Pauvre minet
Fillette avec un chat
Domenico Crespi, vers 1700, Pinacoteca Nazionale di Bologne
Dans ce tableau doublement métaphorique, le chat – fourrure et griffes, est agacé par la rose – pétales et épines : il s’agit ici simplement d’illustrer les douceurs et douleurs de l’amour.
Fillette jouant avec un chat et une souris morte
Domenico Crespi, 1700, Fizwilliam museum
Suspendue par un fil à la queue, la souris fait le mort, ou est déjà morte. Ses quatre pattes rigides répondent aux quatre griffes saillantes du chat. En maintenant les animaux dans ses deux mains, la fille semble vouloir mettre à égalité la statique et la dynamique, et prouver à la proie comme au prédateur qu’il existe, au dessus de la loi du plus fort, une puissance supérieure.
Dessins physiognomoniques de Le Brun (1619-1690)
Le faciès félin de la jeune fille ajoute à l’étrangeté du tableau et pourrait être une application directe des recherches physiognomoniques de Lebrun. Sauf que les dessins de ce dernier ne seront connus qu’à la fin du XVIIème siècle.
Quelle est donc la logique de Crespi, dans cette composition triangulaire au cadrage étroit, qui semble destinée à mettre en tension un jeu serré d’analogies ?
Remarquons que la fille, qui ressemble au chat, le serre fort contre elle, sans solution de continuité. Tandis qu’elle évite tout contact direct avec la souris, tenue du bout des doigts au bout d’un fil. De plus, si la souris « ressemble » au chat, c’est en l’inversant en tout point : immobilité, petite taille, tête en bas, pattes saillantes vers la gauche . La fille est le chat sont décidément dans le même camp, la souris est dans le camp opposé.
Sous le sujet visible – « une fille excite son chat avec une souris » se cache le sujet métaphorique :
« une fille-chat s’ excite avec une souris »
Nous dédions un article au thème de La souricière d’où il ressort que, si les rongeurs sont des métaphores phalliques, la ratière est souvent une image du sexe féminin. Doué de plus d’efficacité que celle-ci pour capturer, d’une cruauté légendaire pour jouer et d’une avidité sans limite pour engloutir ses petites victimes, le chat en est une métaphore encore plus pertinente.
Béroald de Verville le fait expliquer par la pratique à une jeune demoiselle :
« La belle s’avisa de demander … ce que vouloit dire madame, par ces rats et chats; ce que le pauvre corps, par innocence charitable et humilité graduelle, et selon la sainteté de nos premiers vœux inférant grâces abondantes, lui fit entendre et pratiquer, en lui faisant naturellement étrangler le rat de nature , par le chat mystique du bas de son ventre ; de quoi elle avoit recueilli un fruit mélodieux de savoureuse délectation, qui ne devroit appartenir qu’à princes et prêtres, si tout alloit d’ordre. Elle étoit, par ce moyen, ingénieusement déniaisée. » [A]
Aime-moi, aime mon chat
(Love me, love my cat)
D’après Philippe Mercier, gravure de James McArdell, après 1716
Dans cette chaste gravure, la complicité de la jeune fille avec l’animal se lit dans le parallélisme des regards. Elle le serre dans ses bras pour proclamer le caractère indissoluble et non-négociable de son affection : qui veut me prendre le prend aussi.
Seul le titre, rajouté par une main libertine, laisse une ambiguïté planer sur le chat dont il est question.
Etienne Jeaurat, 1769 Walker Art Gallery, Liverpool, UK
La jeune femme se distrait de la main gauche. Son chat grignote la jarretière – en attendant des proies plus subsistantes. Le perchoir du perroquet, hérissé de traverses, la cheminée et son miroir, hérissés de bougies, en donnent une première approximation.
A noter le pare-feu qui pourrait indiquer que la fille est encore chaste ; et le roman posé sur l’étagère, qui souligne qu’elle est déjà bien au courant de certaines choses.
Jeune femme à sa toilette
Nicolas Lafrensen (attribué à), fin XVIIIème siècle
Une jeune femme essaie de mettre sa jarretière, tandis qu’un chat joue à en attraper le bout. L’autre jarretière est encore posée sur le repose-pieds, bien que la jambe droite porte déjà son bas : l’animal n’a pas envie que sa maîtresse finisse de s’habiller.
Ou de se rhabiller : car les vêtements posés en vrac sur le guéridon et le bouquet de fleur jeté par dessus, révèlent une hâte certaine. Que confirment les roses tombées par terre en perdant leurs pétales.
Dans le bas-relief au-dessus de la porte, un lion chevauché par un Amour inverse, en proportions et en dignité, le minet retourné entre les jambes de la fille.
Sans défense, pattes en l’air, ventre offert, l’animal domestique évoque la soumission de sa maîtresse à l’amour, lequel transforme, comme on sait, les dignes lionnes en chattes joueuses.
Pauvre Minet, que ne suis-je à ta place.
Nicolas Lafrensen, fin XVIIIème siècle
Assise sur son lit, un jeune femme caresse son chat, dont elle envie l’existence : sa vie à elle doit être bien triste, réduite à lire un livre toute seule dans son grand lit. L’arrivée de l’animal de compagnie l’a distraite, elle a jeté l’ouvrage par terre et changé de position pour l’accueillir.
