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Le miroir transformant 2 : transfiguration

20 juin 2015

Abordons maintenant le pouvoir de Transfiguration, par lequel le miroir arrange ou aggrave   la réalité.

Le miroir gratifiant

Supprimer l’outrage

Sirene Breviaire à l usage de Besancon. Rouen, avant 1498Sirène, Bréviaire à l’usage de Besançon, Rouen, avant 1498 halloween-pin-ups-olivia-de-berardinisPinup pour Halloween, Olivia de Berardinis

Associée à la musique, à la vanité et à la coquetterie, la sirène aux longs cheveux a mauvaise réputation. Pourtant qu’est-ce qu’une sirène ? Une pauvre fille qu’on croit séductrice, alors que son peigne compulsif la rassure sur sa féminité et que son miroir lui cache sa moitié inférieure, puissant objet de répulsion.

De même la pin-up ne voit d’elle que son visage, pas la partie dangereuse pour les marins.


Rollenhagen I-22

Gabriel Rollenhagen / Crispin de Passe, Nucleus Emblematum, Arnhem/Utrecht, 1611

Juché sur des échasse, le nain  tente de se grandir en se regardant dans un miroir déformant.  La moralité n’est pas encourageante :

ET SI ?

Et si j’étais plus grand d’une coudée ? Hélas, hélas, 
aucun art ne corrige la nature innée.

Quid si sic ?

forsan cubito sim longior, heuheu.
Non ars Naturae corrigit ingenium.


Engelgrave_XIXEmblème XIX
Heinrich Engelgrave, Emblèmes, Amsterdam 1655

Dans cette page pleine d’ironie, le miroir augmente la taille du bossu, tout en prétendant dire la vérité :

« Et moi, parce que je dis la vérité, vous ne me croyez pas » Jean 8,45

L’assertion évangélique est corroborée par le vers d’Ovide :

« Qu’il me soit permis de dire le Vrai »


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Rehausser la blancheur

Raoux _la-jeune-fille-au-miroirThe Wallace CollectionJeune femme au miroir Jean Raoux, 1720-30,The Wallace collection , Londres raoux_la-jeune-fille-au-miroirJeune femme au miroir
D’après Jean Raoux Collection privée

Le pouvoir blanchissant du miroir avait déjà intéressé  Jean Raoux, ce grand maître des éclairages théâtraux dans les portraits du XVIIIème siècle.

La blancheur de porcelaine était à l’époque l’optimum de la Beauté : le miroir contribue à cet idéal, en forçant le contraste entre la partie inférieure et la partie supérieure du visage.

Ainsi sont mis en valeur les appas et les appétits, tandis que la pensée  reste dans l’ombre.

Le miroir de toilette, porté  dans les bras de la jeune fille au lieu d’être posé sur la table, et dont la forme  galbée fait écho à sa silhouette, est ici plus une confidente qu’un accessoire de coquette.


jean raoux lady at her toilet 1727Femme à sa toilette
Jean Raoux, 1727

Raoux a repris le même tête-à-tête au sein d’une composition plus large, qui lui fait perdre son intimité. Plus de pouvoir transfigurant ici  : le miroir sert à rappeler la jeune femme à ses devoirs en lui faisant voir, derrière elle, son époux en grand uniforme. L’absence du guerrier est suggérée par le bureau vide,  la  lettre reçue et les deux montres qui, comme les  deux coeurs, battent toujours à l’unisson.

Le miroir-rétroviseur, par lequel le seigneur et maître  garde l’oeil  sur la toilette de sa femme, illustre cette grande hantise des nobles au XVIIIème siècle : que la voie des honneurs publiques mène à celle du déshonneur privé.


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Gratifier la petite fille

 
Premier sentiment de coquetterie, 1804 Pauline-auzou
Pauline Auzou,1804, Collection privée

Sur la cheminée sont posés, à hauteur de sécurité,  des objets pour grandes personnes, hommes et femmes : une bouteille de liqueur, un verre vide, un coussin pour épingles à cheveux.

