2 Cercles intersectés
Avant de nous intéresser aux mandorles composées de cercles symétriques, il est bon de passer en revue les autres schémas à base de cercles que l’on peut rencontrer ici ou là.
Chapitre précédent : 1 Mandorle double dissymétrique
Cercles intersectés et astronomie
Commençons par les manuscrits astronomiques, héritiers du savoir de l’Antiquité, et utilisés au Moyen-Age essentiellement pour le comput (détermination de la date des fêtes mobiles).
Construction au compas du triangle équilatéral
Euclide, Livre 1 proposition 1
Corpus agrimensorum, 800-25, Pal.lat.1564 fol 81v
Cette construction apparaît dès le livre I proposition I des Eléments d’Euclide. Même si les Eléments n’ont été traduits dans leur ensemble qu’au XIIème siècle, le premier livre a été transmis au travers d’un certain nombre de textes bien connus au haut-moyen âge (Géométrie de Boèce, Corpus agrimensorum [1]).
La grande richesse symbolique de la construction saute aux yeux :
- médiation entre deux extrêmes ;
- passage de la binarité à la trinité ;
- lien entre deux figures parfaites : le cercle et le triangle équilatéral.
Schéma de l’ordre des planètes internes
12ème s, tiré de Bruce Eastwood, Gerd Grasshoff [2] , p 56
(les disques colorés ne figurent pas dans le schéma original)
Ce schéma a été rajouté au Moyen-Age dans plusieurs manuscrits d’auteurs antiques (Macrobe, Capella, Calcidius), qui n’en parlent pas dans leur texte ([2], p 58). La Terre est située au centre de l’entrecroisement des trois cercles (disque bleu). A la différence du schéma concentrique habituel, ce schéma décentré permet de concilier deux ordres pour l’éloignement des planètes :
- l’ordre de Platon si on lit les trois cercles vers le haut (Terre, Soleil, Mars, Vénus) ;
- l’ordre chaldéen si on les lit vers le bas (Terre, Vénus, Mars, Soleil).
De Astrologia secundum Bedam
1121, Liber Floridus Gand, Ms. 92 Rijksuniversiteit f 94r
L’idée des cercles non concentriques pour expliquer le mouvement des planètes internes (Vénus, Mars, Soleil) a conduit à ce schéma à trois cercles intersectés, popularisé à partir de 1121 par le Liber Floridus [3].
Ces schémas à trois cercles sont trop spécifiques, techniques et tardifs, pour avoir joué un rôle dans l’apparition de la mandorle en huit.
Schéma de la durée inégale des saisons
10ème s, Berlin, SBPK Ms. Phill. 1833 fol 36v | 11ème s, Bruce Eastwood, Gerd Grasshoff [2] , p 77 |
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Calcidius, Commentarius in Timaeum
Ce schéma peut être de trois types, selon les manuscrits, et est souvent erroné.
Dans le type à deux cercles intersectés, comme ici, le schéma de droite est le plus exact : la Terre est au centre (point theta) du cercle zodiacal, divisé par le X en quatre saisons dans le sens inverse des aiguilles de la montre (le Printemps commence au point A, l’Eté au point B, etc…). Le soleil se déplace tout au long de l’année sur le cercle du haut, centré sur M, enchaînant quatre arcs de cercles de longueur différente : le Printemps (le plus long, 93,5 j), suivi par l’Eté (91,5 j), l’Automne (le plus court, 87,8 j), et enfin l’Hiver (89,8 j). Le texte de Calcidius ne parle pas du cercle inférieur, centré sur Z et qui semble n’avoir été rajouté que pour corriger visuellement un schéma trop dissymétrique : l’intersection des deux cercle ne joue donc ici aucun rôle. En comparant les deux dessins, on voit par ailleurs que le fait que les cercles soient tangents ou pas au cercle externe ne joue aucun rôle.
Ce schéma est trop variable et trop spécifique pour avoir donné l’idée de la mandorle à deux cercles : c’est peut être, au contraire, l’habitude de cette mandorle qui a poussé les copistes à rajouter le second cercle, totalement superflu.
Schéma pour savoir le nombre des heures du jour et de la nuit
Matfre Ermengaud, Breviari d’Amor, vers 1340, Vienne, Osterreichische Nationalbibliothek, cod. 2583 p 108
- Le cercle du bas montre les seize heures de la Nuit d’Hiver (de XVII à VIII) plus nombreuses que celles du Jour.
- Le cercle du haut montre les seize heures du Jour d’Eté (de VIII à XX) plus nombreuses que celles de la Nuit.
- Le cercle central montre leur nombre égal aux équinoxes.
Schéma de l’élévation ou de l’abaissement des étoiles
Guillaume de Conches, Dragmaticon, Cologny, Fondation Martin Bodmer Cod. Bodmer 188 fol 21r, e-codices
Dans ce passage, Guillaume de Conches donne plusieurs explications au fait qu’une étoile puisse apparaître tantôt plus élevée, tantôt plus basse. L’un de ces raisons est la suivante :
Mais certains disent que cela tient à la qualité des cercles, car en certains lieux ils sont abaissés, en d’autres élevés. Et ces cercles s’abaissent tantôt droit, tantôt en oblique : ainsi donc lorsqu’ils s’élèvent ou s’abaissent tout droit, parce qu’on les voit toujours dans le même partie du signe zodiacal, on croit qu’ils sont fixes ; s’il le font obliquement, on dit qu’ils sont rétrogrades. Pour que cela apparaisse mieux, j’ai composé ces figures. |
Sed qui dicunt hoc ex circulorum qualitate contingere, quia in quibusdam locis deprimuntur, in quibusdam exaltantur, & deprimantur circuli aliquando recte, aliquando oblique : dum igitur recto modo exaltantur uel deprimuntur, quia semper sub eadem parte figni uidentur, ftare creduntur: si uero obliquè, retrogradi dicuntur. quæ ut melius pateant, quasdam figuras componemu |
Les figures ne sont pas très claires, mais donnent les quatre cas possibles : élévation ou abaissement, droit ou en oblique. Le fait que les cercles soient intersectés deux à deux n’est qu’une question d’esthétique, de sophistication gratuite et/ou d’économie de place.
