2 La dalle perméable

Cette iconographie très particulière naît en Bavière en 1437 et se développe au XVème siècle exclusivement dans les régions germaniques, avant de disparaître à tout jamais. Mon point de départ est le livre d’Hubert Schrade consacré à l’Iconographie de la Résurrection, qui a étudié et nommé ce motif sous le vocable durchsteigen (grimper au travers) [8].

Article précédent : 1 Prémisses

L’irruption de la formule (1437)

Multscher

1437 Hans Multscher (Ulm) eglise de Landsberg am Lech Resurrection Wurzacher_Altars Gemäldegalerie BerlinRésurrection (Wurzacher Altar), Multscher, 1437, Gemäldegalerie, Berlin vRetable de Deocarus (volet droit), 1436-37, Nuremberg

Réalisé par ce peintre d’Ulm pour l’église de Landsberg am Lech, la même année que le retable de Deocarus, ce panneau abandonne radicalement l’ambiguïté encore entretenue par les écoles de Cologne et de Nuremberg : le tombeau est toujours en biais et scellé ostensiblement, mais le Christ ne fait plus mine d’en descendre : il trône au centre du tombeau, la jambe gauche plantée dans la dalle, même si le manteau rouge cache encore la crudité du moignon.

Schrade ( [8] , p 193) met cette innovation audacieuse sur le compte d’une autre, le réalisme flamand que Multscher importe dans l’art de l’Allemagne du Sud : on le ressent dans le traitement des matières (par exemple le métal de la croix ) ou des ombres (celle de la hampe barrant l’aine du Christ), ainsi que dans la brutalité du modelé des chairs et du rendu des blessures. Cependant, ce réalisme matériel va en sens inverse du caractère miraculeux de la dalle perméable, que les artistes précédents avaient toujours évité d’affronter (sauf le lointain Tomas de Kolozsvar). C’est donc plutôt l’esprit novateur de Multscher qui explique ce progrès simultané dans deux directions contradictoires.

L’innovation de la dalle perméable n’allait pas de soi : pour la faire remarquer au spectateur, Multscher a eu l’idée de faire écho à cette posture toute nouvelle du Christ avec ce sarcophage étrange, libéré du rocher du côté gauche, et fusionné avec lui du côté droit.

Une autre étrangeté de la composition est la palissade incurvée, qui ferme l’horizon et contrecarre tout effet de surplomb, bloquant le Christ dans sa position assise. Cette palissade, présente dans de nombreuses Résurrections, trouve sa justification dans le texte de Jean :

« Or, au lieu où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin, et dans le jardin un sépulcre neuf, où personne n’avait encore été mis. C’est là, à cause de la Préparation des Juifs, qu’ils déposèrent Jésus, parce que le sépulcre était proche. «  Jean 19,41-42

Jean Wirth [9] y voit une image du jardin clos marial et l’associe à la dalle traversée : les deux souligneraient l’analogie entre la sortie miraculeuse du tombeau et l’accouchement virginal, qui est développée par plusieurs textes de l’époque. Cependant, cette palissade n’apparaît pas dans toutes les Résurrections à dalle perméable qui vont fleurir en Allemagne.



Les successeurs immédiats de Multscher (1445-1450)

A Nuremberg

1445-50 Tucheraltar Frauenkirche NurnbergTucheraltar, 1445-50, Frauenkirche, Nuremberg

Le maître du retable Tucher marque l’arrivée des influences néerlandaises dans l’école de Nuremberg, jusqu’alors plutôt marquée par les influences bohémiennes [10]. Une dizaine d’années après Multscher, cette composition ne retient que la percée conceptuelle de la dalle perméable, et en tire la conséquence graphique : montrer le mollet sectionné. Les autres caractéristiques n’ont pas été reprises, du fait des contraintes du triptyque :

  • le Christ est décentré, debout à gauche devant le tombeau, puisque tous les panneaux sont bipartis ;
  • le tombeau est incliné en sens inverse (diagonale montante) pour laisser la place aux soldats du premier-plan, dont l’un est assis sur la dalle.


