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1 Les Mises au Tombeau : quelques points d’iconographie

13 octobre 2023

Ces trois articles sont dédiés à l’analyse iconographique d’une oeuvre majeure et méconnue : la chapelle du saint Sépulcre de la cathédrale de Rodez. Après avoir rappelé ce qui est général à toutes les Mises au Tombeau, on passera en revue une catégorie restreinte, celle des Mises au Tombeau « scénographiées ». Ceci pour permettre d’apprécier ce qu’a de vraiment particulier la chapelle de Rodez.



La genèse des Mises au tombeau

Selon Forsith, l’origine lointaine des Mises au Tombeau est à chercher dans l’Empire germanique. On y trouve dès le onzième siècle des représentations architecturales du Saint Sépulcre, donnant lieu au moment des fêtes de Pâques à des liturgies complexes et variées [1]. Il s’agit cependant de processions au sein de l’architecture, et non d’une contemplation statique de sculptures [2].


1330 ca Chapelle du St Sepulcre Cathedrale de Freiburg in BrisgauSaint Tombeau
Chapelle du St Sépulcre, vers 1330, Cathédrale de Freiburg in Brisgau

Au XIVème siècle apparait un nouveau type de représentation, dit du Saint Tombeau ( [0], p 13), qui synthétise trois épisodes :

  • la Mise au Tombeau, avec le gisant du Christ ;
  • la Résurrection (avec les soldats endormis) ;
  • les trois Saintes Femmes au Tombeau, avec les deux anges.

Ce caractère illogique ([0], p 14) tient au fait que ce type de monument pouvait répondre à plusieurs rituels à des moments différents : dépôt d’un Christ aux bras amovibles détaché d’un Crucifix, dépôt dans un petit réceptacle de l’hostie consacrée [3].



Une origine liturgique et symbolique

1433 Mise au tombeau Cathedrale de Freiburg in BrisgauMise au Tombeau
1433, Cathédrale de Freiburg in Brisgau

Un siècle plus tard, dans la même cathédrale :

  • les deux anges portent les instruments de la Passion,
  • parmi les trois Maries (identifiées traditionnellement commé étant Marie de Magdala, Marie-Salomé et Marie-Jacobé), Marie-Madeleine se singularise par sa chevelure nue et son flacon de parfum ;
  • de nouveaux personnages se sont ajoutés : La Vierge Marie, Saint Jean et les deux porteurs de linceul.

Ainsi se constitue la formule la plus courante : la Mise au tombeau à sept personnages, plus le Christ.

On voit par là que son origine est essentiellement symbolique et synthétique : même si elle reprend les principaux personnages cités dans les quatre Evangiles, elle ne met pas en scène un moment précis de l’histoire.

Le texte qui s’en rapproche le plus est celui de Luc :

Il (Joseph d’Arimathie) le descendit de la croix, l’enveloppa d’un linceul, et le déposa dans un sépulcre taillé dans le roc, où personne n’avait encore été mis. C’était le jour de la préparation, et le sabbat allait commencer. Les femmes qui étaient venues de la Galilée avec Jésus accompagnèrent Joseph, virent le sépulcre et la manière dont le corps de Jésus y fut déposé. et, s’en étant retournées, elles préparèrent des aromates et des parfums. Puis elles se reposèrent le jour du sabbat, selon la loi.  Luc 23,53-55

Le texte ne mentionne pas la présence de la vierge Marie et de Jean, et précise bien que les saintes femmes ne portent aucun aromate, puisque c’est seulement après le sabbat qu’elles reviennent pour l’embaumement.



Mise au Tombeau ou embaumement ?

campin , vers 1425, Triptyque Seilern mise au tombeau courtauld instituteMise au tombeau (panneau central du Triptyque Seilern)
Campin, vers 1425, Courtauld Institute

En peinture, les artistes ont toute liberté pour varier la position des personnages :

  • éviter la symétrie entre les porteurs de suaire,
  • placer des personnages en avant du tombeau (ici une des saintes femmes et Marie-Madeleine),
  • rajouter des personnages supplémentaires (ici Sainte Véronique avec son voile) ;
  • montrer le cadavre dans des poses plastiques, à différents stades de son dépôt dans le tombeau.

La statuaire en revanche impose des contraintes fortes, notamment quant à la représentation du linceul. Montrer réellement le dépôt du corps est une gageure technique.


Mise au tombeau 1495 Salers_-_église_Saint-Matthieu1495, église Saint-Matthieu, Salers

Ici, il est suggéré par les plis du linceul tombant à l’intérieur de la cuve.


Mise au tombeau 1490-91 semur en auxois1490-91, Semur-en-Auxois.

Le sculpteur va parfois jusqu’à évider la cuve sous le drap.


Mise au tombeau 1471 chaumont1471, Chaumont

A l’extrême, le cadavre peut se retrouver posé au fond de la cuve, mas cette solution radicale est très rare.


Mise au tombeau 1400-25 Pont a Mousson1400-25, Pont-à-Mousson

Certains sculpteurs préfèrent montrer le dernier instant de l’embaumement : le corps est posé sur le tombeau fermé, le linceul va être replié sur lui. A noter que l’inversion de la position du Christ est ici un cas d’école : le monument étant placé sur le mur Nord du transept, elle a pour but de diriger la tête du Christ vers l’Est et l’autel principal.


Mise au tombeau 1515 Chateau de Biron MET1515, provenant du chateau de Biron, MET

Mais la plupart du temps, les oeuvres restent dans l’ambiguïté : le tissu est tendu un peu au dessus de la cuve comme si le corps était en suspension, mais l’absence d’effort des deux porteurs rend cette situation impossible : le caractère conventionnel de la mise en scène demeure, même dans les oeuvres les plus réalistes.



Les contraintes sur les personnages

La place du Christ et des porteurs

Les Mises au Tombeau sont très souvent placées sous une arcade : surbaissée, elle imite une grotte, mais surplombée d’un gâble et de pignons, elle épouse la forme habituelle d’un enfeu avec gisant ( [0], p 3). Ainsi les Mises au tombeau oscillent-elles entre deux pôles : la reconstitution théatrale du Sépulcre de Jérusalem et l’édification, dans les murs de l’Eglise, d’un Enfeu symbolique pour le Christ.

Le gisant est presque toujours allongé la tête à gauche, ce qui sert à montrer la plaie du flanc droit. Les rares inversions semblent s’expliquer par le besoin de placer la tête du Christ du côté de l’autel principal, du moins pour les Mises au Tombeau qui ne possèdent pas un autel particulier ( [0], p 4).


Mise-au-tombeau-1523-Rodez-Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre-Mise-au-tombeauPhotographie www.cathedrale-rodez.chez-alice.fr

A Rodez, celle de Gaillard Roux, placé sur le mur Est d’une chapelle Sud de la nef, respecte la configuration standard. Bien que son autel particulier la rende indépendante, le Christ a la tête du côté de l’autel principal : elle est ainsi éclairée toute la journée par la lumière du Sud, venant de la fenêtre de droite.

Les deux porteurs ont un emplacement pratiquement invariable par rapport au cadavre : côté tête le riche Joseph d’Arimathie (avec souvent une bourse apparente), côté pieds la figure moins importante de Nicodème : il est mentionné seulement dans l’Evangile de Jean, comme apportant la myrrhe et l’aloès et aidant Joseph à envelopper le corps de Jésus dans le linceul imbibé d’aromates (son rôle est plus développé dans un apocryphe, l’Evangile de Nicodème ([0], p 6) ).


La place de Marie Madeleine

Marie-Madeleine, avec ses longs cheveux et sa boîte de parfum, est placée presque toujours du côté des pieds du Christ, en raison de son assimilation avec la femme pècheresse qui

« apporta un vase d’albâtre plein de parfum, et se tint derrière, aux pieds de Jésus. Elle pleurait; et bientôt elle lui mouilla les pieds de ses larmes, puis les essuya avec ses cheveux, les baisa, et les oignit de parfum.«  Luc 7, 37-38

Dans le contexte de la mise au Tombeau, le vase de parfum devient un vase à onguent utilisé pour l’embaumement.


Rodez 1400-50 cathédrale,Mise_au_TombeauMise au tombeau
Choeur, Cathédrale de Rodez, 1430-1450

La seule exception en France est cette Mise au Tombeau très archaïque où Marie se penche pour enlacer le cadavre de son fils : elle suit le modèle byzantin où la mise au Tombeau se confond avec le « thrène », la Lamentation de Marie ([0], p 7). Les positions de Nicodème et Joseph (reconnaissable à sa bourse) sont ici inversées. Marie-Madeleine, reconnaissable à ses longs cheveux, ne porte pas sa fiole de parfum : elle n’est pas ici pour aider à l’embaumement, mais pour extérioriser, par ses bras élevés en l’air derrière Marie, la douleur muette de celle-ci. Il s’agit là encore d’un motif byzantin transmis via l’art italien :

Giotto Maesta 1308-11 Mise au tombeau Sienne, Museo dell’Opera del DuomoMise au tombeau (détail de la Maesta)
Giotto, 1308-11 , Museo dell’Opera del Duomo, Sienne


La place de la Vierge et de Saint Jean

Ce sont les personnages dont la place est la plus variable. Dans les Crucifixions, la Vierge et Saint Jean se font presque invariablement pendant de part et d’autre de la Croix. Cette configuration est impossible dans les Mises au Tombeau, où la place de droite est déjà occupée par un autre « poids lourd », Marie-Madeleine : Saint Jean est donc pratiquement toujours placé dans la moitié gauche, en équilibre avec elle.


Dijon Hôpital_Général_-_Chapelle_Sainte-Croix_de_Jérusalem mise_au_tombeauChapelle Sainte-Croix de Jérusalem, Hôpital Général, Dijon

Une des très rares exceptions (mis à part la Mise au Tombeau atypique du choeur de Rodez) est celle-ci, où Saint Jean vient rejoindre Marie Madeleine dans la moitié droite de la composition, faisant pendant aux deux sainte Femmes de l’autre côté de Marie. L’importance exceptionnelle accordée à celles-ci, avec leurs pots d’onguent, a probablement un rapport avec la vocation hospitalière du monument [4].


British Library Har 4328 254

Vie du Christ, Paris, 1460-68, BL Harley 4328 fol 254

La plupart des Mises au tombeau suivent une autre convention des Crucifixions, assez rare, où Saint Jean rejoint la Vierge à gauche de la Croix pour la soutenir dans sa douleur.


Mise au tombeau 1490-91 semur en auxois1490-91, Semur-en-Auxois.

Toutes les configurations du couple se rencontrent : Saint Jean à gauche, à droite, ou derrière Marie, formant parfois avec elle un bloc unique.


La formule méridionale

Jacques Morel attr 1441 ca Mise au tombeau famille galleani Église_Saint_Pierre_(Avignon)Mise au tombeau de la famille des Galliens
Jacques Morel (attr), vers 1441, Eglise Saint Pierre, Avignon

Elle se caractérise par le fait que Marie est épaulée non plus par Saint Jean, mais par les deux Saintes Femmes. On obtient ainsi une formule très symétrique, où Saint Jean fait mécaniquement pendant à Marie-Madeleine.  A noter que la Crucifixion de la partie haute, avec la Vierge et à nouveau Saint Jean, a été rajoutée en 1854, au moment de l’installation du monument à ce nouvel emplacement [5].

En plaçant les trois Maries au centre, la composition suggère l’épisode, symboliquement opposé à la Mise au Tombeau, où les trois myrophores (leur nom varie selon les Evangiles, voir La pierre devant le tombeau ) se rendent au sépulcre et constatent qu’il est vide.


1235 ca Tombeau fragments jube cathedrale BourgesMise au Tombeau et Saintes Femmes au Tombeau
Fragments du jubé, vers 1235, Cathédrale de Bourges

Ainsi se synthétise en une seule image ce qui longtemps avant en nécessitait deux.


La couronne d’épines

Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre registre D
La formule méridionale autorise la solution élégante de placer la couronne dans les mains désormais libres de saint Jean ( [0], p 125), en pendant à la fiole de Marie-Madeleine (qui à Rodez a été cassée). L’idée est d’autant plus naturelle que l’évangile de Saint Jean est le seul qui parle de cette couronne (Jean 19,12). L’état de conservation de la Mise au Tombeau d’Avignon ne permet pas de confirmer si l’idée était présente dès 1441.


Pieta de Tarascon vers 1457 Musee de Cluny

Pietà de Tarascon, vers 1457, Musée de Cluny

Deux Pietà de l’école d’Avignon montrent en tout cas Saint Jean retirant de ses mains la couronne d’épines. La Pietà de Tarascon exploite la symétrie avec Saint Madeleine, qui effleure la plaie du pied d’une plume trempée dans l’onguent (symétrie soulignée par la couleur verte des manteaux)


Mise au tombeau 1490-91 semur en auxois1490-91, Semur-en-Auxois.

Dans les autres formules, l’ostention de la couronne d’épines est plus rare. On la trouve à Semur, dans les mains de la Sainte Femme située au dessus du visage du Christ (celle du côté des pieds montre les clous).


En synthèse

La Mise au Tombeau est une formule datée, qui se diffuse du Nord vers le Sud du XIVème au XVIème siècle, avant de passer de mode. Elle se révèle robuste puisque, d’esprit totalement médiéval, elle passe avec succès le cap de la Renaissance :

« Avec sa retenue dans l’expression des sentiments et dans la composition, la Mise au Tombeau appartient essentiellement au gothique tardif, et on ne peut qu’être étonné de voir la persistance de la formule, submergée mais pas totalement détruite tandis que les marées de la Renaissance montaient de plus en plus haut. » Forsyth ([1], p 4)

A cheval entre gothique flamboyant et renaissance italienne, la chapelle Gaillard Roux est comme l’instantané d’une de ces vagues montantes.