Guillelmus (de Conchis), Dialogus de substantiis physicis, 1567, p 105
L’illustrateur de l’édition de 1567 s’est appliqué à bien distinguer les quatre cas, sans rendre les schémas beaucoup moins abscons.
Je pense que l’idée était simplement que l’orbite de l’étoile peut se translater soit selon la droite qui joint la Terre à l’étoile, soit obliquement (flèches blanches) : ce qui produit effectivement un décalage apparent (en avant ou en arrière) par rapport au signe du zodiaque, au bout de la ligne de visée.
Explication de l’épicycle
Daniel of Morley, Liber de naturis inferiorum et superiorum, 1175-1225, BL Arundel 377 fol 101v | Epicycle et déférents |
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Le schéma de gauche montre deux cercles intersectés, celui du haut représentant l’épicycle et celui du bas le déférent. Il s’agit d’expliquer que lorsque la planète Saturne est « au dessous » de son déférent, sa trajectoire nous apparaît rétrograde (RETROGRADATIO). En dessinant les deux cercles de taille presque égale, et en plaçant les légendes au petit bonheur, le copiste a rendu le diagramme pratiquement incompréhensible [3a].
Le schéma platonicien de la Création du Monde
Nous allons nous arrêter sur un schéma particulier, qui apparait dans un manuscrit astronomique, mais possède une portée métaphysique.
La création du Monde selon le Timée de Platon (35b à 36c)
Les quatre fondateurs de la Musique, DE INSTITUTIONE MUSICA, 12ème MS CUL Ii 3.12 fol 61v
Platon siège en bas à gauche sur un globe, en hommage à son récit, dans le Timée, de la création du Monde comme une sphère. C’est ce même récit, basé sur des divisions harmoniques de l’Essence, qui lui vaut de figurer parmi les pères de l’Art musical.
Au Moyen Age, le texte du Timée n’était accessible que par deux textes latins : une version tronquée de Cicéron, et un commentaire de Calcidius, sur lequel nous reviendrons.
Commençons par le texte original, dans la traduction de Victor Cousin.bPlaton explique d’abord comment le démiurge a créé le Corps du monde, sphérique, et l’a enveloppé d’une Ame qui lui confère un seul mouvement, celui de la rotation (33b à 34b). Il revient ensuite sur la manière de créer l’Ame du Monde : d’abord mélanger trois essences (le Divisible , l’Indivisible et l’Intermédiaire) puis diviser ce mélange, de manière harmonieuse, pour obtenir de nouvelles parties :
« …et quand il eut mêlé le divisible et l’indivisible avec la substance intermédiaire, et de ces trois choses formé un tout unique, il divisa ce tout en autant de parties qu’il était convenable, et chacune se trouva contenir du même, du divers et de la substance intermédiaire ». Timée, 35b [4]
Passons sur la manière d’effectuer cette partition, selon les intervalles harmoniques de la musique antique (voir [5], notes 333 a 335) et voyons directement ce qui se passe ensuite.
« Il coupa ensuite toute cette composition nouvelle en deux dans le sens de la longueur, plaça les deux portions de cette ligne sur le milieu l’une de l’autre, comme dans la lettre X, les courba en cercle, unit les deux extrémités de chacune entre elles et à celles de l’autre dans le point opposé à leur intersection, et leur imprima le mouvement du cercle, mouvement toujours le même et s’exécutant sur un même point. Il fit un de ces cercles extérieur et l’autre intérieur, appelant mouvement extérieur celui du même et intérieur celui du divers. Le mouvement du même, il l’inclina de côté, vers la droite, et le mouvement du divers il le dirigea suivant la diagonale, vers la gauche ; il donna la supériorité au mouvement du même et du semblable; car il le laissa seul indivisible; tandis que, divisant en six parties le mouvement intérieur, il fit sept cercles inégaux, avec des intervalles doubles et triples, trois de chaque espèce, et il assigna à ces cercles des mouvements contraires, dont trois de la même vitesse, les quatre autres inégaux en vitesse, tant entre eux qu’aux trois premiers, mais allant tous ensemble harmonieusement. » Timée, 36b-36d
J’ai transcrit sur ce schéma les explications de V Cousin ([5] Notes 226, 227). On voit en haut à gauche les deux cercles joints comme dans la lettre X, et en bas la séparation du cercle intérieur en sept cercles, le cercle extérieur tournant dans l’autre sens. Le texte très dense de Platon ne fait en somme que décrire, en vision géocentrique, les mouvements du cosmos (schéma de droite) :
- le cercle du l’équateur céleste (« cercle du Même ») fait tourner dans un mouvement uniforme les étoiles fixes,
- le cercle de l’écliptique (« cercle du Divers ») entraîne les différentes planètes, chacune sur son cercle et avec sa propre vitesse.
