3 La Chapelle Gaillard Roux à Rodez
La restauration récente a rendu à cette chapelle son statut d’oeuvre majeure de la Première Renaissance dans le Midi de la France. Cet article n’aborde pas les abondantes études stylistiques et les querelles d’attribution. Il n’a pour but que de mettre en valeur les particularités iconographiques, souvent méconnues, de cette scénographie édifiée, autour d’une Mise au Tombeau, à la gloire de son commanditaire.
Article précédent : 2 Les Mises au Tombeau scénographiées
La Chapelle du Saint Sépulcre
Signé Gaillard Roux
De la clé de voûte aux verrières aujourd’hui disparues [19], de la clôture au retable, et jusqu’aux faux pilastres peints sur les angles (des candélabres portant des roses), toute la chapelle est saturée des initiales GR et des armoiries du chanoine, trois étoiles et cinq roses (arme parlante de Roux). Cependant son souvenir ne survit que dans cette chapelle de la cathédrale, où on n’est même pas sûr qu’il ait été enterré.
Un programme iconographique complet
Les restaurations récentes ont révélé que la paroi Sud de la chapelle était ornée d’une grande fresque représentant l’Ascension.
Ainsi, depuis la nef, le spectateur pouvait voir s’élever au dessus de la clôture deux images du Christ triomphant, tandis que la scène douloureuse de la Mise au Tombeau était cachée dans la chapelle (et problablement visitable à certaines occasions seulement).
Ce dispositif rappelle les rares monuments dont Elsa Karsallah [20] soupçonne qu’ils constituaient une sorte de substitut du pélerinage à Jérusalem (parfois associés à l’acquisition d’indulgences) :
« Les différents aménagements de chapelles que nous venons de décrire révèlent la volonté de restituer, à petite échelle et partiellement, le parcours spirituel proposé à Jérusalem. Ce dernier, sous l’influence des Franciscains, permettait de suivre pas à pas les derniers instants de la vie terrestre du Christ. »
Les sculptures de la clôture
La clôture présente la même structure sur les deux faces, six niches autour de la niche centrale. Les six statues intactes sont aujourd’hui regroupées sur la face interne, mais Gilbert Bou [21] propose, avec raison, que cette face présentait, de part et d’autre de l’Ecce Homo, les sibylles ayant prédit les mystères douloureux (en rouge). De ce fait, la sibylle persique, qui avec sa lanterne sourde avait prédit en termes voilés la venue de Jésus, devait figurer sur la face externe, dédiée aux mystères joyeux (en bleu). La figure centrale de cette face aurait pu être un Christ triomphant mais, compte-tenu de la dédicace de la cathédrale à Notre Dame, il était plus logique que les sibylles heureuses se déploient, côté nef, autour d’une Vierge à l’Enfant.
La statue centrale de la face externe a été retrouvée lors des fouilles de Ariane Dor [22], en même temps que des fragments de sibylles récemment remis en place. Il ne s’agissait pas d’un Christ triomphant, comme on l’avait cru, mais d’une Vierge à l’Enfant. Compte-tenu de la dédicace de la cathédrale à Notre Dame, il tout à fait logique que les sibylles heureuses se déploient côté nef autour du Christ enfant, tandis que que les sibylles douloureuses escortent le Christ souffrant, dans l’espace clos de la chapelle dédiée à son sépulcre.
L’emplacement de la clôture
Le fait que cette clôture, à deux faces opposées, s’inscrive aussi bien dans le programme de la chapelle, pourrait-il résulter d’un heureux hasard ? Car les deux demi-arcades qui se raccordent mal aux piliers, en haut de la face externe, ont fait supposer que la clôture était prévue initialement pour un emplacement plus large. Il pourrait s’agir d’une première clôture du choeur exécutée en style flamboyant, projet qui aurait été abandonné et que Gaillard Roux aurait remployé pour sa chapelle. Ses armoiries sur les deux faces auraient été rajoutées à l’occasion de ce remploi [23].
Séduisante à première vue, cette hypothèse présente plusieurs difficultés : les arcades latérales recoupées étant pleines, on aurait eu deux pans aveugles des deux côtés, pour le moins disgracieux dans une clôture de choeur. Pourquoi ne pas avoir prévu des arcades ajourées plus larges, de manière à remplir harmonieusement tout l’écartement disponible ? De plus, la clôture comporte, en plus des deux armoiries, d’autres motifs de roses (qui auraient donc dû également être rajoutés).
La particularité de l’emplacement est que les deux piliers gothiques ont des tailles et des profils très différents (correspondant à deux campagnes de construction). De ce fait, plaquer la clôture complètement en avant ou en arrière des piliers était impossible : vu leur épaisseur différente, elle aurait été en biais.
La solution retenue est un compromis agréable à la vue, aussi bien de l’extérieur (on ne perçoit pas le fait que le pilier gauche est nettement plus épais) que de l’intérieur (les statues s’alignent sur le centre des deux piliers).
Par ailleurs, le contraste stylistique entre la clôture flamboyante et le retable italianisant ne signifie pas que la clôture est très antérieure au retable :
- on a pu vouloir mobiliser en parallèle toutes les compétences disponibles (celles formées à la manière italienne étant encore rares ) ;
- on a pu vouloir conserver, côté nef, un style s’harmonisant avec celui du jubé, et réserver les éléments modernistes pour l’intérieur de la chapelle : ce qui accentuait d’autant plus l’effet d’admiration, en pénétrant dans cet espace novateur et saturé de couleurs.
Un trait de style
Il se peut même que les arcades latérales brisées soient un trait de style voulu, radicalisant l’opposition entre le grès austère des piliers médiévaux et le calcaire finement ouvragé de la nouvelle structure [24].
Façade de la sacristie du chapitre, vers 1530
Il existe dans la cathédrale un autre cas de raboutage d’une structure Renaissance sur des piliers gothiques, moins critique puisque les deux piliers sont symétriques et que la nouvelle façade se plaque complètement à l’avant. Les moulures des deux créneaux latéraux, au lieu de former une structure autonome, s’imbriquent avec une des colonnettes du pilier fasciculé…
…un peu comme, dans la clotûre de Gaillard Roux, les arcatures aveugles semblent émerger du grès.
L’ensemble de la chapelle constitue donc un programme iconographique complet, comme le note Ariane Dor [22] à la lumière des découvertes récentes :
La Vierge à l’Enfant située à l’entrée de la chapelle et la peinture historiée sur le mur ouest clôturent un cycle consacré à la vie du Christ, qui commence par le cortège des sibylles, annonçant sa venue sur terre, se poursuit par sa Passion (Ecce Homo), sa mort et sa Résurrection au rétable, et s’achève en vis-à-vis par son Ascension.
Le retable de Gaillard Roux
Chanoine de la cathédrale entre 1497 et 1534, Gaillard Roux a conçu et fait réaliser, probablement entre 1519 et 1523, le retable très ambitieux dont nous allons détailler de haut en bas les cinq registres.
Le registre supérieur
La Résurrection
Un soldat se cache les yeux, un autre est endormi sur le sol, son petit chien devant lui, et le troisième est trop dégradé pour en dire quoi que ce soit. Le Christ se dresse au dessus dans une pose spectaculaire, en équilibre sur la jambe gauche, le pied droit surplombant le soldat endormi…
…sans se poser sur le rebord du tombeau : exercice de virtuosité qui, vu d’en bas, donne à la silhouette un essor particulier.