Article suivant : 2 Les Mises au Tombeau scénographiées

Références :
[0] William H Forsyth « The entombment of Christ : French sculptures of the fifteenth and sixteenth centuries », 1970, https://archive.org/details/entombmentofchri00fors/page/215/mode/1up?q=gaillard
[1] Elisabeth Ruchaud, « Liturgie pascale et drame liturgique en mouvement dans l’espace ecclesial monastique (abbayes ottoniennes de Gernrode et Essen) » https://carnetparay.hypotheses.org/1269
[2] A Essen, les parties hautes étaient couvertes de fresques présentant les épisodes post-résurrection. Selon la même idée, deux de ces scènes (le Noli me tangere et l’apparition à Thomas) sont figurées en haut du retable de Gaillard Roux.
[3] Rózsa Juhos « The sepulchre of Christ in arts and liturgy of the late middle ages » His Arch & Anthropol Sci. 2018;3(3):263-271
https://medcraveonline.com/JHAAS/the-sepulchre-of-christ-in-arts-and-liturgy-of-the-late-middle-ages.html
[4] Le motif rare du suaire relevé à l’arrière n’a rien à voir en revanche avec l’hôpital. Il s’agit d’un motif spécifiquement bourguignon ( [0], p 73).
[5] Inventaire général des richesses d’art de la France. Province, monuments religieux. Tome 3 p 153 https://bibliotheque-numerique.inha.fr/viewer/7560/?offset=1#page=155&viewer=picture&o=bookmark&n=0&q=

2 Les Mises au Tombeau scénographiées

13 octobre 2023

Ce néologisme désigne un catégorie très restreinte de monuments, où la Mise au Tombeau sert de base à une scénographie à plusieurs registres. En voici un aperçu presque exhaustif : la chapelle Gaillard Roux à Rodez sera quant à elle traitée dans le dernier article.

Article précédent : 1 Les Mises au Tombeau : quelques points d’iconographie

Quelques ciboriums germaniques

1370-74 ca Nurnberg, Sankt Sebald, Sakramentsnische,Ciborium, vers 1370-74, église Saint Sebald, Nüremberg

Ce ciborium imite un édifice gothique à quatre étages, renforcé par des contreforts latéraux :

  • niveau crypte, une Mise au Tombeau dont les sept personnages s’inscrivent exactement dans les sept arcatures ;
  • niveau nef, l’armoire destinée à ranger le Saint Sacrement, flaqué des deux patrons de l’église, Saint Pierre et Saint Sebald ;
  • niveau voûtes, une Crucifixion symbolique où Dieu le Père offre son fils en sacrifice, entre la Vierge et Saint Jean (la colombe, qui complète le symbolisme de la Trinité dans la formule habituelle du Trône de Grâce est ici absente, probablement disparue au cours du temps) ;
  • niveau clocher, Dieu en majesté.

Bamberg, 1392-1418 Obere Pfarrkirche Unserer Lieben Frau, SakramentsnischeCiborium (partie centrale) vers 1392-1418, Obere Pfarrkirche Unserer Lieben Frau, Bamberg

A Bamberg, le ciborium consiste en un retable de trois rangés d’apôtres et de prophètes (incomplètement identifiés), flanquant une structure centrale dont les trois registres se lisent chronologiquement [6] :

  • en bas l’époque du Christ, avec la Mise au tombeau ;
  • au centre les temps présents avec les hosties et la relique principale du Chrsit, la Sainte face ;
  • en haut le futur, avec le Jugement dernier.

Bien que le rôle de ces ciboriums dans la génèse des grandes Mises au tombeau en ronde bosse ne soit pas démontré, ils contiennent néanmoins des Mises au tombeau en bas-relief où figurent déjà tous les personnages habituels. Forsyth en tire argument ( [0], p 19) pour contester l’hypothèse d’Emile Mâle selon laquelle l’apparition des grandes Mises au tombeau françaises, au début du XVème siècle, constituerait une transposition, en sculpture, des Mystères de la Passion qui se développent à la même époque, et mettent en scène les mêmes personnages.



Les scénographies françaises

Le portail Sud de la cathédrale de Rodez

 

1448-78 Porte_latérale,_cathédrale_de_Rodez

Portail Sud, 1448-78, cathédrale de Rodez

On sait par différents textes [7] que ce portail, très mutilé à la Révolution, comportait dans son tympan une Crucifixion et dans son linteau une Mise au tombeau, dont il reste seulement le sarcophage triparti. Il semble que la conception initiale soit dûe à Jacques Morel, le portail ayant été achevé par d’autres sculpteurs.



1448-78 Porte_latérale,_cathédrale_de_Rodez,_Aveyron reconstruction 1
En plaquant sur les éléments restant la Mise au Tombeau d’Avignon [8], on se rend compte d’un grave problème d’encombrement : pour que le corps du Christ soit visible d’en bas, il eut fallu qu’il soit présenté en oblique, comme à Avignon : ce qui laisse d’autant moins de place pour les personnages. Même en les comprimant en hauteur, on constate qu’il n’y pas assez de place, entre les culots et le sarcophage, pour caser les porteurs de linceul.



1448-78 Porte_latérale,_cathédrale_de_Rodez,_Aveyron reconstruction 2
Une solution possible serait un Christ parfaitement horizontal et un linceul très long, dont les porteurs se placeraient au delà des culots (solution adoptée plus tard au château de Combefa).


La chapelle du château de Combefa

 

Monesties sur Serou 1490 CombefaVers 1490, église de Monestiès sur Serou

La disposition actuelle reflète ce que l’on sait sur le retable commandé par l’évêque Louis Ier d’Amboise pour la chapelle de son château de Combefa [9]. Les trois registres s’étageaient de haut en bas dans l’ordre chronologique : Crucifixion, Déploration et Mise au tombeau (plus un Ecce Homo, dont l’emplacement est inconnu). Sur les deux pans latéraux du choeur, dix personnages à taille humaine progressaient vers le sarcophage, accompagnant l’évêque qui officiait devant l’autel.

Ce dispositif unique, prétentieux dans tout autre lieu, est dû au caractère privé de la chapelle. On suspecte, sans preuve définitive, que le personnage de Joseph d’Arimathie pourrait être un portrait du commanditaire [10].

Cette configuration unique de personnages sortis du retable ne se rencontre ailleurs, de manière partielle, que pour les soldats qui montent la garde en avant de la Mise au Tombeau.


L’Oratoire d’Hélion Jouffroy à Rodez

Ce richissime chantre puis chanoine de Rodez (entre 1470 et 1529) avait fait décorer son oratoire privé d’un grand nombre de sculptures dont il ne reste que des descriptions textuelles ( [11], p 85) :

  • dans une niche sous la table d’autel, une Mise au tombeau à six personnages, dont un Christ, étendu sur un linceul, qui « sembloit tenir en l’air, tant estoit subtillemen faictz lesd. personnages » ;
  • à proximité un haut-relief évoquant l’Enfer et le Purgatoire ;
  • au dessus était suspendu un Christ juge, « tenant une croix en la main et tendant l’autre main aux figures de Adam et Eve et cinq ou six saint Pères »… »semblant les vouloir retirer à soy pour les délivrer dud. enfer ou purgatoire ».

Cette description est particulièrement intéressante, puisque la même scène du Christ aux limbes figure en haut du retable de Gaillard Roux, chanoine entre 1497 et 1534. Une forme de rivalité ostentatoire entre ces deux chanoines n’est donc pas à exclure, le retable de la cathédrale, développant en public ce qui ne pouvait être vu qu’en privé dans la « maison des singularités » d’Hélion Jouffroy.


Ceci confirme le goût, au tournant du XVIème siècle, pour ces scénographies à grand spectacle, du moins chez ceux qui en avaient les moyens : l’évêque d’Albi pour Combefa, puis les deux riches chanoines de Rodez. Hélion Jouffroy, qui était le neveu du cardinal d’Albi et n’avait pu manquer de visiter la chapelle de Louis d’Amboise, est probablement celui qui a importé cette mode à Rodez.

Ceci confirme également l’existence locale d’ateliers de sculpteurs suffisamment créatifs pour satisfaire ces commandes sortant de l’ordinaire.

Tous ces éléments rendent moins surprenant le surgissement, à Rodez, d’un ensemble aussi spectaculaire que la chapelle Gaillard Roux.


La Déploration de Bordeaux

Bordeaux_Basilique_Saint-Michel_Chapelle_du_Saint-Sepulcre_Mise_au_tombeauChapelle du Sépulcre
1493 , Eglise Saint Michel, Bordeaux

Comme le remarque Paul Roudié [12], il s’agit ici d’une formule intermédiaire entre la Piéta et la Mise au Tombeau proprement dite, puisque le Christ est en train d’être déposé sur le rocher. La grande croix vide, entre les deux larrons, situe l’épisode juste après la Descente de croix.

La Vierge aux bras croisés met en équilibre Saint Jean et Marie Madeleine, mais son décalage par rapport à la croix centrale évite une symétrie trop pesante. Les trois Saintes-Femmes (il y en a une surnuméraire) s’ajoutent à l’arrière dissymétriquement, accompagnant l’oblique du cadavre.

Dans le gâble, six anges portent les instruments de la Passion, autour de Dieu le Père avec son globe.


La Mise au Tombeau de Solesmes

 

Bordeaux_Basilique_Saint-Michel_Chapelle_du_Saint-Sepulcre_Mise_au_tombeauMise au tombeau (transept Sud), 1496, Abbaye Saint-Pierre de Solesmes

Ce monument se compose de deux registres seulement, mais particulièrement sophistiqués.

Dans l’étage supérieur de l’édifice, David et Isaïe, à mi corps, sortent de deux fausse fenêtres. La grande croix centrale a toujours été vide (hormis les trois trous) [13]. Bien qu’elle soit flanquée par les croix des deux larrons, elle n’est plus tout à fait celle de la Crucifixion : l’ange qui enlace sa base la transforme en Arma christi, au même titre que les instruments que portent ses quatre collègues (colonne, couronne, fouet, lance)

Deux autres Arma Christi, la Sainte Face et la bourse de Judas, sont portées par les angelots qui volent à l’intérieur du sépulcre, tandis que les deux angelots des parois latérales portent des cierges pour l’éclairer. La disposition habituelle est subtilement modifiée. Les trois personnages masculins (Joseph, Nicodème et Saint Jean) se regroupent du côté de la tête du Christ, laissant place à un personnage supplémentaire de l’autre côté du linceul : un chevalier caqué d’une salade, probablement le donateur. Marie-Madeleine est passée devant le sarcophage, mais toujours à l’intérieur de la niche. Au premier plan, cette fois hors de la niche, les deux soldats montent la garde : dans le passé, mais aussi dans le présent, puisque la clé pendante centrale portait une relique de la couronne d’épines.



Abbaye_Saint-Pierre_de_Solesmes 1496 Mise au tombeau schema bas
L’impression d’ensemble est très symétrique [14] : Nicodème, libéré de sa tâche de tenir le linceul, porte un vase à onguent qui fait pendant avec celui que Marie-Salomé brandit derrière le donateur, formant triangle (en jaune) avec le vase que Marie-Madeleine a disposé à l’aplomb du reliquaire. Pourtant le donateur casqué brise toutes les conventions, en se pétrifiant à l’intérieur et en envoyant hors de la niche les deux soldats dont il est le chef (en bleu).



Abbaye_Saint-Pierre_de_Solesmes 1496 Mise au tombeau schema
En prenant un peu de recul, l’oeil découvre, de haut en bas, d’abord l’immense croix vide (1), puis le phylactère de David (2)…

“Tu ne permettras pas que ton saint voit la corruption“ (Ps 16, 10).

…puis enfin le corps saint dont il est question (3), dans une scène qui est très précisément celle de l’embaumement.

De là l’oeil remonte jusqu’au phylactère d’Isaïe...

“Son sépulcre sera glorieux(Is 11, 10).

…qui évoque la Résurrection, tout en résumant la structure d’ensemble : une croix plantée sur un sépulcre.


La Mise au tombeau d’Auch

Auch_-_Cathédrale_-1500 caChapelle du saint Sépulcre, vers 1500, Cathédrale d’Auch

Comme à Solesmes, nous sommes en présence d’une composition à deux registres, évoquant une sorte d’architecture surplombée de pinacles :

  • en haut, entre deux faux oculus montrant des anges thuriféraires, le gâble contient un Trône de grâce (Trinité) ;
  • en bas, une Mise au Tombeau à sept personnages (plus le Christ) se prolonge en avant par deux gardes.

Tandis qu’à Solesmes, ils étaient de taille inférieure aux personnages de la niche, ils sont ici de taille supérieure, ce qui accentue l’effet de profondeur.



Auch_-_Cathédrale_-1500 ca etat ancien
Les représentations anciennes montrent qu’il y en avait quatre, ainsi décrits en 1850 par l’abbé Canéto [15] :

« à notre droite, tout à côté de la crédence, un suisse appuyé sur sa longue épée fourrée, et un arquebusier bourrant le canon de son arme; à notre gauche, un archer avec son car- quois, son arc et ses flèches; et un halebardier, entre les mains duquel la hampe a perdu sa double lame. »

Les deux premiers, de taille encore plus imposante, confimaient l’impression de profondeur, tout en donnant au sépulcre un caractère bien précis : non plus celui d’une caverne nichée sous le Golgotha (comme à Avignon ou à Solesmes); mais de l’Enfeu glorieux du Christ, avec sa garde d’honneur.

Ainsi s’expliquent plusieurs particularités du monument :

  • l’étonnant espace vide, entièrement doré, entre la Mise au Tombeau et les angelots en vol, comme prévu pour héberger le Christ ressuscité ;
  • la cohérence entre les deux registres : aux anges thuriféraires du haut repondent ceux sculptés sur le devant du sarcophage.

Il ne s’agit plus d’opposer le céleste au terrestre, mais de composer un cénotaphe entièrement divinisé.



Auch_-_Cathédrale_-1500 ca détail
D’où la présence incongrue, dans l’ombre de l’arcade, au milieu des six angelots montrant les instruments de la Passion, d’un Dieu le Père montrant son globe : apparition probablement inspirée par la Déposition de Bordeaux.


Ancizan 1544Mise au Tombeau, 1544, Ancizan

Cette autre Mise au Tombeau à quatre soldats, à une centaine de kilomètres d’Auch, comporte également une haute niche vide : le Calvaire peint qui le remplit, avec les instruments de la Passion, est moderne.


