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1 La Femme au pantin

Il faut attendre la toute fin du XVIIIème siècle pour que le thème de l’homme mené par la femme, jusqu’alors illustré par toute une série de volatiles (voir L’oiseau chéri), trouve une nouvelle incarnation.


Le Pantin (El Pelele)

Goya, 1792, Prado, Madrid

1792 Goya El pelele Prado carton tapisserie

Cette peinture fait partie de la septième série de cartons pour tapisserie destinée au bureau de Charles IV dans le palais de l’Escurial.

« Le plaisir cruel consistant à faire sauter un individu dans une couverture porte un nom en français, c’est l’action de berner. « Berner », c’est selon le Trésor de la Langue Française,  « Molester quelqu’un », le faire sauter dans une « berne » c’est-à-dire une « grande pièce d’étoffe et particulièrement de laine ». Jean-Yves Cordier, voir son blog  lavieb-aile.com.

Ainsi, selon le contexte et les époques, on a pu  berner des gens (par exemple Sancho Panza), des chiens, ou plus paisiblement un  pantin. Ce jeu, pratiqué pratiqué lors des fêtes populaires comme rite d’adieu au célibat, avait aussi une portée symbolique : illustrer le pouvoir des femmes sur les hommes.

Remarquons qu’en cette fin du XVIIIème siècle, ce pouvoir reste singulièrement limité : il faut s’y mettre à quatre pour faire s’envoyer en l’air la marionnette. D’où l’impression que cette image équivoque, plutôt que d’illustrer l’impuissance de l’Homme, montrerait l’effet mécanique que font sur lui toutes ces filles.


1792 Goya El pelele Prado carton tapisserie detail
Ejecté du drap de lit pour s’y renfoncer aussitôt, le Pantin, trahi par sa natte,  est transformé en engin de coït.

Site du Prado : https://www.museodelprado.es/coleccion/obra-de-arte/el-pelele/a1af2133-ff7b-4f47-a4ac-030cb23cb5b6

1815-25 Goya Disparates el pelele

Goya
Série Los Disparates  1815-1823

Dans ce remake post-napoléonien, l’esprit  léger et souriant  a disparu. En compagnie d’un âne, réduits à des silhouettes informes, les pantins ne se réaniment pas plus que des cadavres secoués dans un linceul.


 

George_Cruikshank_-_A_Dutch_Toy_or_A_Pretty_Play-thing_for_a_Young_Princess_Huzza_March_1814_publié le 20 juin
Un jouet hollandais ou un joli joué pour une jeune princesse
A Dutch Toy or A Pretty Plaything for a Young Princess
George Cruikshank, Mars 1814, publié le 20 juin 1814

Ce 20 juin 1814, le parlement anglais débattait d’un lettre de la Princesse royale Charlotte, rompant ses fiançailles avec Guillaume d’Orange. La devise « Orange boven (Orange en haut !) » s’applique ironiquement à la situation du pantin, à la position de ses membres et aussi , plus méchamment, au jet coupé net dans son ascension. Le petit médaillon sur la cuisse, marqué FitzMa et le livre sous le pied, marqué « Lawrence dream » sont des allusions probables à d’autres soupirants, l’un actuel et l’autre passé (vicomte FitzMaurice et George FitzClarence).


1818-English-Ladies-Dandy-Toy-IR-Cruikshank

English Ladies Dandy Toy
Cruikshank, 1818

Quatre ans plus tard, Cruikshank généralise en appliquant la formule à toute anglaise opulente : la femme géante manipule du bout des gants   le pantin-dandy avec sa canne, son  haut-de forme et la queue de pie de sa redingote qui lui bat ridiculement les fesses : caractères virils minuscules face à la plénitude de la poitrine, de la robe et à la turgescence ironique de la plume d’autruche rose.


 

Bonne d'Enfant 1816-24 Georges-Jacques Gatine Costumes Parisiens Les Ouvrieres de ParisLa Bonne d’Enfant (série Costumes Parisiens : Les Ouvrières de Paris)
Georges-Jacques Gatine, 1816-24
1885 Nehlig Pour amuser tt le monde il faut danser a la ronde Chansons et rondes enfantines Weckerlin« Pour amuser tout le monde il faut danser à la ronde »
Illustration de Nehlig, 1885, Chansons et rondes enfantines, Weckerlin

Cette métaphore isolée ne passe pas la Manche : pour de longues années encore, même dans les mains d’une belle femme, le pantin reste un jouet innocent.



daumier-madame-gargantua-1866Madame Gargantua, Daumier, 1866 Art Hazelwood madame-gargantua 2016
Madame Gargantua, Art Hazelwood, 2016

Au delà de la figure convenue de la croqueuse d’hommes, c’est bien un système de consommation  déréglé et autophage qui est dénoncé : d’où la transposition aisée du Second Empire et des billets de 100 00 francs, à l’Empire Américain et à son billet vert.