A Munich

1445 Gabriel_Angler (Munich) Resurrection_Tabula_Magna (abbye de Tegernsee originally with brocade background) Berlin, Bodemuseum, Inv. Nr. 1938 1445 Gabriel_Angler (Munich) Resurrection_Tabula_Magna (abbye de Tegernsee originally with brocade background) Berlin, Bodemuseum, Inv. Nr. 1938 schema

Résurrection (Tabula Magna de l’abbaye de Tegernsee )
Gabriel Angler (Munich), 1445, Berlin, Bodemuseum, Inv. Nr. 1938

Le grand peintre bavarois reprend dans ses grandes lignes la composition de Multscher, mais en inventant une nouvelle posture pour le Christ : sa jambe pliée ne se pose pas à l’extérieur, comme dans les compositions antérieures de Cologne et de Nuremberg, mais prend appui sur la dalle.

Sans le paysage (ajouté au XVIIème siècle), l’élan de cette gestuelle est restauré : doublement cerné par les quatre gardes et par la palissade, le Christ s’échappe vers le haut. La dalle perméable coupe le genou droit à mi-rotule, mais de manière suffisamment discrète pour éviter de focaliser le regard sur le moignon.

Les deux anneaux de levage sont un marqueur visuel récurrent dans la formule de la dalle perméable, qui manifeste le paradoxe de sa lourdeur et de sa matérialité.

En aparté : la jambe gauche mobile

Dans pratiquement tous les exemples de dalle perméable, la jambe mobile est cohérente avec la main qui bénit, la droite. La composition d’Angler est la seule, en peinture, où le Christ sort du « mauvais » pied.


1450-1470 master-der-berliner-leidenschaft-die-auferstehung Art Institute Chicago Rhénanie-du-NordRhénanie du Nord, 1450-70, Meister der Berliner Leidenschaft, Art Institute Chicago 1450-1470 master-der-berliner-leidenschaft-die-auferstehung Art Institute Chicago Rhénanie-du-Nord rectifiéeComposition « rectifiée »

Je ne l’ai retrouvée que dans cette gravure rustique, où l’avancée du pied gauche résulte peut être simplement d’une maladresse du graveur, voulant caser tous les orteils.


1488 Epitaphe de Johannes von Winstein Cathedrale de Worms RhenanieEpitaphe de Johannes von Winstein, 1488, Cathédrale de Worms (Rhénanie) 1512 Osnabrück,_Johanniskirche,_Hochaltar_des_Evert_van_Roden Resurrection (Basse Saxe)Retable de Evert van Roden, 1512, Johanniskirche, Osnabrück (Basse Saxe)

On la trouve également dans ces deux sculptures tardives, dont la seconde marque la pointe extrême de l’avancée de la dalle perméable en Allemagne du Nord, a une période où elle est complètement passée de mode dans le Sud. Dans ces deux cas, on voit bien que le « contraposto » entre la main qui bénit et le pied qui avance résulte d’un souci d’équilibre proprement sculptural.



En Silésie

1447 Wilhelm Kalteysen von Oche, Breslauer Barbaraltar Detruit en 1945Résurrection, Breslauer Barbaraltar (pour l’église Sainte Barbe de Wroklaw)
Wilhelm Kalteysen von Oche, 1447, détruit en 1945

Ce retable, dont les deux paires de volets ont été perdus, présentait une Résurrection tout à fait particulière : presque réduit à un homme-tronc, le Christ passait sa jambe visible sur l’arrière du cercueil. Le retable est dû à la collaboration entre un artiste silésien et un artiste rhénan, récemment identifié comme étant Wilhelm Kalteysen von Oche (d’Aix la Chapelle) [11] .


