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6-6 Le donateur-humain chez Palma Vecchio

Grand spécialiste du genre de la Conversation sacrée, Palma le Vieux est sans doute l’artiste qui a le plus réfléchi sur l’intrusion d’un humain en noir au sein de personnages sacrés en couleur, et sur la manière de construire une composition harmonieuse autour de cet intrus potentiellement dissonant.

Donateur seul

1500 - 1528 Saint Pierre Palma Vecchio Galleria Colonna Rome
Sainte Famille avec un donateur
Palma le Vieux, 1500-28, Galerie Colonna, Rome

Dans la formule la plus simple, le donateur se trouve en position de bénédiction, présenté par Saint Pierre devant un paysage, à gauche de la Vierge à l’Enfant isolés devant un fond sombre.


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1508-10 Palma Vecchio,_Madonna_with_child,_Saint_Jerome,_St._Peter_and_donor Chateau_de_Chantilly,_Saint Pierre avec un donateur, et Saint Jérôme
Palma Vecchio, vers 1508, Musée Condé, Chantilly
Palma Vecchio Antoine and Jerome Galerie BorgheseSaint Antoine (ou François) avec une donatrice, et Saint Jérôme (ou Job)
Palma Vecchio, Galerie Borghese, Rome

La formule peut s’élargir pour inclure un second saint et prendre pour pivot  la Madone :

  • la partie gauche, avec le saint patron et un paysage sans doute bien réel, est customisée selon le donateur ou la donatrice ;
  • l’Enfant, en s’approchant du donateur à la limite du rideau, fait « pencher » la composition vers la gauche ;
  • un vieil homme tenant un livre (tout comme Marie tient Jésus), en s’installant devant le fond vert,  vient rétablir l’équilibre : sagesse chenue contre sagesse incarnée.

 

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1520-25 Palma_il_vecchio,_adorazione_dei_pastori Louvre Paris

Adoration des bergers
Palma Vecchio, 1520-25, Louvre, Paris

La donatrice se trouve à l’arrière-plan à gauche, spectatrice d’une scène sacrée à laquelle elle ne participe pas. Agenouillée derrière la Vierge, elle s’inscrit du côté féminin du triangle, en contrepoint du jeune berger agenouillé côté Joseph.



1520-25 Palma_il_vecchio,_adorazione_dei_pastori Louvre Paris sshema
Sa position à côté du boeuf renforce l’effet de pendant avec le berger à côté du chien, comme si la puissance de sa prière la projetait, en la changeant de sexe, de l’autre côté de la muraille spatiale et temporelle.



1520-25 Palma_il_vecchio,_adorazione_dei_pastori version avec St Roch
Il existe une copie ancienne du tableau (localisation aujourd’hui inconnue), dans laquelle la donatrice est remplacée par Saint Roch.


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1515-27 Palma Vecchio_ The Holy Family with St. Catherine, St. John and Donor and Self Portrait, Kraljevski Dvor, Belgrade

Conversation sacrée avec un donateur
Palma le Vieux, 1515-27, Kraljevski Dvor, Belgrade [1]

Cet exemple illustre parfaitement la construction d’un double équilibre entre le masculin et le féminin, le sacré et le profane.

Le trio sacré (Joseph / Marie / Jésus) devant le rideau vert est symétrique du trio profane (Catherine / Jean-Baptiste / Donateur) devant le paysage : le bel homme en noir, dans la force de l’âge (on prétend parfois qu’il s’agit d’un autoportrait de Palma), se trouve ainsi placé en situation d’« enfant », rapetissé sous la main droite de ses deux « parents ». La posture de Sainte Catherine (une main élevée, l’autre posée) est clairement symétrique de celle de Marie ; de même que le vêtement vert et la croix de Saint Jean-Baptiste au dessus des ruines font pendant au rideau vert et au bâton de Joseph au dessus du socle.


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1518-20 Palma Vecchio The_Virgin_and_Child_with_Saints_and_a_Donor_by_ musee Thyssen-Bornemisza

Conversation sacrée avec un donateur
Palma le Vieux, 1518-20, musée Thyssen-Bornemisza, Madrid

Même type de construction symétrique : Sainte Marie-Madeleine et Saint Jean-Baptiste, sous la colonne d’un temple antique, font pendant à Sainte Catherine et au donateur, sous un village chrétien. On pense que le donateur est Francesco Priuli, futur procurateur de Venise [2].