Autre détail tout aussi rare : au lieu de tenir l’étendard de la Résurrection, comme c’est presque toujours le cas, la main gauche se présente paume ouverte [25]. Il est donc pratiquement certain que c’est le bras droit disparu qui brandissait l’étendard, au lieu de faire comme d’habitude le geste de la bénédiction. Tout comme l’auréole, cet accessoire était probablement en bois.
Résurrection (Accademia Carrara, Bergame) et Descente aux Limbres (anciennement Barbara Piasecka Johnson Collection, Princeton), Mantegna, 1492
Le geste de l’étendard tenu de la main droite est très rare : on le retrouve, avant Rodez, dans une composition très originale de Mantegna, reconstituée très récemment, où le Christ entre dans les Limbes vu de dos et ressort vu de face du tombeau, comme si les deux lieux communiquaient secrètement. Comme à Rodez, c’est la jambe droite qui amorce le mouvement de sortie.
Résurrection
Piero della Francesca, 1470, Museo civico San Sepolcro
Cette fresque de Piero della Francesca a une intention très différente, non plus dynamique mais statique : c’est le pied gauche qui prend appui sur le rebord, de manière à bien montrer la plaie du pied et celle de la main, celle du flanc étant découverte par l’étendard à main droite.
La Résurrection de Rodez fait en somme la synthèse de ces deux iconographies extrêmement originales, en nous montrant un Ressuscité qui ne bénit pas mais surgit hors de la Tombe et affirme sa Victoire en exhibant ses stigmates.
Les pilastres latéraux
La date de fin des travaux, 1523, est peinte sous la niche de gauche.
Les deux pilastres latéraux portaient en haut des anges sonnant de la trompette, qui ont été déposés pour restauration [26]. Le personnage qui figurait dans la niche de droite est perdu depuis longtemps [27] et le Saint qui subsiste à gauche ne porte qu’un livre, attribut insuffisant pour l’identifier [28].
Retable de l’Assomption, Maître-autel de l’Eglise de Boussac
Ce retable, à 35 km de Rodez, est manifestement influencé par la chapelle Gaillard Roux :
- l’Assomption (de la Vierge) reprend la composition de la grande fresque de l’Ascension (du Christ) – à noter le détail rare de Saint Thomas recevant le ceinture tombée du ciel ;
- les deux scènes de la prédelle (le Christ aux limbes et le Noli me tangere) recopient deux des tableaux du retable de la Mise au Tombeau.
On aurait pu espérer que les personnages latéraux, tous deux dans des niches en forme de coquille, recopient les statues sommitales de Rodez. Ce n’est malheureusement pas le cas, car l’absence d’auréole, à Boussac, désigne les deux personnages comme des personnages de l’Ancien Testament (Moïse avec les éclairs sortant de son front et David avec sa harpe [29] ) alors que le saint subsistant à Rodez est plutôt un Evangéliste.
Proposition de reconstitution
Il pourrait s’agir de Matthieu, le seul Evangéliste qui parle de l’épisode des gardiens « qui devinrent comme morts » (Matt 28,4). l’ange qui le surplombait aurait alors fonctionné comme son attribut, déporté.
On peut imaginer que le Saint en pendant aurait quant à lui été un des Apôtres, parmi lesquels Thomas serait un bon candidat, en raison de la scène de l’Incrédulité juste en dessous.
Les anges à trompettes, au dessus, seraient deux manière d’évoquer la proclamation de la Résurrection, par l’Evangéliste et par l’Apôtre.
L’inscription de l’intrados
Photo Louis Balsan (c) Société des lettres de l’Aveyron
Je remercie Mr Pierre Lançon de m’avoir signalé l’existence, dans l’intrados, d’une inscription peinte, malheureusement illisible : on voit seulement qu’elle était constituée de lettres imbriquées, comme celle gravée sur l’entablement, et qui de ce fait a été parfaitement conservée.
L’inscription de l’entablement
Relevé au XIXème siècle par l’épigraphiste roussillonnais Louis de Bonnefoy [30]
Cette inscription d’allure cryptique devient plus facile à comprendre dès lors qu’on remarque les points qui séparent les mots. Malgré les imbrications de lettres, il en manque très peu, il n’y a pas d’abréviations et le latin est acceptable.
Je passe sur l’interprétation fautive qu’en a donné Bion de Marlavagne en 1875 [31] et qui a été reproduite partout jusqu’à très récemment. La lecture et la traduction correcte en ont été fournies en 1984 dans le Corpus des inscriptions de la France médiévale [30], qui se trompait néanmoins en prétendant l’inscription disparue et en la datant du XIIème siècle.
O DEUS OM/NIPOTENS GUALHARDI / MISER/ERE RUFFY, |
O Dieu tout puissant, aies pitié de Gaillard Roux |
Les barres obliques marquent les ruptures de la corniche.
Nous reviendrons plus loin sur la signification de ce texte très révélateur, qui a rapport avec l’ensemble du monument (c’est l’inscription perdue de l’intrados qui était relative au registre de la Résurrection) . Contentons-nous de remarquer que la fin de l’inscription, sur le flanc droit de la corniche, ne peut absolument pas être lue depuis le bas. Or rien n’empêchait de resserrer un peu les lettres sur les parties visibles : il y a donc une volonté d’énigme, ou du moins de garder pour soi la fin de la formule.
Chapelle St Sépulcre, Plan Louis Causse (c) Societé des Lettres de l’Aveyron
Une particularité de la chapelle est qu’un passage récemment découvert [32], partiellement obturé par le retable, débouchait juste en dessous de ce texte caché : il donnait un accès direct à la chapelle depuis l’enclos canonial où résidaient les chanoines. Tout ce passe comme si cette bande étroite sur la droite du retable constituait une zone privative dont seuls jouissaient les chanoines, aussi bien physiquement (accès permanent à la chapelle) que spirituellement : « continuellement heureux » [33].
Le registre médian
Vue d’ensemble
Les trois tableaux de ce registre respectent l’ordre chronologique des événements, juste après la Résurrection survenue dans la nuit du Samedi au Dimanche (voir La pierre devant le tombeau) :
- la Descente du Christ aux Limbes : l’épisode, dont les Evangiles ne parlent pas, suit la Résurrection, puisque le Christ est en général figuré portant la bannière de sa victoire sur la Mort ;
- l’Apparition en jardinier à Marie-Madeleine (Noli me Tangere), le soir du Dimanche saint ;
- la seconde apparition aux Apôtres en présence de Saint Thomas, le dimanche suivant.
Ce registre est pensé comme un tout : ainsi les deux angelots portant les armes et les initiales de Gaillard Roux amplifient la posture du Christ, placé à gauche dans la première case et à droite dans la dernière.
Ces deux angelots ne sont pas tout à fait symétriques :
- celui de gauche, situé sous la date et la portion de texte qui demande pitié pour Gaillard Roux, porte des ailes et une petite mallette frappée des initiales GR ;
- celui de droite est un simple putti tenant les armes des deux mains, avec des « cuirs » en substitut d’ailes.
Pour ceux qui s’intéressaient aux détails, il était clair que l’angelot de gauche, avec son sac de voyage siglé, n’était autre que l’âme du bon chanoine attendant juste derrière le Christ…
Le Christ aux limbes, Dürer, vers 1506, Petite Passion
…là même où Dürer place les âmes déjà libérées de la Mort.
La Porte de la Mort
La position du Christ à gauche est de loin la plus courante. La porte des Limbes, à droite, était dans les représentations médiévales une gueule d’Enfer ; à la Renaissance, on la remplace souvent par un caverne (en Italie) ou par une porte dans un rempart (dans les pays du Nord). La présence d’une tour est extrêmement originale [34], tout comme la masse informe qui l’enserre.
