4.3 Revers armoriés : Diptyques et triptyques de dévotion
Certains diptyques ou triptyques ont pour fonction de mettre en scène le ou les donateurs face à l’objet de la dévotion. Parfois leurs armoiries s’ajoutent à cette présence, parfois elles s’y substituent.
Article précédent : 4.2 Revers armoriés : diptyques conjugaux
Diptyques de dévotion
Cette formule, qui apparaît simultanément en Allemagne et en Bourgogne, met en présence un dévot et l’objet de son adoration, en général la Madone, les deux vus à mi-corps. Les armoiries figurent au revers du panneau qui sert de couvercle, à savoir celui du dévot.
Un précurseur anglais
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Diptyque Wilton, 1395–99, National Gallery, Londres
Le diptyque montre le roi d’Angleterre Richard II à genoux devant la Vierge et l’Enfant, présenté par son saint patron Jean-Baptiste, et accompagné par les saints royaux anglais Édouard le Confesseur et Edmond le Martyr.
Le roi arbore un collier d’or en forme de gousses de genêt (emblèmes des Plantagenêt) et un médaillon avec son emblème personnel : un cerf blanc portant en collier une couronne avec une chaîne dorée. Les mêmes emblèmes ont diffusé dans le volet droit, portés par les anges qui entourent la Vierge :
Sur la question de la « perméabilité » entre les deux panneaux, qui affirme visuellement le caractère sacré de la Royauté, voir 6-1 Le donateur-humain : les origines (avant 1450). Nous allons ici nous consacrer au revers des deux panneaux.
Autre preuve de ce caractère sacré de la royauté : c’est au revers même du panneau marial que s’affichent les armes de Richard II, composées d’un écu biparti :
- à droite le blason des rois d’Angleterre (fleurs de lys et lions de Normandie) ;
- à gauche les armes mythiques d’Édouard le Confesseur (croix et cinq oiseaux), choisies par Richard II en signe de dévotion particulière.
Le revers du panneau royal, quant à lui, reprend l’emblème du cerf blanc, couché dans la direction inverse de celle du roi agenouillé : cet effet de « traveling circulaire » suggère une réalité commune prise en sandwich entre les deux faces : superposées, l’image physique du Roi (côté face) et son image allégorique (côté pile) constituent une représentation complète et officielle, idée qui se développera trente ans plus tard dans les médailles de la Renaissance italienne (voir 1 Revers allégoriques).
Le premier diptyque allemand
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Homme de douleur |
Le comte Georg von Lowenstein |
Hans Pleydenwurff, 1456
La particularité des deux cadres, originaux, est qu’ils portent aux quatre coins les armoiries des grands-parents :
- les grands-pères en haut : Löwenstein (paternel), Werdenberg (maternel)
- les grands-mères en bas : Kirchberg (maternelle), Wertheim (paternelle).
Etrangement, les couples se lisent donc selon les diagonales, formule croisée qui met à égalité les deux branches . Nous verrons plus loin un dispositif différent, où la lignée paternelle occupe la place d’honneur.
Au revers du portrait du donateur figurent les armoiries des Löwenstein (un lion couronné).
Les premiers diptyques dévotionnels bourguignons
C’est Van der Weyden qui, vers la fin de sa carrière, va donner son essor à la formule, avec trois diptyques de dévotion armoriés dont la splendeur du revers en fait une oeuvre d’art à part entière.

Le Diptyque de Jean Gros (SCOOP !)
Musée des Beaux Arts, Tournai
Art Institute Chicago
Diptyque de Jean Gros
Van der Weyden, 1455-60
Ce petit diptyque transportable (38cm X 28) possède deux revers peints, qui en restituent l’unité.
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Revers volet droit, revers volet gauche
Les deux revers portent la devise de Jean de Gros, « Graces à Dieu » et son emblème, la poulie double. Une corde unique serpente entre inscription et poulies.
Chapelle funéraire de Ferry de Gros, mort en 1544, Sint-Jakobskerk, Brugge
Corde unique et poulies se retrouvent encore un siècle plus tard, dans la décoration de la chapelle familiale à Bruges.
En fait, il ne s’agit pas à proprement parler de « poulies », mais d’un moufle. En associant deux de ces moufles comme dans le schéma ci-dessus (on relie d’abord les petites poulies, puis les grandes), on obtient un palan. La charge à soulever est attachée au moufle mobile, tandis que le moufle fixe est attaché au support.