Les schémas platoniciens de Calcidius
Calcidius a écrit sa traduction commentée du Timée au 4ème siècle, mais les plus anciens manuscrits conservés datent du 9ème siècle.
En commentant la partition de l’Ame du Monde selon des rapports numériques (Timée 35b) , Calcidius explique que cette forme de continuité numérique se construit d’une manière analogue à la continuité physique entre les Quatre Eléments, pour le Corps du Monde :
« Et de même que le corps du monde est rendu continu par l’insertion des éléments matériels de l’Air et de l’Eau entre la limite qui est le Feu et l’autre qui est la Terre, de même l’insertion des rapports numériques, tout comme celle des éléments de la matière, pourrait connecter les membres intelligibles de l’âme et il y aurait une certaine ressemblance entre l’âme et le corps. » ([6], p 276)
Commentarius in Timaeum,
9ème s, Valenciennes, BM Ms. 293 fol 54r, IRHT
Le schéma de droite explique la division en deux, pour former un X. Le schéma de gauche « explique » le résultat, après recollement des bouts : étrangement, on n’a plus deux cercles, mais trois. Le texte de Calcidius décrit ainsi les deux schémas ([6], p 276) :
« Ainsi, dit-il, Dieu a coupé cette série, qui n’est ni matière ni corps, comme si on divisait une ligne droite AB dans le sens de la longueur et si à partir des deux segments on faisait un chi, TA EZ, puis en l’incurvant seulement on faisait deux cercles qui l’un et l’autre se raboutent, HOKA et HMKN, et on les entourait d’un autre cercle extérieur, dont le mouvement ou la circonférence et la révolution est toujours le même et uniforme. c’est-à-dire l’aplanês. » |
Hanc igitur seriem, non materiam neque corpus, secuit, inquit, deus, ut si quis AB rectam lineam in longum findat et de segminibus duobus chi faciat, IA EZ, id ipsum incurvet demum et duos innexos sibi invicem circulos faciat, HOKA et HMKN, hosque ipsos exteriore alio circulo cuius motus conversioque idem semper et uniformis sit circumliget, id est aplani. |
L’intéressant est que le texte de Calcidius explique clairement le processus en trois dimensions qui sous-tend le texte de Platon : courber et recoller le xhi fait apparaître une sphère englobante ; mais le schéma en deux dimensions, avec ses trois cercles, dit autre chose.
Eva-Maria Engelen [7] lit le schéma de manière dynamique, et pense qu’il n’illustre pas directement le texte de Platon mais un autre récit de la création du Monde qui s’en inspire, un Hymne de Boèce, particulièrement difficile à traduire :
L’Âme, à la triple nature, qui meut toutes choses, Boèce, Hymne au Dieu Créateur, vers 524, traduction Alain Lernould [7a] |
Tu triplicis mediam naturae cuncta moventem |
Je pense pour ma part que l’obscurité du schéma tient à ce qu’il veut exprimer simultanément trois idées platoniciennes, d’une manière encore plus condensée que Boèce :
- l’idée de sphère englobante, construite en recourbant deux cercles qui, dans l’espace, s’intersectent en deux points ;
- l’idée de continuité de l’âme, par le recoupement des deux cercles dans le même plan ;
- l’idée de rotation par entraînement : les deux cercles intérieurs (deux planètes) tournent dans le même sens, entraînés par le cercle extérieur (l’aplanes, ou sphère des Fixes) qui tourne dans l’autre sens.
11ème, Bibliotheca Vaticana, Barb Lat 22 fol 27v
Cette évolution du schéma, dans lequel les cercles coïncident presque, supprime l’idée de continuité et accentue l’effet de frottement.
La compilation d’Abbon de Fleury
Dès le 2ème siècle, Justin Martyr avait considéré que l’image du X dans le Timée préfigurait la Sainte Croix. La compilation d’Abbon de Fleury s’inscrit dans la lignée de l’appropriation de cette image par la pensée chrétienne.
Commentarius in Timaeum 10eme Berlin, SBPK Ms. Phill. 1833 fol 36v.
Rédigée vers 950, elle nous est connue par ce manuscrit du début du 11ème siècle ([8], p 179 et ss). Abbon a rajouté des légendes aux deux schémas muets de Calcidius :
- sur le premier, Una essentia (Essence unique) et Essentiae Sectio (division de l’Essence) ;
- sur le second :
A partir d’une essence unique, deux cercles se sont noués l’un à l’autre |
De una essentia innectuntur sibi duo circuli |
L’origine de la mandorle en huit ?
Pour Kessler ([10], p 65), ce texte serait à l’origine de l’invention de la mandorle en huit, dont la signification serait donc l’Union des deux Essences, Divin et Humaine.
En fait, si ce texte est bien connu, c’est parce qu’il a été popularisé par Migne, qui dans sa patrologie, a inclus ces schémas en commentaire du « De natura rerum » de Bède (sans préciser leur provenance). Mais en fait, on ne le retrouve, à ma connaissance, dans aucun autre manuscrit de Calcidius : c’est donc une légende rajoutée au schéma de Calcidius par Abbon de Fleury au plus tôt vers 950, soit un bon siècle après l’apparition de la mandorle en huit.