1447 Wilhelm Kalteysen von Oche, Breslauer Barbaraltar detail
Saint Barbe s’échappant de la tour (Breslauer Barbaraltar)
Wilhelm Kalteysen von Oche, 1447, National Museum in Warsaw

Cet artiste avait si bien assimilé le procédé de la dalle perméable qu’il l’a appliqué, de manière tout à fait unique, à Saint Barbe extraite par un ange à travers le rempart de sa prison [12]. Il s’est même payé le luxe de comparer la fluidité de cette fuite à celle du ruisseau traversant le rez-de-chaussée.

La dalle selon la diagonale montante

Les compositions combinant la diagonale montante et la dalle perméable sont mécaniquement plus rares, puisqu’elles rendent difficile la posture du Christ assis : si l’on veut que la jambe libre soit la droite, alors elle est partiellement cachée derrière le tombeau comme nous venons de le voir dans le seul cas connu, celui du Barabaraltar. La diagonale montante impose donc un Christ debout.

1450-60 Meister der Passionsfolgen Andachtsbild mit zwölf Szenen aus dem Leben Christi, Wallraf-Richartz-Museum Cologne1450-60, Meister der Passionsfolgen, Andachtsbild mit zwölf Szenen aus dem Leben Christi, Wallraf-Richartz-Museum 1478-80 Meister von Liesborn (Johann von Soest) Auferstehung für das Klarissenkloster St. Klara, Cologne , GNM Nuremberg Inv.-Nr. Gm33Résurrection pour le Klarissenkloster St. Klara, Cologne, Meister von Liesborn (Johann von Soest), 1478-80, GNM Nuremberg Inv.-Nr. Gm33

Cette composition se contente se conforme à la tradition colonaise du tombeau sur la diagonale montante, modernisée par une dalle perméable discrètement suggérée.


1493 Holbein le Jeune Predelle d'un panneau de la Vie de Marie, nef de la cathédrale d'Augsburg (Baviere), Foto-Leander-Stork 1493-Holbein-le-Jeune-panneau-de-la-Vie-de-Marie-nef-de-la-cathedrale-dAugsburg-Baviere-Foto-Leander-Stork.jpg 11 mars 2025

Panneau 1/4 de la Vie de Marie, Holbein le Jeune, 1493, nef de la cathédrale d’Augsburg (Bavière), Foto-Leander-Stork

La diagonale montante était imposée par l’harmonie avec les deux autres scènes du panneau : tombeau ouvert de la Mise au Tombeau, et l’autel du Sacrifice de Joachim. La solution retenue est de montrer le Christ debout sur la jambe gauche cachée, prenant appui du pied droit sur la dalle.


1495 Altarretabel aus der St. Pankratius ( Kirche in Rothenschirmbach) Kunstmuseum Moritzburg Halle Foto Punctum-Bertram Kober
Retable provenant de l’église St. Pankratius de Rothenschirmbach, 1495, Kunstmuseum Moritzburg, Halle (photo Punctum-Bertram Kober)

La solution est ici l’inverse : le Christ est debout sur la jambe droite visible, extrayant sa jambe cachée, restée en arrière : pour éviter une torsion impossible, l’artiste a fait sortir le Christ par le petit côté, dans le plan du tableau : dans cette configuration très particulière (je n’ai pas trouvé d’autre exemple), le tombeau peut être placé indifféremment sur l’une ou l’autre diagonale.



La dalle selon la diagonale descendante

Les Résurrections avec dalle perméable descendante sont de loin les plus nombreuses : forte présomption en faveur du rôle fondateur de la composition de Multscher.

1450 ca Oberrhein Freiburg-im-Bresgau, Staedtische Museen, AugustinermuseumRhénanie du Sud, vers 1450, Freiburg-im-Bresgau, Augustinermuseum 1450-75 Meister der Berliner Passion Blatt 10 (von 12) Serie Das Leben Christi Niederrhein, Kupferstich-Kabinett, Staatliche Kunstsammlungen DresdeCologne, 1450-60, Meister der Passionsfolgen, Andachtsbild mit zwölf Szenen aus dem Leben Christi, Wallraf-Richartz-Museum, Cologne

Ces deux panneaux reprennent timidement la posture du Christ assis de Multscher, en escamotant sous le tissu la question de la jambe gauche : il devient néanmoins impossible de l’imaginer repliée.