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Ce principe du palan explique les différences subtiles entre les deux revers.
Le revers du donateur porte ses armoiries et ses initiales, J et G (on dit aussi que le G serait l’initiale de sa première femme, Guidonne de Messey). La corde passe par les deux grandes poulies ainsi que par l’anneau supérieur du moufle. A l’anneau inférieur est attaché par une lanière de cuir l’objet qu’il s’agit de soulever, l’écu de Jean de Gros : il s’agit donc du moufle mobile.
Sur le revers de la Vierge à l’Enfant, la corde passe par une grande et une petiite poulie, et s’attache à haut à un anneau : il s’agit donc du moufle fixe.
Mis côte à côte, les revers nous invitent imaginer une corde unique reliant les deux moufles, constituant ainsi un palan mystique dans lequel Jean de Gros se trouve être à la fois la charge à élever vers le ciel et le moyen de cette élévation.
Le Diptyque de Philippe de Croÿ
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Huntington Library, San Marino |
Musée Royal des Beaux Arts, Anvers |
Diptyque de Philippe de Croÿ
Van der Weyden, vers 1460
Ce diptyque de taille plus importante (50 cm X 33) ne comporte de revers que du côté du donateur (qui constituait donc le volet mobile). Le monogramme en haut à gauche du portrait n’a pas été déchiffré de manière convainquante.
Revers du panneau du donateur
Au dessus des magnifiques armoiries on peut lire « IPPE DE CROY » et au dessous son titre de « (seign)EUR DE SEMPY ».
Le Diptyque de Joos van der Burch
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Diptyque de Joos van der Burch
Atelier de Rogier van der Weyden, vers 1480, Harvard Art Museum
Ce diptyque plusieurs fois remanié a eu une histoire complexe [13] . La dendrochronologie a révélé que le panneau de gauche date d’une dizaine d’années avant celui de droite.
Dans le vitrail de gauche, Moïse tient les armoiries des Van der Burch ; dans celui de droite, un homme barbu tient les armoiries composées des Van der Burch et des Van der Burch/Waterleet.
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Revers du panneau du donateur
On y voit les initiales J et K de Joos van der Burch et de son épouse Katherina van der Mersch, dont la mère était une Waterleet. L’épitaphe indique que Joos, mort en 1496, rejoignit dans sa tombe Katherine, morte en 1476. Tout est donc cohérent avec un mémorial fixé près de la tombe du couple, seul le volet du donateur étant mobile.
Cependant la radiographie a révélé, sous l’épitaphe, un blason avec un grand cimier, composé différemment et entouré des initiales S et B. Ces armoiries sont celles du fils de Joos, Simon, ce qui explique la présence de son saint patron, l’Evêque Simon de Jérusalem. De même un visage différent se trouvait sous le visage actuel du donateur.
L’hypothèse la plus probable ( [14], p 1162) est qu’il s’agissait initialement d’un diptyque de dévotion privé, que Simon avait fait réaliser en ajoutant son propre portrait à une Madone préexistante ; après la mort de son père Joos en 1496, Simon décida de le faire transformer en un mémorial public en l’honneur de ses parents : ce qui supposait :
- à l‘avers, de remplacer le visage du fils par celui du père, et de recouvrir la figure de Saint Simon,
- au revers, de remplacer les armoiries du fils par celles du père, et de rajouter l’épitaphe.
La généralisation de la formule
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Vierge à l’Enfant, Harvard Art Museum |
Ludovico Portinari, Philadelphia Museum of Art |
Maître de la Légende de Sainte Ursule, Vers 1480 [15]
Ce diptyque de dévotion a ceci de particulier que les mondes sacré et profane ne sont pas hermétiquement séparés : la Vierge à l’Enfant, avec ses anges roses et bleus, se retrouve en miniature dans le volet de droite, comme invitée dans le jardin clos de Ludovico, tandis que Saint Joseph puise de l’eau dans la fontaine. La Vierge est astucieusement placée près d’une grande porte, emblème parlant des Portinari.
On pourrait y voir un simple caprice graphique : ajouter pour le même prix une représentation de la Sainte Famille. Cependant le revers est également très étrange :
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Blason des Portinari (revers du portrait de Ludovico) |
Monogramme IHS (revers de la Vierge à l’Enfant) |
Il met en équivalence, sur le même fond rouge, le blason (la grande porte) et les initiales LP du donateur, et le blason (un cercle rayonnant) et le monogramme IHS de Jésus. De plus, la mécanique du diptyque fait que, dans le monde abstrait du revers, le profane se trouve à la droite du sacré, donc en position d’honneur et de protecteur.