Ceux qui l’on remarquée y voient des flammes s’échappant de l’Enfer. En fait, les flammes sont pratiquement absentes des représentations du Christ aux Limbes et les deux textures, fourrure sur les membres et pustules sur le ventre, montrent qu’il s’agissait d’un démon : peut-être à tête de bouc (on voit la trace d’une corne en spirale juste au dessus de l’oreille), il se rejetait en arrière, terrorisé par le Christ.
On notera que le panneau de Boussac, qui recopie celui de Rodez, montre également une tour et un démon (avec une petite tête de mort en guise de cache-sexe). En contraste avec cette Porte du Purgatoire, le sculpteur de Boussac a rajouté naïvement, dans le dos du Christ, l’entrée de l’Enfer représentée à l’ancienne, sous forme d’une gueule béante.
Mais le détail le plus notable dans la composition (à Rodez puis à Boussac) est que le Christ tend la main gauche pour extraire le Juste, contrairement au geste naturel (voir Dürer).
Schongauer, vers 1480 | Canavisio, 1492, Chapelle Notre-Dame des Fontaines, La Brigue |
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Le Christ aux limbes
La composition qui s’en rapproche le plus est celle de Schongauer, qui vise à mettre en valeur l’étendard du Christ victorieux, antithèse du débris de porte que brandit vainement le démon. Il est donc probable que le bras droit manquant du Christ, à Rodez, tenait là encore un étendard (sinon, pourquoi avoir inversé le geste naturel ?).
Le Noli me tangere
Dans les plus anciennes représentations du thème, la Madeleine est à gauche : à la fois pour satisfaire la « convention du visionnaire » et pour permettre au Christ de s’échapper vers la droite, prolongeant le mouvement de la lecture. Mais au début du XVème siècle, la composition inversée est devenue tout aussi courante.
Elle a probablement été choisie ici pour faire écho à la position des mêmes personnages dans la Mise au Tombeau juste en dessous : la tête du Christ à gauche et la Madeleine à droite. L’autre avantage était d’éviter toute redondance avec le troisième tableau.
L’incrédulité de Thomas
La position de Thomas à genoux à gauche est de loin la plus courante (c’est celle qui figure dans les gravures de la Biblia Pauperum) : elle exprime l’approche respectueuse de Thomas vers le Christ, qui l’attend de pied ferme, son étendard dans la main gauche. Il faut donc, là encore, rajouter un étendard manquant.
Une architecture triomphale
Pavoisé de ces trois oriflammes qui renforcent la cohérence des scènes et l’effet de symétrie, le haut du retable devait avoir fière allure : l’étendard que j’ai rajouté au centre vient de la fresque de Mantegna, celui de gauche de la gravure de Schongauer et celui de droite d’un polyptique du même Schongauer qui, pour les deux dernières scènes, a préféré la composition redondante :
Retable des Dominicains (détail)
Schongauer, Musée Unterlinden, Colmar, photographie Jean Yves Cordier, lavieb-aile.com.
L’inscription solennelle, les deux hérauts d’armes, les trois scènes victorieuses et l’arcade en berceau donnent à cette partie du monument une allure d’arc de triomphe. D’autant plus que, sous la corniche du bas, apparaît un motif décoratif très original.
Couronnement de l’escalier François Premier,1517-19, Château de Blois
Jacques Bousquet ( [35], p 255) a remarqué que ces « denticules arrondis » apparaissent en haut de l’escalier de Blois, terminé avant 1519 selon la nouvelle chronologie [36]. S’il ne s’agit pas d’une réinvention locale, il y a donc eu une transmission particulièrement rapide du motif, depuis la Loire jusqu’en Rouergue.
Ces denticules s’ajoutent à l’idée d’une architecture triomphale hérissée de drapeaux, puisqu’ils transposent manifestement les mâchicoulis médiévaux.
Le registre de transition
Ce registre sert de transition entre la partie Arc de Triomphe (du Christ et de Gaillard Roux) et la partie Sépulcre, d’où sont bannis les ornements personnels du prélat.
Le premier plan est un feu d’artifice monomaniaque : sous une frise de roses, une couronne de roses, d’où jaillissent deux cornes d’abondance, entoure le blason aux trois étoiles et aux cinq roses. Deux immenses lettres G et R se cachent peu discrètement dans les grotesques, et l’intrados de l’arc s’orne de cent roses serties dans une maille d’étoiles.
L’arrière-plan, en revanche, est purement sacré, avec trois angelots portant des instruments de la Passion :
- le roseau avec l’éponge, et la coupe ;
- la croix ;
- la lance et la couronne d’épines.
Cette couronne fait double emploi avec celle que tient Saint Jean dans la Mise au Tombeau. Elsa Karsallah ( [37], p 300) attribue cette insistance au fait que la cathédrale conservait un reliquaire de la sainte Epine. En fait, la redondance de la couronne s’observe dans plusieurs des Mises au Tombeau scénographiées que nous avons vues (voir 2 Les Mises au Tombeau scénographiées), et tient simplement à la différence de statut des objets selon le registre auxquels ils appartiennent : réalistes sur terre et magnifiés au Ciel.
Ce qui mérite explication, en revanche, est l’inversion délibérée des attributs par rapport à leur place conventionnelle dans la Crucifixion : la lance est toujours à gauche de la croix (du côté de la plaie) et le roseau à droite. Inversion d’autant plus étrange qu’elle éloigne diamétralement les deux couronnes d’épines, alors qu’on aurait mieux compris que la couronne céleste se place à l’aplomb de la couronne terrestre. Nous reviendrons plus loin sur cette anomalie, qui ne pouvait manquer d’intriguer les spectateurs de l’époque.
Le registre sépulcral
Je n’ai rien a ajouter sur cette Mise au Tombeau magistrale et abondamment commentée : elle est du type méridional, avec Marie au centre entre les deux Saintes Femmes, l’une qui pose ses mains sur son bras droit et l’autre qui soutient son bras gauche, dans une sorte de contraposto parfaitement équilibré. Les tailles des sept personnages sont calculées pour épouser, de manière adoucie, l’arc en anse de panier.
Il importe en revanche de détailler ce dont on ne parle jamais : les deux niches vides latérales.
La juxtaposition rend manifeste l’effet de magnificence produit par la variété des motifs. Les denticules arrondis sont à gauche presque masqués par la parchemin de l’inscription, et apparents à droite. Le culot de gauche est constellé d‘étoiles mais celui de droite, où l’on attendrait logiquement des roses, est décoré de flammes (qui s’expliqueront plus loin). Le candélabre de gauche porte les lettres S et F, celui de droite S et P, plus deux clés entrecroisées.
Il est regrettable qu’on continue à propager l’opinion de Bion de Marlavagne, qui y voyait Saint Paul et Saint Pierre, ignorant les initiales et contredisant l’iconographie : en tant que chef des Apôtres, Pierre vient toujours en premier (sauf cas très particulier de la traditio legis voir 2 Epoque paléochrétienne).
Déjà mentionnée au Congrès archéologique de 1937, la bonne solution a été explicitée par Gilbert Bou [21], en se basant sur les initiales mais aussi sur les deux inscriptions : quoique présentant la même typographie imbriquée que l’inscription principale, elles sont très faciles à lire.
Saint François
Car je porte sur mon corps les stigmates du seigneur Jésus St Paul, Epitre aux Galates |
Ego enim Stigmata Domini Iesu in corpore meo porto |
C’est peut être le fait que le texte soit de Saint Paul qui explique l’erreur de Bion de Marlavagne : mais le mot stigmates, comme le remarque G.Bou, renvoie sans ambiguïté à Saint François.
