8 Le nu de dos dans les Pays du Nord
Passé de mode en Italie, la vue de dos fleurit dans la seconde moitié du XVIème siècle chez les Maniéristes du Nord [0a], qui la mettent à toute les sauces. En réaction à cette surabondance, elle se raréfie à la période baroque, puis classique, sauf pour quelques thèmes avalisés pas les siècles.
Article précédent : 7 Le nu de dos chez Dürer
Les maniéristes du Nord
Frans Floris
Festin des Dieux
Frans Floris I, 1550, Musée royal des Beaux-Arts d’Anvers
Frans Floris est le premier maniériste à ramener dans le Nord ce sujet inventé par la renaissance italienne. Tandis que Raphaël à la Farnésine avait traité le thème en contre-plongée (voir 5 Le nu de dos en Italie (1/2)), Floris le retravaille en vue plongeante, en saturant le premier plan par trois opulents fessiers :
- Junon assise son Paon, face à Jupiter avec son aigle ;
- Mars assis sur sa cuirasse, face à Vénus avec sa rose ;
- Flore assise sur sa gerbe, dialoguant avec Bacchus sur son tonneau.
Le Festin des Dieux
Frans Floris I, 1557, Alte Galerie Schloss Eggenberg, Universalmuseum Joanneum, Graz
Quelques années plus tard, il retravaille la composition pour décorer la « villa » anversoise de son patron, le banquier Nicolaes Jonghelinck. C’est cette fois Saturne qui se trouve vu de dos au centre, regardant les couples amoureux, tandis qu’un putto lui tend sa faux avec insistance. A droite un autre putto grimaçant ramène les armes de Mars. Au fond un enfant ailé, Cupidon en personne, est déjà pris à partie par les Parques et survolé par le Furies. La fête et l’amour n’ont qu’un temps, bientôt le Temps et la Guerre reprendront leur travail de fauche.
Jan Sanders van Hemessen
Triptyque du Jugement dernier (panneau central)
Jan Sanders van Hemessen, 1536-38, Eglise St Jacques, Anvers
Dans cet amoncellement d’académies, l’homme et la femme debout à gauche se distinguent par leur regard vers le ciel :
- les mains de l’homme, croisés sur le sexe par pudeur, caractérisent Adam ;
- la longue chevelure de la femme et ses yeux tournées vers Marie, permettent de reconnaître Eve.
Cette opposition entre Eve nue et Marie habillée prépare ce qui deviendra, une vingtaine d’années plus tard, un topos pleinement assumé de la peinture italienne : (Immaculée Conception de Marteen de Vos et Portelli, voir Habillé/déshabillé : la confrontation des contraires).
Judith, Jartelln Sanders van Hemessen, vers 1540, The Art Institute of Chicago.
Il peut sembler paradoxal que les seins et les fesses de l’héroïne biblique, parangon de la chasteté, occupent l’essentiel de la surface utile. Ce cadrage audacieux participe à la dynamique de l’image, en obligeant l’oeil à analyser ce qui se trouve en périphérie, le sac, l’épée et la tête :
« De droite à gauche, le spectateur suit ainsi les trois temps du récit : Judith à droite a apporté un sac pour la tête, elle a prémédité son coup ; Judith au centre dégaine l’épée, elle passe à l’action ; la tête d’Holopherne à gauche éclairée par la lumière dans l’ombre de la tente est en quelque sorte déjà séparée du corps. Ces trois temps réunis en un seul mouvement condensent le récit dans l’instant prégnant d’une scène. Peintre anversois de la Renaissance flamande maniériste, Jan Sanders van Hemessen a en quelque sorte sécularisé la scène, en représentant une héroïne volontaire, énergique, libérée, dont la nudité combattante évoque plus les héroïnes de l’Antiquité que le culte de l’Eglise » Stéphane Lojkine [0b]
Maarten van Heemskerck
Douze homme forts
Maarten van Heemskerck, 1550-60, d’après l’article d’Ilona van Tuinen [1]
Cette série de panneaux se composte de quatre scènes de la vie d’Hercule, quatre de la vie de Samon, et quatre dieux antiques. Leur disposition initiale a été perdue, mais Ilona van Tuinen a proposé une reconstitution plutôt convaincante, basée sur des arguments techniques et iconographiques. Les douze panneaux auraient été disposés en quatre trios, chacune comportant un dieu, un Hercule et un Samson.