La mise au tombeau d’Amiens

Amiens,_église_Saint-Germain_l'Ecossais,_mise_au_tombeau_011506, église Saint-Germain l’Ecossais, Amiens

Le second registre se réduit ici à une Piéta, inscrite dans le gâble de l’arcade.


La chapelle de Folleville

folleville ensembleChoeur de l’église Saint Jacques le Majeur et Saint Jean-Baptiste, Folleville (Picardie)

Dans cette chapelle funéraire de la famille de Lannoy, le mur gauche du choeur abrite un enfeu avec les gisants de Raoul de Lannoy et de son épouse Jeanne de Poux, réalisés par deux sculpteurs italiens. Vient ensuite le tombeau de son fils François et de son épouse, priant en direction d’une niche aujourd’hui vide, derrière le maître-autel [16].


joigny folleville 1513-18 reconstitution
Mise au Tombeau de Folleville, 1513-18 (reconstitution)

Réalisée par un atelier local ([0] p 135)) cette niche est contemporaine des gisants. Elle abritait une Mise au tombeau en marbre, aujourd’hui transportée en Bourgogne dans l’église de Joigny, réalisée par un troisième atelier. Malgré la différences des mains, la reconstitution montre bien la cohérence d’ensemble :

  • les cinq arcatures scandent harmonieusement les groupes de personnages ;
  • les six anges du registre supérieur, tenant des instruments de la Passion, complètent les quatre sculptés sur le devant du sarcophage, tenant des couronnes ;
  • aux deux groupes d’initiales enlacées (R et I) correspondent les médaillons des époux, dans les couronnes latérales.

En haut de l’enfeu, le gâble constitue à lui seul un troisième registre : on y voit le Christ, tenant une pelle de jardinier, apparaissant à Marie Madeleine. L’ordre des personnages inverse la convention habituelle où le visionnaire, dans le sens de la lecture, précède l’apparition (voir 3-1 L’apparition à un dévôt ). Cette inversion s’harmonise ici avec l’ordre héraldique qui régit les deux médaillons (l’époux à gauche). D’une manière discrète, la Résurrection du Christ évoque celle que le couple espère.

La redondance de la couronne et des clous montre bien que la différence de statut des deux registres :

  • terrestre et historique, dans les mains de Joseph d’Arimathie ;
  • céleste et mystique, dans les mains des anges qui les transforment en Arma Christi.

On retrouve en somme la même conception qu’à Solesmes, où le registre supérieur constitue une sorte de glorification du registre inférieur.



joigny folleville 1513-18 detail targe
La redondance pousse ici d’un cran vers l’abstraction, puisque les Arma Christi sont présentes une troisième fois, dans le targe qu’encercle la couronne centrale : elles deviennent ainsi, d’une certaine manière, les armes idéalisées des défunts.


Folleville Eglise_Saint-Jacques-le-Majeur_et_Saint-Jean-Baptiste_-_Tombeau_de_Raoul_de_Lannoy_-_
Enfeu de Raoul de Lannoy et de Jeanne de Poux

Ce blason idéalisé renvoie aux blasons réels des deux époux (aujourd’hui bûchés) portés par quatre anges sur le devant de leur tombeau.

En passant de l’enfeu à la niche centrale, des visages morts des gisants aux médaillons synonymes d’immortalité, l’oeil du spectateur accomplissait, en somme, le désir de résurrection des défunts.



Les scénographies postérieures à la chapelle Gaillard Roux

Elles sont très rares, ce qui situe la composition de Rodez à l’apogée de la formule.

Le pendant de Solesmes

Abbaye_Saint-Pierre_de_Solesmes 1553 La Belle Chapelle
Belle Chapelle, 1530-53 (transept Nord)
Abbaye Saint-Pierre de Solesmes

Commencé une trentaine d’années après le retable de la Mise au Tombeau, ce retable en calque sa composition en deux registres. Dédié cette fois à la Vierge, il montre en bas sa Mise au Tombeau, et en haut son Assomption.

Cette idée tout à fait unique s’explique par une circonstance locale à l’édifice : faire pendant, au bout du transept Nord, au monument déjà édifié à l’autre extrémité du transept.


1530-40 attribué à Jean Guiramand Chapelle des Penitents Gris Aix en ProvenceDéploration
1530-40, attribué à Jean Guiramand, Chapelle des Pénitents Gris, Aix en Provence

Très exceptionnelle en France, cette scénographie à huit personnages, plus les deux soldats, les deux larrons et la croix vide (comme à Bordeaux et Solesmes), suit l’esthétique panoramique que proposent, en Italie, les « sacri monti » franciscains » [17].


Deux Mises au tombeau picardes

Ces monuments, très conservateurs, prolongent vers la fin du siècle la tradition d’Amiens et de Folleville.


Doullens Eglise_Notre-Dame_-_Sépulcre_-_La_Mise_au_Tombeau_-_
1583, Eglise Notre Dame de Doullens

La dédicace permet de dater précisément le monument et explique la présence des Saints Jean et Nicolas sur les piliers latéraux :
« ce présent sepulcre a esté faict des biens (de) Jean Bouliet et de Nicolas Roussel, la 1583″.

La structure reprend la Piéta dans le gâble introduite au début du siècle à Amiens, et les six anges portant les instruments de la Passion inspirés de ceux de Folleville.



Doullens Eglise_Notre-Dame_-_Sépulcre_-_La_Mise_au_Tombeau_detail
L’intéressant pour nous est le rajout, sur le devant du sarcophage, d’un registre supplémentaire constitué de trois scènes postérieures à la Résurrection (les deux latérales figurent à la même place à Rodez) :

  • l’apparition à Marie-Madeleine (même composition qu’à Folleville) ;
  • les disciples d’Emmaüs ;
  • l’incrédulité de St Thomas.

montdidier 1552-821552-83, Eglise du Saint Sacrement, Montdidier

La chapelle familiale de la famille de Baillon comporte une Mise au Tombeau, où les donateurs, Pierre de Baillon et son épouse, sont représentés en miniature sur le devant du sarcophage. Pour Forsith ([0], p 143), l’oeuvre est due au même atelier que la Mise au Tombeau de Doullens.

L’ Ecce Homo juché au dessus de l’arcade d’entrée est antérieur (avant 1552, [18] p 12) et il a été rehaussé de trois pieds en 1763, lors de la réalisation de l’arc en plein ceintre qui remplace l’arcade gothique et donne plus de luminosité.


montdidier 1552-82 reconstruction
Reconstitution (état avant 1763)

Il fait néanmoins partie du programme de la chapelle : en s’inclinant sous l’arc surbaissé, le visiteur passait, en accéléré, des premiers coups de fouet de la Passion aux derniers instants de l’histoire.


L’ensemble sculpté de Puget-Théniers

1500-87 bois de tilleul eglise Notre-Dame-de-l'Assomption Puget-Théniers
Mise au Tombeau, Résurrection, Crucifixion, bois de tilleul, 1460-1587, église Notre-Dame de l’Assomption, Puget-Théniers

Cet ensemble déconcertant n’est pas à sa place d’origine, et n’était probablement pas destiné à une présentation verticale, vu la taille discordante des trois registres : le Christ vainqueur se trouve ici totalement écrasé par le Christ en croix, et la disproposition entre les deux tombeaux superposés est gênante.

La datation est tout aussi incertaine : sur une base stylistique, la Mise au Tombeau et la Crucifixion pourraient-être du XIVème siècle, avec une influence bourguignonne ; tandis que la Résurrection, plus italianisante, daterait d’après les costumes et les armements des années 1520 [18a]. A l’inverse, la seule trace historique dont on dispose est la création en 1587 d’une chapelle du Saint Sépulcre dans le couvent des Augustins [18b].

En regard de ces incertitudes, le seul autre cas d’une Résurrection superposée à une Mise au Tombeau va nous paraître limpide.



Article suivant : 3 La Chapelle Gaillard Roux à Rodez

Références :
[0] William H Forsyth « The entombment of Christ : French sculptures of the fifteenth and sixteenth centuries », 1970, https://archive.org/details/entombmentofchri00fors/page/215/mode/1up?q=gaillard
[6] Marie-Luise Kosan « Die Sakramentsnische der Oberen Pfarrkirche Unserer Lieben Frau zu Bamberg Zur Funktion bildlicher Darstellungen an spätmittelalterlichen Sakramentshäusern » https://fis.uni-bamberg.de/server/api/core/bitstreams/dfc79d01-ec8e-4f34-83f6-66e2153fcd8e/content
[7] Caroline de Barrau, « Dossier documentaire : Portail Sud. Cathédrale de Rodez. Aveyron » 2008 https://www.academia.edu/4402731/Portail_Sud_Cath%C3%A9drale_de_Rodez_Aveyron
[8] Aucun ensemble comparable n’ayant été conservé, j’ai repris par commodité les trois statues modernes du registre supérieur d’Avignon, qui ont l’avantage d’être à la même échelle que celles de la Mise au Tombeau proprement dite.
[9] Jacques Bousquet, « La chapelle de l’hôpital de Monestiès et ses sculptures », Congrès archéologique de France. 140e session, Albigeois, 1982, Paris, Société Française p. 376-387 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3209672d/f378.item
[10] Julia Faiers « Louis d’Amboise et la Mise au tombeau de Monestiés : un drame spirituel et temporel du Moyen Âge à nos jours » Bulletin de la Société des sciences, arts et belles lettres du Tarn Novembre 2022 https://www.researchgate.net/publication/365451179_’Louis_d’Amboise_et_la_Mise_au_tombeau_de_Monesties_un_drame_spirituel_et_temporel_du_Moyen_Age_a_nos_jours’_in_Bulletin_de_la_Societe_des_sciences_arts_et_belles_lettres_du_Tarn_no_LXXV_annee_2021/download
[11] Pierre Lançon, « Deux voyageurs italien et français de passage à Rodez en 1523 et 1641 ». Etudes Aveyronnaises., 2022, p. 75-98.
[12] Paul Roudié « Les mises au tombeau de Bordeaux » Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde Année 1953 2-4 pp. 307-324 https://www.persee.fr/doc/rhbg_0242-6838_1953_num_2_4_1697
[13] Alphonse Guépin, Description des deux églises abbatiales de Solesmes; 1876, p 11 https://archive.org/details/descriptiondesde00gupi/page/11/mode/1up
[14] Cyril Peltier « Les Saints de Solesmes : des résurgences dans la statuaire espagnole du Siècle d’Or ? » dans « Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest », Varia, 123-4 , 2016 https://journals.openedition.org/abpo/3427
[15] François Canéto, « Monographe de Sainte-Marie d’Auch, histoire et description de cette cathédrale », 1850, p 198 https://books.google.fr/books?id=KJZdAAAAcAAJ&pg=PP7#v=onepage&q&f=false
[16] Christine Debrie « Les monuments sculptés du choeur de l’église de Folleville, XVIe siècle » Revue du Nord Année 1981 249 pp. 415-438 https://www.persee.fr/doc/rnord_0035-2624_1981_num_63_249_3781
[17] Jean Boyer, « Une oeuvre inédite du sculpteur Jean Guiramand : le Saint – Sépulcre de la chapelle des Bourras d’Aix – en – Provence » , Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français ( 1974 )
[18] Edmond Soyez, « La Picardie historique et monumentale », 1893, p 12 https://archive.org/details/gri_33125016455178/page/n33/mode/1up
[18a] Luc Thévenon, « Les arts dans le canton de Puget-Théniers », p. 168-197, Nice-Historique, année 2000, no 271 https://www.nicehistorique.org/vwr/?nav=Index&document=3266

3 La Chapelle Gaillard Roux à Rodez

13 octobre 2023

La restauration récente a rendu à cette chapelle son statut d’oeuvre majeure de la Première Renaissance dans le Midi de la France. Cet article n’aborde pas les abondantes études stylistiques et les querelles d’attribution. Il n’a pour but que de mettre en valeur les particularités iconographiques, souvent méconnues, de cette scénographie édifiée, autour d’une Mise au Tombeau, à la gloire de son commanditaire.

Article précédent : 2 Les Mises au Tombeau scénographiées

La Chapelle du Saint Sépulcre

Signé Gaillard Roux

Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre plan

De la clé de voûte aux verrières aujourd’hui disparues [19], de la clôture au retable, et jusqu’aux faux pilastres peints sur les angles (des candélabres portant des roses), toute la chapelle est saturée des initiales GR et des armoiries du chanoine, trois étoiles et cinq roses (arme parlante de Roux). Cependant son souvenir  ne survit que dans cette chapelle de la cathédrale, où on n’est même pas sûr qu’il ait été enterré.


Un programme iconographique complet

Ascension mur ouest
Les restaurations récentes ont révélé que la paroi Sud de la chapelle était ornée d’une grande fresque représentant l’Ascension.



Rodez Chapelle Gaillard Roux
Ainsi, depuis la nef, le spectateur pouvait voir s’élever au dessus de la clôture deux images du Christ triomphant, tandis que la scène douloureuse de la Mise au Tombeau était cachée dans la chapelle (et problablement visitable à certaines occasions seulement).

Ce dispositif rappelle les rares monuments dont Elsa Karsallah [20] soupçonne qu’ils constituaient une sorte de substitut du pélerinage à Jérusalem (parfois associés à l’acquisition d’indulgences) :

« Les différents aménagements de chapelles que nous venons de décrire révèlent la volonté de restituer, à petite échelle et partiellement, le parcours spirituel proposé à Jérusalem. Ce dernier, sous l’influence des Franciscains, permettait de suivre pas à pas les derniers instants de la vie terrestre du Christ. »


Les sculptures de la clôture

Mise au tombeau 1523 Rodez cloture interieur schema
La clôture présente la même structure sur les deux faces, six niches autour de la niche centrale. Les cinq statues subsistantes sont aujourd’hui regroupées sur la face interne, mais Gilbert Bou [21] propose, avec raison, que cette face présentait, de part et d’autre de l’Ecce Homo, les sibylles ayant prédit les mystères douloureux (en rouge). De ce fait, la sibylle persique, qui avec sa lanterne sourde avait prédit en termes voilés la venue de Jésus, devait figurer sur la face externe, dédiée aux mystères joyeux (en bleu). La figure centrale de cette face aurait pu être un Christ triomphant mais, compte-tenu de la dédicace de la cathédrale à Notre Dame, il était plus logique que les sibylles heureuses se déploient, côté nef, autour d’une Vierge à l’Enfant.