Mais par delà cette situation désolante, le titre a surtout pour objet d’attirer notre attention sur la place du chat : entre les cuisses de sa maîtresse.
A noter également les deux jambes du guéridon et la fente du tiroir entrouvert sous un retroussis de rideaux.[B]
Le roman
Gravure d’après Garnerel, fin XVIIIème siècle
Cette gravure affronte plus gaillardement un sujet très similaire. Nous sommes en hiver, comme l’indique le manchon de fourrure abandonné sur le fauteuil. La jeune femme relève sa robe pour profiter de la chaleur, tandis que son chat, recherchant lui aussi le confort du foyer, pose mignonnement sa patte sur le pied de sa maîtresse.
Sur la table, un miroir de voyage s’échappe d’une sorte de sac à main. Celui-ci contenait sans doute le roman que la fille a sorti pour se précipiter dans la lecture, sans prendre la peine d’enlever son chapeau.
Puis l’oeil repère tout un réseau d’allusions : une batterie de pique-feux met en joue la cheminée, un soufflet sur le sol met en joue le chat, la queue du chat met en joue l’index de sa maîtresse, laquelle se met en joue (et en joie) elle-même. Sur le tapis, un motif saillant qui titille un motif rayonnant synthétise cette thématique.
Nous comprenons alors que le roman est dangereux pour les jeunes filles parce qu’il développe leur auto-érotisme (le miroir) et pousse leur main vers telle ou telle fourrure.
Le lever
Gravure de Massart d’après Baudoin, 1771
La métaphore fonctionne quelque fois à contre-sexe, lorsque Minet met en valeur sa partie « queue » : il la dresse ici à la verticale en voyant le téton que lui montre sa maîtresse, tandis que la bougie du guéridon réitère le symbolisme.
Il n’est pas exclu que celle-ci ne fasse système avec le chat, opposant la prosaïque virilité masculine aux délices de l’auto-érotisme féminin, du sein caressé au minou érigé.
Pendants
Jean-Frédéric Schall, vers 1780, Rijksmuseum, Amsterdam
La toilette du matin | La toilette du soir |
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Le matin : la belle dame vient de finir ses ablutions, comme le montrent l’éponge, le pot à eau, le flacon de parfum et la chemise de nuit négligemment jetée sur la chaise percée. Elle va passer sa chemise de jour, puis la robe qui l’attend sur le canapé.
Le soir : cette autre beauté fait l’inverse : elle passe sa chemise de nuit tandis que le chien et le chat se disputent sur sa robe. La table de nuit ouverte sur le pot de chambre, l’éteignoir conique coiffant la bougie, les draps tourmentés, semblent sous-entendre qu’un grand tremblement amoureux a eu lieu… dont la dispute des deux animaux familiers constitue une réplique amusante.
Le chat costumé (Dressing the Kitten)
Joseph Wright of Derby, vers 1770, Kenwood House, Londres
Cette peinture dérangeante, dans laquelle deux filles pas si petites cessent de jouer à la poupée pour s’en prendre à un minet désappointé, a reçu trois catégories d’interprétation :
- la scène charmante, avec enfants, poupée et chaton ;
- la métaphore moralisante, sur la cruauté naissante des jeunes filles et leurs jeux manipulatoires ;
- l’image « hot », que Wright, trentenaire célibataire, asthmatique et dépressif, aurait gorgé d’allusions sexuelles.
Il est vrai que le bout de queue saillant entre les jambes du chat attire l’oeil, d’autant qu’il est redondé par le mouvement inverse de la queue du bougeoir et que certains décèlent, derrière le linge blanc, la bandaison scandaleuse de la poupée.
Comme si, en cachant de sa main le symbole phallique classique – la bougie, la jeune fille faisait sortir de l’ombre deux autres membres plus discrets.
En prêtant son bonnet au minet, la poupée confirme leur commune nature, féminine mais érectile.
Mademoiselle Minet s’habille (Miss Kitty Dressing)
Gravure de Thomas Watson, 1781
La gravure, plus explicite que la peinture, ajoute sur le bonnet du chat une plume similaire à celle des deux jeunes filles et renforce cette solidarité féminine en appelant carrément « Miss Kitty » le chaton, érigé par les mains de l’une, agacé par l’index de l’autre.
Dans cette oeuvre d’une liberté et d’une bizarrerie sans pareille, on trouve également un dialogue entre une fillette et une abbesse, qui développe la même métaphore :
Histoire de la fille qui croit être devenue bête
« Adonc en gémissant et pleurant des yeux, elle dit : Ma sacré chère Dame et prude mère, j’ai bien grande occasion dêtre en extrémité de marisson (affliction), pour ce que je deviens bête ; j’ai déjà un petit minon qui m’est venu entre les jambes. Que je voye ? Elle le montra, exhibant physiquement sa petite natureté. Alors l’abesse pour repartir par pièces similaires, et réciproque démonstration, se découvrit et lui fit paraître sa naturance…. Et la fillette de dire « He ! qu’est cela, madame ? O quelle abondance de bestialité ! – Mamie, mamie dit l’abesse, le vôtre n’est qu’un petit minon : quand il aura autant étranglé de rats que le mien, il sera chat parfait ; il sera marcou, margaut et maître mitou… »