Un schéma logique de la continuité
Abbon a recopié à l’identique le texte explicatif de Calcidius, en rajoutant au début quelques mots qui résument de manière lapidaire le développement de Platon sur la partition harmonique de l’Essence (avant sa division en deux) :
Les parties de l’Essence sont jumelles, ce que Platon appelle une série. |
Essentiae geminae partes sunt, quam Plato vocat seriem |
Le début de la phrase est emprunté à Boèce qui, au début de son « De Institutione arithmetica », distingue le Continu, qui a pour qualité la Magnitude, et le Discontinu, qui a pour qualité la Multitude [9]. Soit un couple de notions assez proche du Même et du Divers de Platon.
Le fait que Abbon ait vu dans les deux cercles intersectés de Calcidius moins une image cosmologique (l’équateur céleste et l’écliptique) qu’un schéma logique de la continuité de l’Essence entre deux extrêmes (« ce que Platon appelle une série ») est assez révélateur de l’influence platonicienne sur la pensée chrétienne :
- intersectés, deux cercles pourront illustrer une médiation possible entre deux contraires (terrestre/céleste, humain/divin), voire même une Trinité ;
- tangents, les deux mêmes cercles insisteront sur une binarité inconciliable, sauf en un point.
Le khi illustré
Il est très rare de trouver une représentation du globe céleste faisant référence au khi platonicien.
Vers 1000, Boulogne, BM MS 0188 fol 20, IRHT | 1000-25, Bern. Burgerbibliothek, Cod. 88 fol 1v (copie du manuscrit de Boulogne) |
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Phénomènes d’Aratus, traduction par Germanicus
Cette image illustre l’introduction :
Aratus a consacré ses chants à Jupiter, le grand Principe. Toi aussi, mon père, suprême auteur de mon existence, je t’en prie, consacre ce que je t’apporte, les prémices de mon savant travail. |
Ab Jove principium magno deduxit Aratus carminis ; at nobis genitor tu maximus auctor. Te veneror, tibi sacra fero, doctique laboris primitias. |
L’illustrateur a composé pour Jupiter une image très originale :
- l’aigle porteur de foudre est emprunté au dessin de la constellation de l’Aigle, qui figure plus loin dans le manuscrit (à la position de la tête près) ;
- le sceptre dans la main gauche traduit l’idée de Roi des Dieux ;
- le globe céleste marqué du khi évoque à la fois le Démiurge platonicien et le cercle zodiacal (la suite immédiate du texte décrit la course du soleil parmi les signes).
Dans le manuscrit de Boulogne, l’illustrateur a repris pour la tête la figuration d’Hélios au sept rayons (voir 2 Le globe solaire ) ; et a eu l’idée, unique à ma connaissance, de leur associer les sept étoiles de la Couronne boréale, incluant ainsi cette image introductive parmi celles des constellations.
Le copiste de Berne a renoncé à cet enrichissement, un peu trop païen et un peu trop confus (Jupiter plus Hélios comme image du Dieu créateur).
Le schéma du papyrus d’Eudoxe
Papyrus d’Eudoxe, 2ème s Av JC, Louvre
Le schéma du haut fait suite au passage suivant :
« La lune n’a pas de lumière propre, mais elle est éclairée, par le soleil. Si, en effet, la lune· avait une lumière propre, il faudrait que sa partie qui est en face du soleil fut obscure et le reste brillant. Or, tout au contraire, c’est sa partie en face du soleil qui est brillante et le reste est sombre. C’est précisément ce qui arrive pour la terre, qui n’a point de lumière propre. » [10a]
C’est ce qu’illustre le schéma, avec sa partie claire marquée Hélios et sa partie sombre marquée Séléné.
Le schéma du bas fait suite au passage suivant :
« La lune est sphérique. Si, en effet, sa forme était celle d’un disque, elle serait tout entière illuminée par le soleil dès le premier jour; or, elle ne devient tout entière lumineuse qu’après quinze jours; donc la lune n’a point la forme d’un disque. — Si elle avait la forme d’un bassin dont la concavité fût tournée vers nous, ce ne serait point le côté du soleil qui serait le premier éclairé. Or, tout au contraire, c’est le côté du soleil qui est le premier éclairé et le reste est sombre, comme cela arrive aussi pour la terre, qui n’a point de lumière propre. » [10a]
Kessler [10b] croit y retrouver le schéma de Calcidius, mais rien dans le papyrus ne se réfère au Timée.
Il est plus probable que le schéma essaie maladroitement de superposer les trois possibilités exposées par le texte :
- 1) lune plate : s’éclaire en totalité ;
- 2) lune concave : s’éclaire en premier du côté opposé au soleil ;
- 3) lune convexe : s’éclaire en premier du côté du soleil.
Autres schémas en huit
D’autres constructions en huit sont bien connues, mais aucune n’aurait pu servir de source à la mandorle en huit.
Le Grand Huit de Byrhtferth
Diagramme de Byrhtferth [11]
Comput de Ramsey , vers 1090, Oxford MS 17 fol 7v
Byrhtferth, moine de l’abbaye de Ramsey, avait été l’élève d’Abbon de Fleury et connaissait donc sans doute les cercles intersectés de Calcidius. Il n’en avait cependant pas besoin pour construire ce grand huit, qui combine ingénieusement :
- le losange des quatre Eléments (et quaternités associées),
- le cercle des douze mois et Signes du zodiaque.
La forme « en huit » n’apparaît que pour des raisons de mise en page, suite à l’étirement vertical du cercle et à son pincement horizontal.