Rodez Vierge a L'enfant cliché A.DorVierge à l’Enfant, Cliché A.Dor

Cette hypothèse a été confirmée récemment par Ariane Dor [22], qui a montré que deux éléments retrouvés lors des fouilles s’adaptaient parfaitement au socle de la niche centrale.


L’emplacement de la clôture

Rodez,cathédrale,intérieur40,chapelle_St_Sépulcre01
Le fait que cette clôture, à deux faces opposées, s’inscrive aussi bien dans le programme de la chapelle, pourrait-il résulter d’un heureux hasard ? Car les deux demi-arcades qui se raccordent mal aux piliers, en haut de la face externe, ont fait supposer que la clôture était prévue initialement pour un emplacement plus large. Il pourrait s’agir d’une première clôture du choeur exécutée en style flamboyant, projet qui aurait été abandonné et que Gaillard Roux aurait remployé pour sa chapelle. Ses armoiries sur les deux faces auraient été rajoutées à l’occasion de ce remploi [23].



Rodez,cathédrale,intérieur40,chapelle_St_Sépulcre02
Séduisante à première vue, cette hypothèse présente plusieurs difficultés : les arcades latérales recoupées étant pleines, on aurait eu deux pans aveugles des deux côtés, pour le moins disgracieux dans une clôture de choeur. Pourquoi ne pas avoir prévu des arcades ajourées plus larges, de manière à remplir harmonieusement tout l’écartement disponible ? De plus, la clôture comporte, en plus des deux armoiries, d’autres motifs de roses (qui auraient donc dû également être rajoutés).

La particularité de l’emplacement est que les deux piliers gothiques ont des tailles et des profils très différents (correspondant à deux campagnes de construction). De ce fait, plaquer la clôture complètement en avant ou en arrière des piliers était impossible : vu leur épaisseur différente, elle aurait été en biais.



Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre piliers
La solution retenue est un compromis agréable à la vue, aussi bien de l’extérieur (on ne perçoit pas le fait que le pilier gauche est nettement plus épais) que de l’intérieur (les statues s’alignent sur le centre des deux piliers).

Par ailleurs, le contraste stylistique entre la clôture flamboyante et le retable italianisant ne signifie pas que la clôture est très antérieure au retable :

  • on a pu vouloir mobiliser en parallèle toutes les compétences disponibles (celles formées à la manière italienne étant encore rares ) ;
  • on a pu vouloir conserver, côté nef, un style s’harmonisant avec celui du jubé, et réserver les éléments modernistes pour l’intérieur de la chapelle : ce qui accentuait d’autant plus l’effet d’admiration, en pénétrant dans cet espace novateur et saturé de couleurs.

Un trait de style

Il se peut même que les arcades latérales brisées soient un trait de style voulu, radicalisant l’opposition entre le grès austère des piliers médiévaux et le calcaire finement ouvragé de la nouvelle structure [24].


Interior_of_Cathédrale_Notre-Dame_de_Rodez_22Façade de la sacristie du chapitre, vers 1530

Il existe dans la cathédrale un autre cas de raboutage d’une structure Renaissance sur des piliers gothiques, moins critique puisque les deux piliers sont symétriques et que la nouvelle façade se plaque complètement à l’avant. Les moulures des deux créneaux latéraux, au lieu de former une structure autonome, s’imbriquent avec une des colonnettes du pilier fasciculé…

Rodez,cathédrale,intérieur40,chapelle_St_Sépulcre01 detail
…un peu comme, dans la clotûre de Gaillard Roux, les arcatures aveugles semblent émerger du grès.


L’ensemble de la chapelle constitue donc un programme iconographique complet, comme le note Ariane Dor [22] à la lumière des découvertes récentes :

La Vierge à l’Enfant située à l’entrée de la chapelle et la peinture historiée sur le mur ouest clôturent un cycle consacré à la vie du Christ, qui commence par le cortège des sibylles, annonçant sa venue sur terre, se poursuit par sa Passion (Ecce Homo), sa mort et sa Résurrection au rétable, et s’achève en vis-à-vis par son Ascension.



Le retable de Gaillard Roux

Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre

Chanoine de la cathédrale entre 1497 et 1534, Gaillard Roux a conçu et fait réaliser, probablement entre 1519 et 1523, le retable très ambitieux dont nous allons détailler de haut en bas les cinq registres.

Le registre supérieur

sb-line

La Résurrection

Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre registre A
Un soldat se cache les yeux, un autre est endormi sur le sol, son petit chien devant lui, et le troisième est trop dégradé pour en dire quoi que ce soit. Le Christ se dresse au dessus dans une pose spectaculaire, en équilibre sur la jambe gauche, le pied droit surplombant le soldat endormi

Mise au tombeau 1523 Rodez Christ intrados detail pied

sans se poser sur le rebord du tombeau : exercice de virtuosité qui, vu d’en bas, donne à la silhouette un essor particulier.



Mise au tombeau 1523 Rodez Christ intrados detail main
Autre détail tout aussi rare : au lieu de tenir l’étendard de la Résurrection, comme c’est presque toujours le cas, la main gauche se présente paume ouverte [25]. Il est donc pratiquement certain que c’est le bras droit disparu qui brandissait l’étendard, au lieu de faire comme d’habitude le geste de la bénédiction. Tout comme l’auréole, cet accessoire était probablement en bois.


Mantegna 1492 DescentLimbo_ Barbara Piasecka Johnson Collection Princeton Accademia Carrara Bergame
Résurrection (Accademia Carrara, Bergame) et Descente aux Limbres (anciennement Barbara Piasecka Johnson Collection, Princeton), Mantegna, 1492

Le geste de l’étendard tenu de la main droite est très rare : on le retrouve, avant Rodez, dans une composition très originale de Mantegna, reconstituée très récemment, où le Christ entre dans les Limbes vu de dos et ressort vu de face du tombeau, comme si les deux lieux communiquaient secrètement. Comme à Rodez, c’est la jambe droite qui amorce le mouvement de sortie.


1470 Piero della Francesca La_fresque_de_La_Résurrection Museo civico San SepolcroRésurrection
Piero della Francesca, 1470, Museo civico San Sepolcro

Cette fresque de Piero della Francesca a une intention très différente, non plus dynamique mais statique : c’est le pied gauche qui prend appui sur le rebord, de manière à bien montrer la plaie du pied et celle de la main, celle du flanc étant découverte par l’étendard à main droite.

La Résurrection de Rodez fait en somme la synthèse de ces deux iconographies extrêmement originales, en nous montrant un Ressuscité qui ne bénit pas mais surgit hors de la Tombe et affirme sa Victoire en exhibant ses stigmates.


Les pilastres latéraux

Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre date saint

La date de fin des travaux, 1523, est peinte sous la niche de gauche.

Les deux pilastres latéraux portaient en haut des anges sonnant de la trompette, qui ont été déposés pour restauration [26]. Le personnage qui figurait dans la niche de droite est perdu depuis longtemps [27] et le Saint qui subsiste à gauche ne porte qu’un livre, attribut insuffisant pour l’identifier [28].


Retable de l'Assomption Boussac detailRetable de l’Assomption, Maître-autel de l’Eglise de Boussac

Ce retable, à 35 km de Rodez, est manifestement influencé par la chapelle Gaillard Roux :

  • l’Assomption (de la Vierge) reprend la composition de la grande fresque de l’Ascension (du Christ) – à noter le détail rare de Saint Thomas recevant le ceinture tombée du ciel ;
  • les deux scènes de la prédelle (le Christ aux limbes et le Noli me tangere) recopient deux des tableaux du retable de la Mise au Tombeau.

On aurait pu espérer que les personnages latéraux, tous deux dans des niches en forme de coquille, recopient les statues sommitales de Rodez. Ce n’est malheureusement pas le cas, car l’absence d’auréole, à Boussac, désigne les deux personnages comme des personnages de l’Ancien Testament (Moïse avec les éclairs sortant de son front et David avec sa harpe [29] ) alors que le saint subsistant à Rodez est plutôt un Evangéliste.


Il pourrait s’agir de Matthieu, le seul Evangéliste qui parle de l’épisode des gardiens « qui devinrent comme morts » (Matt 28,4). l’ange qui le surplombait aurait alors fonctionné comme son attribut, déporté.

On peut imaginer que le Saint en pendant aurait quant à lui été un Apôtre, pourquoi pas Thomas en raison de la scène de l’Incrédulité de Thomas juste en dessous.

Les anges à trompettes, au dessus, seraient deux manière d’évoquer la proclamation de la Résurrection, par l’Evangéliste et par l’Apôtre.


L’inscription de l’intrados

Mise au tombeau 1523 Rodez Christ intrados detail piedPhoto Louis Balsan (c) Société des lettres de l’Aveyron

Je remercie Mr Pierre Lançon de m’avoir signalé l’existence, dans l’intrados, d’une inscription peinte, malheureusement illisible : on voit seulement qu’elle était constituée de lettres imbriquées, comme celle gravée sur l’entablement, et qui de ce fait a été parfaitement conservée.


L’inscription de l’entablement

Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre inscription 2

Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre inscription
Relevé au XIXème siècle par l’épigraphiste roussillonais Louis de Bonnefoy [30]

Cette inscription d’allure cryptique devient plus facile à comprendre dès lors qu’on remarque les points qui séparent les mots. Malgré les imbrications de lettres, il en manque très peu, il n’y a pas d’abréviations et le latin est tout à fait correct

Je passe sur l’interprétation fautive qu’en a donné Bion de Marlavagne en 1875 [31] et qui a été reproduite partout jusqu’à très récemment. La lecture et la traduction correcte en ont été fournies en 1984 dans le Corpus des inscriptions de la France médiévale [30], qui se trompait néanmoins en prétendant l’inscription disparue et en la datant du XIIème siècle.

 

O DEUS OM/NIPOTENS GUALHARDI / MISER/ERE RUFFY,
QUI STRUCTURA(m) HANC OBTIN(ens) FABRICAVIT HONOREM,
EJUS PECCATIS TOT(i)USQUE /MACHINE/ MONDI PARCE,
UT (a)EDE TUA VIVA/MUS PERPETUO, BEATI

O Dieu tout puissant, aies pitié de Gaillard Roux
qui, chargé de cette architecture, a fabriqué cette oeuvre honorable.
Pardonne ses péchés, et les machinations du monde entier,
Afin que, dans ton temple, nous vivions continuellement heureux.

Les barres obliques marquent les ruptures de la corniche.

Nous reviendrons plus loin sur la signification de ce texte très révélateur, qui a rapport avec l’ensemble du monument (c’est l’inscription perdue de l’intrados qui était relative au registre de la Résurrection) . Contentons-nous de remarquer que la fin de l’inscription, sur le flanc droit de la corniche, ne peut absolument pas être lue depuis le bas. Or rien n’empêchait de resserrer un peu les lettres sur les parties visibles : il y a donc une volonté d’énigme, ou du moins de garder pour soi la fin de la formule.


Chapelle st Sepulcre Plan Louis Causse (c) Societe des Lettres de l'Aveyron
Chapelle St Sépulcre, Plan Louis Causse (c) Societé des Lettres de l’Aveyron

Une particularité de la chapelle est qu’un passage récemment découvert [32], partiellement obturé par le retable, débouchait juste en dessous de ce texte caché : il donnait un accès direct à la chapelle depuis l’enclos canonial où résidaient les chanoines. Tout ce passe comme si cette bande étroite sur la droite du retable constituait une zone privative dont seuls jouissaient les chanoines, aussi bien physiquement (accès permanent à la chapelle) que spirituellement : « continuellement heureux » [33].


sb-line

Le registre médian

sb-lineVue d’ensemble

Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre registre B
Les trois tableaux de ce registre respectent l’ordre chronologique des événements, juste après la Résurrection survenue dans la nuit du Samedi au Dimanche (voir La pierre devant le tombeau) :

  • la Descente du Christ aux Limbes : l’épisode, dont les Evangiles ne parlent pas, suit la Résurrection, puisque le Christ est en général figuré portant la bannière de sa victoire sur la Mort ;
  • l’Apparition en jardinier à Marie-Madeleine (Noli me Tangere), le soir du Dimanche saint ;
  • la seconde apparition aux Apôtres en présence de Saint Thomas, le dimanche suivant.

Ce registre est pensé comme un tout : ainsi les deux angelots portant les armes et les initiales de Gaillard Roux amplifient la posture du Christ, placé à gauche dans la première case et à droite dans la dernière.



Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre angelots
Ces deux angelots ne sont pas tout à fait symétriques :

  • celui de gauche, situé sous la date et la portion de texte qui demande pitié pour Gaillard Roux, porte des ailes et une petite mallette frappée des initiales GR ;
  • celui de droite est un simple putti tenant les armes des deux mains, avec des « cuirs » en substitut d’ailes.

Pour ceux qui s’intéressaient aux détails, il était clair que l’angelot de gauche, avec son sac de voyage siglé, n’était autre que l’âme du bon chanoine attendant juste derrière le Christ…

Albrecht_Duerer_-_Christ_in_Limbo_from_The_Small_Passion_ca_1509Le Christ aux limbes, Dürer, vers 1506, Petite Passion

…là même où Dürer place les âmes déjà libérées de la Mort.


La Porte de la Mort

1500px-Rodez,cathédrale,intérieur46,chapelle_St_Sépulcre07
La position du Christ à gauche est de loin la plus courante. La porte des Limbes, à droite, était dans les représentations médiévales une gueule d’Enfer ; à la Renaissance, on la remplace souvent par un caverne (en Italie) ou par une porte dans un rempart (dans les pays du Nord). La présence d’une tour est extrêmement originale [34], tout comme la masse informe qui l’enserre.