Raffinement supplémentaire : les deux lettres S et F sont tenues par une cordelière franciscaine, qui fait un pendant discret aux clés sur l’autre pilastre.
Eglise de Gargilesse | Eglise de Belpech |
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Saint Francois, XVIème siècle
En écho au Christ ressuscitant, la statue suivait possiblement cette formule, où le Saint met en avant les stigmates de ses paumes.
Le cas de l’église de Belpech est particulièrement intéressant, puisque la statue de Saint François y flanque une Mise au Tombeau, en regard d’un autre saint traditionnellement identifié comme Saint Joseph (sans doute à cause de sa position derrière Joseph d’Arimathie). L’association entre Saint François et le sépulcre trouve peut être sa source dans le rôle des franciscains pour la promotion des Lieux Saints. Même si la raison précise nous échappe dans le cas de Belpech, cet exemple montre qu’il n’était pas choquant d’apparier un saint moderne avec un saint biblique.
Saint Pierre
Car la statue de droite, à Rodez, était celle de Saint Pierre, comme l’indiquent clairement les initiales, les clés, et l’inscription :
Porte-enseigne des apôtres, |
Signifer apostolorum, |
Ce texte est tiré de la Litanie de tous les Saints (Litania Omnium Sanctorum [38] ) : il résume Saint Pierre en deux points : la primauté sur les Apôtres et le pouvoir d’Absolution.
Un appariement théologique
La place de Saint Pierre, en seconde position, loin de la tête du Christ allongé et de la nef, peut étonner, d’autant plus qu’on le proclame le Prince des Apôtres. On chercherait vainement un lien entre saint François et Joseph d’Arimathie d’une part, saint Pierre et Nicodème de l’autre. Si les deux saints ne prolongent pas horizontalement la Mise au Tombeau, c’est que leur raison d’être est ailleurs : pourquoi pas dans le registre supérieur ?
Puisque l’inscription de Saint François insiste sur les stigmates, il est opportun de se reporter au texte racontant comment ceux-ci sont apparus :
« Il priait en ces termes: « Mon Seigneur Jésus-Christ, je te prie de m’accorder deux grâces avant que je meure: la première est que, durant ma vie, je sente dans mon âme et dans mon corps, autant qu’il est possible, cette douleur que toi, ô doux Jésus, tu as endurée à l’heure de ta très cruelle Passion; la seconde est que je sente dans mon coeur, autant qu’il est possible, cet amour sans mesure dont toi, Fils de Dieu, tu étais embrasé et qui te conduisait à endurer volontiers une telle Passion pour nous pécheurs.» » [39]
Ainsi la stigmatisation résulte d’une double identification avec la douleur et l’amour, autrement dit, dans les deux sens du terme, avec la Passion du Christ. Un peu plus loin dans le texte, celui-ci apparaît à François et lui parle :
« Sais-tu, dit le Christ, ce que j’ai fait ? Je t’ai donné les stigmates qui sont les marques de ma Passion, pour que tu sois mon gonfalonier. Et comme au jour de ma mort je suis descendu dans les Limbes et que j’en ai tiré toutes les âmes que j’y ai trouvées, par la vertu de mes Stigmates, de même je t’accorde que chaque année, au jour de ta mort, tu ailles au purgatoire, et que toutes les âmes de tes trois Ordres, c’est-à-dire des Mineurs, des Soeurs et des Continents, et aussi des autres qui t’auront été très dévots, que tu y trouveras, tu les en tires, par la vertu de tes Stigmates, et les conduises à la gloire du paradis, pour que tu me sois conforme dans la mort, comme tu l’es dans la vie. » [39]
Ce texte révèle la liaison méconnue, mais très intime, entre la stigmatisation et la Descente aux Limbes, qui justifie amplement la présence de François du côté gauche du retable. Par ailleurs, son rôle quasiment militaire de « gonfalonier » du Christ en fait un personnage aussi éminent que celui de Pierre « porte-enseigne » du Christ.
Il n’est guère plus difficile d’établir le lien, côté droit, entre Saint Pierre et la scène de l’Incrédulité de Thomas, juste au dessus. L’inscription insiste en effet sur le pouvoir d’absolution de Pierre. Celui-ci lui avait été conféré une première fois du vivant du Christ :
« Je te donnerai les clefs du royaume des cieux: ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux.» (Mt 16, 19)
Le Christ l’étend ensuite aux autre apôtres lors de sa première apparition, le Dimanche soir :
“Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur seront remis, et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus.” (Jean 20,28)
Ces textes expliquent les deux motifs sous la statue : les clés (qui symbolisent le pouvoir de lier et de délier) et les flammes, qui évoquent l’Esprit-Saint.
Thomas n’étant pas présent, c’est lors de la seconde apparition, une semaine plus tard, que celui-ci recevra le même pouvoir. L’histoire bien connue de l’Incrédulité de Thomas (voir 2 Thomas dans le texte) est donc indissociable de celle, moins connue, du Pouvoir d’absolution.
Théologiquement, on peut dire que la partie gauche du retable se rapporte à la Passion et la droite au Pardon.
Le cinquième et dernier registre va confirmer cette lecture.
L’autel de Gaillard Roux
En avant du sarcophage, l‘autel de Gaillard Roux redevient monomaniaque : alternance de roses et d’étoiles sur le biseau de la table, blason entouré d’une couronne à laquelle sont rattachées deux roses, par les rubans qui serpentent entre les lettres G et R . Il est clair que Gaillard Roux « rubanise » la cordelière, reliant elle-aussi des roses, de son évêque François d’Estaing :
Armoiries de François d’Estaing, Stalles de l’église St Géraud, Salles-Curan (c) RMN-GP
« François d’Estaing entourait ses armes du cordon de son saint patron pour annoncer qu’il voulait être dans les chaînes et captif de Jésus-Christ » ( [40], p 374).
A remarquer, à gauche, la devise cryptique de François d’Estaing, et notamment l’entrecroisement des deux V qui rappelle le VIVA de l’inscription du retable :
« ADUIVA ME DO(min)E ET SALVVS ERO »
De plus, quoique n’étant pas franciscain, ce pieux évêque
« avait pris le cordon et la robe grise, et il aimait paraître en public revêtu de ce saint habit« ([40], p 244).
Les ruthénois n’auraient pas été surpris de reconnaître leur évêque statufié en Saint François, puisqu’il était représenté sous cet habit dans un vitrail, aujourd’hui disparu, de l’église de Ceignac [41].
Il est donc clair que le bas du retable obéit à une logique hiérarchique, où la messe du chanoine s’inscrit sous les deux figures sanctifiés de l’évêque, autorité immédiate et du pape, autorité lointaine.
Par la suite, le chapitre adoptera cette chapelle pour certaines de ses assemblées, notamment une en 1534 où, après avoir délibéré sur deux miracles attribués à François d’Estaing et survenus le même jour, le chapitre charge Gaillard Roux « d’informer la dessus le Seigneur Evêque et son conseil » ([42], p 532) . On voit par là que le chanoine, du fait de son âge avancé et de son amitié bien connue avec le défunt évêque, était jugé le mieux à même de plaider sa cause de béatification auprès de son successeur (Georges d’Armagnac). Dix ans après son édification et cinq ans après la mort de François d’Estaing, la chapelle n’était plus celle de Gaillard Roux, ni celle du chapitre, mais aussi celle du bienheureux François.
Reste le point le plus délicat à expliquer, puisqu’il fait le lien entre le sarcophage du Christ et l’autel du chanoine : les trois médaillons allégoriques qui crèvent les yeux au centre du retable, mais qui n’ont guère retenu l’attention.