L’analemme du soleil
Cadran solaire à analemme, Eglise de Lautenbach
Cette autre figure répartit elle-aussi les mois selon un tracé en huit, mais dans un ordre différent et pour une raison purement physique : elle montre les déviations mensuelles de l’ombre du soleil à midi. Cette figure aurait pu être connue au Moyen-Age, au moins expérimentalement : mais on n’en trouve aucune trace dans les textes
L’hippopèded’Eudoxe
Hippopède d’Eudoxe | Famille d’Hippopèdes |
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mathcurve.com [12]
L’astronome grec Eudoxe avait raffiné le modèle de Platon en introduisant la figure de l’hippopède, de nom d’une entrave de cheval grecque qui avait cette forme en huit.
Pour expliquer le mouvement parfois rétrograde de chaque planète, Eudoxe avait imaginé qu’il résultait de la combinaison des mouvements de rotation uniformes de quatre sphères concentriques imbriquées.
La figure de gauche montre les deux sphères internes : la sphère noire est fixe, le cercle bleu, incliné, tourne d’Ouest en Est ; sur ce cercle, un point rouge tourne à la même vitesse dans l’autre sens. Le point rouge décrit sur la sphère, durant l’année, une courbe en huit.
La figure de droite montre comment passer du huit au chi : dommage que les théologiens ne l’aient pas connue !
Le système d’Eudoxe s’est transmis au travers de la Métaphysique d’Aristote, qui n’a été traduite en Occident qu’à partir du XIIème siècle : aucune chance donc que cette brillante construction ait pu motiver l’invention de la mandorle en huit.
Cercles intersectés et théologie
Initiale M de Maria (ouvrant la fête de Pâques)
Gero Codex, vers 969, Darmstadt Hessisches Landesbibliothek MS 1948 fol 86r
Les compartiments du M hébergent d’une part deux Saintes Femmes, d’autre part l’Ange qui leur annonce la Résurrection du Christ. Sur la jambe centrale, le tombeau vide imite la forme des deux lettres A qui l’encadrent.
Psautier d’Odbert
Psautier d’Odbert, 999, Boulogne-sur-Mer, BM ms. 0020, fol 108, IRHT
Tracée comme deux cercles sécants, l’initiale M permet de distinguer trois domaines :
- à gauche les soldats venus arrêter Jésus,
- à droite les Apôtres
- dans la zone de recouvrement, le baiser de Judas à Jésus.
Fol 62 | Fol 149 |
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Psautier d’Odbert, 999, Boulogne-sur-Mer, BM ms. 0020, fol 108, IRHT
Le copiste de ce manuscrit appréciait visiblement les possibilités décoratives des cercles intersectés, pour l’initiale M :
- deux quadrupèdes avec une tête à oreille pointue ou à gros bec, selon le sens dans laquelle on la regarde ;
- deux oiseaux au cou entrelacé.
Fol 153v
Le même schéma est repris verticalement pour l’initiale S, avec deux monstres entrelacés par le cou.
Fol 136
Tracée cette fois comme deux cercles tangents, l’initiale M héberge deux lions unis par la tête.
Raban Maur, « De Universo »
Raban Maur, « De Universo », vers 1023, Monte Cassino MS 132 fol 13
Contrairement à ce que propose Kessler ([13], p 131), ce schéma n’exploite pas la notion de mélange ou de terme médian que porte l’intersection des cercles. On reconnaît de gauche à droite le Fils, le Père et le Saint Esprit, mais le Père n’est pas représenté comme ce que les deux extrêmes ont en commun.
Bien au contraire, son médaillon excède et surplombe l’intersection des deux autres Personnes : il est leur principe, pas leur résultat.
Un cas particulier : le Vere Dignum en deux cercles
Vere Dignum,
Sacramentaire de Gellone, 780-800, BNF Lat 12048 fol 58r gallica
Dans ce sacramentaire apparaît pour la première fois ce symbole, la ligature des deux initiales V et D de l’invocation « Vere Dignum » sous forme de deux cercles intersectés. Le symbole, qui ouvre la Préface de la messe, apparaît à plusieurs reprises dans le manuscrit, avec des ornementations légèrement différentes, à titre d’abréviation remplaçant l’invocation complète.
Kessler ne manque pas de rapprocher cette ligature de la construction de Calcidius et voit dans cette intersection, marquée par une croix, la symbolique des deux natures :
« Leur forme même traduit le sens de la prière de la consécration, révélant dans le jeu de la lettre et du signe, c’est-à-dire dans la fusion du V, construit avec des êtres vivants et relié par une croix à un D abstrait, la fusion des natures charnelle et spirituelle. par la mort du Christ qu’affirment la Préface puis l’Eucharistie. » ([13], p 127)
Cette symbolique a bien existé, puisque Kessler produit un texte de Guillaume Durand (1230-96) qui la décrit explicitement :
« La lettre V, ouverte en haut et fermée en bas, symbolise l’humanité et la nature humaine du Christ, qui descend d’une lignée ancienne, et qui a pris naissance dans la Vierge mais qui est sans fin. Le D, qui enferme un cercle, est la figure de la divinité ou de la nature divine du Christ. Le dessin au milieu, fusionnant les deux parties, est la croix, à travers laquelle l’humanité et la divinité sont unies. Cette figure est placée au début de la Préface parce que, par le mystère de cette union, les deux hommes seront réconciliés avec les anges par la Passion du Seigneur, et l’humain sera uni au divin dans la louange du Sauveur. » ([13], p 128)
Cependant cette démonstration se base sur la différence de forme entre le V triangulaire et le D circulaire : il est donc pour le moins aventureux de l’appliquer au Sacramentaire de Gellone, antérieur de cinq siècles et où les deux lettres sont circulaires.