1500px-Rodez,cathédrale,intérieur46,chapelle_St_Sépulcre07 detail demon
Ceux qui l’on remarquée y voient des flammes s’échappant de l’Enfer. En fait, les flammes sont pratiquement absentes des représentations du Christ aux Limbes et les deux textures, fourrure sur les membres et pustules sur le ventre, montrent qu’il s’agissait d’un démon : peut-être à tête de bouc (on voit la trace d’une corne en spirale juste au dessus de l’oreille), il se rejetait en arrière, terrorisé par le Christ [29].



Retable de l'Assomption Boussac detail
On notera que le panneau de Boussac, qui recopie celui de Rodez, montre également une tour et un démon (avec une petite tête de mort en guise de cache-sexe). En contraste avec cette Porte du Purgatoire, le sculpteur de Boussac a rajouté naïvement, dans le dos du Christ, l’entrée de l’Enfer représentée à l’ancienne, sous forme d’une gueule béante.

Mais le détail le plus notable dans la composition (à Rodez puis à Boussac) est que le Christ tend la main gauche pour extraire le Juste, contrairement au geste naturel (voir Dürer).


La_descente_de_Jésus-Christ_aux_limbres Schongauer_MartinSchongauer, vers 1480 Canavisio 1492 La_Brigue_-_Chapelle_Notre-Dame-des-Fontaines_-_Nef_-_Fresques_de_la_Passion_du_Christ LimbesCanavisio, 1492, Chapelle Notre-Dame des Fontaines, La Brigue

Le Christ aux limbes 

La composition qui s’en rapproche le plus est celle de Schongauer, qui vise à mettre en valeur l’étendard du Christ victorieux, antithèse du débris de porte que brandit vainement le démon. Il est donc probable que le bras droit manquant du Christ, à Rodez, tenait là encore un étendard (sinon, pourquoi avoir inversé le geste naturel ?).


Le Noli me tangere

Rodez,cathédrale,intérieur47,chapelle_St_Sépulcre08
Dans les plus anciennes représentations du thème, la Madeleine est à gauche : à la fois pour satisfaire la « convention du visionnaire » et pour permettre au Christ de s’échapper vers la droite, prolongeant le mouvement de la lecture. Mais au début du XVème siècle, la composition inversée est devenu tout aussi courante.

Elle a probablement été choisie ici pour faire écho à la position des mêmes personnages dans la Mise au Tombeau juste en dessous : la tête du Christ à gauche et la Madeleine à droite. L’autre avantage était d’éviter toute redondance avec le troisième tableau.


L’incrédulité de Thomas

Rodez,cathédrale,intérieur48,chapelle_St_Sépulcre09
La position de Thomas à genoux à gauche est de loin la plus courante (c’est celle qui figure dans les gravures de la Biblia Pauperum) : elle exprime l’approche respectueuse de Thomas vers le Christ, qui l’attend de pied ferme, son étendard dans la main gauche. Il faut donc, là encore, rajouter un étendard manquant.


Une architecture triomphale

Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre registre AB schema

Pavoisé de ces trois oriflammes qui renforcent la cohérence des scènes et l’effet de symétrie, le haut du retable devait avoir fière allure : l’étendard que j’ai rajouté au centre vient de la fresque de Mantegna, celui de gauche de la gravure de Schongauer et celui de droite d’un polyptique du même Schongauer qui, pour les deux dernières scènes, a préféré la composition redondante :

Schongauer Retable des Dominicains, Musée Unterlinden de Colmar, photographie Jean Yves Cordier lavieb-aile.comRetable des Dominicains (détail)
Schongauer, Musée Unterlinden, Colmar, photographie Jean Yves Cordier, lavieb-aile.com.


Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre arc de triomphe
L’inscription solennelle, les deux « héraults » d’armes, les trois scènes victorieuses et l’arcade en berceau donnent à cette partie du monument une allure d’arc de triomphe. D’autant plus que, sous la corniche du bas, apparaît un motif décoratif très original.


Blois couronnement escalier françois premier
Couronnement de l’escalier François Premier,1517-19, Château de Blois

Jacques Bousquet ( [35], p 255) a remarqué que ces « denticules arrondis » apparaissent en haut de l’escalier de Blois, terminé avant 1519 selon la nouvelle chronologie [36]. S’il ne s’agit pas d’une réinvention locale, il y a donc eu une transmission particulièrement rapide du motif, depuis la Loire jusqu’en Rouergue.

Ces denticules s’ajoutent à l’idée d’une architecture triomphale hérissée de drapeaux, puisqu’ils transposent manifestement les machicoulis médiévaux.


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Le registre de transition

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Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre registre C
Ce registre sert de transition entre la partie Arc de Triomphe (du Christ et de Gaillard Roux) et la partie Sépulcre, d’où sont bannis les ornements personnels du prélat.

Le premier plan est un feu d’artifice monomaniaque : sous une frise de roses, une couronne de roses, d’où jaillissent deux cornes d’abondance, entoure le blason aux trois étoiles et aux cinq roses. Deux immenses lettres G et R se cachent peu discrètement dans les grotesques, et l’intrados de l’arc s’orne de cent roses serties dans une maille d’étoiles.

L’arrière-plan, en revanche, est purement sacré, avec trois angelots portant des instruments de la Passion :

  • le roseau avec l’éponge, et la coupe ;
  • la croix ;
  • la lance et la couronne d’épines.

Cette couronne fait double emploi avec celle que tient Saint Jean dans la Mise au Tombeau. Elsa Karsallah ( [37], p 300) attribue cette insistance au fait que la cathédrale conservait un reliquaire de la sainte Epine. En fait, la redondance de la couronne s’observe dans plusieurs des Mises au Tombeau scénographiées que nous avons vues (voir 2 Les Mises au Tombeau scénographiées), et tient simplement à la différence de statut des objets selon le registre auxquels ils appartiennent : réalistes sur terre et magnifiés au Ciel.

Ce qui mérite explication, en revanche, est l’inversion délibérée des attributs par rapport à leur place conventionnelle dans la Crucifixion : la lance est toujours à gauche de la croix (du côté de la plaie) et le roseau à droite. Inversion d’autant plus étrange qu’elle éloigne diamétralement les deux couronnes d’épines, alors qu’on aurait mieux compris que la couronne céleste se place à l’aplomb de la couronne terrestre. Nous reviendrons plus loin sur cette anomalie, qui ne pouvait manquer d’intriguer les spectateurs de l’époque.


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Le registre sépulcral

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Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre registre D
Je n’ai rien a ajouter sur cette Mise au Tombeau magistrale et abondamment commentée : elle est du type méridional, avec Marie au centre entre les deux Saintes Femmes, l’une qui pose ses mains sur son bras droit et l’autre qui soutient son bras gauche, dans une sorte de contraposto parfaitement équilibré. Les tailles des sept personnages sont calculées pour épouser, de manière adoucie, l’arc en anse de panier.

Il importe en revanche de détailler ce dont on ne parle jamais : les deux niches vides latérales.



Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre niches
La juxtaposition rend manifeste l’effet de magnificence produit par la variété des motifs. Les denticules arrondis sont à gauche presque masqués par la parchemin de l’inscription, et apparents à droite. Le culot de gauche est constellé d‘étoiles mais celui de droite, où l’on attendrait logiquement des roses, est décoré de flammes (qui s’expliqueront plus loin). Le candélabre de gauche porte les lettres S et F, celui de droite S et P, plus deux clés entreroisées.

Il est regrettable qu’on continue à propager l’opinion de Bion de Marlavagne, qui y voyait Saint Paul et Saint Pierre, ignorant les initiales et contredisant l’iconographie : en tant que que chef des Apôtres, Pierre vient toujours en premier (sauf cas très particulier de la traditio legis voir 2 Epoque paléochrétienne).

Déjà mentionnée au Congrès archéologique de 1937, la bonne solution a été explicitée par Gilbert Bou [21], en se basant sur les initiales mais aussi sur les deux inscriptions : quoique présentant la même typographie imbriquée que l’inscription principale, elles sont très faciles à lire.


Saint François

Car je porte sur mon corps les stigmates du seigneur Jésus

St Paul, Epitre aux Galates

Ego enim Stigmata Domini Iesu in corpore meo porto

C’est peut être le fait que le texte soit de Saint Paul qui explique l’erreur de Bion de Marlavagne : mais le mot stigmates, comme le remarque G.Bou, renvoie sans ambiguïté à Saint François.



Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre lettre F
Raffinement supplémentaire : les deux lettres S et F sont tenues par une cordelière franciscaine, qui fait un pendant discret aux clés sur l’autre pilastre.


Saint Francois eglise de gargilesseEglise de Gargilesse St Francois 16eme s eglise de BelpechEglise de Belpech

Saint Francois, XVIème siècle

En écho au Christ ressuscitant, la statue suivait possiblement cette formule, où le Saint met en avant les stigmates de ses paumes.



1500-20 -chapelle-du-saint-sepulcre-eglise-saint-saturnin-a-belpech
Le cas de l’église de Belpech est particulièrement intéressant, puisque la statue de Saint François y flanque une Mise au Tombeau, en regard d’un autre saint traditionnellement identifié comme Saint Joseph (sans doute à cause de sa position derrière Joseph d’Arimathie). L’association entre Saint François et le sépulcre trouve peut être sa source dans le rôle des franciscains pour la promotion des Lieux Saints. Même si la raison précise nous échappe dans le cas de Belpech, cet exemple montre qu’il n’était pas choquant d’apparier un saint moderne avec un saint biblique.


Saint Pierre

Car la statue de droite, à Rodez, était celle de Saint Pierre, comme l’indiquent clairement les initiales, les clés, et l’inscription :

Porte-enseigne des apôtres,
Pierre, prince de ceux-ci,
Dissous mes péchés
Par le pouvoir à toi donné.

Signifer apostolorum,
Petre, princeps ceterorum,
Dilue mea peccata
Potestate tibi data.

Ce texte est tiré de la Litanie de tous les Saints (Litania Omnium Sanctorum [38] ) : il résume Saint Pierre en deux points : la primauté sur les Apôtres et le pouvoir d’Absolution.


Un appariement théologique

La place de Saint Pierre, en seconde position, loin de la tête du Christ allongé et de la nef, peut étonner, d’autant plus qu’on le proclame le Prince des Apôtres. On chercherait vainement un lien entre saint François et Joseph d’Arimathie d’une part, saint Pierre et Nicodème de l’autre. Si les deux saints ne prolongent pas horizontalement la Mise au Tombeau, c’est que leur raison d’être est ailleurs : pourquoi pas dans le registre supérieur ?

Puisque l’inscription de Saint François insiste sur les stigmates, il est opportun de se reporter au texte racontant comment ceux-ci sont apparus :

« Il priait en ces termes: « Mon Seigneur Jésus-Christ, je te prie de m’accorder deux grâces avant que je meure: la première est que, durant ma vie, je sente dans mon âme et dans mon corps, autant qu’il est possible, cette douleur que toi, ô doux Jésus, tu as endurée à l’heure de ta très cruelle Passion; la seconde est que je sente dans mon coeur, autant qu’il est possible, cet amour sans mesure dont toi, Fils de Dieu, tu étais embrasé et qui te conduisait à endurer volontiers une telle Passion pour nous pécheurs.» » [39]

Ainsi la stigmatisation résulte d’une double identification avec la douleur et l’amour, autrement dit, dans les deux sens du terme, avec la Passion du Christ. Un peu plus loin dans le texte, celui-ci apparaît à François et lui parle :

« Sais-tu, dit le Christ, ce que j’ai fait ? Je t’ai donné les stigmates qui sont les marques de ma Passion, pour que tu sois mon gonfalonier. Et comme au jour de ma mort je suis descendu dans les Limbes et que j’en ai tiré toutes les âmes que j’y ai trouvées, par la vertu de mes Stigmates, de même je t’accorde que chaque année, au jour de ta mort, tu ailles au purgatoire, et que toutes les âmes de tes trois Ordres, c’est-à-dire des Mineurs, des Soeurs et des Continents, et aussi des autres qui t’auront été très dévots, que tu y trouveras, tu les en tires, par la vertu de tes Stigmates, et les conduises à la gloire du paradis, pour que tu me sois conforme dans la mort, comme tu l’es dans la vie. » [39]

Ce texte révèle la liaison méconnue, mais très intime, entre la stigmatisation et la Descente aux Limbes, qui justifie amplement la présence de François du côté gauche du retable. Par ailleurs, son rôle quasiment militaire de « gonfalonier » du Christ en fait un personnage aussi éminent que celui de Pierre « porte-enseigne » du Christ.

Il n’est guère plus difficile d’établir le lien, côté droit, entre Saint Pierre et la scène de l’Incrédulité de Thomas, juste au dessus. L’inscription insiste en effet sur le pouvoir d’absolution de Pierre. Celui-ci lui avait été conféré une première fois du vivant du Christ :

« Je te donnerai les clefs du royaume des cieux: ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux.» (Mt 16, 19)

Le Christ l’étend ensuite aux autre apôtres lors de sa première apparition, le Dimanche soir :

“Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur seront remis, et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus.” (Jean 20,28)

Ces textes expliquent les deux motifs sous la statue : les clés (qui symbolisent le pouvoir de lier et de délier) et les flammes, qui évoquent l’Esprit-Saint.

Thomas n’étant pas présent, c’est lors de la seconde apparition, une semaine plus tard, que celui-ci recevra le même pouvoir. L’histoire bien connue de l’Incrédulité de Thomas (voir 2 Thomas dans le texte) est donc indissociable de celle, moins connue, du Pouvoir d’absolution.

Théologiquement, on peut dire que la partie gauche du retable se rapporte à la Passion et la droite au Pardon.

Le cinquième et dernier registre va confirmer cette lecture.


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L’autel de Gaillard Roux

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Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre registre E

En avant du sarcophage, l‘autel de Gaillard Roux redevient monomaniaque : alternance de roses et d’étoiles sur le biseau de la table, blason entouré d’une couronne à laquelle sont rattachées deux roses, par les rubans qui serpentent entre les lettres G et R . Il est clair que Gaillard Roux « rubanise » la cordelière, reliant elle-aussi des roses, de son évêque François d’Estaing :


Armoiries de François d'Estaing Stalles eglise st Geraud Salles-Curan (c) RMN-GPArmoiries de François d’Estaing, Stalles de l’église St Géraud, Salles-Curan (c) RMN-GP

« François d’Estaing entourait ses armes du cordon de son saint patron pour annoncer qu’il voulait être dans les chaînes et captif de Jésus-Christ » ( [40], p 374).