1460 ca _St._Georg Nördlingen (Baviere)
1460, église St. Georg, Nördlingen (Bavière)

Cette compositions combine la dalle de Multscher avec le Christ debout à gauche du Tucheraltar.


1455 Meister des Wolfgangaltars wolfgangsaltar Sankt lorenz nurnberg__foto_theo-nollWolfgangsaltar, 1455, église Sankt Lorenz, Nuremberg (photo Theo Noll) 1448-49 Meister des Wolfgangaltars Zwölf-Boten-Altar (anciennement Lorenz Kirche , Nuremberg), Kolumba Museum, Cologne detailZwölf-Boten-Altar, Kolumba Museum, Cologne

Meister des Wolfgangaltars

La longueur du manteau est réglable, telle celle des jupes dans les sixties, pour montrer plus ou moins du moignon scandaleux. Le même maître a réalisé pour la même église Sankt Lorenz de Nüremberg ces deux variantes (nous reviendrons plus loin sur la formule du tombeau vu de face).


1450-75 Meister der Berliner Passion Blatt 10 (von 12) Serie Das Leben Christi Niederrhein, Kupferstich-Kabinett, Staatliche Kunstsammlungen DresdeMeister der Berliner Passion (Rhénanie du Nord), 1450-75, Feuille 10/12 de la série Das Leben Christi , Staatliche Kunstsammlungen, Dresde 1481 ca spiegel der menschen behaltnis Speyer (Peter Drach d.M.). BSB GW M43020 fol 113r RhenanieIllustration du Spiegel der menschen Behaltnis de Speyer (Peter Drach d.M.), Rhénanie, vers 1481, BSB GW M43020 fol 113r

Ces deux gravures entérinent la popularité de la dalle perméable en Allemagne du Sud, entre 1450 et 1480.


1437 Hans Multscher (Ulm) eglise de Landsberg am Lech Resurrection Wurzacher_Altars Gemäldegalerie BerlinWurzacher Altar, Multscher, 1437 1470 ca Maître d’Uttenheim (Sud Tyrol) La Résurrection, Retable de Saint-Étienne Musee d'Art et d'Archeologie, MoulinsRetable de Saint-Étienne (détail), Maître d’Uttenheim (Sud Tyrol), vers 1470, Musée d’Art et d’Archéologie, Moulins

A quarante ans de distance, cette composition remarquable sonne comme un hommage à celle de Multscher. La sempiternelle vue plongeante est remplacée par une vue de bout très originale, mais les autres idées sont toujours là, et même exacerbées :

  • croix métallique,
  • ombres portées violentes (celle de la hampe et celle du plumet),
  • ellipse ostensible de la jambe prise,
  • posture assise du Christ, à cheval sur l’arête.

A ce Christ ouvrant grand ses bras, au torse dénudé et blessé, s’oppose le soldat assis en contrebas, engoncé dans son armure, replié sur sa masse d’arme.

1470-1480, Pfarrkirche St. Kilian, Wartberg an der Krems, Autriche (c) imareal 1485 Meister von 1477 (Augsburg) Auferstehung, früher Sammlung BeckerMeister von 1477 (Augsburg), 1485, anciennement collection Becker

Ces deux oeuvres sont significatives de la période terminale, où la formule commence à passer de mode : les deux artistes imitent une dalle perméable mais l’un montre le pouce du pied gauche en appui et l’autre le cache, revenant à l’ambiguïté de la période pré-Multscher.



Le tombeau de face

1427 Tomas de Kolozsvar (Kolozsvári Tamás) Triptyque du Calvaire de Garamszentbenedek, Esztergom Kereszteny Muzeum
Volet droit du Triptyque de Garamszentbenedek
Tomas de Kolozsvar (Kolozsvári Tamás), 1427 , Esztergom, Kereszteny Muzeum

Contrairement à la formule avec dalle inclinée inaugurée par Multscher, la formule plus simple inventée par Tomas de Kolozsvar (voir 1 Prémisses) n’a pas eu de postérité directe, ni en Hongrie, ni en Allemagne. Du moins si l’on retient comme traits caractéristiques la posture assise, le manteau blanc découvrant le torse et le bras droit, le genou plié au niveau de l’arête et les anges portant le linceul.