La petite fille, ceinte d’un collier de perles trop long, prend appui du bout des orteils sur un tabouret de velours rouge : elle atteint ainsi tout juste le miroir de toilette , qu’elle incline  pour s’admirer.

On peut se demander si la scène de genre charmante ne  cache pas une leçon de morale. Car  en faisant basculer le miroir,  la petite fille, comme piégée par la cheminée, voit son visage enfantin nimbé de flammes et sa croupe menacée par ces compagnons dangereux que sont la pince et le  pique-feu.

Ici le message gratifiant se double d’un  avertissement.


Julius Hare Dressing up 1885

Costumée (« Dressing up »)
Julius Hare, 1885, Collection privée

 Cette  très jeune fille a emprunté la robe, le chapeau à plume d’autruche et la houpette à poudre de sa mère, pour un relooking adulte. Elle est saisie non pas au moment où elle se poudre dans le miroir, mais au moment où elle nous prend à témoin de sa transformation.

Comme chez Raoux, le spot du miroir surajoute sa lumière blanche à la blancheur de la poudre.


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Gratifier l’animal

grandville Se regardant dans la glace, il se trouve joli garcon, dans Les Aventures d'un papillon 1842Se regardant dans la glace, il se trouve joli garcon,
Grandville,Les Aventures d’un papillon 1842
Gailuron rit de se voir si beau en ce miroirGailuron rit de se voir si beau en ce miroir, Gotlib, 1976
duck mirror swan painting birdreflection-Andrea Cullen 571487e94e6eaaf32783d717aa728df9

 

Le miroir inversant

Parfois le miroir ne se contente pas d’inverser la gauche et la droite.

Paul-Delvaux Le Miroir 1936 Collection privee

Le miroir
Delvaux, 1936, Collection Privée

Le miroir transforme :

  • l’intérieur en extérieur,
  • la lumière artificielle en lumière solaire,
  • les motifs alignés du papier-peint en rangées d’arbres,
  • la  décrépitude en sérénité,
  • l’habit corseté en nudité.

Toutes transformations positives et libératrices. Mais malgré l’alibi théorique, le  miroir dénudant  de Delvaux est le rêve du voyeur, surtout gratifiant pour le spectateur.

Imaginons la transformation inverse (la femme habillée dans le miroir, la femme nue dans la pièce) :  un miroir costumant traduirait plutôt le point de vue subjectif du modèle sur sa propre apparence.


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eric-gill-artist-and-mirror-i-1932

Artiste et miroir, Eric Gall, 1932

Un miroir qui inverse les sexes.


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 Max Beckmann

Max Beckmann vers 1920 Garderobe

Garderobe, Max Beckmann, vers 1920

En première lecture,  le miroir, d’une manière mystérieuse, semble ici aussi inverser les sexes. A mieux y regarder, on constate que les deux acteurs, homme et femme, sont assis tête-bêche, chacun se maquillant dans son propre miroir.


Portrait de Mina Beckmann-Tube (1924)Portrait de Mina Beckmann-Tube, 1924

Max Beckmann Nature morte avec deux bougeoirs 1930Nature morte avec deux bougeoirs, 1930

Le miroir transforme en rideau la première femme de Max Beckmann : symbole de l’éternel mystère féminin ? Allusion à sa profession de chanteuse d’opéra ?

La nature morte de droite donne peut être  la clé : le miroir est comme une scène, avec son propre rideau et sa propre logique, qui révèle la nature théâtrale du monde

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BD Rose and Thorn 2004

BD Rose and Thorn, 2004

Le miroir est ici l’instrument qui, dès la couverture, révèle que la good girl Rose, qui habite dans la chambre bien éclairée, se double d’une bad girl, Thorn, qui cache ses  ustensiles dans l’armoire et gite dans une chambre nocturne aux rideaux déchirés.