A remarquer, à gauche, la devise cryptique de François d’Estaing, et notamment l’entrecroisement des deux V qui rappelle le VIVA de l’inscription du retable :

« ADUIVA ME DO(min)E ET SALVVS ERO »

De plus, quoique n’étant pas franciscain, ce pieux évêque

« avait pris le cordon et la robe grise, et il aimait paraître en public revêtu de ce saint habit«  ([40], p 244).

Les ruthénois n’auraient pas été surpris de reconnaître leur évêque statufié en Saint François, puisqu’il était représenté sous cet habit dans un vitrail, aujourd’hui disparu, de l’église de Ceignac [41].



Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre bas politique
Il est donc clair que le bas du retable obéit à une logique hiérarchique, où la messe du chanoine s’inscrit sous les deux figures sanctifiés de l’évêque, autorité immédiate et du pape, autorité lointaine.

Par la suite, le chapitre adoptera cette chapelle pour certaines de ses assemblées, notamment une en 1534 ou, après avoir délibéré sur deux miracles attribués à François d’Estaing et survenus le même jour, le chapitre charge Gaillard Roux « d’informer la dessus le Seigneur Evêque et son conseil » ([42], p 532) . On voit par là que le chanoine, du fait de son âge avancé et de son amitié bien connue avec le défunt évêque, était jugé le mieux à même de plaider sa cause de béatification auprès de son successeur (Georges d’Armagnac).  Dix ans après son édification et cinq ans après la mort de François d’Estaing, la chapelle n’était plus celle de Gaillard Roux, ni celle du chapitre, mais aussi celle du bienheureux François.

Reste le point le plus délicat à expliquer, puisqu’il fait le lien entre le sarcophage du Christ et l’autel du chanoine : les trois médaillons allégoriques qui crèvent les yeux au centre du retable, mais qui n’ont guère retenu l’attention.


Les trois médaillons

Forsith ([0], p 9) s’est posé la question de savoir si les structures ternaires qui apparaissent non seulement à Rodez (au portail Sud et dans la chapelle Gaillard Roux) mais dans d’autres Mises au tombeau, n’étaient pas une évocation des trois oculus percés dans une plaque de marbre qui, à Jérusalem, permettaient aux pèlerins d’observer le rocher sur lequel le corps du Christ avait été déposé. Dans le cas des trois médaillons de Gaillard Roux, comme dans celui des trois couronnes de Folleville/Joigny, il conclut que c’est plutôt l’imitation de l’antique qui prime.



Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre bas sibylles
Toujours perspicace, Gilbert Bou [21] a reconnu dans ces femmes sur fond de muraille trois des sibylles qui figurent sur la paroi interne de la clôture :

« L’une tient un fouet symbole de la flagellation, c’est la sibylle Agrippa.
L’autre, Européenne, une épée nue à la main, prophétise le massacre des innocents.
Entre les deux, la sibylle phrygienne, enveloppée dans un grand manteau, porte une croix avec bannière, symbole de la résurrection. »

Bou n’a pas expliqué la raison de cette sélection de trois sybilles douloureuses parmi les six, à un endroit aussi stratégique vis à vis de la structure d’ensemble, et aussi évidement biographique : car les médaillons sont quadruplement estampillés Gaillard Roux, par le G, le R, la rose et l’étoile.

Par ailleurs, la sibylle Europe, dont l’épée prophétise le Massacre des Innocents, tient manifestement non pas une épée, mais une pointe de lance [42a].


1522 Saint-Michel-de-Veisse_chapelle_la_Borne_choeur_vitrail arbre de JesseVitrail de l’Arbre de Jessé (partie supérieure)
1522, chapelle de la Borne, Saint Michel de Veisse

Je n’ai trouvé qu’un seul autre cas, tout à fait contemporain, où la sybille Europe tient à main nue une pointe de lance : mais il s’agissait probablement de pallier le manque de place.

A Rodez en revanche, cette substitution est délibérée, comme si la sibylle Europe avait prédit le coup de lance fatal (qui n’est en définitive que le Massacre des Innocents différé).


Une prédelle synthétique

Une première justification des trois médaillons est tout simplement la chronologie de la Passion : Flagellation, Crucifixion (la croix de la bannière) et Mort (la lance).

Mais leur appropriation par le chanoine leur donne une valeur plus forte : celle d’une sorte de condensé de l’ensemble de sa « structura », en permanence sous ses yeux lorsqu’il célébrait son Office.



Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre schema bas

Formellement, les trois sibylles font écho aux trois Maries groupées au centre de la Mise au Tombeau (contours blancs). Mais leurs attributs renvoient aux Arma Christi qui les surplombent :

  • à gauche (flèches vertes) le fouet évoque le moment particulier de la Passion où le Christ est flagellé et coiffé de la couronne d’épines ; mais l’idée de Passion est portée également par la coupe de l’angelot. Car il ne s’agit pas ici du récipient à vinaigre souvent associé au roseau, mais de la coupe qui apparaît au Christ lorsqu’il anticipe sa Passion, au Jardin des Oliviers :
    « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe » Luc 22,42
  • au centre (flèche jaune), la croix rouge de l’étendard annonce la croix vide portée par l’angelot et, au delà, la bannière de la Résurrection ;
  • à droite (flèche bleue), la lance explique l’inversion anormale lance/roseau dont nous nous étions étonné.

Placer la lance à droite avait un autre avantage (flèche violette) : évoquer tout au dessus Saint Thomas , dont elle est l’attribut le plus courant – à la fois parce qu’il a mis son index dans la plaie du flanc, mais aussi parce qu’elle est l’instrument de son martyre.

Un même rapport hagiographique lie Saint Jean à son attribut, la coupe de poison ( figurée habituellement avec des serpents).


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Une cohérence d’ensemble

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Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre grille

Ce schéma récapitule les cinq registres que nous avons décrits isolément (lignes blanches pleines), et rappelle ce qui est évident : la lecture horizontale des trois panneaux A B et C, disposés dans l’ordre chronologique.


Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre schema
Une lecture thématique s’y superpose, dès lors que l’on met en relation les détails des différents registres :

  • à gauche le thème doloriste de la Passion (en vert) ;
  • au centre celui de la Résurrection (en jaune), qui s’épanouit en haut dans les trois étendards ;
  • à droite le thème consolant du Pardon (en bleu).

S’y ajoutent certains rapports purement « hagiographiques » (en violet) :

  • la stigmatisation de saint François conduit à la Descente aux enfers ;
  • Saint Jean est surplombé par la coupe ;
  • la lance remonte jusqu’à saint Thomas.

Lire le retable de gauche à droite, c’est à la fois respecter la chronologie des événements après la Résurrection mais aussi parcourir une chaîne de conséquence : la Passion a pour conséquence la Résurrection, laquelle a pour conséquence le Pardon.

On comprend la satisfaction de Gaillard Roux d’avoir « fabriqué cette oeuvre honorable » qui développe, autour de la formule très codifiée de la Mise au tombeau, une scénographie aussi originale que théologiquement impeccable.


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Le pilastre biographique

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Un passé tumultueux ?

Du début de l’inscription « aies pitié de Gaillard Roux » on a déduit que la chapelle avait été édifiée dans une but essentiellement expiatoire, Gaillard Roux ayant de nombreux péchés à se faire pardonner : à preuve, il avait été arrêté et mis en prison par l’évêque François d’Estaing, en raison de sa vie dissolue.

Cette interprétation paraît en définitive assez réductrice, pour peu que l’on veuille bien lire l’inscription jusqu’au bout, et replacer l’édification du retable dans son contexte historique.


Gaillard Roux et François d’Estaing

En 1501, Gaillard Roux, qui n’était alors que diacre, fait partie des seize chanoines qui élisent à l’unanimité François d’Estaing comme évêque de Rodez, à l’issue d’un processus électoral minutieux, mais qui fera l’objet de diverses contestations jusqu’en 1504. De 1505 à 1510, François d’Estaing est absent de Rodez, occupant diverses charges dans le Comtat venaissin, et jouant un rôle de conseiller auprès de Louis XII. C’est seulement sous le règne de François I, à partir de 1515, qu’il se consacre à plein temps à son diocèse.

L’épisode du bref emprisonnement de Gaillard Roux se situe donc dans le contexte où, de retour à Rodez, François d’Estaing entreprend une remise en ordre générale, dans la ligne des conciles gallicans de Tours et de Pise auxquels il avait assisté. Les frictions avec le chapitre commencent dès février 1513, lorsque les chanoines se vexent de n’avoir pas été consultés lors du statut promulgué par l’évêque contre les joueurs et le basphémateurs ( [42], p 243). Puis elles vont croissant jusqu’au 13 janvier 1514 où la moitié des chanoines, refusent officiellement de se plier au nouveau règlement du chapitre imposé par l’évêque. La crise culmine le 15 février où Gaillard Roux, sans doute un des plus jeunes et des plus remuants des dissidents, est arrêté, interrogé par l’officialité, et enfermé dans la tour de l’Evéché, sous les accusation de s’adonner au jeu, au blasphème et à la débauche ([42], p 251) : accusations peut être fondées mais qui semblent surtout, un an après les premières contestations concernant exactement les mêmes infractions, une réponse du berger à la bergère. Gaillard Roux est libéré sous caution après 15 jours de prison seulement et les chanoines viennent progressivement à récipiscence, jusqu’à l’arrêt du 12 septembre 1515 du parlement de Toulouse qui les déboute définitivement. Si Gaillard Roux avait quelque chose à expier, c’est moins une vie supposément dissolue que sa tentative de dissidence.

Après la réforme du chapitre, puis du clergé séculier, la poigne de François d’Estaing va s’abattre sur le clergé régulier, en particulier l’abbé de Conques qui prétendait être exempt de l’autorité de l’Evêque. En décembre 1516 se situe un épisode scandaleux où François d’Estaing se rend en personne à Conques pour affirmer son autorité, accompagné de Gaillard Roux qui était alors totalement reconcilié avec lui, puisqu’il l’accompagnait, dans cette tentative risquée de remise au pas, en qualité de « commissaire », autrement dit de procureur. Par les minutes des différentes procédures qui s’ensuivirent, on connaît tous les détails de cet épisode haut en couleur. Le samedi 20 décembre 1516, alors que l’évêque était entré pour prier dans le choeur réservé aux moines, il se fait molester et expulser par une douzaine d’entre eux, suivis de loin par l’abbé. Celui-ci revient sur la place, où tenait séance Gaillard Roux, et lui met son poing sous le visage :

« Vous êtes un gentil commissaire, qui pendant que me retenez ici, avez permis que Monseigneur de Rodez soit entré dans mon église et ait violé icelle… Je vous dis que vous n’êtes qu’un traitre, faussaire et abuseur. »

Sur quoi les moines surenchérissent :

« Vous êtes un gentil commissaire, que cependant que vous tenez ici votre audience, avez permis que l’Evêque de Rodez ait violé notre église, car l’auriez trouvé dans le choeur d’icelle entre les deux chaires qu’il semblait un singe, feignant de prier Dieu » ([42], p 306 ).

L’affaire se conclut par la victoire totale de l’évêque, le mardi matin, suite à une excommunication express.


La fin de la construction de la cathédrale

Au début de son épiscopat, en 1501, François d’Estaing relance le chantier de la cathédrale, interrompu depuis quelques années, et fait édifier les dernières travées qui manquaient à la nef. Côté Sud, la troisième chapelle renferme un grand retable du Christ au Jardin des Oliviers, que M.Desachy attribue au chanoine Helion Jouffroy, du fait de ses analogies avec le retable de son oratoire privé (utilisation de tuf). Possédant déjà une Mise au Tombeau chez lui, on conçoit que le chanoine ait choisi pour la cathédrale d’illustrer un autre thème.

La succession topographique et chronologique (Le Jardin des Oliviers pour la troisième chapelle, le Sépulcre pour la quatrième) montre que les deux commanditaires ne se livraient pas seulement à une compétition ostentatoire, mais mettaient leur fortune au service d’un programme d’embellissement cohérent, voulu et approuvé par l’évêque. C’est dans un second temps que celui-ci lancera un programme en son nom propre, avec la clôture du choeur (aujourd’hui déplacée et partiellement perdue [43] ).

La surabondance ostensible des sigles Gaillard Roux masque donc, pour éviter tout triomphalisme, la glorification de l’évêque, que chacun pouvait reconnaître dans la statue de Saint Francois. Après la triple remise au pas du chapitre, des prêtres et des moines, la Résurrection ici célébrée est aussi celle du diocèse, comme le sous-entend la fin de l’inscription :

« Pardonne ses péchés (de Gaillard Roux), et les machinations du monde entier (contre François d’Estaing). »


De possibles clin d’oeil

Il est toujours périlleux de prétendre retrouver, dans les oeuvres du passé, les allusions qu’auraient pu y glisser les contemporains. Mais on ne peut s’empêcher de constater que le pilastre de gauche, qui conduit l’oeil de la statue de saint François, en bas, à l’angelot que nous avons interprété comme l’âme de Gaillard Roux juste extraite du Purgatoire, puis à la mention « GUALHARDI MISERERE RUFFY », puis à la date, concentre tous les détails biographiques. A l’époque où le retable a été conçu, le scandale de Conques était encore frais, et toute personne un peu lettrée qui faisait le lien entre le fouet de la Sybille, la couronne d’épines de saint Jean et les stigmates de Saint François, ne pouvait manquer de se remémorer la « petite Passion » de François d’Estaing, que le père Beau décrit encore, un siècle plus tard, en des termes quasi-évangéliques ( [44], p 157) :

« Et non contens de ces paroles insolentes, les uns le prirent par les bras, les autres par le fort du corps; les autres par le camail, & le rochet, & commencent à le trainer avec tant de violence, que son bonnet tomba à terre, ses sandales d’Eveque se devétirent, & roulèrent dans la foule; une partie de ses habits se retrouvèrent déchirés, & en désordre. Quelques-uns même porterent leurs mains sacrileges sur son visage, & sur une teste consacrée aux plus augustes fonctions de la vie Apostolique. A tous ces excés qui font fremir mon cœur, trembler ma main, & chanceller ma plume; ce Saint & debonnaire Seigneur, n’opposa autre defense que les mains jointes… »

Beau passe sous silence l’insulte d’une particulière gravité, puisque pour leur défense les moines prétendirent ne jamais l’avoir prononcée :

Ils ne l’appelèrent point singe ni hypocrite car, ajoute le mémoire avec une assurance invraisemblable et risible « ne scavent ce que veult dire cynge«  ( [42], p 308).


Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre pilastre Passion 1
Il se trouve que le « pilastre de la Passion » porte, de part et d’autre de la statue de saint François, deux ornements qui n’apparaissent nulle part ailleurs :

  • bien en lumière, du côté de la Mise au tombeau, un épi de blé ;
  • dans l’ombre du pilier, une corne d’abondance dont un singe goûte les fruits.

Comme si ces deux symboles venaient remercier le Saint Evêque de la prospérité retrouvée, tout en le le vengeant de l’injure subie.


Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre bourse
Tout à côté, la bourse particulièrement cossue de Joseph d’Arimathie vient opportunément rappeler les frais engagés par le chanoine.


Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre singe chapelet Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre motif chapelet

Et dans l’orfroi du manteau, ce qui semble bien être un autre minuscule singe, suspendu par les pattes arrière entre deux roses, crache deux chapelets, comme expliqué en grand, juste à côté, sur la tranche du pilastre. Ce motif, qui ne se retrouve nulle part ailleurs dans les nombreux candélabres de la Cathédrale, semble donc poursuivre le « private joke ».




Tout en bas du pilastre biographique, sur la face obscure, le sphinx à tête de bouc qui porte sur sa poitrine le blason à la rose a mainte fois été interprété comme un portrait de Gaillard Roux. On notera qu’il fonctionne en couple avec une tête angélique insultée par une oie. Dans ce motif jumelé, on pourra reconnaître, au choix :

  • la figure biface de Gaillard Roux, passé du bouc à l’ange ;
  • l’amitié entre le chanoine, mi-homme mi bête, et son angélique évêque.


Mise au tombeau 1523 Rodez Retable-de-la-chapelle-du-Saint-Sepulcre motif targe
Ce que regarde cette tête, sur la face avant du pilastre, est un targe à six pointes entouré d’une couronne de lauriers, le même qu’on retrouve agrandi tout en haut du retable.

Ce motif, courant à la Renaissance, place sous le même symbole triomphal la grande victoire du Christ sur la Mort, et la petit victoire du chanoine sur la sienne.


En aparté : toucher la chair du Christ

La question du contact avec la chair du Christ et la fascination pour les plissés sont deux points que la technicité croissante des sculpteurs fait passer au premier plan, en ce début du XVIème siècle.


Pieta 16eme siecle carcenac salmiech detail servietteVierge de Pitié, début 16ème, Carcenac-Salmiech

Ainsi le sculpteur de cette Piéta (auparavant à l’église des Cordeliers de Rodez [45a] ) fait étalage d’une grande ingéniosité pour faire serpenter le linceul :

  • en partant de l’épaule de Saint Jean – dont l’encolure porte le début de son prologue, IN PRIN (cipio) ;
  • en évitant le contact entre sa main droite et l’épaule du Christ ;
  • en passant sous le perizonium de celui-ci,
  • puis sous le manteau de la Vierge ;
  • puis sous la serviette de Marie-Madeleine (en rose).



Pieta 16eme siecle carcenac salmiech detail serviette
Celle-ci remonte entre les deux jambes jusqu’à la main droite de la sainte, puis évite le contact entre sa main gauche et le pied, en rebroussant chemin pour finir sous la jambe droite du Christ. Il faut comprendre que Marie-Madeleine a laissé retomber cette jambe droite, et soulève maintenant le pied gauche, en repliant sa serviette pour se garder de le toucher.

Totalement réaliste du point de vue des plissés et totalement anti-naturel du point de vue des postures, ce linceul-serviette propose au regard, en partant de PRIN(cipio), un parcours complet du corps du Christ, entre tête et pieds, entre Jean et Marie-Madeleine, unis dans le même respect envers la chair sacrée du Christ.



Pieta 16eme siecle carcenac salmiech detail main
Au centre, la Vierge, seule à toucher directement cette main perforée qui est aussi sa propre chair, est magnifiée dans sa douleur. A noter l’invention remarquable des deux pouces en contact.




Une réplique : la chapelle castrale de Roquelaure et ses anges

Les Mises au Tombeau ont été un sujet très populaire en Rouergue au XVème et XVIème siècle [44a] mais, faute de textes, leur chronologie est très incertaine. Le premier grand exemple de Rodez (au portail Sud de la cathédrale, terminé vers 1460) a nécessairement dû servir de modèle, mais sa disparition quasi complète rend impossible d’évaluer son influence. Le retable de Gaillard Roux, en revanche, a clairement influencé deux autres Mises au Tombeau locales, à Roquelaure et Ceignac [45].

Roquelaure lassouts ensembleChapelle de Roquelaure (ensemble)

La Mise au Tombeau est restée en place dans sa niche axiale, enchâssée dans un retable XVIIIème.



Roquelaure Lassouts Mise au tombeau complet
La volonté de symétrie est beaucoup plus sensible qu’à Rodez :

  • du fait que les Trois Maries sont vêtues identiquement ;
  • de par la boîte à onguents de Marie-Madeleine, qui équilibre la couronne de Saint Jean.

Tandis qu’à Rodez il la tenait à mains nue, ici il la tient dans sa manche, en contraste avec Marie Madeleine dont on voit encore la main droite nue posée sur le couvercle de la boîte.

C’est également à main nue que les anges tiennent les Arma Christi, sauf celui du centre : il est donc probable qu’il présentait, avec respect, un autre objet sacré ayant pénétré le corps du Christ, et qui ne peut être ici que les trois clous.

On avait ainsi une symétrie complète pour les trois anges centraux, dans l’ordre chronologique de la Crucifixion : le marteau (avant), les clous (pendant), les tenailles (après).

L’ange aux tenailles pleure parce que le Christ est mort : ce motif rarissime ne se retrouve qu’à Solesmes, également chez l’ange de droite, mais pour un autre motif : il tient la bourse de Judas et déplore sa trahison.


Roquelaure Lassouts Mise au tombeau ange vole Ph L.Balsan (c) Société des Lettres Scieneces et Arts de l'AveyronPhoto Louis Balsan (c) Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron

L’ange de la paroi de gauche (volé en 1976) présentait la colonne de la Flagellation, derrière la Couronne de Saint Jean. L’ange de la paroi de droite a disparu sans laisser de trace, mais la logique chronologique voudrait qu’il ait tenu la lance.

Ainsi les cinq anges de Roquelaure reproduisaient probablement la même succession  (Flagellation, Crucifixion, Mort) que les trois sibylles de Gaillard Roux [45b].


En aparté : les anges en vol dans le sépulcre

Ce motif rare n’a pas donné lieu à une formule bien définie : le nombre d’anges et les instruments sont variables.


Rodez 1400-50 cathédrale,Mise_au_TombeauMise au tombeau
Choeur, Cathédrale de Rodez, 1430-1450

La plus ancienne occurrence se trouve à Rodez, dans les six anges de cette Mise au Tombeau très précoce (voir 1 Les Mises au Tombeau : quelques points d’iconographie). Leur logique n’est pas strictement chronologique, mais semble s’organiser autour des deux grands instruments qui se font pendant, dans les angles :

  • autour de la colonne de la Flagellation sont évoqués les autres types de coups subis lors de la Passion : ceux du marteau et celui de la lance – fichée ici dans l’éponge, comme le propose G.Bou ( [46] p 35) ;
  • autour de la croix vide, les tenailles et les clous évoquent l’Après de la Passion, la Déposition.

Ainsi cette forte tradition locale des anges en vol portant les instruments de la Passion relie trois Mises au Tombeau : celle du choeur de la cathédrale, celle de Gaillard Roux et enfin celle de Roquelaure.

En dehors du Rouergue, on n’en trouve que dans quatre autres sépulcres : Bordeaux (1493), Solesmes (1497), Auch (vers 1500),  Belpech (début XVIème). On rencontre aussi des anges volants à Semur en Auxois (vers 1490) et à Biron (vers 1515), mais ils joignent les mains ou portent des blasons. Il se peut néanmoins que de tels anges aient existé ailleurs, leur caractère amovible facilitant leur disparition.




Une autre réplique : la chapelle de Ceignac et son soldat

A quelques kilomètres de Rodez, la Mise au Tombeau de Ceignac est la seule autre de France a être surplombée par une Résurrection, et à présenter plusieurs singularités iconographiques dont il faut dire quelques mots.

Les éléments historiques

Dans son legs du 26 mars 1502, Jean de Banis (de Cerieys) , prêtre, docteur en droit canon, prieur de Ceignac et de Frons, dote la chapelle qu’il souhaite voir édifier dans le cimetière de Ceignac. Cette chapelle a en définitive été rajoutée à un emplacement privilégié dans le choeur de l’église, côté Nord (les armoiries des de Banis, avec un cerf, figurent à la clé de voûte).


Ceignac chapelle saint Sepulcre XXeme sChapelle du Saint Sépulcre, Basilique de Ceignac (état au début du XXème siècle)

La Mise au Tombeau est restée en place, dans une niche qui, comme à Roquelaure, occupe toute la largeur de la chapelle. Jacques Baudoin ( [47], p 201 et 216) la date entre 1502 et 1507 (soit une vingtaine d’années avant celle de Gaillard Roux) ; le Christ ressucité, en saillie en avant du mur, aurait été rajouté dans un second temps, sous l’influence évidente de Rodez [48].

Au XVIIème siècle, on a remanié la chapelle en plaquant un grand retable devant ces vestiges : une frise de saints, en bas, est venu masquer les jambes des porteurs du suaire.



Ceignac chapelle saint Sepulcre etat actuelEtat actuel

En enlevant cette pseudo-prédelle, on a découvert un soldat allongé, encastré dans le tombeau. Dans la présentation actuelle, le retable a été rehaussé de manière à présenter simultanément les deux états.

On aboutit ainsi à une sorte de tératologie iconographique, où, dans le tombeau du Christ, la place est prise par un soldat romain.


amboise eglise saint denis mise au tombeau
Eglise Saint Denis, Amboise

Cette situation n’est pas tout à fait unique : la Mise au Tombeau d’Amboise (généreusement attribuée à Léonard de Vinci) proposait autrefois, au même emplacement, une Madeleine alanguie occupée à sa lecture : cette iconographie aberrante a désormais été corrigée.


Deux Résurrections comparées


Le soldat endormi de Ceignac présente un écu orné d’un cerf : il a donc bien été réalisé pour la chapelle de Banis.



Ceignac chapelle saint Sepulcre comparaison Rodez
Hormis le blason remplaçant la pique, il prend la même pose que le soldat de Rodez, le bras droit probablement replié sous la tête, la jambe gauche en V passant par dessus la droite. Mais le sculpteur n’a pas tenté d’imiter la saillie du pied gauche, particulièrement spectatulaire vu d’en bas.

De même, le Christ a perdu toute son originalité :

  • le pied droit est posé devant le tombeau, et non en suspension ;
  • il bénit de la main droite et brandissait l’étendard de la gauche (on voit bien le poing serré).

En aparté : les soldats dans les Mises au tombeau

Il existe quelques très rares oeuvres combinant la Mise au tombeau avec les soldats endormis de la Résurrection.


Mise au tombeau 1400-25 Pont a Mousson1400-25, Pont-à-Mousson 1433 Mise au tombeau Cathedrale de Freiburg in Brisgau1433, Cathédrale de Freiburg in Brisgau

Il s’agit d’oeuvres précoces, d’influence germanique, et de haut niveau artistique, où les soldats endormis pouvaient être vus non pas comme une anomalie narrative, mais comme l’anticipation de la Résurrection. Dans les rares autres cas français, on fait comprendre leur statut hors-narration en les sculptant différemment :


belpechBelpech 1400-1500 Langeac_ChurchSaintGal_Interior_1stNChapel_EntombmentChristLangeac
  • soit en bas-relief sur le devant du sarcophage (l’exemple le plus ancien serait germanique, à la cathédrale de Mayence, vers 1495) ;


Mise au tombeau 1500-25 Saint Phal aubeSaint Phal

  • soit en miniature (comme c’est parfois le cas pour les donateurs).

Dans tous les autres cas où des soldats en ronde-bosse s’ajoutent en avant de la Mise au tombeau  – à Neufchâteau (1495), à Salers (1495), à Solesmes (1496), à Jarzé (1500-04, disparu), à Auch (1500), à Narbonne (début XVIème), à Chaource (1515), à Ciadoux (vers 1520 ?) et à Chatillon sur Seine (vers 1527) –  ils ne sont jamais endormis ou aveuglés, mais debout, comme une garde d’honneur.



Une reconstitution possible

Puisqu’il est exclu que le soldat endormi de Ceignac ait fait partie de la Mise au Tombeau initiale, il a nécessairement été rajouté sous l’influence de la chapelle Gaillard-Roux, en même temps que le Christ. Il est possible que la formule très spéciale de Rodez, avec le pied du Christ en suspension au dessus du soldat endormi, ait été comprise localement comme le symbole du christianisme vainqueur du paganisme : en conséquence de quoi, à Ceignac, un seul soldat pouvait suffire. Cette intention symbolique se voit aussi dans le détail du linceul retombant sur le bord du tombeau, tandis que qu’un angelot amène au dessus du Christ un tissu bleu : comme si le ciel allait remplacer le suaire.



Ceignac Sepulcre reconstitution
Le plus probable est que la statue du Christ est restée à son emplacement d’origine. Vu le peu de place entre elle et la niche, le soldat venait nécessairement en avant, de manière à ce que le blason des de Banis marque la clé de l’arcade, tout comme celle de la voûte.