Les trois médaillons
Forsith ([0], p 9) s’est posé la question de savoir si les structures ternaires qui apparaissent non seulement à Rodez (au portail Sud et dans la chapelle Gaillard Roux) mais dans d’autres Mises au tombeau, n’étaient pas une évocation des trois oculus percés dans une plaque de marbre qui, à Jérusalem, permettaient aux pèlerins d’observer le rocher sur lequel le corps du Christ avait été déposé. Dans le cas des trois médaillons de Gaillard Roux, comme dans celui des trois couronnes de Folleville/Joigny, il conclut que c’est plutôt l’imitation de l’antique qui prime.
Toujours perspicace, Gilbert Bou [21] a reconnu dans ces femmes sur fond de muraille trois des sibylles qui figurent sur la paroi interne de la clôture :
« L’une tient un fouet symbole de la flagellation, c’est la sibylle Agrippa.
L’autre, Européenne, une épée nue à la main, prophétise le massacre des innocents.
Entre les deux, la sibylle phrygienne, enveloppée dans un grand manteau, porte une croix avec bannière, symbole de la résurrection. »
Bou n’a pas expliqué la raison de cette sélection de trois sibylles douloureuses parmi les six, à un endroit aussi stratégique vis à vis de la structure d’ensemble, et aussi évidement biographique : car les médaillons sont quadruplement estampillés Gaillard Roux, par le G, le R, la rose et l’étoile.
Par ailleurs, la sibylle Europe, dont l’épée prophétise le Massacre des Innocents, tient manifestement non pas une épée, mais une pointe de lance [42a].
Vitrail de l’Arbre de Jessé (partie supérieure)
1522, chapelle de la Borne, Saint Michel de Veisse
Je n’ai trouvé qu’un seul autre cas, tout à fait contemporain, où la sibylle Europe tient à main nue une pointe de lance : mais il s’agissait probablement de pallier le manque de place.
A Rodez en revanche, cette substitution est délibérée, comme si la sibylle Europe avait prédit le coup de lance fatal (qui n’est en définitive que le Massacre des Innocents différé).
Une prédelle synthétique
Une première justification des trois médaillons est tout simplement la chronologie de la Passion : Flagellation, Crucifixion (la croix de la bannière) et Mort (la lance).
Mais leur appropriation par le chanoine leur donne une valeur plus forte : celle d’une sorte de condensé de l’ensemble de sa « structura », en permanence sous ses yeux lorsqu’il célébrait son Office.
Formellement, les trois sibylles font écho aux trois Maries groupées au centre de la Mise au Tombeau (contours blancs). Mais leurs attributs renvoient aux Arma Christi qui les surplombent :
- à gauche (flèches vertes) le fouet évoque le moment particulier de la Passion où le Christ est flagellé et coiffé de la couronne d’épines ; mais l’idée de Passion est portée également par la coupe de l’angelot. Car il ne s’agit pas ici du récipient à vinaigre souvent associé au roseau, mais de la coupe qui apparaît au Christ lorsqu’il anticipe sa Passion, au Jardin des Oliviers :
« Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe » Luc 22,42 - au centre (flèche jaune), la croix rouge de l’étendard annonce la croix vide portée par l’angelot et, au delà, la bannière de la Résurrection ;
- à droite (flèche bleue), la lance explique l’inversion anormale lance/roseau dont nous nous étions étonné.
Placer la lance à droite avait un autre avantage (flèche violette) : évoquer tout au dessus Saint Thomas , dont elle est l’attribut le plus courant – à la fois parce qu’il a mis son index dans la plaie du flanc, mais aussi parce qu’elle est l’instrument de son martyre.
Un même rapport hagiographique lie Saint Jean à son attribut, la coupe de poison ( figurée habituellement avec des serpents).
Une cohérence d’ensemble
Ce schéma récapitule les cinq registres que nous avons décrits isolément (lignes blanches pleines), et rappelle ce qui est évident : la lecture horizontale des trois panneaux A B et C, disposés dans l’ordre chronologique.
Une lecture thématique s’y superpose, dès lors que l’on met en relation les détails des différents registres :
- à gauche le thème doloriste de la Passion (en vert), avec la stigmatisation de Saint François qui conduit à la Descente aux enfers ;
- au centre celui de la Résurrection (en jaune), qui s’épanouit en haut dans les trois étendards ;
- à droite le thème consolant du Pouvoir de Pardonner (en bleu), incarné par Saint Pierre puis Saint Thomas, ce dernier étant annoncé par la répétition des lances.
Lire le retable de gauche à droite, c’est à la fois respecter la chronologie des événements après la Résurrection mais aussi parcourir une chaîne de conséquence : la Passion a pour conséquence la Résurrection, laquelle a pour conséquence le Pardon.
On comprend la satisfaction de Gaillard Roux d’avoir « fabriqué cette oeuvre honorable » qui développe, autour de la formule très codifiée de la Mise au tombeau, une scénographie aussi originale que théologiquement impeccable.
Le pilastre biographique
Un passé tumultueux ?
Du début de l’inscription « aies pitié de Gaillard Roux » on a déduit que la chapelle avait été édifiée dans un but essentiellement expiatoire, Gaillard Roux ayant de nombreux péchés à se faire pardonner : à preuve, il avait été arrêté et mis en prison par l’évêque François d’Estaing, en raison de sa vie dissolue.
Cette interprétation paraît en définitive assez réductrice, pour peu que l’on veuille bien lire l’inscription jusqu’au bout, et replacer l’édification du retable dans son contexte historique.
Gaillard Roux et François d’Estaing
En 1501, Gaillard Roux, qui n’était alors que diacre, fait partie des seize chanoines qui élisent à l’unanimité François d’Estaing comme évêque de Rodez, à l’issue d’un processus électoral minutieux, mais qui fera l’objet de diverses contestations jusqu’en 1504. De 1505 à 1510, François d’Estaing est absent de Rodez, occupant diverses charges dans le Comtat venaissin, et jouant un rôle de conseiller auprès de Louis XII. C’est seulement sous le règne de François I, à partir de 1515, qu’il se consacre à plein temps à son diocèse.
L’épisode du bref emprisonnement de Gaillard Roux se situe donc dans le contexte où, de retour à Rodez, François d’Estaing entreprend une remise en ordre générale, dans la ligne des conciles gallicans de Tours et de Pise auxquels il avait assisté. Les frictions avec le chapitre commencent dès février 1513, lorsque les chanoines se vexent de n’avoir pas été consultés lors du statut promulgué par l’évêque contre les joueurs et les blasphémateurs ( [42], p 243). Puis elles vont croissant jusqu’au 13 janvier 1514 où la moitié des chanoines, refusent officiellement de se plier au nouveau règlement du chapitre imposé par l’évêque. La crise culmine le 15 février où Gaillard Roux, sans doute un des plus jeunes et des plus remuants des dissidents, est arrêté, interrogé par l’officialité, et enfermé dans la tour de l’Evéché, sous les accusation de s’adonner au jeu, au blasphème et à la débauche ([42], p 251) : accusations peut être fondées mais qui semblent surtout, un an après les premières contestations concernant exactement les mêmes infractions, une réponse du berger à la bergère. Gaillard Roux est libéré sous caution après 15 jours de prison seulement et les chanoines viennent progressivement à récipiscence, jusqu’à l’arrêt du 12 septembre 1515 du parlement de Toulouse qui les déboute définitivement. Si Gaillard Roux avait quelque chose à expier, c’est moins une vie supposément dissolue que sa tentative de dissidence.