Catherine (qui ne peut être la sainte patronne d’un homme) sert ici de médiatrice, d’accompagnatrice voire même de « dame » idéale.


Palme, chêne et laurier (SCOOP !)

La palme qu’elle tient dans sa main fait écho à la branche morte de chêne qui se déploie au dessus de Marie, mais aussi à la tige de laurier peu visible, contre le tronc, juste au dessus de l’Enfant. Le contraste entre l’arbre aux feuilles caduques et l’arbuste toujours vert est clairement intentionnel, d’autant que ce dernier est planté  tout prêt de la main de Marie-Madeleine, qui prend appui sur une branche coupée.


Une image arrêtée (SCOOP !)

Il ne faut qu’un peu d’imagination pour mettre la scène en mouvement et voir que Marie-Madeleine va saisir la tige de laurier et la passer à Jésus, qui lève déjà sa main droite pour la recevoir. Ensuite l’Enfant la transmettra au donateur, homme de goût qui préfère une élégante ellipse à un geste de don trop explicite.

Mais tout ce symbolisme végétal a-t-il une signification précise ? Avant de tenter de répondre, une courte plongée dans l’esprit de l’époque s’impose…


En aparté : Le laurier contre le chêne (SCOOP!)

Pour donner une idée de la sophistication des allégories de cette époque, en voici une, déchiffrée depuis bien longtemps, qui met également en cause le laurier,


1523 Lotto Portrait of Messer Marsilio Cassotti and His Wife, Faustina, Museo Nacional del Prado, Madrid
Portrait de Messer Marsilio Cassotti et de son épouse Faustina,
Lotto, 1523, Museo Nacional del Prado, Madrid

Dans ce portrait d’un très jeune couple (Marsilio avait 21 ans), le laurier toujours vert qui couronne le front de Cupidon est synonyme de vertu et d’amour éternel : répété dans la branche que Cupidon pose sur les épaules des jeunes gens au moment précis où le mari passe l’anneau à l’annulaire gauche de la jeune femme, il signifie littéralement le joug conjugal. [3]


1510-15 Palma Vecchio,_Allegory Philadelphia Museum of Art
Allégorie
Palma le Vieux, 1510-15, Philadelphia Museum of Art

Le laurier contre le chêne apparaît déjà dans cette Allégorie, dont les clés ont été perdues : elle prouve du moins que ce couple végétal avait pour Palma une signification bien précise.

Comme toujours, ce n’est pas en essayant d’interpréter les détails individuellement, mais en lisant la composition dans son ensemble, que nous pouvons espérer approcher de sa signification.

Nous voyons donc, à droite, une biche couchée qui probablement veille sur ses petits (les tâches claires peu distinctes derrière) : pour compliquer un peu la devinette, Palma a caché sa tête sous la tunique du soldat, de sorte qu’il pourrait tout aussi bien s’agir d’un cerf. Mais la symétrie avec la femme assise devant les deux enfants nus nous incite à opter pour la biche.

La femme est appuyée contre une souche coupée du chêne qui se développe derrière. Or le chêne signifie traditionnellement la Force, et le laurier la Vertu.

La femme qui s’accoude à la souche est comme le laurier qui s’appuie contre le chêne, ou la biche qui se laisse garder par le guerrier : une image de la Vertu protégée par la Force.


1518-20 Palma Vecchio The_Virgin_and_Child_with_Saints_and_a_Donor_by_ musee Thyssen-Bornemisza
Revenons à notre Conversation sacrée, où nous retrouvons  l’image du laurier appuyé contre le chêne : mais la complication vient de ce  que celui-ci, avec sa branche morte, est l’image à la fois de la Force  et de la Caducité, à l’image de la colonne du temple écroulé.

  • Une première interprétation est que notre jeune homme aspire à recevoir, non pas la palme du martyre  mais le laurier de la Vertu, les deux s’opposant  à la branche morte.
  • Un second niveau d’interprétation,  plus cryptique mais complémentaire, consiste à opposer la branche morte à la branche émondée tenue par Marie-Madeleine : l’idée serait alors que, pour rester fort et éviter de crouler, le chêne, à l’image de la pécheresse, doit accepter de se laisser tailler selon le Bien.