Le critère de la vue de dos, non examiné dans l’étude, vient fortement à l’appui de cette reconstitution. Les quatre vues de dos, qui se répartissent inégalement entre les séries initiales (un Hercule, un Samson et deux dieux) viennent se placer symétriquement au sein de deux des trios : celui qui symboliserait le Triomphe sur le Péché, et celui du Triomphe sur le Mal.
Concert d’Apollon et des Muses au Mont Hélicon
Maarten van Heemskerck, 1565, Chrysler Museum of Art
Un des charmes de cette composition est son manque complet de formalisme. Les femmes nues sont justifiées par la baignade dans la fontaine, et il est bien difficile, parmi les nombreux personnages, de distinguer les neuf Muses.
Si on s’en tient à la règle qu’il s’agit des femmes – nues au habillées – qui tiennent un instrument de musique, on en trouve effectivement neuf, dont deux sont nues et vues de dos (schéma de gauche). Si on considère que les instruments abandonnés au premier plan appartiennent aux deux femmes debout derrière l’organiste, et si on néglige les silhouettes de l’escalier, on en compte également neuf.
Autant la nudité de la muse assise à côté d’Apollon est logique (puisque lui aussi est nu), autant celle de la femme de gauche tranche avec ses voisines immédiates : ce nu n’est là que pour attirer l’oeil. La réflectographie infrarouge a d’ailleurs révélé qu’avant d’avoir cette idée, Heemskerck avait placé là deux têtes masculines barbues [2], voyeurs ou admoniteurs.
Il s’agit là d’un des premiers exemples de l’exploitation typiquement maniériste du nu debout vu de dos comme point d’accroche du regard, indiquant où commencer la lecture.
Spranger
Flamand d’origine, Spranger est par son long séjour en Italie, puis par sa période de gloire à Vienne au service de Rodolphe II, l’artisan de la survie du maniérisme italien, sous une forme exacerbée, dans les écoles du Nord.
Hermaphrodite et Salmacis, 1580-82 | Hercule et Omphale, vers 1585 |
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Spranger, Kusthistorisches Museum, Vienne
Comme ses prédécesseurs italiens, Spranger est bien conscient du potentiel esthétique et érotique du derrière : il l’exploite dans plusieurs tableaux mythologiques, qui combinent les contrastes féminin/masculin, recto/verso, debout /assis, et nu/habillé (pour plus de détails, voir Pendants avec couple pour Rodolphe II)
Sarah présentant Agar à Abraham
Spranger, 1580-90, Dulwich Picture Gallery
Ici tous ces contrastes se cumulent, plus l’opposition jeune / âgé.
Hercule et Antée
1610, gravure de Lucas Kilian d’après Spranger, LACMA
Cet Hercule particulièrement fessu jouit d’une double queue :
- dans son dos, la crinière tressée du Lion de Némée ;
- entre ces jambes, celle du même lion.
Non content de vaincre le géant Antée après avoir vaincu le lion à l’arrière-plan, il en profite aussi pour écraser sous son pied l’Envie, cette vieille femme qui se transforme en racine sous ses pieds. Cette emphase visuelle illustre une moralité stoïcienne tout aussi ampoulée :
En voyant les succès des hommes, ne te mines pas, |
Successus hominum non intabesce videndo, visa tibi moveant sed damna aliena dolores. Invidia afflatu nam quid non polluit? Immo, viribus Herculeis victum a te crede leonem, millibus e cunctis unus quicumque jubebis invidiae domitor, spem, fortunamque valere. |
1596 | Non daté |
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Mars et Vénus, Spranger, Staedelmuseum, Frankfurt-am-Main
Dans ces deux recto-verso opposés, la vue de dos aide à comprendre la dynamique :
- dans le premier croquis, Mars pousse Vénus vers le lit, aidé par le petit amour qui lui fait basculer les jambes par en dessous ;
- dans le second, il l’attire à lui, en fermant derrière eux le rideau.
Goltzius
Vénus et Mars surpris par Vulcain
Hendrick Goltzius, 1585
Goltzius, qui a gravé plusieurs tableaux de Spranger, s’approprie ici son style au service d’un sujet original : sous la risée des Dieux de l’Olympe, Vulcain leur dévoile Mars couché avec sa femme Vénus, en flagrant délit d’adultère.
Ici la vue de dos se justifie par le sujet : elle isole Vulcain, face à tous les autres, dans son rôle ambigu : à la fois vengeur, spectateur de son malheur et acteur de son propre ridicule.