Sous prétexte d’humble dévotion, le diptyque de Ludovico trahit une ostentation manifeste, qui ne se retrouve pas dans les diptyques privés des autres membres de la famille (voir 4 Le triptyque de Benedetto).
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Portrait d’un membre de la famille Lespinette, Memling , 1485 – 1490, Mauritshuis, La Haye
Ce portrait était le volet droit d’un diptyque de dévotion, auquel devait correspondre un volet gauche aujourd’hui perdu, avec une Vierge.
Le spectateur moderne remarque surtout l’harmonie rouge et blanc entre les vêtements au recto et le magnifique blason au verso (qui a été repeint à l’identique).
L’érudit s’interroge sur les objets accrochés aux pattes du faucon : si ce sont des clochettes, alors les armoiries sont celles de la famille Lespinette ; si ce sont des grelots, alors il s’agit de la famille De Visen, également originaire de la Franche-Comté[16].
Portrait d’un membre de la famille Hillenberger
Adriaen Isenbrant, 1513, Lowe Art Museum, University of Miami
Je ressemblais à cela, à 32 ans le 6 février 1413 |
DO ICK HABDE DISSE GHESTALT / WAS ICK 32 IAER A. 1513 6.I. FEBRUARII |
La Vierge à l’Enfant, y compris les vitraux de gauche, est une copie de la Vierge au Chanoine Van der Paele de Van Eyck (voir – Le symbolisme du perroquet). L’artiste a décentré l’arrière-plan de manière à ce que l’auréole apparaisse sur fond sombre, et ajouté côté droit, en pendant aux vitraux, d’autres symboles de pureté (serviette et lavabo). Le paysage montre côté Madone une tour, symbole marial, et côté donateur un port, image de la vie profane.
Revers du panneau du donateur
Les armoiries en trompe-l’oeil cumulent le blason de la famille wetsphalienne des Hillensberg (trois bandes noires verticales) et celui de la famille franconienne des Lindenfels (trois étoiles à huit branches).Le cimier reprend deux pointes noire et rouge, autour d’une étoile fichée sur une troisième pointe.
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Crucifixion avec donateurs |
Revers armorié |
Epitaphe des Schmidburg, Georg Lemberger, 1522, Museum der bildenden Künste, Leipzig
Le revers de la Crucifixion présente dans une sorte d‘arbre génalogique les armoiries de la famille Pistor (en bas au centre) et des ascendants Schmidburg, et Hartwig (à gauche), Proles et Seidel (à droite).
Ce panneau biface était le couvercle d’un boîte renfermant un panneau réalisé en 1518 par Cranach, et montrant un agonisant surplombé par la Trinité. Le texte latin du couvercle fait l’éloge de Valentin Schmidburg, qui avait commandé le tableau de Cranach. Mais surtout de son petit-fils Simon Pistor, professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université de Leipzig, qui a eu l’idée de cette très originale épitaphe ( [17], p 197). A noter que les deux intervenats principaux, Simon Pistor et son grand-père Valentin Schmidburg figurent en tant que donateurs en bas du panneau de la Crucifixion, et sont repris en tant que personnages dans la scène elle-même : l’un en guise de Saint Jean, l’autre en arrière de Longin ([17], p 212).
L’épitaphe était accrochée dans l’église de l’Université. Autant le texte du couvercle s’adresse aux visiteurs, autant les deux tableaux précieux étaient probablement réservés à la dévotion familiale. La dernière phrase de l’épitaphe, écrite en plus petit, a été rajoutée après la victoire de la Réforme à Leipzig, en 1539 :
Nous nous trompons dans nos désirs et dans le temps, et la mort se moque des soucis, une vie dans la crainte ne vaut rien. |
DECIPIMUR VOTIS ET TEMPORE FALLIMUR ET MORS DERIDET CURAS, ANXIA VITA NIHIL |
Elle entérine une influence protestante qui imprégnait déjà, discrètement, les tableaux à usage privé, verrouillés à l’intérieur de la boîte ([17], p 218).
Triptyques dévotionnels armoriés
Cette formule apparaît comme une extension au couple du principe du diptyque dévotionnel.