Après la réforme du chapitre, puis du clergé séculier, la poigne de François d’Estaing va s’abattre sur le clergé régulier, en particulier l’abbé de Conques qui prétendait être exempt de l’autorité de l’Evêque. En décembre 1516 se situe un épisode scandaleux où François d’Estaing se rend en personne à Conques pour affirmer son autorité, accompagné de Gaillard Roux qui était alors totalement reconcilié avec lui, puisqu’il l’accompagnait, dans cette tentative risquée de remise au pas, en qualité de « commissaire », autrement dit de procureur. Par les minutes des différentes procédures qui s’ensuivirent, on connaît tous les détails de cet épisode haut en couleur. Le samedi 20 décembre 1516, alors que l’évêque était entré pour prier dans le choeur réservé aux moines, il se fait molester et expulser par une douzaine d’entre eux, suivis de loin par l’abbé. Celui-ci revient sur la place, où tenait séance Gaillard Roux, et lui met son poing sous le visage :
« Vous êtes un gentil commissaire, qui pendant que me retenez ici, avez permis que Monseigneur de Rodez soit entré dans mon église et ait violé icelle… Je vous dis que vous n’êtes qu’un traitre, faussaire et abuseur. »
Sur quoi les moines surenchérissent :
« Vous êtes un gentil commissaire, que cependant que vous tenez ici votre audience, avez permis que l’Evêque de Rodez ait violé notre église, car l’auriez trouvé dans le choeur d’icelle entre les deux chaires qu’il semblait un singe, feignant de prier Dieu » ([42], p 306 ).
L’affaire se conclut par la victoire totale de l’évêque, le mardi matin, suite à une excommunication express.
La fin de la construction de la cathédrale
Au début de son épiscopat, en 1501, François d’Estaing relance le chantier de la cathédrale, interrompu depuis quelques années, et fait édifier les dernières travées qui manquaient à la nef. Côté Sud, la troisième chapelle renferme un grand retable du Christ au Jardin des Oliviers, que M.Desachy attribue au chanoine Helion Jouffroy, du fait de ses analogies avec le retable de son oratoire privé (utilisation de tuf). Possédant déjà une Mise au Tombeau chez lui, on conçoit que le chanoine ait choisi pour la cathédrale d’illustrer un autre thème.
La succession topographique et chronologique (Le Jardin des Oliviers pour la troisième chapelle, le Sépulcre pour la quatrième) montre que les deux commanditaires ne se livraient pas seulement à une compétition ostentatoire, mais mettaient leur fortune au service d’un programme d’embellissement cohérent, voulu et approuvé par l’évêque. C’est dans un second temps que celui-ci lancera un programme en son nom propre, avec la clôture du choeur (aujourd’hui déplacée et partiellement perdue [43] ).
La surabondance ostensible des sigles Gaillard Roux masque donc, pour éviter tout triomphalisme, la glorification de l’évêque, que chacun pouvait reconnaître dans la statue de Saint Francois. Après la triple remise au pas du chapitre, des prêtres et des moines, la Résurrection ici célébrée est aussi celle du diocèse, comme le sous-entend la fin de l’inscription :
« Pardonne ses péchés (de Gaillard Roux), et les machinations du monde entier (contre François d’Estaing). »
De possibles clin d’oeil
Il est toujours périlleux de prétendre retrouver, dans les oeuvres du passé, les allusions qu’auraient pu y glisser les contemporains. Mais on ne peut s’empêcher de constater que le pilastre de gauche, qui conduit l’oeil de la statue de saint François, en bas, à l’angelot que nous avons interprété comme l’âme de Gaillard Roux juste extraite du Purgatoire, puis à la mention « GUALHARDI MISERERE RUFFY », puis à la date, concentre tous les détails biographiques. A l’époque où le retable a été conçu, le scandale de Conques était encore frais, et toute personne un peu lettrée qui faisait le lien entre le fouet de la Sibylle, la couronne d’épines de saint Jean et les stigmates de Saint François, ne pouvait manquer de se remémorer la « petite Passion » de François d’Estaing, que le père Beau décrit encore, un siècle plus tard, en des termes quasi-évangéliques ( [44], p 157) :
« Et non contens de ces paroles insolentes, les uns le prirent par les bras, les autres par le fort du corps; les autres par le camail, & le rochet, & commencent à le trainer avec tant de violence, que son bonnet tomba à terre, ses sandales d’Eveque se devétirent, & roulèrent dans la foule; une partie de ses habits se retrouvèrent déchirés, & en désordre. Quelques-uns même porterent leurs mains sacrileges sur son visage, & sur une teste consacrée aux plus augustes fonctions de la vie Apostolique. A tous ces excés qui font fremir mon cœur, trembler ma main, & chanceller ma plume; ce Saint & debonnaire Seigneur, n’opposa autre defense que les mains jointes… »
Beau passe sous silence l’insulte d’une particulière gravité, puisque pour leur défense les moines prétendirent ne jamais l’avoir prononcée :
Ils ne l’appelèrent point singe ni hypocrite car, ajoute le mémoire avec une assurance invraisemblable et risible « ne scavent ce que veult dire cynge« ( [42], p 308).
Il se trouve que le « pilastre de la Passion » porte, de part et d’autre de la statue de saint François, deux ornements qui n’apparaissent nulle part ailleurs :
- bien en lumière, du côté de la Mise au tombeau, un épi de blé ;
- dans l’ombre du pilier, une corne d’abondance dont un singe goûte les fruits.
Comme si ces deux symboles venaient remercier le Saint Evêque de la prospérité retrouvée, tout en le le vengeant de l’injure subie.
Tout à côté, la bourse particulièrement cossue de Joseph d’Arimathie vient opportunément rappeler les frais engagés par le chanoine.
Et dans l’orfroi du manteau, ce qui semble bien être un autre minuscule singe, suspendu par les pattes arrière entre deux roses, crache deux chapelets, comme expliqué en grand, juste à côté, sur la tranche du pilastre. Ce motif, qui ne se retrouve nulle part ailleurs dans les nombreux candélabres de la Cathédrale, semble donc poursuivre le « private joke ».
Tout en bas du pilastre biographique, sur la face obscure, le sphinx à tête de bouc qui porte sur sa poitrine le blason à la rose a mainte fois été interprété comme un portrait de Gaillard Roux. On notera qu’il fonctionne en couple avec une tête angélique insultée par une oie. Dans ce motif jumelé, on pourra reconnaître, au choix :
- la figure biface de Gaillard Roux, passé du bouc à l’ange ;
- l’amitié entre le chanoine, mi-homme mi bête, et son angélique évêque.
Ce que regarde cette tête, sur la face avant du pilastre, est un targe à six pointes entouré d’une couronne de lauriers, le même qu’on retrouve agrandi tout en haut du retable.Ce motif, courant à la Renaissance, place sous le même symbole triomphal la grande victoire du Christ sur la Mort, et la petit victoire du chanoine sur la sienne.
En aparté : toucher la chair du Christ
La question du contact avec la chair du Christ et la fascination pour les plissés sont deux points que la technicité croissante des sculpteurs fait passer au premier plan, en ce début du XVIème siècle.
Vierge de Pitié, début 16ème, Carcenac-Salmiech
Ainsi le sculpteur de cette Piéta (auparavant à l’église des Cordeliers de Rodez [45a] ) fait étalage d’une grande ingéniosité pour faire serpenter le linceul :
- en partant de l’épaule de Saint Jean – dont l’encolure porte le début de son prologue, IN PRIN (cipio) ;
- en évitant le contact entre sa main droite et l’épaule du Christ ;
- en passant sous le perizonium de celui-ci,
- puis sous le manteau de la Vierge ;
- puis sous la serviette de Marie-Madeleine (en rose).