Ce dispositif, avec un grand Christ en surplomb au dessus de l’arcade d’entrée, était assez similaire à celui de la chapelle du Saint Sépulcre de Montdidier (voir 2 Les Mises au Tombeau scénographiées).


Pontoise eglise saint maclouMise au Tombeau, vers 1550 et Résurrection (18ème siècle), Cathédrale Saint Maclou, Pontoise 

Un cas similaire s’est produit à Pontoise, où une Résurrection en bois sculpté (y compris trois Saintes Femmes à gauche) est venu, deux siècles plus tard, compléter la Mise au Tombeau Renaissance.



En conclusion : le motif de la Vierge éplorée

La figure de la Vierge éplorée, que Saint Jean soutient au dessus du corps de son Fils dans des poses d’affliction plus ou moins prononcées, est fréquente dans les Mises au Tombeau où les deux sont côté à côte. La formule méridionale, où la Vierge est flanquée par les deux autres Marie, tend au contraire vers des poses hiératiques, excluant les démonstrations de douleur.



Mise au tombeau Marie eploree
Il se trouve qu’à Ceignac comme à Roquelaure, le Vierge esquisse le geste de toucher de la main le corps de son fils, geste interrompu ou carrément contrarié par la sainte femme situées à sa droite. Ce dolorisme retenu ne se retrouve nulle part ailleurs, sinon dans l’oeuvre princeps de la formule méridionale, la Mise au Tombeau d’Avignon attribuée à Jacques Morel.

La datation de la Mise au Tombeau de Ceignac revêt de ce fait une particulière importance :

  • si elle est postérieure à la Chapelle Gaillard Roux, la posture des Trois Maries s’explique simplement comme une variante de l’effet de balance subtil mis au point à Rodez (une des femmes appuyant vers le bas et l’autre vers le haut), et par une simplification des costumes ;
  • si en revanche elle lui est antérieure (comme le propose J.Baudoin), elle témoigne de l’influence lointaine de la formule Morel, où les trois Maries, vêtues de la même manière, se distinguent par la dissymétrie des gestes.

La Mise au Tombeau disparue, celle du portail Sud de la Cathédrale, pourrait alors être le chaînon manquant de cette formule si particulière au Rouergue.


Références :
[0] William H Forsyth « The entombment of Christ : French sculptures of the fifteenth and sixteenth centuries », 1970, https://archive.org/details/entombmentofchri00fors/page/215/mode/1up?q=gaillard
[19] Les armes de Gaillard Roux figurent dans deux verrières de la nef (actuellement au niveau de la 2eme chapelle Sud), mais semblent avoir changé d’emplacement depuis les descriptions du XIXème siècle. Il serait logique que Gaillard Roux ait également commandé des vitraux pour l’intérieur de sa chapelle. Voir Pierre Lançon « Le vitrail médiéval en Rouergue d’après les archives » .Congrès archéololgique de France – Monuments de l’Aveyron p 23 Note 7
[20] « À Paris, «ung oratoire pour chanter messe, paint de la nativité de Nostre Seigneur, de prophètes et sebilles» accompagnait la Mise au tombeau, ainsi qu «une colonne au hault de laquelle sont quelques anneaux de fers à la forme et manière de celle où nostre redempteur fust attaché» et un «tableau qui est sur l autel dud. sepulchre représentant la Résurrection de nostre seigneur». Enfin, à Langres, il y avait dans la chapelle de la Mise au tombeau un «tableau dud. autel qui représente la Résurrection de Notre Seigneur».
Elsa Karsallah « Un substitut original au pèlerinage au Saint-Sépulcre: les Mises au tombeau monumentales du Christ en France (XV e -XVI e siècles) » https://docplayer.fr/50251886-Un-substitut-original-au-pelerinage-au-saint-sepulcre-les-mises-au-tombeau-monumentales-du-christ-en-france-xv-e-xvi-e-siecles-par-elsa-karsallah.html
[21] Gilbert Bou, Un chef d’oeuvre d’art rouergat à la Cathédrale de Rodez, Revue du Rouergue, Avril-Juin 1963, p 173
[22] Clef de voûte, Bulletin des Amis de la Cathédrale de Rodez, N° 10-11, 2019-20
[23] Nancy DIDIER, Structure et ornementation de la chapelle du Saint-Sépulcre de la cathédrale de Rodez. Etudes Aveyronnaises, 1995, p. 55-64.
[24] De la même manière, dans le retable de la chapelle adjacente, le tuf grossier du Jardin des Oliviers jure volontairement avec les dentelures calcaires de l’arcature.
[25] Si une restauration malencontreuse au XIXème siècle reste possible, on comprend mal pourquoi on aurait remplacé le classique poing fermé tenant l’étendard par une insolite main ouverte. La lithographie de Loup (ouvrage de P.Couderc) en 1864 montre un poing fermé gauche fermé et un étendard, mais il peut s’agir de l’imagination du dessinateur.
[26] Ariane Dor, Dominique Faunières. La part des anges : Les anges de la résurrection du retable du Saint-Sépulcre [de cathédrale de Rodez], commentaire et historique des restaurations. Clef de voûte (Rodez), 2018, 9, pp.8-12. https://hal.science/hal-02078352/document
[27] La niche est déjà vide dans la lithographie de Loup (ouvrage de P.Couderc) en 1864. La statue qui figure dans la photographie de 1933 de la photothèque Marburg est une statue en bois visiblement postérieure.
[28] Les quatre Evangélistes parlent de la Résurrection, il n’y a donc pas de raison canonique d’en privilégier deux. Il ne s’agit pas non plus du couple traditionnel Pierre / Paul, car la statue de Saint Pierre figurait déjà au registre inférieur. Il n’y pas de tradition iconographique concernant les saints flanquant une Résurrection : dans les quelques retables ou triptyques de ce type, les saints sont choisis librement, selon les circonstances locales. Il est peu probable qu’il y ait eu des dédicataires antérieurs de la chapelle, commencée vers 1500 et terminée tout récemment (la clé de voûte porte le blason de Gaillard Roux). En tout état de cause, on ne peut que supposer qu’il s’agissait des Saints le chanoine avait choisi pour patrons (il n’existe pas de Saint Gaillard).
[29] Arthémon Garric « L’histoire de Boussac »
[30] Corpus des inscriptions de la France médiévale Aveyron, Lot, Tarn, 1984, p 70 https://www.persee.fr/doc/cifm_0000-0000_1984_cat_9_1
[31] Louis Bion de Marlavagne « Histoire de la cathédrale de Rodez: avec pièces justificatives et de nombreux documents sur les églises et les anciens artistes du Rouergue » p 217 https://books.google.fr/books?id=LIRAAAAAYAAJ&pg=PA217
[32]  Louis Causse, « Nouvelles découvertes à la cathédrale de Rodez », Etudes Aveyronnaises, 1996, p. 53-63.
[33] La question de l’accès à la cathédrale est loin d’être anecdotique : une petite porte située de l’autre côté de la nef, dans la chapelle des Cinq Plaies, et qui permettait à l’évêque d’accéder lui-aussi à l’édifice, avait fait l’objet d’une âpre négociation avec le chapitre, jaloux de ses prérogatives : jusqu’à ce soit trouvée une solution à deux serrures ( [44], p 166 )
[34] Je n’en ai trouvé qu’un seul exemple slovaque de 1496, dans le panneau droit du retable de l’église Saint Jean Baptiste de Kisszeben, aujourd’hui au Musée national de Budapest. https://www.mfab.hu/artworks/christ-in-limbo-panel-from-the-right-stationary-wing-of-the-high-altarpiece-of-the-church-of-saint-john-the-baptist-in-kisszeben-today-sabinov-slovakia/
[35] Jacques Bousquet « Guillaume Philandrier et l’architecture de la Renaissance en Rouergue ». Etudes Aveyronnaises, 1996, p. 225- 301.
[36] Annie Cosperec « L’aile François Ier du château de Blois, une nouvelle chronologie » Bulletin Monumental Année 1993 151-4 pp. 591-603 https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1993_num_15ge de 1_4_3409
[37] Elsa Karsallah “Mises au tombeau du Christ réalisées pour les dignitaires religieux : particularités et fonctions”, dans L’Artiste et le clerc. La commande artistique des grands ecclésiastiques à la fin du Moyen Âge, Joubert F. (dir.), Paris, 2005, p. 283-302.
https://books.google.fr/books?id=rBMfMiLw4EoC&pg=RA10-PT1&dq=rodez+sepulcre+%22gaillard+roux%22&hl=fr&newbks=1&newbks_redir=0&sa=X&ved=2ahUKEwjA2-fQtqqBAxU3TKQEHUwXCwg4ChDoAXoECAcQAg#v=onepage&q=rodez%20sepulcre%20%22gaillard%20roux%22&f=false
[39] Considérations sur les stigmates, Troisième considération, De l’apparition du Séraphin et de l’impression des stigmates à Saint François. https://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Fdassise/stigmates/Stigmates3.html
[40] Louis Bion de Marlavagne « Histoire du bienheureux François d’Estaing, évêque et comte de Rodez, ornée de son portrait » https://books.google.fr/books?id=S4HYlr8ISl4C
[41] « au-dessous se voient les armes de la ville de Rodez de la cité et du bourg d’un côté, et de l’autre l’image du vénérable François d’Estaing, évêque de Rodez, avec son habit de pénitence du tiers-ordre de St.-François, duquel il avoit accoutumé de se servir, même pendant son épiscopat, comme il est remarqué en sa Vie, composée par un père de la Compagnie de Jésus. » Jean Mazeau , « Miracles et merveilles arrivés dans l’église Notre-Dame de Ceignac . Augmenté d’un traité de pèlerinage… » Nouvelle édition, sur copie imprimée de 1660, p 10 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6518710z/f26.item.r
[42] Camille Belmon « Le Bienheureux François d’Estaing, évêque de Rodez 1460-1524 » 1924
[42a] Sur les sibylles et leurs attributs, voir l’article très complet de J-Y Cordier https://www.lavieb-aile.com/2016/09/les-douze-sibylles-de-brennilis.html
[43] Pierre Lançon, Julie Lourgant, « L’ancienne clôture de chœur Renaissance de la cathédrale de Rodez et son modèle en bois », Etudes Aveyronnaises, 2011, p. 21-40.
[44] Jean Baptiste Beau, « Idée excellente de la haute perfection ecclesiastique en l’histoire de la vie et des actions du tres-illustre prelat Francois D’Estaing … Euesque de Rodez », 1656, https://books.google.fr/books?id=LrXeP5rSEQUC
[44a] Pour une synthèse sur ces monuments, y compris ceux qu’on en connaît que par des textes, voir Pierre Lançon, « Une Mise au Tombeau découverte dans l’église de Thérondels au XVIIIe siècle. » Etudes Aveyronnaises, 2007, p. 41-62
[45] Une autre copie en bois, rustique et tardive, réduite à cinq personnages (plus le Christ) se trouve dans l’église d’Anglars, commune de Bertholène. Un socle en granit, très dégradé, avec une Mise au Tombeau de type méridional, se trouve à La Selve.
[45a] Caroline de Barrau, Pierre Lançon, Sophie-Jeanne Vidal, « Le groupe de Pitié de l’église de Carcenac-Salmiech : histoire, art et techniques. » Etudes Aveyronnaises, 2013, p. 213-230.
[45b] Il est très possible que l’ange au marteau ait tenu dans sa manche gauche un autre objet divin : la Coupe amère, pour les mêmes raisons qu’à Rodez.
[46] Gilbert Bou, « La sculpture gothique en Rouergue », 1971

[48] Les documents conservés aux Archives de l’Aveyron (liasse 1 G 353) sont les suivants :

  • Legs de Jean de Banis le 26 mars 1502 (notaire Bernardinus Fornerii du Bourg de Rodez) demandant qu’une chapelle soit construite « dans le cimetière de Ceignac, là où est le tombeau choisi pour moi et mes parents, dans les deux ans après mon decès ». Il dote la dite chapelle et son chapelain d’un « missel de parchemin que j’ai fait enluminer par Maître Artus, le maître de l’or de l’azur” (ce peintre de Rodez est connu par une vue du bourg réalisée en 1495).
  • Etat des fonds et meubles, établi le même 26 mars 1502, dotant la « chapellenie du Saint Sépulcre fondée par sieur messire Jean de Banis, prieur de Ceignac, en l’église de Ceignac » (il s’agit d’une maison, d’un bois, de plusieurs prés et tonneaux de vin).
  • Inventaire des titres et documents portant fondation des obiits en l’église de Ceignac : deux actes concernent les années qui nous intéressent :
    • le premier septembre 1514, Baptiste de Banis (frère de Jean) donne une rente de 2 sétiers de seigle aux prêtres de Ceignac (notaire De Fonté), « pour augmenter les obiits faits aux prêtres de Ceignac par ses prédécesseurs«  : à cette date Jean de Banis est donc très probablement mort ;
    • pour expliciter ces obiits antérieurs, on rappelle un codicille de Jean de Banis du 17 septembre 1507 (notaire Forneri de Rodez) donnant une rente de 20 sétiers de seigle aux prêtres de Ceignac, ne devant pas être utilisée pour le service de la « chappellenie dicte du St Sepulchre desservable en la présente église par un chapelain particulier ».

Ces différents documents montrent que Jean de Banis était amateur d’art (commande du missel) et qu’il a probablement changé ses plans : plutôt qu’une chapelle au cimetière après sa mort, il a dû préférer faire construire de son vivant une chapelle dans l’église (peut être en contrepartie des 20 sétiers légués aux prêtres), tandis que la chapellenie fonctionnait en 1507. Même s’il ne s’agit pas d’une preuve formelle, il y a donc de fortes présomptions en faveur de la réalisation précoce de la Mise au Tombeau.

Sur l’ensemble des documents concernant la chapelle du Saint Sépulcre et l’absence de certitude historique sur le commanditaire de la Mise au Tombeau, voir Christian Fugit, « L’église de Ceignac au XVIIèeme siècle. Entre aménagements et embellissements » Etudes aveyronnaises 2023, p 168