Titus Manlius | Marcus Valerius Corvus | Calphurnius |
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Goltzius 1586 , série des Héros romains
Plus généralement, elle s’inscrit parfaitement dans le goût maniériste pour les musculatures exagérées et les points de vue surprenants.
Hercule Farnese
Goltzius, 1592, MET
Fascinée par la sculpture, la gravure trouve une voie originale vers la troisième dimension par l’entrecroisement virtuose de traits.
Ici le traitement sculptural d’Hercule se traduit par trois réseaux superposés (plus les points au centre des carrés), tandis que les visages des spectateurs se contentent de deux, dans un traitement purement pictural.
Goltzius, 1594, gravure sur bois | Jan Harmenz Muller, vers 1595, Royal Collection Trust |
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Pluton
Porté par le succès de l’Hercule Farnese, le géant nu vu de dos se décline et s’imite : Goltzius montre les trois fleuves de l’Enfer, Muller les trois têtes de Cerbère.
Enlèvement d’une Sabine, trois vues d’après un modèle en cire de Adriaen de Vries
Jan Muller, 1593
Les graveurs pratiquent désormais sans retenue la vue de dos, masculine comme féminine, et noient la sexualité dans l’hypertrophie musculaire.
Abraham Bloemaert
Goltzius d’après Spranger, 1588 | Abraham Bloemaert, 1592, Getty Museum |
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Mars et Vénus
Bloemaert resserre magistralement la composition de la gravure, en décalant Vénus sur les genoux de Mars et en le retournant vers lui. Le bras levé de Vénus remplace le putto pour soulever le rideau et les personnages se symétrisent dans l’ouverture en triangle. On notera le détail du putto en haut à droite, brandissant un petit phallus. Ce dessin était probablement un modèle pour une peinture ou une gravure, qui n’a pas été réalisée.
Jugement de Paris
Abraham Bloemaert, 1590-92, collection privée
Bloemaert emprunte à la célèbre gravure de Marcantonio Raimondi (voir 5 Le nu de dos en Italie (1/2)) :
- l’idée de centrer la composition sur Minerve vue de dos,
- les chars qui stationnent dans le ciel (celui de Junon tiré par des paons, celui de Vénus surplombé par trois Amours, celui de Diane escorté par un chien) ,
- le dieu fluvial dans le coin inférieur droit (ici complété par des faunes),
- les nymphes dans le coin inférieur gauche (ici complétées par Diane).
Le nu de dos sépare ici efficacement les deux camps :
- à gauche le camp féminin avec le groupe des nymphes et les déesses perdantes ;
- à droite le camp masculin où Vénus vient recevoir son trophée, avec un geste d’une sophistication consommée.
Gillis Congnet
Gillis Congnet, vers 1585, Musée des Beaux-Arts, Budapest | Cornelis Cort (d’après Titien), 1566, British Museum |
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Diane découvrant la grossesse de Callisto
Congnet a clairement repris la célèbre composition de Titien qu’il a pu connaître par la gravure de Cort, ou bien directement lors de son voyage en Italie [2a]. Il a encadré le groupe de Callisto par deux nymphes de son cru, levant symétriquement le bras. Mais la différence la plus importante est la suppression de la fontaine, qui joue un rôle symbolique important dans la composition de Titien (voir Les pendants de Titien). Congnet n’a conservé que le ruisseau, au milieu duquel il a planté deux nymphes recto-verso : c’est entre leurs ventres vierges que Diane aperçoit le ventre scandaleux de Callisto : une invention discutable quant au decorum, mais satisfaisante quant à la libido.
Cornelis Cornelisz van Haarlem
La chute des Titans
Cornelis Cornelisz van Haarlem, 1588, Statens Museum for Kuns, Copenhague
Le sujet de la Titanomachie (tout comme celui, plus fréquent de la Chute des anges rebelles) est l’occasion pour les artistes d’une démonstration d’anatomies.
Cornelis Cornelisz van Haarlem est le seul à avoir structuré sa composition entre les deux puissants piliers d’un nu debout de face (en bleu) et d’un nu debout de dos (en violet), entre lesquels s’étagent au moins trois autres couples recto-verso.
Les deux gueules de chien latérales, également vues de face et de dos, confirment cette symétrie.
Cornelis a profité de l’enchevêtrement des corps pour glisser le portrait d’un contemporain, dont l’identité s’est perdue. Tandis que la plupart des Titans sont intégralement nus, deux figures du premier plan ont pour cache-sexe une libellule et un papillon. Le second papillon sert à attirer l’oeil sur le contraste entre la cuisse brune et le ventre pâle et bombé, indiscutablement féminin : pure plaisanterie visuelle, sans aucune source dans le récit d’Ovide.