Celle-ci remonte entre les deux jambes jusqu’à la main droite de la sainte, puis évite le contact entre sa main gauche et le pied, en rebroussant chemin pour finir sous la jambe droite du Christ. Il faut comprendre que Marie-Madeleine a laissé retomber cette jambe droite, et soulève maintenant le pied gauche, en repliant sa serviette pour se garder de le toucher.
Totalement réaliste du point de vue des plissés et totalement anti-naturel du point de vue des postures, ce linceul-serviette propose au regard, en partant de PRIN(cipio), un parcours complet du corps du Christ, entre tête et pieds, entre Jean et Marie-Madeleine, unis dans le même respect envers la chair sacrée du Christ.
Au centre, la Vierge, seule à toucher directement cette main perforée qui est aussi sa propre chair, est magnifiée dans sa douleur. A noter l’invention remarquable des deux pouces en contact.
Une réplique : la chapelle castrale de Roquelaure et ses anges
Les Mises au Tombeau ont été un sujet très populaire en Rouergue au XVème et XVIème siècle [44a] mais, faute de textes, leur chronologie est très incertaine. Le premier grand exemple de Rodez (au portail Sud de la cathédrale, terminé vers 1460) a nécessairement dû servir de modèle, mais sa disparition quasi complète rend impossible d’évaluer son influence. Le retable de Gaillard Roux, en revanche, a clairement influencé deux autres Mises au Tombeau locales, à Roquelaure et Ceignac [45].
Chapelle de Roquelaure (ensemble)
La Mise au Tombeau est restée en place dans sa niche axiale, enchâssée dans un retable XVIIIème.
La volonté de symétrie est beaucoup plus sensible qu’à Rodez :
- du fait que les Trois Maries sont vêtues identiquement ;
- de par la boîte à onguents de Marie-Madeleine, qui équilibre la couronne de Saint Jean.
Tandis qu’à Rodez il la tenait à mains nue, ici il la tient dans sa manche, en contraste avec Marie Madeleine dont on voit encore la main droite nue posée sur le couvercle de la boîte.
C’est également à main nue que les anges tiennent les Arma Christi, sauf celui du centre : il est donc probable qu’il présentait, avec respect, un autre objet sacré ayant pénétré le corps du Christ, et qui ne peut être ici que les trois clous.
On avait ainsi une symétrie complète pour les trois anges centraux, dans l’ordre chronologique de la Crucifixion : le marteau (avant), les clous (pendant), les tenailles (après).
L’ange aux tenailles pleure parce que le Christ est mort : ce motif rarissime ne se retrouve qu’à Solesmes, également chez l’ange de droite, mais pour un autre motif : il tient la bourse de Judas et déplore sa trahison.
Photo Louis Balsan (c) Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron
L’ange de la paroi de gauche (volé en 1976) présentait la colonne de la Flagellation, derrière la Couronne de Saint Jean. L’ange de la paroi de droite a disparu sans laisser de trace, mais la logique chronologique voudrait qu’il ait tenu la lance.
Ainsi les cinq anges de Roquelaure reproduisaient probablement la même succession (Flagellation, Crucifixion, Mort) que les trois sibylles de Gaillard Roux [45b].
En aparté : les anges en vol dans le sépulcre
Ce motif rare n’a pas donné lieu à une formule bien définie : le nombre d’anges et les instruments sont variables.
Mise au tombeau
Choeur, Cathédrale de Rodez, 1430-1450
La plus ancienne occurrence se trouve à Rodez, dans les six anges de cette Mise au Tombeau très précoce (voir 1 Les Mises au Tombeau : quelques points d’iconographie). Leur logique n’est pas strictement chronologique, mais semble s’organiser autour des deux grands instruments qui se font pendant, dans les angles :
- autour de la colonne de la Flagellation sont évoqués les autres types de coups subis lors de la Passion : ceux du marteau et celui de la lance – fichée ici dans l’éponge, comme le propose G.Bou ( [46] p 35) ;
- autour de la croix vide, les tenailles et les clous évoquent l’Après de la Passion, la Déposition.
Ainsi cette forte tradition locale des anges en vol portant les instruments de la Passion relie trois Mises au Tombeau : celle du choeur de la cathédrale, celle de Gaillard Roux et enfin celle de Roquelaure.
En dehors du Rouergue, on n’en trouve que dans quatre autres sépulcres : Bordeaux (1493), Solesmes (1497), Auch (vers 1500), Belpech (début XVIème). On rencontre aussi des anges volants à Semur en Auxois (vers 1490) et à Biron (vers 1515), mais ils joignent les mains ou portent des blasons. Il se peut néanmoins que de tels anges aient existé ailleurs, leur caractère amovible facilitant leur disparition.
Une autre réplique : la chapelle de Ceignac et son soldat
A quelques kilomètres de Rodez, la Mise au Tombeau de Ceignac est la seule autre de France a être surplombée par une Résurrection, et à présenter plusieurs singularités iconographiques dont il faut dire quelques mots.
Les éléments historiques
Dans son legs du 26 mars 1502, Jean de Banis (de Cerieys) , prêtre, docteur en droit canon, prieur de Ceignac et de Frons, dote la chapelle qu’il souhaite voir édifier dans le cimetière de Ceignac. Cette chapelle a en définitive été rajoutée à un emplacement privilégié dans le choeur de l’église, côté Nord (les armoiries des de Banis, avec un cerf, figurent à la clé de voûte).
Chapelle du Saint Sépulcre, Basilique de Ceignac (état au début du XXème siècle)
La Mise au Tombeau est restée en place, dans une niche qui, comme à Roquelaure, occupe toute la largeur de la chapelle. Jacques Baudoin ( [47], p 201 et 216) la date entre 1502 et 1507 (soit une vingtaine d’années avant celle de Gaillard Roux) ; le Christ ressucité, en saillie en avant du mur, aurait été rajouté dans un second temps, sous l’influence évidente de Rodez [48].
Au XVIIème siècle, on a remanié la chapelle en plaquant un grand retable devant ces vestiges : une frise de saints, en bas, est venu masquer les jambes des porteurs du suaire.
Etat actuel
En enlevant cette pseudo-prédelle, on a découvert un soldat allongé, encastré dans le tombeau. Dans la présentation actuelle, le retable a été rehaussé de manière à présenter simultanément les deux états.
On aboutit ainsi à une sorte de tératologie iconographique, où, dans le tombeau du Christ, la place est prise par un soldat romain.
Eglise Saint Denis, Amboise
Cette situation n’est pas tout à fait unique : la Mise au Tombeau d’Amboise (généreusement attribuée à Léonard de Vinci) proposait autrefois, au même emplacement, une Madeleine alanguie occupée à sa lecture : cette iconographie aberrante a désormais été corrigée.
Deux Résurrections comparées
Le soldat endormi de Ceignac présente un écu orné d’un cerf : il a donc bien été réalisé pour la chapelle de Banis.
Hormis le blason remplaçant la pique, il prend la même pose que le soldat de Rodez, le bras droit probablement replié sous la tête, la jambe gauche en V passant par dessus la droite. Mais le sculpteur n’a pas tenté d’imiter la saillie du pied gauche, particulièrement spectatulaire vu d’en bas.
De même, le Christ a perdu toute son originalité :
- le pied droit est posé devant le tombeau, et non en suspension ;
- il bénit de la main droite et brandissait l’étendard de la gauche (on voit bien le poing serré).
En aparté : les soldats dans les Mises au tombeau
Il existe quelques très rares oeuvres combinant la Mise au tombeau avec les soldats endormis de la Résurrection.