1440-50 maître du Retable de Heisterbach (Cologne) Resurrection Wallraf-Richartz Museum WRM 0762Maître du Retable de Heisterbach (Cologne), 1440-50, Wallraf-Richartz Museum, Cologne (WRM 0762) 1448-49 Meister des Wolfgangaltars Zwölf-Boten-Altar (anciennement Lorenz Kirche , Nuremberg), Kolumba Museum, Cologne detailMaître du Wolfgangaltar, 1448-49, Zwölf-Boten-Altar, anciennement à la Lorenz Kirche de Nuremberg, Kolumba Museum, Cologne

Les deux premières oeuvres à tombeau vu de face apparaissent en Allemagne durant la décennie après Multscher, dans les deux principaux foyers d’expérimentation de la dalle perméable :

  • à Cologne, une solution très radicale, où le Christ est englouti jusqu’au bassin ;
  • à Nuremberg, une version elliptique où le moignon se dissimule et où les soldats sont confinés derrière le tombeau.

1440-50 maître du Retable de Heisterbach, WolfgangsAltar schema
Dans les deux cas, la frontalité du tombeau et le triangle des fuyantes sont exploités pour leur symétrie, au service d’une idée forte : l’émergence vers le haut pour la première, la sortie vers l’avant pour la seconde.

Tout se passe comme si l’innovation de Multscher, en débloquant la question de la perméabilité, avait ouvert aux artistes de nouvelles pistes d’expérimentation graphique.


1455 losel-altar-(chapelle de Rheinfelden) Musée des Beaux-Arts Mulhouse Rhenanie SudLosel altar, 1455, provenant de la chapelle de Rheinfelden (Rhénanie du Sud), Musée des Beaux-Arts Mulhouse 1440 ca South German master Resurrection, woodcut, Budapest, Library of the Hungarian Academy of Sciences, Inc. 242Vers 1440, Allemagne du Sud, Budapest, Library of the Hungarian Academy of Sciences, Inc. 242

La frontalité peut être exploitée, comme chez Tomas de Kolozsvar, pour mettre en place deux angelots symétriques. La similarité des angelots et de la gestuelle du Christ fait supposer que le graveur s’est inspiré du peintre : la gravure, connue en un seul exemplaire trouvé dans la reliure d’un incunable publié à Ulm en 1473, devait donc être postdatée.


1430-40 Auferstehung Gebetsbuch mit 12 Holzschnitt der Passion Cim. 22, Berlin, Kupferstichkabinett1430-40, Livre de Prières avec 12 gravures de la Passion, Cim. 22, Berlin, Kupferstichkabinett 1455-65 Österreichische Nationalbibliothek cod. 1775 fol 1v (c) imareal AutricheAutriche, 1455-65, ONB cod. 1775 fol 1v (c) imareal

La solution sans angelots, très simple, se diffuse par cette autre gravure et est reprise par cet enlumineur autrichien.


1456 Speculum humanae salvationis (allemagne N) Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Cod. Guelf. 81.15. Aug fol 60v Warburg database1456 (Allemagne du Nord), Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Cod. Guelf. 81.15. Aug fol 60v (Warburg database) 1456 Speculum humanae salvationis (Rhin) Berlin, Staatsbibliothek, germ. fol. 945 fol 40v Warburg database(Rhénanie), Berlin, Staatsbibliothek, germ. fol. 945  fol 40v (Warburg database)

Speculum humanae salvationis

Malgré sa simplicité, on ne la retrouve que rarement dans le Speculum humanae salvationis, où c’est la formule du tombeau ouvert placé en biais qui prédomine.