Missel de Rennes, 12eme, BNF Lat 9439 fol 7v Gallica
D’autant que cette miniature contemporaine du texte de Guillaume Durand, l’association se fait en sens inverse :
- le V est associé au Christ en gloire, donc au Divin ;
- le D à l’Agneau, autrement dit l’Humain.
Vere Dignum, fol 8 | Te Igitur, fol 9v |
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Sacramentaire à l’usage du Mans, provenant de l’abbaye de St Amand, 851 , Le MANS BM MS 77 IRHT
Un demi-siècle après celui de Gellone, ce sacramentaire représente le Vere Dignum par une forme tendant à la symétrie complète. La « croix » qui apparaît au centre tient avant tout à l’intention calligraphique que le monogramme contienne toutes les lettres de VERE DIGNUM (la branche de gauche permet de former le G, la branche de droite le E).
Le symbolisme de la croix ne peut être ici qu’un effet collatéral, puisqu’à l’époque carolingienne, le Vere Dignum est clairement associé au Sanctus (voir 2 Une figure de l’Incommensurable ), autrement dit à l’image du Seigneur victorieux.
L’image de la Croix est quant à elle portée de manière éclatante, deux pages plus loin, par le T du Te Igitur.
Omega (FINIS), vue 512
945, Moralia in Job, Biblioteca national Madrid Cod 80
Pas plus que ce grand Omega à la dernière page des Moralia in Job, le double cercle du Sacramentaire de Gellone n’a selon moi à voir avec les cercles de Calcidius ni avec l’union des deux natures : il résulte avant tout d’un jeu calligraphique et du goût pour la symétrie qui caractérise les manuscrits du Haut Moyen Age.
Sacramentaire à l’usage de Saint-Martin de Tours, 1170-1180, Tours BM 193 fol 71 IRHT
Même dans cet exemple tardif, les deux cercles ne représentent pas l’union des deux natures, mais celle des Ecritures : le Christ y est très logiquement placé comme le point commun, à la fois temporellement et théologiquement, entre :
- la Synagogue en position d’humilité, portant les Tables de la loi ;
- l’Eglise en position d’honneur, avec une hostie et un ciboire.
Missale praemonstratense, 1175-1200, BNF Lat 833 fol 102v
Ici le même schéma sert encore un autre propos, le « passage de relai » entre les deux Saint Jean :
- à gauche, Saint Jean Baptiste, le précurseur, annonce l’Agneau de Dieu (« ecce agnus dei »)
- à droite, Saint Jean l’Evangéliste regarde vers l’arrière (« Au début était le Verbe« ) ;
- au centre trône l’Agneau, qui est également le Verbe.
A noter que le schéma est ici une véritable « mandorle » au sens géométrique (ou vesica piscis), à savoir l’intersection de deux disques de même diamètre dont le centre de chacun se trouve sur la circonférence de l’autre.
La Pentecôte
Bréviaire de Montiéramey, 1150-1200, BNF ms. Latin 796 fol 182r
L’intersection des deux cercles retouve ici sa valeur première : celle d’une boutonnière dans le Ciel, ouverte par les deux anges, pour permettre à la colombe de l’Esprit Saint de descendre en piqué vers la Terre.
Cette figure est en fait très rare. L’exemple toujours cité est celui du portail royal de Chartres :
Chartres, Portail Royal, 1145-55, photo Bruce Lyons (https://brucelyonsblg.wordpress.com)
Conques, vers 1100
Le portail de Conques, par comparaison, et contrairement à ce qu’on lit souvent, n’est pas une vesica piscis » : l’intersection est nettement plus large.
Cercles trinitaires
Un mauvais et un bon exemple d’intersection de cercles pour figurer la Trinité
Une fausse piste dans la Bible de Moutier-Grandval (SCOOP !)
Initiale 1ère épître de Jean, fol 406r.
Bible de Moutier-Grandval, vers 840, BL Add MS 10546
Kessler ([10], p 67) fait de cette figure la première application théologique des cercles de Calcidius. Ils symboliseraient ici la Trinité, à cause de la Préface du Pseudo Saint Jérôme qui figure juste avant cette épître, dans laquelle Kessler relève les deux passages suivants :
...à l’endroit principal où se lit l’unité de la Trinité : la première Epître de Saint Jean […]. |
…illo praecipue loco ubi de unitate trinitatis in prima iohannis epistula positum legimus |
et
« Nous voyons que l’Esprit Saint partage avec le Fils le même cercle d’unité et de substance , – provenant de ce qui est l’esprit de sagesse et de vérité ; et en remontant encore, nous voyons que le Fils n’est en aucune façon séparé du Père quant à la substance » |
Eumdem circulum unitatis atque substantiae Spiritum Sanctum, secundum id quod sapientiae et ueritatis est Spiritus , uidemus habere cum Filio , et rursum Filium a Patris non discrepare substantia. |
Pour Kessler, l’image mentale implicite serait celle d’une chaîne de cercles intersectés, à la Calcidius, passant du Père au Fils puis au Saint Esprit.
Diagramme IEUE (transcription latine du Tétragramme)
Liber figurarum, Joachim de Fiore, vers 1230, Oxford Corpus Christi College MS 255A fol 7
Ce diagramme existe bien, mais est postérieur de quatre siècles [14]. Il semble pour le moins périlleux de présumer qu’il se trouve en germe dans le texte du Pseudo Jérôme, qui développe simplement une suite de raisonnements transitifs, descendant du Père au Fils et au Saint Esprit, puis remontant. L’expression « circulum unitatis », « cercle d’unité », évoque d’ailleurs l’image d’un cercle englobant plutôt que celle d’une série de cercles intersectés.