Le combat entre Ulysse et le mendiant Irus
Cornelis van Haarlem, 1589, collection particulière
Ce sujet rare permet à Cornelis de reprendre les mêmes ingrédients: opposition au premier plan d’un nu de dos et d’un nu de face, au dessus d’un corps vu en raccourci.
Ici le héros gigantesque fait système avec le petit enfant assis sur un rocher : tous deux désignent le vide au centre du tableau, d’où le regard tombe vers l’adversaire abattu.
Allégorie de la Fortune
Cornelis van Haarlem, 1590, Musée d’Art et d’Histoire, Genève
Deux ans après la Chute des Titans, Cornelis utilise le même principe des nus au premier plan canalisant l’échappée vers le centre :
- nus debout latéraux, ici tous deux vus de dos ;
- corps vus en raccourci au centre : l’un couché et l’autre tombant en arrière, dans un suspens spectaculaire.
Le massacre des Innocents
Cornelis Cornelisz van Haarlem, 1590, Rijksmuseum, Amsterdam
Ici, les deux nus de dos sont au centre (en violet), piétinant la même mère et coupant chacun la gorge à un enfant (en rouge). Ils balisent une symétrie peu évidente à première vue :
- à l’arrière-plan gauche, un guerrier tombé à terre est frappé par un groupe de femmes ;
- à l’avant-plan droit, un guerrier debout échappe à un groupe de femmes.
On notera la créativité de son cache-sexe : la chevelure blonde de la mère, tendue vers son fils comme pour le retenir.
Triptyque de la Guilde des Marchands de laine (Drapeniers altaar)
Musée Frans Hals, Harlem
Le panneau central été commandé à Cornelis en 1590 pour remplacer le vieux panneau central du triptyque (peut être une Assomption), en s’insérant entre les volets latéraux peints en 1546 par Maarten van Heemskerk (Adoration des bergers et Adoration des Mages). On voit que Cornelis n’a fait aucun effort d’harmonisation avec l’oeuvre de son prédécesseur.
Chute des Titans, 1588 | Massacre des Innocents, 1591 |
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Cornelis Cornelisz van Haarlem
Il se livre en revanche à un savant panachage de ses deux oeuvres à succès :
- de La chute des Titans, il reprend l’idée d’encadrer la composition entre deux nus debout, en vue de face et vue de dos ;
- du Massacre des Innocents du Rijksmuseum, il récupère la figure centrale du nu de dos accroupi tranchant la gorge d’un enfant.
La mariage de Pelée et Thétis
Cornelis Cornelisz van Haarlem, 1591 Mauritshuis
La même année, dans ce tableau qui n’a plus rien de biblique, il conserve son nu de dos à droite et le transforme en échanson, pour fermer la composition tout en résumant le sujet : la boisson et l’amour.
Le Déluge (Die Sintflut)
Cornelis van Haarlem, 1592, Herzog Anton Ulrich-Museum, Braunschweig
Dans cet autre tableau de catastrophe, il revient à son procédé favori : encadrer la composition entre deux nus recto-verso.
Jupiter s’excuse d’avoir dû abattre la charriot de Phaéton, auprès d’Apollon en larmes.
Cornelis Cornelisz van Haarlem, 1594, Prado, Madrid
Deux puissants nus de dos, Mars et Neptune (plus Hercule dans l’ombre à sa droite) encadrent le dialogue entre Jupiter et Apollon. Malgré cette aide pour la lecture, le sujet n’a été compris qu’en 1986 par Sluitjer, grâce au chariot cassé à l’arrière-plan [3].
1617, Gemäldegalerie, Berlin | 1624, château Weissenstein, Pommersfelden |
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Bethsabée au bain, Cornelis Cornelisz van Haarlem
Cornelis reprendra de loin en loin cette formule du nu de dos latéral, isolé ou accouplé en recto-verso.
Le Jugement de Paris, National Gallery, Budapest | Le miroir du Temps, Nationalmuseum, Stockholm |
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Cornelis Cornelisz van Haarlem, 1628
En 1628, alors que l’emphase maniériste est complètement passée de mode, il reste fidèle au pilier latéral. Dans le Miroir du Temps, le nu de dos sert à attirer l’oeil vers le squelette qu’il masque, et que le Temps montre au couple avec son miroir. Sur ce thème, voir 4 Fatalités dans le rétro.
