2 La diseuse et sa mère (Vouet)
Vingt ans après Caravage, Vouet reprend le sujet en introduisant un troisième larron : une vieille gitane, qui va forcer le thème dans le sens des bohémiennes voleuses, et expliciter les enjeux d’argent et de sexe que Caravage s’était contenté de suggérer.
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La Diseuse de Bonne Aventure
1617, Vouet, Galleria Nazionale d’Arte Antica, Rome
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Le rapport de force
L’homme se trouve acculé au centre du tableau, entre la diseuse qui l’attire et la voleuse qui, dans son dos, le soulage de sa bourse.
La composition joue sur la symétrie entre la jeune et la vieille, la belle et la laide, semblablement voilées de blanc. Cependant les expressions des deux femmes sont à contre-emploi : celle qui devrait charmer par sa jeunesse porte sur l’homme un regard grave ; et celle qui devrait se concentrer sur son larcin sourit de sa bouche édentée et regarde le spectateur d’un air entendu.
On appelle ainsi le personnage d’un tableau qui semble prendre à témoin le spectateur. Le procédé avait déjà été indiqué par Alberti :
« Il est bon que dans une histoire, il y ait quelqu’un qui avertisse les spectateurs ce ce qui s’y passe ; que de la main il invite à regarder ». Alberti, De pictura, 1435
L’instant ironique
Et que fait la main droite de l’admonitrice ? Un geste obscène par dessus l’épaule de sa victime. (voir – Faire la figue).
Ainsi non seulement la vieille ne se dissimule pas au spectateur, mais en plus elle le prend à témoin de la bêtise du lourdaud : sa main gauche agrippe sa bourse tandis que, juste au dessus sa main droite figure un sexe masculin minuscule, montrant ainsi tout le mépris d’une bohémienne en fin de carrière envers tous ceux qu’elle a dupés.
Un gars de la campagne
Si Vouet peut se permettre de tourner l’homme en ridicule, c’est qu’il ne s’agit plus d’un fils de famille trop naïf, comme chez Caravage. L’antagonisme entre le natif et le nomade, entre le riche et le pauvre, s’est ici transformé en une opposition au sein de la même classe populaire, entre les futées de la ville et le lourdaud de la campagne.
Le tabouret de traite
Ce dernier est probablement un vacher, puisqu’il porte sur l’épaule un tabouret de traite à pied unique (qu’on appelle dans les Alpes Françaises un bottacul) : fixé par une corde sur le fessier du berger, il lui permettait d’avoir les mains libres pour passer d’une bête à l’autre (ci contre un modèle moderne, trouvé sur http://thinlay11.canalblog.com/tag/bergers)
Le choix de cet accessoire rare est ici parfaitement pertinent :
l’homme, après avoir trait ses vaches, se fait à son tour soulager par de plus redoutables femelles.
Les registres parallèles
Dans le registre du haut :
- à gauche, la main de l’homme brandit un symbole phallique ambitieux – qui serait, de par son usage de « bottacul », plutôt menaçant pour son propre fessier ;
- à droite, la main de la vieille raille cette vantardise, en mimant un sexe masculin miniature et une pénétration ridicule.
Dans le registre du bas :
- à gauche, les mains caressantes de la diseuse enveloppent la pogne de l’homme ;
- à droite, la main castratrice de la voleuse le soulage de sa bourse.
Ainsi, cerné par ces deux monstres de puissance féminine que sont la Jeune Fille aguichante et la Vieille Femme rouée, le pauvre naïf nous est montré pris en sandwich entre ce qu’il voit ou espère, et ce qui est.
Le tableau porte deux sous-titres. L’un à l’usage des moralistes :
la diseuse et la voleuse
L’autre à l’intention des connaisseurs du langage des gestes :
le baiseur baisé.
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