 

Bertall 1874 Frontispice La comedie de notre tempsFrontispice pour La comédie de notre temps, Bertall, 1874

Cette femme-enfant montée en grade, que les masques à la ceinture désignent comme la Comédie en personne, examine ses dernières victimes avant de les jeter dans sa malle. Les dîners en ville sont son terrain de chasse (la table avec les liqueurs, le manuel de Civilité). Des oeuvres d’art, des titres de noblesse, des bourses pleines sont ses trophées.



La Courtisane moderne (The Thorny Path)

Thomas Couture, 1873, Philadelphia Museum of Art.

 1873-Thomas_Couture-_The_Thorny_Path-philadelphia-museum-of-Art
Rendu célèbre par sa grande composition sur les Romains de la Décadence, Couture critique ici une autre forme de décadence, éternelle et universelle.


L’attelage

Un phaéton est tiré par quatre mâles captifs représentant différents âges et états de la société :

  • un vieux riche ventripotent mène l’attelage, sa bourse à la main, une couronne de Bacchus  sur la tête ;
  • un jeune fou avec clochette tourne son sublime visage vers l’Idéal,  sans sentir les liens sur son pourpoint ;
  • un jeune poète couronné de lauriers continue d’écrire malgré l’esclavage ;
  • un soldat d’âge mur tire lui-aussi, sans songer à trancher les liens avec sa lame.

Selon le catalogue de l’exposition, ils représentent respectivement la richesse, la jeunesse, la poésie et le courage [1].

Les  regards s’évitent, ne se tournent ni vers l’avant, ni vers la cause unique qui les dirige par derrière : isolés chacun dans sa manie, ils avancent entre les chardons.


Le véhicule

 Une sublime jeune femme tient d’une main la bride, de l’autre le fouet. Les initiales TC, gravées sur le piédestal du faune, placent le peintre sous la même égide. Aiguillonnant les hommes, elle-même est poussée vers l’avant par son destin qui la surveille par derrière : une vieille femme emmitouflée et aigrie, avec pour dernier plaisir la carafe de vin dans le panier.

 

Epineux pour les marionnettes, le chemin l’est tout autant pour celles qui tirent les ficelles.



1873 Pieter Willem Sebes Amusing the baby

Pour amuser bébé (Amusing the baby)
1873, Pieter Willem Sebes, collection privée

De la même époque, cette scène de genre qui se veut touchante cache peut-être un sous-texte  : de même que la lionne donne tôt le goût de la viande à ses petits, la Femme Fin de siècle apprend à sa progéniture que manipuler un Pantin est plus amusant qu’un hochet.

 Image en haute définition : https://www.bonhams.com/auctions/17644/lot/210/


Felix Ehrlich The Art Lover, signed, dated F Ehrlich, 1 9 88

L’amoureux de l’Art
Félix Ehrlich, 1888, Collection privée

Ce tableau très original explore le thème inverse, celui du vieil homme à la poupée.  La lance, la chope de bière et le bras du Cupidon sont cassés : on comprend bien qu’il ne reste pas grand chose de la virilité, des plaisirs et de l’Amour. Seule chauffe la colle sur le petit réchaud. La tête à peine recollée semble prête à apostropher le vieux misogyne,  qui se demande s’il n’aurait pas mieux fait de s’abstenir.

 


Dans les années 1880,  Henry Somm va se spécialiser dans un fétichisme particulier : une Parisienne au profil callipyge ridiculisant diversement un petit homme.

HFA-1881 ca. Henry Somm, The Rights of WomanLes droits de la Femme  

HFB_1879 ca Henry Somm The TightropeLa corde raide

HFC 1880 cc Henry Somm HFD 1880 cc HENRY SOMM Dessin
HFE 1880 cc HENRY SOMM Elegante a l eventailPapillon HFF 1880 cc HENRY SOMM Une jeune femme ayant attrape un homme a la canne a pechePoisson
HFG 1880 cc HENRY SOMM Elegante entouree de soupirantsParisiens

 



1882 Artigue moqueuseMoqueuse,
L.Artigue, 1882
 

1882 (avant) Louis Charles Verwee Jeune femme jouant avec un pantinJeune femme jouant avec un pantin
Louis Charles Verwee, avant 1882

 

 

Tous ces artistes mineurs se contentent d’exploiter paresseusement  le masochisme du thème, sans grandes conséquences.  Pour enfin dégager l’énergie explosive  que Goya et Couture avaient subodoré,  il va falloir la succession de deux grands dynamiteurs fin de siècle  :  Rops d’abord dans les arts graphiques, puis Pierre Louÿs en  littérature.

Références :
[1] « O beauté vénale ! Jadis tu faisais des martyrs et des héros, tu ne fais plus que des martyrs et des laquais. O courtisane dégénérée ! Enfant gâtée de ma portière ! Qu’as-tu fait de la poésie, de la richesse, de la jeunesse et du courage qui te servaient d’escorte autrefois?… Un attelage! «  Gazette des beaux-arts: 1860, Volume 1, p 116

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