On notera que le second illustrateur est tellement séduit par son sarcophage magique qu’il applique la perméabilité aux deux jambes, tout en multipliant les sceaux tel un prestidigitateur les cadenas.


1473 Munderkinger Passion Baviere Pfarrkirche St. Dioysius Munderkingen1473, Panneau de la Passion de Munderkinger, Pfarrkirche St. Dioysius, Munderkingen (Bavière)

La centralité de la formule met en valeur le contraste de matière entre les armures et la corolle rouge du manteau, qui attire le regard vers les plaies du torse et de la main gauche. On notera que l’artiste utilise encore la perspective inversée, totalement archaïque dans le cas du tombeau vu de face.


1490 Biblia germanica. Das ander teyl der Bibel, Augsburg Johann SchönspergerBiblia germanica (Das ander teyl der Bibel), Augsburg, imprimée par Johann Schönsperger, 1490

La formule apparaît une dernière fois dans ce frontispice de l’Evangile de Marc. La scène de l’arrière plan lie les deux scènes principale :

  • la porte de Gaza fait écho au pupitre de l’Evangéliste,
  • les deux battants emportés par Samson au bouclier lâché par le soldat.



Une excursion en Espagne

La dalle perméable inventée en 1437 en Allemagne du Sud se diffuse exclusivement dans les régions germaniques… mis à part deux oeuvres aragonaises isolées.

1464-65, Tomás Giner y Arnaldo de Castellnou Iglesia Santa María. Erla (Zaragoza)(Foto de Jesús Díaz)Tomás Giner y Arnaldo de Castellnou, 1464-65, Iglesia Santa María. Erla (Zaragoza) (photo Jesús Díaz) 1450-1500 Maestro de Morata, Iglesia de San Martín de Tours, Morata de Jiloca (Sargosse)Maestro de Morata, 1450-1500, Iglesia de San Martín de Tours, Morata de Jiloca (Saragosse)

Dans la seconde moitié du XVème siècle, la mode des sépulcres fermés touche quelques Résurrections en Aragon : le Christ est debout, soit devant la dalle, soit dessus.

On notera dans la première oeuvre l’intérêt de l’artiste pour la question de l’étanchéité, assurée par deux grosses chaines cadenassées. Le Christ sort miraculeusement par l’avant, en poussant du pied gauche sur le couvercle.

La seconde oeuvre montre un geste très particulier : le Christ plaque de la main gauche la hampe sur sa cuisse, remontant du même coup le manteau pour cacher ses parties honteuses.


1440 ca Resurrection atelier de Blasco de Grañen Maître de Lanaja (Aragon) coll partAttribué à l’atelier de Blasco de Grañen (Aragon), vers 1440, collection particulière 1430-40 Auferstehung Gebetsbuch mit 12 Holzschnitt der Passion Cim. 22, Berlin, KupferstichkabinettVers 1450, Livre de Prières avec 12 gravures de la Passion, Cim. 22, Berlin, Kupferstichkabinett

Cet anonyme aragonais a eu connaissance de la dalle perméable inventée en Allemagne grâce à cette gravure, dont il a repris la posture du Christ et les fuyantes en triangle, tout en dupliquant l’angelot.


1450 ca Mestre de Sant Bartomeu (attr) aragon METMestre de Sant Bartomeu (attr ), vers 1450, MET

Ce panneau peu ordinaire, qu’on a cru d’abord germanique, puis français, est attribué aujourd’hui à un maître aragonais [13]. La gestuelle du Christ est très étrange puisqu’il tient son étendard de la main droite et ne bénit pas de l’autre : cette main gauche semble hésiter entre deux gestes :

  • utiliser la hampe comme une gaffe posée sur le sol, puisque le pied droit ne repose sur rien ;
  • remonter le pan du manteau qui masque opportunément la jambe manquante.