Initiale Lévitique, fol 41r | Initiale Deuxième Epître de St Paul, fol 422r |
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Bible de Moutier-Grandval, vers 840, BL Add MS 10546
Pour comprendre ce que l’initiale de 1ère épître de Saint Jean a de réellement spécifique, commençons par la comparer à deux autres initiales du manuscrit :
- le V du Lévitique montre une autre main dans un cercle sur fond bleu : la main de Dieu sortant du ciel ;
- le P de la Deuxième Epître de St Paul montre la même fioriture, purement décorative, d’un pampre s’enroulant en spirale autour de la lettre.
Initiale 1ère épître de Jean, vers 840, Bible de Moutier-Grandval, BL Add MS 10546 fol 406r. | Main de Dieu sortant du Ciel et apportant une Couronne, 465–486, Baptistère de San Giovanni in Fonte, Naples |
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Ce que notre initiale Q a de vraiment spécifique, c’est que la main sortant du ciel tient une couronne, un motif paléochrétien bien connu qui signifie le couronnement des martyrs, ou des Elus. Il me semble que cette figure illustre tout simplement le deuxième verset de l’Epitre :
« nous vous annonçons la Vie éternelle, qui était dans la sein du Père et qui nous a été manifestée »
L’intersection des deux cercles, purement fortuite, n’a donc rien a voir ici avec la Trinité : la couronne de Dieu sortant du ciel traduit simplement « la Vie éternelle, qui était dans la sein du Père ».
Codex Uta, 1000-25, Münich, BSB Clm 13601 fol 89v (détail)
Unique à l’époque carolingienne, l’image de la main de Dieu tenant une couronne devient plus fréquente dans l’art ottonien. Ici Dieu tire Saint Jean par son auréole pour le hisser dans son Ciel, au dessus
- du cercle des anges,
- du cercle du firmament avec les étoiles et les deux luminaires,
- du monde sublunaire où règnent la Mer et la Terre.
Onction d’Otto III, fol. 16r (détail)
975-1000, évangéliaire de Liuthar, trésor de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle
Dans la partie céleste de l’image, au dessus du linge tenu par les quatre Animaux, la main de Dieu vient donner son onction à la couronne impériale. L’ouverture circulaire dans le ciel s’est transformée en une auréole cruciforme, signifiant le pouvoir divin de l’Empereur ; en contrebas lui fait écho le globe impérial crucifère, emblème de son pouvoir terrestre.
Une vraie Trinité : le bénédictionnaire de St Aethelwold (SCOOP !)
Deus Omnipotens (OMPS), fol 91r | Trinitas, fol 70r |
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Bénédictionnaire de St Aethelwold, 963-984, British Library Add MS 49598
La comparaison des deux pages permet de comprendre le vocabulaire graphique très précis de ce manuscrit :
- le O doré extérieur représente l’initiale de Omnipotens, donc la toute Puissance de Dieu
- l’image de droite comporte à l’intérieur de ce O de nouveaux tracés dorés : ce sont eux qui représentent la Trinité.
Le centre du O de l’Omnipotence (en bleu) coïncide avec le centre de l’ovale, et avec le nombril du Père. Le siège est constitué de deux autres cercles, et la Trinité se lit dans les plis du nombril et des deux genoux (en jaune).
Cercles intersectés dans des Bestiaires anglais
De rares enlumineurs anglais ont exploité de manière récréative le schéma des cercles intersectés, pour expliciter certaines scènes animalières complexes.
La chasse au bonnacon
Bestiaire de Worksop (Lincoln ou York), 1185, Morgan Library, MS M.81 fol 37r | Bestiaire Harley, 1230-1240, BL Harley MS 4751 fol 11r |
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Le bonnacon, aux cornes inutiles, se défend des chasseurs en leur tournant le dos pour les asperger d’excréments. Très logiquement, le schéma exclut les cornes et inclut les excréments dans la partie commune entre les chasseurs et la proie.
Dans la seconde image, l’enlumineur a même rajouté un troisième cercle pour conférer aux excréments le statut d’acteur à part entière.
L’aspic
Bestiaire anglais, 1200-10, Cambridge University Library, Ii.4.26, folio 48v | Bestiaire Harley, 1230-1240, BL Harley MS 4751 fol 61r |
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Pour éviter d’entendre la voix de l’enchanteur, l’aspic presse une oreille contre le sol et se bouche l’autre avec la queue. Il existe deux iconographies courantes :
- l’enchanteur assomme l’aspic avec un bâton,
- il chante, joue de la musique ou profère le sort.
Le schéma à deux cercles se traduit subtilement cette situation d’antagonisme :
- dans le premier cas, la partie commune est ôtée, créant la brèche qui permet au bâton d’atteindre l’aspic, isolé dans sa sphère perceptuelle ;
- dans le second cas, cette brèche contient l’autre outil du magicien, le parchemin magique sur lequel est écrit :
Tu marcheras sur l’aspic et le basilic, Psaume 91, verset 13 |
Super aspidem et basiliscum amb(ulabis) |
Le faucon et les cailles
Bestiaire Harley, 1230-1240, BL Harley MS 4751 fol 63r
Très inspiré par ce schéma, le copiste du Bestiaire Harley l’a utilisé pour traduire une autre situation d’antagonisme, entre les cailles et le faucon. Pendant leur migration les cailles choisissent le meneur du vol , l’ortygometra ou « mère des cailles », dans une autre espèce d’oiseau, car lorsqu’il atterrira, il sera la proie du faucon.
