Le mystère du doute de Joseph
Je dois à Claire (voir son commentaire) une très intéressante énigme graphique : dans cette mosaïque de la Nativité , sur quoi Joseph est-il assis ?
Nativité
Vers 1215, Chapelle Palatine, Palerme
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La grille de l’Enfer ?
Pourrait-il s’agir d’une représentation précoce de la grille fermant les Enfers des Primitifs Flamands (voir Le Diable dans la Crèche) ?
Remarquons que la grotte derrière Marie est très nettement marquée par une ombre noire déchiquettée. Si le mosaïste avait voulu représenter un orifice derrière la grille, il aurait dû faire de même.
De plus, malgré l’absence de perspective, on voit bien que la grille est verticale, puisque le pied de Joseph repose sur une des barres.
Un siège en deux parties ?
On n’a jamais vu de chaise en forme de grille. Mais le plus bizarre est la barre verticale incurvée, avec cinq petits ergots qui dépassent. Les deux parties sont disjointes, mais traitées de la même manière, en carreaux dorés cernés de rouge. Il semble que la barre incurvée se prolonge par une sorte de plan incliné contre lequel Joseph peut caler ses lombaires.
La Nativité byzantine
Son iconographie est figée depuis le VIème ou VIIème siècle, et comporte obligatoirement, en bas à gauche ou à droite, la scène du doute de Joseph.
Joseph est toujours à l’écart, vu de profil et l’air triste. Dans l’immense majorité des cas, il est assis par terre ou sur un rocher. Très exceptionnellement, on le trouve assis sur un banc (peu logique en pleine nature !)
Icône de la Nativité
Ecole de Novgorod. Gallerie Tetryakov, Moscou
Autre exemple très ancien, où il a pris place sur ce qui semble être un trépied :
Icône de la Nativité, VIIIème siècle
Monastère Sainte Catherine, Mont Sinaï
Le doute de Joseph
La mélancolie de Joseph tient à ses doutes sur la Virginité de Marie.
« Joseph parlait ainsi à la Vierge Marie: « Quel est le drame que je vois en Toi ? Je suis frappé par la surprise et mon esprit est dans la stupeur ». (Stichère de Sophrone)
Côté catholique, ce thème a totalement disparu après le concile de Trente, mais était encore connu au Moyen-Age, où Joseph était presque mis sur un pied d’égalité avec Thomas comme figure du sceptique (voir Le toucher de l’incrédule) :
« ainsi que nous sommes mieux assurés de la résurrection du Christ par Thomas touchant les plaies du Christ que par d’autres, nous sommes mieux assurés de la virginité de Marie par Joseph »
NICOLAS DE LYRE, Biblia sacra cum Glossa interlineari, ordinaria, et Nicolai Lyrani Postilla, Venise, 1588, f° 7v° (cité et traduit par Paul PAYAN, Joseph. Une image de la paternité, , p. 99)
Le diable dans la Nativité byzantine
En Orient, cette tradition est resté très populaire, et se complète souvent par la présence d’un berger vêtu de peau de bête et muni d’un bâton qui, selon les Apocryphes, remue pour ainsi dire le couteau dans la plaie :
« Comme ce bâton ne peut pas germer, un vieil homme comme toi ne peut pas engendrer et une vierge ne peut pas enfanter ».
Le mystère de Palerme
Si un diable byzantin figure bien souvent sur les marges des Nativités orientales, ce n’est pas le cas à Palerme. Et nous ne savons toujours pas sur quoi Joseph est assis !
Remarquons que les ergots de la barre verticale ne sont pas identiques : de bas en haut, ils sont de plus en plus gros et de plus en plus espacés.
Sous le séant de Joseph, les barres horizontales sont équidistantes. Mais, ô surprise, les barres verticales sont elles-aussi, de gauche à droite, de plus en plus espacées.