1450 ca Mestre de Sant Bartomeu (attr) aragon MET detail
En fait la main ne fait ni l’un ni l’autre, ce qui rend incompréhensibles et l’équilibre du Christ, et celui de son manteau. On peut imaginer qu’il s’agit :

  • d’une imitation maladroite du geste du Maestro de Morata ;
  • d’un instantané, au moment où la main lâche à la fois la hampe et le manteau ;
  • d’un élément surnaturel, comme si l’artiste avait voulu pimenter la scène sans connaître la solution germanique de la perméabilité de la dalle.



La dalle perméable dans la Biblia pauperum

Il s’agit d’une série d’images typologiques (quelque fois accompagnées de texte) dont l’origine remonterait à l’Allemagne du Sud au XIIIème siècle. Les spécialistes ont classifié et ordonné chronologiquement la soixantaine d’exemplaires connus, bien que les datations précises restent très controversées. Comme la plupart des exemplaires comportent une page consacrée à la Résurrection, la série nous fournit un moyen pratique de confirmer la chronologie de la dalle perméable, tout au long du XVème siècle.

1430-50 Biblia pauperum Resurrection Universitätsbibliothek Heidelberg, Cod. Pal. germ. 148 fol 135r1430-50 (Bavière), Universitätsbibliothek Heidelberg, Cod. Pal. germ. 148 fol 135r 1450 Biblia pauperum resurrection Salzburg, BSB-Hss Cgm 155 fol 19v1450 (Salzburg) BSB-Hss Cgm 155 fol 19v

Biblia pauperum

Ces deux versions manuscrites montrent l’une la figuration la plus courante (tombeau ouvert, vu de face) , l’autre la première apparition d’une dalle perméable placée en diagonale. On pense que le second manuscrit aurait pu être illustré au sein même du couvent St Erentrud : ceci montre que la nouveauté de la dalle perméable s’était diffusée suffisamment, depuis l’Allemagne du Sud jusqu’en Autriche, pour qu’une nonne dominicaine ait l’idée de l’illustrer, d’une manière très atypique puisque la plaie du flanc n’est pas montrée et et que le Christ sort du pied gauche. Ce qui suggère que la dessinatrice n’a pas recopié un modèle existant, mais imaginé comme elle a pu une solution ad hoc.


1455-58 Biblia pauperum resurrection Blockbuch Ostmitteldeutschland Heidelberg, Cod. Pal. germ. 438 fol 129v1455-58 (Blockbuch), Allemagne du Centre-Est, Heidelberg, Cod. Pal. germ. 438 fol 129v 1462 Biblia pauperum resurrection Bamberg, Pfister1462, Bamberg,, imprimeur Pfister

La toute première version imprimée de la Biblia pauperum est peu lisible, du fait du caractère rudimentaire du dessin :

  • la bande à l’avant du sarcophage veut être une margelle, sur laquelle le Christ pose le pied ;
  • la bande coloriée à l’arrière est en revanche la paroi interne d’un tombeau peu profond ;
  • le coloriste a laissé en blanc la margelle arrière, sur laquelle un soldat pose son bras ;

le graveur a oublié de tracer la margelle à droite.

La version de 1462, en revanche, lève toute ambiguïté : il s’agit bien d’une dalle perméable, avec ses deux sceaux et ses deux anneaux réglementaires.


1465 ca Biblia pauperum Netherland blockbuch resurrection British Museum 1845,0809.30Vers 1465 (Blockbuch), Pays-Bas, British Museum 1845,0809.30 1465 ca biblia pauperum EsztergomVers 1465, Esztergom

Peu de temps après sort la version néerlandaise, qui semble avoir été conçue pour organiser l’ambiguïté (peut être parce qu’elle était destinée aux deux clientèles, hollandaise et germanique) : l’arête verticale, à droite, manque aussi bien pour le couvercle que pour la base : la bande supérieure peut donc aussi bien être interprétée comme le flanc d’un couvercle fermé, ou la margelle d’un tombeau ouvert.
C’est d’ailleurs ainsi que l’a comprise celui qui a colorié la version conservée à Esztergom.