Couple de donateurs

1510 Palma, Jacopo Il Vecchio Sacred Conversation with Saints Barbara and Christine Galleria Borghese, Rome

Conversation sacrée avec Sainte Barbe, Sainte Christine et un couple de donateurs
Palma le Vieux, 1510, Galleria Borghese, Rome

Il est vraisemblable que Sainte Christine (reconnaissable à sa meule et rarement représentée ) est la patronne de la donatrice, qu’elle touche de sa main. Tandis que Sainte Barbe – qui ne peut être la patronne d’un homme – doit être présente pour cause d’une dévotion particulière : à remarquer qu’elle ne touche pas le mari, tenant d’une main la palme du martyre et de l’autre sa tour, qui s’intègre parfaitement dans le paysage.

Le pommier dont tombent les fruits, au milieu, représente comme d’habitude l’espérance de fertilité du couple.


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Palma Vecchio, Madonna con Bambino in trono, santi e donatori coll priv
Vierge à l’Enfant avec Saint Joseph, saint Catherine, Saint François et un couple de donateurs
Palma Vecchio, collection privée

Resserrée à mi-corps, cette Conversation plus économique présente une Saint Famille, étendue, comme souvent, à Sainte Catherine : épouse mystique de Jésus, elle complète souvent en effet le couple de Marie et Joseph. Il est très possible que, dans ce cas, Joseph soit le saint patron de l’époux et Saint François le saint patron de l’épouse, ce qui justifierait son adjonction au détriment de la symétrie.


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Etrangement, toutes les autres Conversations Sacrées de Palma Vecchio présentent le couple en position non héraldique (sur les raisons courantes de cette inversion, voir 1-3 Couples irréguliers).



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1505 ca Palma le vieux The-Virgin-and-Child-with-donators Ermitage St Petersbourg

La Vierge et deux donateurs
Palma le Vieux, vers 1505, Ermitage, Saint Petersbourg

Ici l’inversion de l’ordre héraldique pourrait signifier qu’il ne s’agit pas d’une femme et de son mari : pourquoi pas un frère et une soeur se faisant recommander à la Madone avant une séparation ? Voila qui justifierait les villes écartées sur les deux rives, et la cavalier en costume oriental, suggérant un voyage lointain.


Un amour sans fruits

Cependant, derrière l’homme, le motif des amants qui s’embrassent près du lac, de même que celui des cavaliers qui s’affrontent près de l’église, nous ramènent aux thèmes de la galanterie, des joutes amoureuses et du mariage, que contredit pourtant l’absence de tout arbre pouvant symboliser l’espérance d’une descendance.

Et si ces motifs galants avaient plutôt à voir avec le regret ? Et si la splendide robe rouge de la femme – la couleur préférée des mariées à Venise – n’impliquait pas pour autant qu’elle soit vivante ? Le fait que l’enfant Jésus la bénisse, tandis que Marie au visage triste pose la main sur l’épaule de l’époux, peut être interprété comme des gestes d’accueil d’un côté,et de consolation de l’autre.



1505 ca Palma le vieux The-Virgin-and-Child-with-donators Ermitage St Petersbourg schema

En outre, le drap d’honneur de la Vierge, qui dresse une croix surnaturelle et infranchissable entre les deux rives, signale peut être plus qu’une séparation purement géographique ; et les deux cavaliers attendent la dame pour l’escorter vers une ville forte qui ne se trouve peut être pas sur cette terre.


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1525 Sacra_Conversazione_con_donatori,_Jacopo_Palma_il_Vecchio_Museo di Capodimonte

Conversation sacrée avec un couple de donateurs
Palma le Vieux, vers 1525, Museo di Capodimonte, Naples

La main de Saint Joseph, en séparant le couple, semble attirer au sein de la Sainte Famille la jeune femme que Saint Jean Baptiste désigne de l’index. La position non héraldique du couple suggère que le tableau pourrait être un mémorial à une épouse défunte.



1525 Sacra_Conversazione_con_donatori,_Jacopo_Palma_il_Vecchio_modifie

Car s’il n’y avait pas eu une raison impérieuse, rien n’empêchait de respecter l’ordre héraldique tout en obtenant un équilibre intéressant entre les deux couples sacrés (Sainte Catherine/Saint Jean, Marie/Joseph) et le couple profane en sens inverse (homme/femme).


Références :

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