Le miroir temporel

Un coup d’oeil sur le passé ou l’avenir

Rockwell Retour a la vie civile 1945Retour à la vie civile (Back to Civvies)
Norman Rockwell , couverture du Post, 15 décembre 1945
Norman Rockwell The-Prom-DressLa robe de bal (The Prom Dress)
Norman Rockwell , couverture du Post, 19 mars 1949

A gauche, l’aviateur vient de reposer son sac sous le poster qui le faisait rêver, dans sa chambre d’adolescent  au plafond bas. Il a accompli son désir de hauteur, et  s’amuse de voir si étriqué  le costume de son ancienne vie.

A droite, l’adolescente garçonnière se confronte à une image stupéfiante d’elle-même : ici, la transfiguration instantanée ne s’adresse qu’à la jeune fille, non  au spectateur qui comprend bien, à voir la chambre, tout le chemin qui reste à faire.


Doisneau La Cheminee de Mme Lucer

La Cheminée de Mme Lucerne, Doisneau, 1953

La pendule recto verso sert de pont entre deux images du couple : la photographie de leur mariage et leur reflet d’aujourd’hui. Tandis que la pendule externe marque cinq heures trente, celle au dessus du calendrier des Postes marque cinq heures trente cinq, suggérant que toute leur vie a passé en cinq minutes.

 

Tom Hussey Publicite pour Novartis 2013

Publicité pour Novartis, Tom Hussey  2013

Une autre forme d’inversion temporelle est illustrée dans cette série, dont le principe est de confronter une personne âgée atteinte de la maladie d’Alzheimer à un acteur qui lui ressemble.


Le miroir critique

Terminons par des transfigurations malicieuses dans lesquelles le miroir se fait grinçant.

Vanité de la Beauté

Sirene se coiffant, Heures dites de Yolande d’Aragon, Maitre de l’Echevinage de Rouen, Rouen, vers 1460, Aix-en-Provence, BM ms. 22, fol. 15Sirène se coiffant, Heures dites de Yolande d’Aragon, Maitre de l’Echevinage de Rouen, Rouen, vers 1460, Aix-en-Provence, BM ms. 22, fol. 15

Il suffit d’un enlumineur un peu plus moralisateur pour que le miroir nous révèle la face noire de la sirène.


1558 Vasari Toilette de Venus Staatsgalerie Stuttgart

Toilette de Vénus
Vasari, 1558, Staatsgalerie, Stuttgart

Tandis qu’elle s’humecte avec une éponge, Vénus contemple dans le miroir son image vieillie. Dans cette allégorie cumulative, Vasari joue sur toute la gamme de la symbolique du miroir, de la Beauté à la Luxure, de la Prudence à la Préscience de la décrépitude, quitte à dégrader la déesse de son statut d’immortelle. Comme le remarque Liana de Girolami Cheney ([1], p 99), la servante qui tient le miroir et le récipient fait écho à celle qui verse de l’eau dans le bassin des colombes. Ainsi les deux oiseaux écervelés, incapables de se reconnaître dans leur reflet, font contraste avec la déesse humanisée, qui se voit telle qu’elle sera.


Opnamedatum:2017-07-26
Allégorie de la richesse, de la luxure et de la bêtise
Jodocus van Winghe, gravure de Raphael Sadeler (I), 1588, Rijksmuseum, Amsterdam

La Richesse voit dans le miroir son véritable visage : celui d’une vieille femme hideuse. Une servante à tête de sanglier sert le vin, une autre portant un perroquet sur le bras (ici symbole de l’ébriété) l’évente avec un éventail (sybole de la flatterie). A l’aute bout de la table, le roi Midas se voit coiffé dun bonnet de fou, par dessus ses oreilles d’âne.


Vanitas. Paolini, Pietro (1603-1682). Oil State Hermitage, St. PetersburgVanitas, Pietro Paolini (1619-29). Ermitage, Saint Petersbourg Angelo Caroselli - La-strega (c.1630)La sorcière (La strega), Angelo Caroselli , vers 1630, Collection Richard et Ulla Dreyfus-Best, Bâle

Dans sa Vanitas, Paolini fait apparaître une vieille femme chauve dans le miroir de la belle femme qui se peigne. La présence incongrue, sur une table de toilette, de la bouteille, du livre ouvert et de l’objet non identifié sur la droite, place la peinture sous le signe de l’étrange et de la magie, qui la rapproche de la Sorcière de son maître Caroselli (sur ce tableau, voir  Le peintre en son miroir : Enigmes visuelles).