1480 Bibliothèque nationale de France - Xylo-5, fol. 39 gallicaVers 1480 (Blockbuch), Pays-Bas, BNF Xylo-5, fol. 39 1472 Biblia pauperum, Blockbuch, Nürnberg München, BSB Xylogr. 26 fol 15r1472 (Blockbuch), Nuremberg, Munich BSB Xylogr. 26 fol 15r, Gallica

La version néerlandaise suivante supprime toute ambiguïté, en montrant l’intérieur du tombeau. L’élément peu lisible, entre la hampe et la banderole rajoutée, n’est pas la jambe manquante, mais la retombée du tissu sur la margelle, déjà présent dans la version précédente.

Entretemps, la version germanique de 1472 a renoncé à la dalle perméable explicite, en montrant simplement le Christ sortant par la face étroite du tombeau.


  • La série des Biblia Pauperum germaniques montre une apparition asses précoce de la dalle perméable (dans un manuscrit de 1450),  reprise dès la seconde version imprimée (1462) et atténuée dans celle de 1472.
  • Les  Biblia Pauperum néerlandaises (à partir de 1465) organisent l’ambiguïté.



Synthèse

DallePermeable_DeveloppementSchema
Ce schéma de synthèse ne présente que les oeuvres-clés pour le développement de la formule.

Le Christ assis de Mutscher à Ulm en 1437 n’a pas été immédiatement recopiée, mais a débloqué le concept de dalle perméable, permettant des expérimentations inconcevables auparavant :

  • en Bavière, le Christ d’Angler, poussant du pied gauche pour s’échapper ;
  • à Cologne, celui du Maître du Retable de Heisterbach, présenté comme un homme tronc.

C’est à Nuremberg que la formule se développe le plus, avec des Christ debout ou assis, et des tombeaux vus en diagonale ou de face.

Après ces deux foyers traditionnels, la formule se diffuse vers :

  • la Silésie, avec le Maître du Babarbasaltar, qui rend perméable dalle et rempart ;
  • le Tyrol du Sud, avec le Maître de Uttenheim, qui pousse à l’extrême les idées de Multscher ;
  • l’Allemagne du Nord, avec un dernier exemple sculpté repéré en 1512 à Halle.

Une gravure permet d’expliquer l’écho lointain de la formule en Aragon, région qui possédait déjà une tradition de la Résurrection avec tombe fermée.



Article suivant : 3 Autres traversées miraculeuses

Références :
[8] Hubert Schrade « Der Aufstieg aus dem geschossenem Grabe in Werken des 15. Jahrhunderts », dans Ikonographie der Chrsitlichen Kunst, vol 1, Auferstehung der Christi, 1932 p 193 https://books.google.fr/books?id=zaBsDwAAQBAJ&pg=PA193
[9] Jean Wirth, Art et image au Moyen-Age, p 342
[11] Agnieszka Patała « Masters without Names in Medieval Silesia: the Master of the Years 1486–1487, the Master of the Gießmannsdorf Polyptych and Wilhelm Kalteysen von Oche » Journal of Art Historiography Number 22 June 2020 https://arthistoriography.wordpress.com/wp-content/uploads/2020/05/patala.pdf
[12] Merci à Raoul Bonnaffé de me l’avoir signalé. Le lien entre les deux traversées a été relevé par Adam S. Labuda, Wort und Bild im späten Mittelalter am Beispiel des Breslauer Barbara-Altars (1447), Artibus et historiae. 1984, Num. V/9, p p 44 https://www.jstor.org/stable/1483168
[13] Guadaira Macías Prieto. « Noves aportacions al catàleg de dos mestres aragonesos anònims, el Mestre de Sant Jordi i la princesa i el Mestre de Sant Bartomeu. » Butlletí del Museu Nacional d’Art de Catalunya 11 (2010), https://www.academia.edu/39209778/Noves_aportacions_al_cat%C3%A0leg_de_dos_mestres_aragonesos_an%C3%B2nims_El_Mestre_de_Sant_Jordi_i_la_princesa_i_el_Mestre_de_Sant_Bartomeu

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