Joachim Wtewael
La bataille entre des Dieux et les Titans
Joachim Wtewael, 1600, Chicago art Institute
Dix ans après Cornelis Cornelisz van Haarlem, un autre maniériste hollandais de la même génération, reprend le thème de la Titanomachie, avec rien moins que trois guerriers debout vus de dos :
- les deux nus qui flanquent la composition sont des Titans, en duel respectivement avec Saturne dans un nuage et Minerve en vol ;
- le troisième est Mars lui-même, qui n’a pas craint de mettre pied à terre.
Sa haute figure centrale, mise en valeur par des étoffes multicolores, est l’antithèse des deux Titans courbés et poussés dans les coins. Il a cessé de combattre et, de sa main tendue vers Jupiter, fait le signe de la victoire.
Les Titans luttant contre Jupiter
Henri Martin, 1884-85, Museu Nacional de Belas Artes, Rio de Janeiro
Rarement traité, ce sujet appelle mécaniquement la vue de dos et le contreplongée.
1601, Mauritshuis | 1606-10, Getty Museum |
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Joachim Wtewael, Mars et Vénus surpris par les Dieux, 21 x 15,5 cm
Wtewael remploiera par deux fois le nu de dos, en transposant la gravure de Goltzius dans ces deux tableaux sur cuivre, véritables chefs d’oeuvre de la miniature [4].
Joachim Wtewael, 1615 | Rubens, 1597-99 |
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Le Jugement de Paris, National Gallery Londres
Ces deux Jugements de Pâris de la National Gallery paient tous deux un lointain tribut à la composition de Marcantonio Raimondi, avec Minerve vue de dos, le petit Cupidon dans les jambes de sa mère, la couronne en vol, et le dieu fluvial dans le coin inférieur droit.
Dans sa fuite en avant maniériste, Wtewael surenchérit dans la surcharge en situant le Jugement de Pâris dans un Eden surpeuplé, avec au fond à droite un banquet de nymphes et de satyres pétrifiés sous le figure menaçantes d’Eris.
Quinze ans plus tôt, le jeune Rubens, juste avant ou au début de son premier séjour en Italie, avait déjà éliminé les torsions et les élongations dans une solide composition triangulaire, où Minerve forme à la fois un couple vu de dos avec Pâris (en vert), et un couple recto-verso avec Junon (en bleu), qui se décale vers la droite afin de marquer sa défaite.
Après le maniérisme
Après les extravagances maniéristes, le nu de dos, à nouveau considéré disgracieux et inconvenant, se raréfie à l’époque baroque, puis classique : significativement, on n’en trouve aucun exemple chez Poussin. Il ne se maintient que dans quelques sujets, bien balisés depuis l’Antiquité : les Trois Grâces, le Jugement de Pâris, les Forges de Vulcain, les Travaux d’Hercule, ou les Baigneuses.
On trouvera ci-dessous quelques rares utilisations remarquables.
Le nu de dos chez Jordaens
La Fertilité
1623, Musées royaux des Beaux Arts, Bruxelles | 1650-78, Musée des Beaux Arts, Gand |
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Jacob Jordaens, Allégorie de la Fertilité (satyres et nymphes offrant des fruits à Pomone)
Il faut s’appeler Jordaens et être au sommet du succès pour oser placer au centre du tableau, comme personnage principal, un fessier aussi triomphal, aggravé par la pose penchée et par le linge qui le dévoile.
La seconde version est une autocitation, nettement moins provocante.
Vénus Colonna (Type Aphrodite de Cnide, Praxitèle), Musées du Vatican
La source de Jordaens est très probablement cette Vénus, dont la vue de dos était célèbre par une anecdote racontée par Pline, non sans rapport avec le thème de la Fertilité :
« Le petit temple où elle est placée est ouvert de tous côtés, afin que la figure puisse être vue en tous sens, la déesse même y aidant, à ce qu’on croit. Au reste, de quelque côté qu’on la voie, elle est également admirable. Un individu, dit-on, se passionna pour elle, se tint caché pendant la nuit dans le temple, et se livra à sa passion, dont la trace est restée dans une tache ». Pline Histoire Naturelle, livre XXXVI
Dans un passage savoureux [5], le Pseudo-Lucien fait faire par Callicratidas, qui préférait les garçons, un éloge passionné de cette croupe, et précise que la tache compromettante se situait à l’arrière de la cuisse.