Willem Moreel et Barbara van Vlaendenbergh (panneaux latéraux d’un triptyque)
Hans Memling, vers 1482, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique
Le maire de Bruges et sa femme sont représentés en prière, devant deux arcatures à angle droit : le panneau central a été perdu.
Revers panneau masculin, revers panneau féminin
ARMA GUILLERMI MOREEL |
ARMA DOMICELLE BARBARE DE VLAENDERBERCH ALIAS DE HERSTVELDE UXORIS GUILLERMI |
Compte-tenu que les deux revers, similaires, semblent destinés à être exposés côte à côte, le triptyque était probablement du type à panneau central large (et non à trois panneaux identiques). Les lignes de fuite n’étant pas exactement symétriques, l’effet maximum était obtenu en inclinant légèrement le panneau masculin (pour un autre exemple de ce dispositif chez Memling, voir 3.1 Le diptyque de Marteen).
Triptyque Moreel, 1484, Groeningue Museum, Bruges
C’est par leur ressemblance avec le couple de Bruxelles que Weale identifia les donateurs de ce grand triptyque : présentés par leurs saints patrons Saint Guillaume et Sainte Barbe, ils sont suivis respectivement par leurs cinq garçons et leurs onze filles (les Moreel en eurent au total treize). Dans le panneau central, on voit saint Maur à gauche (assonance avec le nom du mari) et Saint Gilles à droite (il avait protégé une biche, « hert » en néerlandais, assonance avec le nom de l’épouse).
Triptyque du Jugement dernier (fermé)
Mostaert, 1510-1514, Rheinisches Landesmuseum, Bonn
Les volets portent au revers les armes de Gijsbrecht van Duivenvoorde, seigneur de Den Bossche et de son épouse Anna van Noordwijk d’Obdam, épousée en 1503.
Triptyque du Jugement dernier (ouvert)
Les volets montrent le couple et leurs enfants, tandis que le panneau central est dédié à la famille d’Anna : ses grands-parents, Daniël van Noordwijk († 1466) et Agniese van Raaphorst († après 1485) et ses parents, Jacob van Noordwijk († 1503 ou 1504) et Aleid Jan Foeyendr. († 1512) ( [18], Cat. 597)
Les deux saints latéraux, Marie et Jean Baptiste, ne sont pas des patrons : ils accompagnent le Christ-Juge du panneau central, de sorte que le trio de la Déésis assure, tout comme le paysage, la continuité entre les trois panneaux.
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Armoiries des Van Soutelande (inv. no. SK-B-1188-A) |
Armoiries d’Alliance entre les Van Soutelande et les Van der Grafts (inv. no. SK-B-1188-B) |
Volets d’un triptyque démembré, Master of Alkmaar, 1515-20, Rijksmuseum
A l’avers, les armoiries sont répétées sur les prie-Dieu, derrière lesquels sont agenouillés Willem Jelysz van Soutelande (?-1515/16) de Haarlem et son épouse Kathrijn Willemsdr van der Graft (?-1490/91) . Les armoiries tenues par les anges dans le ciel sont celles d’un autre couple, Jacob de Wael van Rozenburg et son épouse Margriet (Marien) van Waveren.
Ce second couple, dont les patrons correspondent bien à Saint Jacques le Majeur et Sainte Marie-Madeleine, était probablement représenté dans le panneau central perdu : le triptyque aurait donc été mixé deux couples appartenant à deux familles différentes, dont les points communs sont que les époux étaient tous deux membres de la fraternité des Pèlerins de Jérusalem de Haarlem, et que les épouses portaient, par coïncidence, les mêmes armes [19].
Triptyque Norfolk, Panneau central, Chrysler Museum of Art, Norfolk
Panneaux latéraux, Musées Royaux des Beaux-Arts, Bruxelles
Jan Gossart, 1525-32
Triptyque reconstitué lors de l’exposition de 2010
L‘épouse, regardant l’Enfant Jésus, se trouve dans le même espace que la Vierge, comme le prouve le dossier en bois avec les deux boules dorées, à l’arrière plan.
Le mari quant à lui regarde le spectateur et se trouve dans une pièce séparée, dont la perspective ne se recolle pas avec la cloison qui figure à gauche de la Vierge : les deux pièces ne sont pas jointives, mais appartiennent à des espace-temps différents.
La disparité de l’architecture et des attitudes a été expliquée par Harrison : le donateur aurait commandé le triptyque en mémoire de sa jeune épouse décédée, représentée avec la Vierge au Royaume des cieux.