Toilette - Frau vor dem Spiegel Ernst Ludwig Kirchner, 1913, Centre Pompidou

La toilette – Femme au miroir (Toilette – Frau vor dem Spiegel)
Ernst Ludwig Kirchner, 1913, Centre Pompidou, Paris

Le miroir renvoie une image de la mélancolie (la main sur la joue) à la jeune femme qui se fait belle : réinterprétation expressionniste de la Vanité au miroir, mais aussi portait psychologique : car la modèle est la compagne de Kirchner, Erna Schilling, une danseuse que le peintre décrit dans  son journal intime comme une fille attirante, mais triste.


Gil ElvgrenPinup  de Gil Elvgren mirror_pinup Women's health magazineIllustration de TAVASKA pour le  Women’s health magazine


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Caricatures

Goya Alguacil gato serie Reflejos en el espejo 1797-1799 PradoPolicier et chat (Alguacil e gato) Goya Estudiante rana serie Reflejos en el espejo 1797-1799 PradoEtudiante et grenouille (Estudiante e rana)
Goya La tortura del dandy serie Reflejos en el espejo 1797-1799 PradoLa torture du dandy Goya Mujer serpiente serie Reflejos en el espejo 1797-1799 PradoFemme et serpent (Mujer e serpiente)

Goya, série Reflets dans le miroir (Reflejos en el espejo), 1797-99, Prado


Goya Dandy mono serie Reflejos en el espejo 1797-1799 PradoDandy et singe (Dandy e mono) Goya, série Reflets dans le miroir (Reflejos en el espejo), 1797-99, Prado 1936 Publicité pour Dermo-Plastol, traitement contre le prurit1936, Publicité pour Dermo-Plastol, traitement contre le prurit


Georges Ferdinand Bigot 1887-05-01 Monsieur et Madame vont dans le Monde Tôbaé, journal satirique NYPlMonsieur et Madame vont dans le Monde
Georges Ferdinand Bigot, Tôbaé, journal satirique franco-japonais, 01-05-1887 (NYPl digital)

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magritte 1937 japprendslechinois.over-blogMagritte, 1937 (photo japprendslechinois.over-blog)

Le miroir dénonce l’hitlérisme du parti REX.


Un cas particulier de la transfiguration négative est celle du miroir fatal, dont il existe de multiples exemples : voir – Le miroir fatal.

Voir la suite dans Le miroir transformant 3 : hallucination, transgression

Références :

Le miroir transformant 3 : hallucination

20 juin 2015

Parfois, le miroir se déconnecte de la réalité,  et fait surgir une hallucination.

 

 

L’auteur revant de la Jerusalem celeste, Guillaume de Digulleville, Le Pelerinage de Vie humaine, Paris, v. 1404, Paris, BnF ms. fr. 829, fol 1vers 1404, BnF ms. fr. 829, fol 1, Gallica le pelerinage de la vie humaine Guillaume de Digulleville 1475-1500 Soissons - BM - ms. 0208 (f. 001 IRHT1475-1500 Soissons – BM – ms. 0208 fol 1 IRHT

Le pélerinage de la vie humaine, Guillaume de Digulleville,Paris, 

Durant son sommeil, le moine Guillaume de Digulleville a vu la Jérusalem Céleste lui apparaître dans un miroir, comme il l’explique dès le début du récit :

Avis m’ert si com dormoie
Que je pelerins estoie
Qui d’aler estoie excité
En Jherusalem la cité.

En un mirour, ce me sembloit,
Qui sanz mesure grans estoit
Celle cite aparceue
Avoie de loing et veue.


Thomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in BaltimoreRêverie (Daydreams)
Thomas Couture, 1859,
Walters Art Museum in Baltimore
Thomas Couture 1859 Les bulles de savon METLes bulles de savon (soap bubbles)
Thomas Couture, 1859,
MET, New York

Réalisées la même année, ces deux Vanités  confrontent la beauté d’un jeune garçon avec la fugacité  des enfantillages  (les bulles de savon), la robustesse de l’étude (les livres de classe liés, le cartable accroché au fauteuil), et la gloire (la couronne de feuilles pendue au clou).

Avec pratiquement les mêmes éléments visuels, les deux versions fonctionnent, grâce au miroir, de manière  totalement antagoniste.


Rêverie

Thomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in Baltimore pocheThomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in Baltimore bandoulière

Le mur qui s’écaille, le tiroir qui baille, la poche décousue, la bandoulière rafistolée avec une ficelle,  dénoncent l’ambiance de négligence dans laquelle vit ce galopin.



Thomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in Baltimore miroir
Confirmée par cette  sentence comminatoire : « Le Paresseux indigne de vivre ».  Mais contrairement à ce que disent  les commentateurs, le papier n’est pas coincé dans le cadre : c’est bel et bien un reflet, puisqu’il est traversé par la fissure en diagonale.

Un reflet impossible, calligraphié à l’endroit d’une belle écriture d’écolier,

le reflet d’un papier qui n’existe pas.

Sauf  dans la rêverie du beau blond : peut-être  la sentence apprise en classe vient-elle le hanter dans son sommeil de feignant ? (remarquer l’analogie entre le miroir et une ardoise).


Bulles de Savon

Thomas Couture 1859 Les bulles de savon MET miroir

Dans Les Bulles de Savon, on lit sur le papier « Immortalité de l’un », la seconde ligne est  illisible, peut être délibérément.  Ici, impossible de décider si le papier est sur ou dans le miroir. Un reflet de lumière triangulaire vient, derrière la mousse du verre, mettre en valeur le mot « mortalité ».

Le beau brun est un philosophe en herbe, qui médite sur l’éclatement des bulles et la chute  inéluctable de la toupie.

Le miroir nous donne à voir sa pensée, encore fixée sur la mortalité, laissant dans l’ombre le préfixe.


Les deux garçons, le blond et le brun, sont deux figures antagonistes  : l’indignité de vivre de l’un fait contraste avec l’immortalité de l’autre. Et leurs couronnes, qui ne sont pas de laurier, ne sont clairement pas de la même feuille.


Thomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in Baltimore couronne Thomas Couture 1859 Les bulles de savon MET couronne lierre
Thomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in Baltimore couronne feuilles pommier Thomas Couture 1859 Les bulles de savon MET couronne lierre feuille

On aimerait que la couronne de l’un soit faite de feuilles de pommier (la paresse est un péché capital),

et celle de l’autre de lierre (le symbole de l’immortalité).

http://www.metmuseum.org/collection/the-collection-online/search/436030
http://art.thewalters.org/detail/12349/daydreams/


Vanitas

Leo Putz, 1896, Collection privée

Leo Putz Vanitas, 1896

Au dessus de la fille allongée flotte un miroir ou un bouclier circulaire, qu’escaladent des femmes nues pour aller décrocher la lune.

Le visage effrayant est-il celui du destin fatal qui, comme dans toute Vanité, menace la beauté des filles, et  auquel celle-ci tente d’échapper en mettant sa main devant ses yeux ? Est-il le cauchemar de la dormeuse ? Ou bien – puisque celle-ci nous dissimule sa face – est-il le véritable visage de cette rousse incendiaire, que le miroir durant son sommeil nous révèle  ?