La communication entre les deux cercles se referme sous la queue de l’aigle, séparant les trois cailles qui volent dans le ciel (fond bleu) de leur chef sacrifié au sol (fond brun).
Le phénix
Bestiaire de Worksop (Lincoln ou York), 1185, Morgan Library, MS M.81 fol 62v | Bestiaire de Peterborough, Angleterre, 1300-10 , Corpus Christi College Parker Library, MS 53 fol 200v |
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Après avoir vécu cinq cent ans, le phénix rassemble des brindilles aromatiques pour se faire un bûcher, d’où il ressuscite avec une nouvelle jeunesse.
Le Bestiaire de Worksop utilise les deux cercles accolés pour montrer la continuité de l’histoire, mais aussi pour suggérer, de manière abstraite, la forme du bol dans lequel le phénix s’incinère.
L’illustrateur du Bestiaire de Peterborough a représenté ce bol, et choisi deux moments différents :
- l’allumage du brasier par le soleil,
- la résurrection, sous la forme d’un ver ailé qui sort des cendres et, en trois jours, va se transformer : la case de droite condense le début et la fin de cette évolution, en représentant simultanément le ver et le nouveau phénix.
Dans le silence des Beatus
« Et quand l’Agneau eut ouvert le septième sceau, il se fit dans le ciel un silence d’environ une demi-heure. » Apocalypse 8,1
Certains Beatus illustrent ce passage par le mot SILENTIUM (seul ou répété huit fois), par un mime (quatre anges le doigt sur les lèvres), par une image abstraite (douze fleurons disposées en tableau ou en croix), voire même par un rectangle vide [15].
Le Beatus de Lorvao – le seul Beatus portugais – a imaginé un schéma remarquable, composé de sept cercles identiques intersectés.
Le Silence, fol 134r
1189, Beatus de Lorvao, National Archives Torre do Tombo, Lisbonne
Le haut de la page porte en rouge la phrase à commenter (Apocalypse 8,1), et présente au centre un cadre transparent contenant sept cercles transparents [16], dans lesquels est décomposée en sept morceaux la phrase : « Il y a sept sceaux (Sep-tem-si-gi-ll-os-sunt) ». Le cercle central, renfermant le dernier mot « sunt » représente donc le septième sceau, ouvert en dernier.
Ce schéma montre que le septième sceau (bord noir) est composé de six lentilles bleues, et six motifs jaunes. Chaque autre sceau (bord rouge) est composé de neuf lentilles bleues et quatre lentilles jaunes. Le calcul montre que la surface du septième sceau, ainsi amputé des six lentilles périhériques, est égale ( à trois pour cent près) à celle des autres sceaux.
Fol 134v | Fol 135r |
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La page suivante commence, en noir, par le commentaire de Beatus sur le Silence :
Il n’a vu qu’un moment de silence, parce qu’il allait avoir la même vision encore plus pleinement : dans ce septième signe, il n’avait pas vu tant qu’il allait en voir encore. Et pour que beaucoup de choses puissent être montrées plus ouvertement, le silence fut rompu… Maintenant, il va récapituler la Passion du Christ, en disant la même chose d’une autre manière |
Eandem partem silentii vidit : quia eandem visionem adhuc plus plenius visurus erat quod in hoc septimo signo non videt tantum, quantum a7dhuc futurus erat videre. Et ut apertius multa ostenderentur, interruptum est silentium… Nunc vero recapitulat a christi passione. eadem aliter dicturus [17]. |
Le second schéma abstrait en bas à droite – un cadre carré rempli de dix flèches, évoque les éclairs tombant sur la terre, cités juste à côté dans le texte en rouge :
« Puis l’ange prit l’encensoir, le remplit du feu de l’autel, et le jeta sur la terre; et il y eut des voix, des tonnerres, des éclairs, et la terre trembla. Et les sept anges qui avaient les sept trompettes se préparèrent à en sonner ». Apocalypse 8, 5-6
L’image pleine page de droite montre ce qui se passe au ciel, où les sept anges à trompette récapitulent, selon Beatus, les annonces aux Sept églises qui ouvrent l’Apocalypse. Ainsi l’épisode du Silence est compris comme une césure majeure du texte, entre le premier et le second récit.
Fol 133r | Fol. 133v |
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Vers 945, Beatus Morgan MS M.644
Pour comparaison, dans ce Beatus plus ancien, la césure tombe elle-aussi sur une page recto : le Silence est figuré par les douze fleurons décorant les lettres S I L E N T I U M E S T. Les flèches des éclairs sont figurées au registre inférieur de la page verso.
A l’issue de ce panorama, il apparaît que presque tous les schémas d’intersection de cercles sont présentés à l’horizontale, grande différence avec la mandorle en huit à laquelle est consacrée, enfin, le chapitre suivant : 3 Mandorle double symétrique
Texte et schémas en grec: De Letronne « Les papyrus grecs du Musée du Louvre et de la Bibliothèque impériale » p 62 https://books.google.fr/books?id=7wuISQAACAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=falseTraduction en latin : Friedrich Blass « Eudoxi Ars astronomica qualis in charta aegyptiaca superest denuo », 1887 https://archive.org/details/eudoxiarsastron00blasgoog/page/n23/mode/2up
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