent. Et les promeneurs, qui marchent  vers le fond du tableau, ne se dirigent pas vers un coin de ciel bleu : ce qui borne leur horizon, c’est une maison ou une tour crénelée.

Le mur et les escaliers

Cette quatrième zone correspond, dans la Pointe de la Hève, à la plage coupée de digues transversales. Ici le sable s’est transformé en mur, les trois digues en trois escaliers. Les obstacles à la puissance de la mer sont devenus des passages, des vomitoires qui permettent à la marée humaine, à heures fixes, de descendre commodément sur la plage.

La ville

Dans la cinquième zone, la maison isolée de la Hève a proliféré en de somptueuses bâtisses. La ville et ses jardins occupent tout le terrain disponible, au point que, des roches noires, il ne reste que le nom de l’hôtel. Son clocher orgueilleux et les drapeaux, de la France et de la Normandie,  témoignent d’une victoire éclatante.

Une composition éprouvée

Monet reprend, en la simplifiant, la composition en cinq zones de  La Pointe de la Hève à marée basse.

Ici, plus question de mélange entre deux puissances égales, la mer et la terre : l’année de la Défaite, le tableau célèbre, du moins, la victoire écrasante des français sur la plage.

La Pointe de la Hève à marée basse nous montrait deux mouvement d’aller-retour : un lent, celui de la marée, dans la largeur du tableau ; et dans sa profondeur, un plus rapide, celui des ramasseurs de coquillage.

Ici la marée dont il s’agit est la marée humaine, qui déferle de droite à gauche à une heure réglée, non par les cycles astronomiques, mais par ceux de la digestion. Nous sommes ici « à marée haute », celle où la foule déferle sur la plage.

Dans la profondeur du tableau, sur les planches, les promeneurs, hommes et femmes, se livrent à de fructueux allers-retours. Les ombrelles ont remplacé les bâtons des ramasseurs de coquillages et en lieu et place des croupes blanches des percherons,  admirons les faux-culs jumelés des élégantes.

Les Roches Noires de nos jours

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