 


Somov

Konstantin Somov Magie 1898–1902

Enchantement
Constantin Somov, 1898–1902, gouache, Musée d’Etat de Russie, Saint-Pétersbourg

Cette fée vénéneuse en robe à paniers officie entre deux colonnes : l’une porte un philtre fumant, l’autre un esclave nu tenant un  miroir. On y voit le destin des jeunes gens qui, à l’arrière-plan, flirtent sur la pelouse : l’enchantement amoureux, une étreinte au milieu des flammes.


konstantin-somov enchantress 1915

L’enchanteresse
Constantin Somov, 1915

Un crapaud dans le calice, un diable nu qui soutient le miroir dans le dos de l’enchanteresse, toujours entre deux colonnes :  Somov s’autocite dans ce pendant nocturne réalisé quinze ans plus tard, où le miroir  transforme la fumée en une orgie ardente.

 


Le miroir paradoxal

Escher 1934

Nature morte au miroir,
Escher, lithographie, 1934
 

Exploitant son homologie avec un cadre, Escher donne au miroir le pouvoir de faire advenir l’extérieur dans l’intérieur. Trois objets attestent qu’il s’agit bien d’un reflet, et non d’une image encadrée :

  • deux objets prosaïques :
    • la brosse à dents avec son tube de dentifrice PIM,
    • la corbeille suspendue avec son éponge ;
  • un objet sacré, l’image pieuse de Saint Antoine de Padoue avec ses « orazione », qu’il serait presque possible de déchiffrer sur le verso.

 

Butterfly on Shining White Teeth Advert Toothpaste Xsb791 SANT ANTONIO DI PADOVA num. 82

Avec ses objets de toilette (la boîte de cirage, le flacon de parfum, le peigne fiché dans la brosse), la table nous montre le quotidien du voyageur. Avec son unique bougie posée sur le napperon de dentelle, elle nous parle d’une célébration.


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dino valls MAnANA SERa NUNCA (1986)Demain sera Jamais (Manana sera Nunca), 1986 Dino Valls incubo 1992Incube, 1992

Dino Valls

A gauche, le miroir montre le futur désiré. A droite, le tableau d’ancêtre se transforme en un faux miroir qui propulse dans le réel un double somnambulique. 


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Jan De Maesschalck 1998 1998 Jan De Maesschalck 1

Jan De Maesschalck

A gauche, la vitre du train fait apparaître un livre que la voyageuse tente de déchiffrer. A droite, la vitre fait au contraire disparaître la voyageuse, mais conserve le journal que lit un voyageur caché.


Jan De Maesschalck 2

Toujours associé à la lecture, on pourrait croire que le miroir montre ici son avenir à la jeune femme. Mais les pièces de part et d’autre étant dissemblables, on peut aussi comprendre qu’il s’agit de deux femmes qui se ressemblent, de part et d’autre d’une vitre.


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Steven J. Levin

Cet artiste met en scène des dispositifs de duplication qui font semblant de créer un effet hallucinatoire tout en restant parfaitement réalistes.

Steven J. Levin Coming and GoingComing and Going Metamorphosis Steven J. LevinMetamorphosis

Une porte-tambour transforme une vue de face en vue de dos, et un super-héros en homme normal.


Steven J. Levin The Metro NorthThe Metro North Steven J. Levin Quiet_Restaurant_Quiet Restaurant

A gauche les deux guichets transforment une femme en homme. A droite la vitrine du restaurant mime un miroir révélant un couple fantôme.


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Genevieve Dael

 

Genevieve Dael Reflet ImprobableReflet Improbable Genevieve Dael Reflet InterieurReflet Intérieur

Le reflet révèle une femme vue de dos qui regarde par la fenêtre, comme dans les intérieurs danois énigmatiques de Hammershøi ou Horsoe.

Dans le tableau de droite, le miroir, non content de faire apparaître le fantôme, déforme les lignes des carreaux et escamote le poêle.


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Photo de nirrimi joy hakanson (Pretty_as_a_picture)

Photo de nirrimi joy hakanson (Pretty as a picture)

Saisir, ou être saisie ?


Le miroir d’Halloween

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En regardant dans un miroir à minuit pile, à la lumière d’une bougie, les jeunes filles pouvaient entrevoir l’image de leur futur mari.


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Attention pourtant : ne pas se retourner, sinon il peut se passer des choses !