1400-25, Pont-à-Mousson | 1433, Cathédrale de Freiburg in Brisgau |
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Il s’agit d’oeuvres précoces, d’influence germanique, et de haut niveau artistique, où les soldats endormis pouvaient être vus non pas comme une anomalie narrative, mais comme l’anticipation de la Résurrection. Dans les rares autres cas français, on fait comprendre leur statut hors-narration en les sculptant différemment :
Belpech | Langeac |
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- soit en bas-relief sur le devant du sarcophage (l’exemple le plus ancien serait germanique, à la cathédrale de Mayence, vers 1495) ;
Saint Phal
- soit en miniature (comme c’est parfois le cas pour les donateurs).
Dans tous les autres cas où des soldats en ronde-bosse s’ajoutent en avant de la Mise au tombeau – à Neufchâteau (1495), à Salers (1495), à Solesmes (1496), à Jarzé (1500-04, disparu), à Auch (1500), à Narbonne (début XVIème), à Chaource (1515), à Ciadoux (vers 1520 ?) et à Chatillon sur Seine (vers 1527) – ils ne sont jamais endormis ou aveuglés, mais debout, comme une garde d’honneur.
Une reconstitution possible
Puisqu’il est exclu que le soldat endormi de Ceignac ait fait partie de la Mise au Tombeau initiale, il a nécessairement été rajouté sous l’influence de la chapelle Gaillard-Roux, en même temps que le Christ. Il est possible que la formule très spéciale de Rodez, avec le pied du Christ en suspension au dessus du soldat endormi, ait été comprise localement comme le symbole du christianisme vainqueur du paganisme : en conséquence de quoi, à Ceignac, un seul soldat pouvait suffire. Cette intention symbolique se voit aussi dans le détail du linceul retombant sur le bord du tombeau, tandis que qu’un angelot amène au dessus du Christ un tissu bleu : comme si le ciel allait remplacer le suaire.
Le plus probable est que la statue du Christ est restée à son emplacement d’origine. Vu le peu de place entre elle et la niche, le soldat venait nécessairement en avant, de manière à ce que le blason des de Banis marque la clé de l’arcade, tout comme celle de la voûte.
Ce dispositif, avec un grand Christ en surplomb au dessus de l’arcade d’entrée, était assez similaire à celui de la chapelle du Saint Sépulcre de Montdidier (voir 2 Les Mises au Tombeau scénographiées).
Mise au Tombeau, vers 1550 et Résurrection (18ème siècle), Cathédrale Saint Maclou, Pontoise
Un cas similaire s’est produit à Pontoise, où une Résurrection en bois sculpté (y compris trois Saintes Femmes à gauche) est venu, deux siècles plus tard, compléter la Mise au Tombeau Renaissance.
En conclusion : le motif de la Vierge éplorée
La figure de la Vierge éplorée, que Saint Jean soutient au dessus du corps de son Fils dans des poses d’affliction plus ou moins prononcées, est fréquente dans les Mises au Tombeau où les deux sont côté à côte. La formule méridionale, où la Vierge est flanquée par les deux autres Marie, tend au contraire vers des poses hiératiques, excluant les démonstrations de douleur.
Il se trouve qu’à Ceignac comme à Roquelaure, le Vierge esquisse le geste de toucher de la main le corps de son fils, geste interrompu ou carrément contrarié par la sainte femme situées à sa droite. Ce dolorisme retenu ne se retrouve nulle part ailleurs, sinon dans l’oeuvre princeps de la formule méridionale, la Mise au Tombeau d’Avignon attribuée à Jacques Morel.
La datation de la Mise au Tombeau de Ceignac revêt de ce fait une particulière importance :
- si elle est postérieure à la Chapelle Gaillard Roux, la posture des Trois Maries s’explique simplement comme une variante de l’effet de balance subtil mis au point à Rodez (une des femmes appuyant vers le bas et l’autre vers le haut), et par une simplification des costumes ;
- si en revanche elle lui est antérieure (comme le propose J.Baudoin), elle témoigne de l’influence lointaine de la formule Morel, où les trois Maries, vêtues de la même manière, se distinguent par la dissymétrie des gestes.
La Mise au Tombeau disparue, celle du portail Sud de la Cathédrale, pourrait alors être le chaînon manquant de cette formule si particulière au Rouergue.
Elsa Karsallah « Un substitut original au pèlerinage au Saint-Sépulcre: les Mises au tombeau monumentales du Christ en France (XV e -XVI e siècles) » https://docplayer.fr/50251886-Un-substitut-original-au-pelerinage-au-saint-sepulcre-les-mises-au-tombeau-monumentales-du-christ-en-france-xv-e-xvi-e-siecles-par-elsa-karsallah.html
https://books.google.fr/books?id=rBMfMiLw4EoC&pg=RA10-PT1&dq=rodez+sepulcre+%22gaillard+roux%22&hl=fr&newbks=1&newbks_redir=0&sa=X&ved=2ahUKEwjA2-fQtqqBAxU3TKQEHUwXCwg4ChDoAXoECAcQAg#v=onepage&q=rodez%20sepulcre%20%22gaillard%20roux%22&f=false
[48] Les documents conservés aux Archives de l’Aveyron (liasse 1 G 353) sont les suivants :
- Legs de Jean de Banis le 26 mars 1502 (notaire Bernardinus Fornerii du Bourg de Rodez) demandant qu’une chapelle soit construite « dans le cimetière de Ceignac, là où est le tombeau choisi pour moi et mes parents, dans les deux ans après mon decès ». Il dote la dite chapelle et son chapelain d’un « missel de parchemin que j’ai fait enluminer par Maître Artus, le maître de l’or de l’azur” (ce peintre de Rodez est connu par une vue du bourg réalisée en 1495).
- Etat des fonds et meubles, établi le même 26 mars 1502, dotant la « chapellenie du Saint Sépulcre fondée par sieur messire Jean de Banis, prieur de Ceignac, en l’église de Ceignac » (il s’agit d’une maison, d’un bois, de plusieurs prés et tonneaux de vin).
- Inventaire des titres et documents portant fondation des obiits en l’église de Ceignac : deux actes concernent les années qui nous intéressent :
- le premier septembre 1514, Baptiste de Banis (frère de Jean) donne une rente de 2 sétiers de seigle aux prêtres de Ceignac (notaire De Fonté), « pour augmenter les obiits faits aux prêtres de Ceignac par ses prédécesseurs« : à cette date Jean de Banis est donc très probablement mort ;
- pour expliciter ces obiits antérieurs, on rappelle un codicille de Jean de Banis du 17 septembre 1507 (notaire Forneri de Rodez) donnant une rente de 20 sétiers de seigle aux prêtres de Ceignac, ne devant pas être utilisée pour le service de la « chappellenie dicte du St Sepulchre desservable en la présente église par un chapelain particulier ».
Ces différents documents montrent que Jean de Banis était amateur d’art (commande du missel) et qu’il a probablement changé ses plans : plutôt qu’une chapelle au cimetière après sa mort, il a dû préférer faire construire de son vivant une chapelle dans l’église (peut être en contrepartie des 20 sétiers légués aux prêtres), tandis que la chapellenie fonctionnait en 1507. Même s’il ne s’agit pas d’une preuve formelle, il y a donc de fortes présomptions en faveur de la réalisation précoce de la Mise au Tombeau.
Sur l’ensemble des documents concernant la chapelle du Saint Sépulcre et l’absence de certitude historique sur le commanditaire de la Mise au Tombeau, voir Christian Fugit, « L’église de Ceignac au XVIIèeme siècle. Entre aménagements et embellissements » Etudes aveyronnaises 2023, p 168
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