En retournant la « grille » de 90° et en la présentant face aux ergots, on constate qu’ils s’engrennent plutôt bien.
L’âne et son bât
Dans les Nativités occidentales, on voit souvent Joseph adossé contre le bât de son âne. Se pourrait-il que cette idée soit venue au mosaïste de Palerme, et qu’il ait voulu représenter Joseph assis sur une sorte de cage ou de ballot retourné ? La barre verticale serait alors le bât vu de côté, avec ses ergots d’accrochage.
Il existe quelques rarissimes icônes montrant Joseph assis sur un bât. En voici un, tiré d’une icône du Mont Atos :
Mais voici l’exemple le plus intéressant, car il est contemporain de la Chapelle Palatine :
Hexaptyque des Douze grandes fêtes, XIIIème siècle
Monastère Sainte Catherine, Mont Sinaï
Tout se passe comme si le mosaïste de Palerme avait recopié ce modèle sans le comprendre, en détachant la partie droite (avec ses ergots), et en rajoutant des barres verticales dans la partie gauche !
Autres hypothèses bienvenues !
Bonsoi
il est vrai que dans l’iconographie de la nativité, Joseph est également présenté avec son baluchon, indiquant qu’il est prêt à partir, pour la fuite en Egypte, à la suite du songe.
Ce qui s’apparenterait au bât de l’âne.
Et qui justifierait d’une autre façon son air préoccupé, comme dans l’icône ci dessus, oû il n’y a pas de « diable » en vue.
Bonjour,
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Cordialement xavier Goguey
Bonjour
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Joseph regarde l’observateur. La Vierge pose les pieds nus sur trois bandes de couleur identiques à celles qui rayonnent de son auréole. Ces bandes représentent la sainteté. La gradation des ergots signifie une progression. La couche de la Vierge en forme de mandorle bouche l’entrée noire de la grotte : la sainteté de la Vierge ferme la porte de l’enfer. Un pied de la Vierge est presque au contact du dernier ergot. L’interprétation : la sainteté de la Vierge prend appui sur la sainteté de Joseph et des autres patriarches. La Vierge a été hissée très haut dans la sainteté par les progrès accomplis par les patriarches. Joseph regarde l’observateur, assis, au repos, satisfait de son œuvre accomplie : il a conduit la Vierge au degré de perfection qui lui a mérité d’être la mère du Messie promis. Joseph est assis sur une grille qui ne bouche aucune entrée : il a participé à la construction de la vraie grille qui est la sainteté de la Vierge. Cette interprétation n’enlève rien à l’action de la Vierge. Elle a continué l’œuvre accomplie avant elle. Elle a fait plus que tous mais en tirant profit de l’œuvre accomplie avant elle. Elle a ajouté ses supplications à toutes celles qui avaient été adressées à Dieu avant elle.
Louis-Marie Grignion de Montfort, L’amour de la sagesse éternelle :
C’est pourquoi, pendant les quatre mille ans qui se sont écoulés depuis la création du monde, tous les saints personnages de l’ancienne loi ont demandé le Messie avec d’instantes prières. Ils gémissaient, ils pleuraient, ils s’écriaient : « Ô nues, pleuvez le juste ! ô terre, germez le Sauveur ! O Sapientia, quæ ex ore Altissimi prodiisti, veni ad liberandum nos. »
Mais leurs cris, leurs prières et leurs sacrifices n’avaient pas assez de force pour attirer la Sagesse éternelle, ou le Fils de Dieu, du sein de son Père. Ils levaient les bras vers le ciel ; mais ils n’étaient pas assez longs pour atteindre jusqu’au trône du Très-Haut. Ils faisaient continuellement des sacrifices même de leurs cœurs à Dieu ; mais ils n’étaient pas d’un assez grand prix pour mériter cette grâce des grâces.
Merci pour cette interprétation inspirée. Si elle s’appuie sur des textes ou références précis, je serais heureux d’en avoir communication.