Cette fonction de mémorial est confirmée par le revers, où des étiquettes en « trompe-l’oeil » sur un fond marbré funéraire portent les deux moitiés du verset 3 du psaume 51 (le Miserere), qui semblent renouer un dialogue après la mort :
L’époux : Aie pitié de moi, ô Dieu, selon ta grande miséricorde |
L’épouse : Et selon la multitude de tes miséricordes, efface mes transgressions ». |
A ce message de l’Ancien Testament correspond, au recto, le livre du mari, ouvert sur une page du Nouveau : probablement l’Epître de Saint Paul aux Romains, qui développe le même thème de la Pénitence et du Pardon [20].
Triptyque de l’Ascension de la Vierge
Ambrosius Benson, 1540-45, Sacristie de la Iglesia de la Asuncion. Navarrete
Deux donateurs sont présentés respectivement par Saint Pierre et Saint Jean. Ils avaient acheté en Flandres ce triptyque pour en faire don à l’église de Navarette, dans la Rioja.
Le blason des donateurs, identique sur les deux volets (deux frères ?), n’a pas été identifié.
Triptyques armoriés sans donateurs
Dans cette formule moins incarnée, le couple des donateurs n’est plus figuré physiquement, mais seulement par les armoiries du revers.
La Résurrection entre Sainte Barbe et sainte Marguerite
Lucas Cranach l’Aîné, 1509, Gemäldegalerie Alte Meister, Kassel
Ce petit retable portatif appartenait au Landgrave Wilhelm II de Hesse et à son épouse Anna de Mecklenburg.
Fermé, il montre , dans l’ordre héraldique, les armoiries des deux époux : Hesse et Mecklenburg. C’est un cas remarquable d’un revers, à première vue sans mystère, comportant une information décisive.
Château du Landgrave, Marburg, 1572 [21]
Une première anomalie est que les armoiries de l’époux dont inversées de gauche à droite. Il s’agit en fait d’un cas typique de « courtoisie héraldique » :
« Quand, dans les armes du mari figurait un lion ou un quadrupède (qui sont ordinairement dirigés vers dextre), ceux-ci tournaient alors le dos aux armes familiales de la dame ; par courtoisie il était alors fréquent de contourner ces lions ou quadrupèdes pour les faire regarder ou se diriger vers les armes de la dame – de fait c’est l’ensemble du blason qui était alors contourné. » [22]
Une inversion plus significative est celle des deux saintes : habituellement, Cranach place en position d’honneur la plus importante, Catherine [23]. Ici elle se retrouve à droite, côté épouse, tandis que Barbe se trouve côté mari.
On pense que la présence de ces saintes, protectrices des malades, est liée à la syphillis de Wilhelm II, dont il fut frappé en 1506 et succomba en 1509. Il est même possible que le triptyque ait été réalisé après sa mort, en commémoration de celle-ci. Trois arguments, dont deux inédits, militent dans ce sens :
- le choix du sujet central, la Résurrection du Christ (le troisième jour), porte un message d’Espérance par delà la mort ;
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- le volet de l’époux se superpose au tombeau dont les sceaux sont encore intacts : manière élégante de suggérer que lui-aussi est déjà dans sa tombe, mais que cet enfermement n’a rien de plus définitif qu’un morceau de papier et de cire ;
- Sainte Barbe partage avec le défunt le fait d’avoir été enfermée par son père dans une tour. Elle y fit percer une troisième fenêtre, pour représenter la Sainte Trinité, ce qui déclencha la colère de son père, un incendie et la libération de la Sainte : le fait que la tour ne porte ostensiblement que deux fenêtres signifie que Barbe (ie le défunt Wilhelm II) est encore enfermée à l’intérieur, attendant sa troisième fenêtre (ie son « troisième jour »).
Jean Bellegambe, 1510, Triptyque du bain mystique, Lille [24]
Exécuté pour Charles Coguin, abbé d’Anchin de 1508 à 1546, ce triptyque est peint sur ses volets extérieurs de deux anges en grisaille portant,
- l’un les armoiries de l’abbaye ;
- l’autre les armoiries de l’abbé et sa devise : Favente deo, Avec la faveur de Dieu.
Au 16e siècle, les blasons avaient été recouverts par ceux des propriétaires de l’époque, Jean de Créquiet et son épouse. De même, les crosses abbatiales avaient disparu sous des repeints.