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Bien sûr la satisfaction n’était pas garantie dans tous les cas…

Sur ces cartes postales d’Halloween, voir  http://theskullpumpkin.blogspot.fr/2011_03_01_archive.html.


Le miroir trans-temporel

Appliqué à la lettre, ce thème produit un effet de naïveté qui le rend impropre à la composition courante.  Paula Vaugham l’a néanmoins exploité dans tous les sens :

  • sens rétrospectif...
Paula Vaughan Through A Mother s EyesThrough A Mother’s Eyes Paula Vaughan Through A Father s EyesThrough A Father’s Eyes
Paula Vaughan Through A Mother's Eyes IIThrough A Mother’s Eyes II Paula Vaughan Mama s Little GirlMama s Little Girl

 


…et sens prospectif.

Paula Vaughan May I Have This DanceMay I Have This Dance Paula Vaughan Beautiful DreamerBeautiful Dreamer
Paula Vaughan Nutcracker SuiteNutcracker Suite  


Le miroir faustien

Dans la tragédie de Goethe (1808), deux scènes ont comme accessoire un miroir :

faust-by-goethe-with-illustrations-by-willy-pogany-Boston Dana Estes & Company, 1908 miroirLe miroir magique dans la cuisine faust-by-goethe-with-illustrations-by-willy-pogany-Boston Dana Estes & Company, 1908.Gretschen devant le miroir

Faust de Goethe, illustrations de Willy Pogany, Boston Dana Estes & Company, 1908

Dans la cuisine de la sorcière, un singe, une guenon et leurs petits veillent sur une marmite où cuit un étrange breuvage. Faust doute de pouvoir rajeunir dans ce lieu répugnant. En attendant la sorcière absente, Faust regarde dans un miroir :

Que vois-je ? Quelle céleste image se montre en ce miroir enchanté ? … la plus belle image d’une femme !

Dans sa chambre, Greschen passe le collier laissé par Faust, et d’admire dans le miroir.

L’image – hallucinée ou réelle – que renvoie le miroir est dans les deux cas incomplète : Faust ne sait pas que la femme qu’il va rencontrer est Gretschen, et Gretschen ne sait pas que le collier est un cadeau de Faust.

Richard Roland Holst Plakat für Goethes Faust 1918Richard Roland Holst, affiche pour le Faust de Goethe, 1918 Vanity fair septembre 1923 Illustration de Hogarth, jr pour The Pact de Rockwell KentIllustration de Hogarth Jr pour The Pact de Rockwell Kent, Vanity fair, septembre 1923

Dans le premier cas, l’image est une pure hallucination, dans le second le reflet rationnel de la marionnette.


faust murnau 1926 2 Gretschen dans la cathedraleGretschen à la sortie de la cathédrale faust murnau 1926 3 Gretschen à sa fenêtreGrestschen à sa fenêtre

Faust, Murnau, 1926

Dans le film de Murnau, Faust rencontre Grestschen deux fois :

  • une première fois intentionnellement, en l’attendant à la sortie de la messe de Pâques,
  • une seconde fois par hasard, en passant devant sa fenêtre.


Faust Murnau 1926 affiche 1 Faust Murnau 1926 affiche 2

L’affiche américaine reprend la sortie de la cathédrale, mais en en faussant le sens : car loin de désigner Gretschen à Faust, Méphisto est dans le film hostile à leur amour et impuissant à l’empêcher.

L’affiche allemande va encore plus loin en montrant la scène du miroir magique, qui ne figure pas dans le film.

Dans les deux cas, l’illustration privilégie un message simpliste : la belle fille est un cadeau du diable.


scene-from-faust-by-gounod-The vision of Marguerite as staged at Covent Garden in 1864Représentation à Covent Garden, 1864 1892 Liebig Scene from Faust an opera by Charles GounodPublicité pour la sauce à la viande Liebig, 1892

La vision de Marguerite

A noter que dans l’opéra de Gounod, Marguerite n’apparaît pas dans un miroir, mais dans un effet spécial plus visible pour le spectateur.