Mercure et Hersée Moeyaert, 1624, Mauritshuis |
Agar amené à Abraham par Sarah Salomon de Bray, 1650, Agnes Etherington Art Centre, Queen’s University, Kingston |
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Ces deux peintres néerlandais ont probablement emprunté le motif à Jordaens.
Vénus pleurant Adonis, vers 1630, Matteo Loves, collection particulière
Ce peintre portugais éloigné, en revanche, s’est probablement directement inspiré, pour sa Vénus vue de dos, de la Vénus Colonna, en transformant la serviette en mouchoir.
Jupiter, Io et Junon
Gravure de Jordaens, 1652
Jordaens lui-même remploiera la vue de dos libidinale dans ce sujet très osé, qu’il n’a traité qu’en gravure : Jupiter reluque le dos de la nymphe Io tandis que, dans son propre dos, la jalouse Junon apparaît dans un nuage et interrompt l’action. On connait la suite : pour parvenir à ses fins, Jupiter sera obligé de transformer Io en vache et lui-même en taureau.
Le bras levé de la nymphe sert à attirer l’attention sur l’oblique symétrique, le vieux tronc qui matérialise de manière éloquente l’excitation du dieu.
Bacchus et Ariane, Jordaens, 1655, Musée de Boston
Les trois satyres ont découvert Ariane endormi, dont Bacchus tombe amoureux. Ici, la vue de dos exprime simplement la marche en avant, et accompagne le mouvement d’élévation vers le ciel de la couronne aux douze étoiles (la constellation de la Couronne boréale).
Un nouveau thème : la femme du roi Candaule
Le roi Candaule de Lydie montrant sa femme à Gyges
Jordaens, 1646,Nationalmuseum Stockholm
Jordaens est le premier à voir pensé à la vue de dos pour illustrer avec précision l’histoire de voyeurisme racontée par Hérodote. Le roi Candaule veut montrer la beauté de la Reine, dont il est très fier, à son serviteur Gygès :
« Je te placerai dans la chambre où nous couchons, derrière la porte, qui restera ouverte : la reine ne tardera pas à me suivre. A l’entrée est un siège où elle pose ses vêtements, à mesure qu’elle s’en dépouille. Ainsi, tu auras tout le loisir de la considérer. Lorsque de ce siège elle s’avancera vers le lit, comme elle le tournera le dos, saisis ce moment pour l’esquiver sans qu’elle le voie ». Bien sûr la Reine remarquera Gygès, et en fera le futur Roi, en emplacement de Candaule.
Jordaens montre Gygès et Candaule sur la droite, mais c’est bien sûr le spectateur qu’il place dans la situation du voyeur.
Coucher à l’italienne, Jacob Van Loo, vers 1650, Musée des Beaux-Arts de Lyon | Le bain de Diane (La modèle du peintre), Rubens (école), 1645-1650, collection particulière |
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Van Loo pousse d’un cran dans la provocation, en supprimant l’alibi mythologique : le cadrage serré invite le spectateur non plus à regarder, mais à suivre la femme dans son lit.
Dans le second tableau, le peintre anonyme a repris le chien, la chemise blanche et le rideau rouge de Jordaens, dans une scène d’extérieur totalement artificielle.
Eglon van der Neer, 1675–80, Museum Kunstpalast, Dusseldorf | Frans van Mieris (I), vers 1670, Staatliches Museum, Schwerin |
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Le roi Candaule de Lydie montrant sa femme à Gygès
En plan large, la composition de Jordaens devient un amusement graphique, sur le mode « Trouvez Gygès ».
Une invention isolée (SCOOP !)
« Vénus émergeant de la mer, statue de Praxitèle dans les jardins Borghese » François Perrier, 1638, Segmenta nobilium signorum et statuarum, planche 84. |
Vénus et Adonis sur un dauphin Carel van Savoyen (attr.), 1640-65, Musée des Beaux-Arts, Bordeaux |
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Van Savoyen s’est inspiré d’une des planches du célèbre recueil de statues romaines gravé par François Perrier, répertoire inépuisable de modèles pour des générations d’artistes. Sa première idée originale a été d’agrandir le dauphin pour que la mère et le fils puissent se tenir sur son dos, mode de transport quelque peu acrobatique. Sa seconde idée, plus convaincante, est purement graphique : le S du dauphin, que Cupidon effleure de la main gauche, fait écho au S du voile que sa mère déploie de la main droite.
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