Triptyque Malvagna
Jan Gossart et Gérard David, vers 1513–15, Galleria Regionale della Sicilia, Palazzo Abatellis, Palerme
Les scènes du Péché originel et de l’Expulsion laissent à droite un large paysage vide, dans lequel une haute falaise fait pendant à la porte ouvragée du Paradis : sans doute faut-il y voir la demeure inaccessible de Dieu. L’arbre divisé en deux branches illustre le choix d’Adam : vers la Punition ou vers l’Obéissance. De même la chouette, symbole double, décrit particulièrement bien l’ambiguïté de la situation : à la fois figure de la tentation à laquelle Adam a succombé (on se servait d’une chouette captive pour attirer les petits oiseaux) et de la sagesse qui lui a manqué.
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Sainte Catherine | Vierge à l’Enfant avec des anges | Sainte Dorothée |
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Ouvrir le Triptyque Malvagna, c’est donc substituer à l’image de la Chute celle de la Rédemption : Marie Nouvelle Eve et Jésus Nouvel Adam. Avec ses splendides architectures gothiques, l’intérieur déploie un espace sacré dans lequel les saintes des volets se lient par un mariage mystique à l’Enfant Jésus, antithèse du sombre paysage du revers, contaminé par la sexualité humaine.
La surprise est qu’abrité dans le dos même de Marie et de Jésus, à l’opposé de ce Paradis perdu, se trouve une sorte de Paradis retrouvé : les armoiries des Malvagna, entourées d’une couronne de fruits parfaitement autorisés.
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Armes de Jakob Florisz van Montfort |
Armes de Dirckje Boelens van Hindeburgh |
Revers des volets du triptyque de la Guérison de l’Aveugle de Jéricho
Lucas de Leyde, 1531, Ermitage
Sans rapport avec le sujet du triptyque (aujourd’hui réuni en une seule toile), ces deux panneaux en trompe-l’oeil portent les armes du commanditaire et de son épouse.
Triptyque du Jugement Dernier (fermé)
Aertgen van Leyden, 1555, Musée des beaux-arts de Valenciennes, (C) RMN Photo René-Gabriel Ojéda
Le même dispositif se retouve dans ce triptyque réalisé à l’occasion de la mort de Jakob Florisz van Montfort. La musculature exagérée des figures marque l’influence de Heemskerck.
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Triptyque du Jugement Dernier (ouvert)
La binarité masculin/féminin se propage ici à l’intérieur, où les membres de la famille se répartissant dans les deux volets.
Les triptyques armoriés de Van Orley
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Le mariage de la Vierge |
Le Christ parmi les docteurs |
Bernard van Orley, 1513, National Gallery of Arts, Washington
Ces deux panneaux faisaient probablement partie d’un retable dont le panneau central a disparu.
Le revers du panneau du Christ parmi les Docteurs montre un ange nu portant les armoiries du donateur, l’abbé Jacques Coëne [25]
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Naissance et baptême de Saint Jean Baptiste, Metropolitan Museum, New York |
Mort de Saint Jean Baptiste, collection privée |
Retable de Saint Jean Baptiste
Bernard Van Orley, 1514-15
Ici encore les deux panneaux faisaient partie d’un retable dont la partie centrale a disparu (sans doute une sculpture du baptême du Christ) . A l’origine, celle-ci avait en haut une forme arrondie, mais les volets ont été retaillés en rectangle, ce qui explique le cadrage serré du revers [26] :
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Metropolitan Museum, New York |
Collection privée |
Nous retrouvons à gauche l’Homme de douleurs, et en face l’abbé Jacques Coëne en prières, les deux représentés en trompe-l’oeil dans deux pendants (et non pas un diptyque) accrochés à une cloison. Ainsi le retable une fois fermé affiche publiquement une dévotion privée, encadrée par deux insignes de pouvoir : les deux crosses d’abbé, reconnaissables au voile qui y est accroché (à la différence d’un évêque, un abbé n’avait pas le droit de porter des gants). La logique de la composition en abîme joue à plein dans le panneau de droite, puisque la crosse peinte se retouve également à l’intérieur du tableau dans le tableau.
A la devise de la banderole, « FINIS CORONAT », il manque le mot OPUS , ici représenté, comme dans un rébus, par le tableau dans le tableau. « La fin est le couronnement de l’oeuvre », la devise de Jacques Coëne, est à comprendre comme l’espérance d’une bonne Mort [26]. Mais il n’est pas absurde, chez un mécène comme l’abbé, de lui trouver une interprétation esthétique : « la fermeture est le couronnement du retable « .
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Adoubement de Saint Martin par l’Empereur Constantin, Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas City |
La Vierge et l’enfant adorés par St Martin et d’autres saints( Pierre, Agnès, Marie-Madeleine et Antoine), avec à l’arrière St Martin faisant abattre un arbre, Collection privée. |
Retable de Saint Martin, Bernard van Orley, 1514-19
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Au dos de cet autre retable, se trouvent également deux pendants en trompe l’oeil avec le même abbé, en prière cette fois devant une Vierge à l’Enfant.
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Triptyque des Onze mille vierges
Atelier de Jan van Scorel, 1539, Musée de la Chartreuse, Douai
Pour en terminer avec cet abbé très médiatique, signalons son portrait dans une niche, avec sur le parchemin en-dessous la devise « Finis coronat » et l’inscription « DIVA VICTORINE VIRGINIS / O divine vierge Victorine » (Sainte Victorine était une des Onze mille vierges, dont les reliques étaient conservées à l’abbaye de Marchiennes). L’inscription en bas du cadre donne la date, 1539 et l’âge de l’abbé : 70 ans.
Triptyque du Calvaire
Van Orley, 1534, Musée de l’Eglise Notre-Dame, Bruges
Ce triptyque fut commandé par Marguerite d’Autriche pour le monastère royal de Brou, à Bourg-en-Bresse.
Le revers affiche, dans des oeils-de-boeuf en trompe-l’oeil, quatre blasons : en tournant depuis le bas à gauche dans le sens des aiguilles de la montre, on trouve celui des Ducs de Bourgogne, des Habsbourg d’Autriche, du Portugal et des Bourbons. Au centre, les commentateurs reconnaissent habituellement les armes de Philippe II, qui n’était alors qu’un enfant de sept ans.
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Armes de Marguerite d’Autriche |
Armes de Philippe II [27] |
Or il se trouve que ce sont aussi celles de Marguerite d’Autriche avait portées en tant qu’infante d’Espagne (entre 1496 et 1501), ant qu’elle ne devienne duchesse de Savoie : les armoiries centrales font donc référence à la titulature la plus flatteuse de la donatrice.
On peut s’interroger sur le choix des quatre autres blasons. S’agissant d’une princesse qui régna sur tant de provinces, faut-il rechercher une logique historique ou géographique, ou bien de complexes allusions diplomatiques ? Faut-il les mettre en relation avec l’avers ? Mais avec quoi : les quatre scènes des volets (Portement, Flagellation, Descente aux Enfers, Descente de croix) ou bien les quatre secteurs du panneau central auxquels ils se superposent (les Saintes Femmes, le Bon Larron, le Mauvais Larron, les soldats romains) ?
La Crucifixion induit en tout cas une polarisation entre le côté honorable, à dextre (à la droite du Christ), et le côté mineur, à senestre, qui doit trouver son correspondant dans l’interprétation des blasons.
Un coup d’oeil sur la généalogie de Marguerite nous donne la solution :
- les blasons de dextre (à gauche) sont ceux de ces deux grands-pères, paternel en haut et maternel en bas ;
- ceux de senestre (à droite) ceux de ces deux grands-mères, dans le même ordre.
De plus, le principe de succession fait que les deux blasons du haut sont également ceux de son père et de sa mère.
Ainsi la logique binaire de la Croix sous-tend parfaitement la logique généalogique. Quant au blason de Marguerite, au centre, il se superpose exactement au visage de la femme à laquelle elle s’identifie le plus : Marie-Madeleine éplorée aux pieds de Jésus, comme elle-même déplora toute sa vie la perte de son second époux, Philibert de Savoie, à la mémoire duquel elle fit édifier le monastère de Brou, et commanda ce tableau.
A noter dans tous les écoinçons un briquet (fusil) battant le silex, emblème des Ducs de Bourgogne.
Site du musée (Philadelphie) : https://www.philamuseum.org/collections/permanent/102092.html?mulR=1470497379|5
https://www.nga.gov/collection/art-object-page.41663.html
https://www.nga.gov/collection/art-object-page.41661.html
Pour la Mort : http://www.sothebys.com/en/auctions/ecatalogue/2008/old-master-paintings-evening-sale-l08033/lot.7.html
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