3 Les larrons vus de dos : postérité
A partir du 17ème siècle, la formule reste rare, mais il serait fastidieux d’en faire un inventaire exhaustif. D’autant que la diffusion croissante des images, notamment par la gravure, rend très difficile d’établir des filiations.
Ce chapitre se contente donc de présenter quelques réalisations frappantes, et quelques cas où la filiation est certaine.
Article précédent : 2c Les larrons vus de dos : calvaires en biais, 16ème siècle, Italie
Chez Van Dyck
Le coup de lance, Van Dyck (anciennement attribué à Rubens), vers 1620, Musée des Beaux Arts, Anvers | Gravure de Jan Sadeler d’après un dessin de Maerten de Vos, 1582 |
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Van Dyck a resserré dans un format vertical la composition à succès de Maerten de Vos, et rajouté deux trouvailles iconographiques :
- la massue qui casse la jambe du mauvais larron frappe visuellement celle du Christ, comme dans la fresque du Pordenone (voir 2c Les larrons vus de dos : calvaires en biais, 16ème siècle, Italie) ;
- les cheveux de Marie-Madeleine frôlent les pieds saignants du Christ, rappelant la scène où ils essuyaient les mêmes pieds mouillés de larmes (Luc 7, 36-38).
Longin perçant le flanc du Christ Gérard de la Vallée, 1626-67, collection particulière |
Jan Anthonie de Coxie, 1710, Collezione di dipinti della Pinacoteca del Castello Sforzesco |
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Ces deux exemples témoignent de la fortune de la composition de Van Dyck :
- quelques années après, Gérard de la Vallée la développe en largeur ;
- au siècle suivant , Jan Anthonie de Coxie l’aère par un cadrage plus lointain et la suppression du bourreau.
Van Dyck, vers 1629, Cathédrale St. Rumbold, Mâlines
Dans cette seconde Crucifixion de Van Dyck, nous sommes maintenant après la mort du Christ, comme en témoignent la plaie au flanc ,les ténèbres dans le ciel et la lune obscurcie. La contrainte du coup de lance disparue, Van Dyck retient la composition inverse (le Bon larron vu de dos), qui a pour effet mécanique de majorer le Mauvais Larron. Pour surprendre le regard expert des spectateurs du XVIIème siècle, il bouleverse le casting habituel : le cavalier n’a plus de lance, le rôle du centurion levant le bras est tenu par un berger, le Mauvais Larron a des traits angéliques, tout en refusant le regard du Christ.
Car contrairement au conventions, celui-ci n’incline pas son visage vers le Bon Larron, mais vers la Vierge, qui n’est pas en position d’honneur. Ces inversions ne sont pas gratuites, mais visent à suggérer au spectateur une autre scène :
« Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère » Jean 19, 26-27
Le pathétique est que Marie et Jean revivent, après la Mort du Christ, les dernières paroles qu’il leur a adressées.
Provenant de l’église Saint Georges d’Anvers, Fitzwilliam Museum | Gravure d’Abraham Conradus |
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Abraham van Diepenbeeck, 1630-61
Réalisée par un élève de Rubens, cette grisaille reprend la composition de la seconde Crucifixion de Van Dick, et la même idée de prolongation du dialogue : car bien que la plaie du flanc ne soit pas visible, le départ des soldats montre bien que nous sommes après la mort du Christ. Il ne s’agit pas d’un projet pour une gravure, mais d’une oeuvre achevée, comme le prouvent le bouclier et l’épée du soldat, portés du côté gauche comme il se doit.
Le graveur a transposé le format en largeur (sans penser à inverser le bouclier et l’épée). Le résultat est une composition beaucoup plus ordinaire, respectant la binarité habituelle : la Vierge et Saint Jean du côté du Bon Larron vu de face, les soldats du côté du Mauvais Larron vu de dos.
Autour de Rubens
Les Trois Croix, Rubens, esquisse, vers 1620 , musée Boymans van Beuningen, Rotterdam | Gravure de Schelte Adamsz Bolswert d’après Rubens, MAH, Genève |
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Sur les croix identiques plantées en triangle équilatéral et vues en contreplongée, les suppliciés sont unifiés au point qu’on croirait la même personne tripliquée.
En fait, les larrons se distinguent par des détails :
- pour le Bon, le panonceau, la barbe christique et le visage paisible ;
- pour le Mauvais, une expression de terreur et la vue de dos.
Les trois Croix se distinguent elles-aussi par des détails :
- le squelette de crocodile dans les ronces indique que le serpent de la Chute est définitivement oublié ;
- le crâne d’Adam est racheté par le sacrifice du Christ
- sous celle du Mauvais Larron il n’y rien, sinon deux croix vides, montrant l’inanité de sa mort.
L’avantage de cette composition est que, si l’on ne s’attache pas aux détails, elle est pratiquement réversible. Bolswert l’a recopiée telle quelle, en se contenant de changer de côté la plaie du flanc.
Le calvaire
David Teniers (I), 1625-50, Louvre
Teniers normalise la composition coup-de-poing de Rubens en espaçant les croix, en édulcorant par l’auréole le cadavre supplicié du Christ et en rajoutant à l’arrière-plan, en guise de Jérusalem, une cité hollandaise que ses fortifications ne protègent pas des éclairs.
Le Christ entre les Larrons
Giovanni Battista Piazzetta, vers 1710, Gallerie dell’Accademia, Venise
Lorsque Piazzetta reprend un siècle plus tard la composition de Rubens (comme le montrent les bras en triangle du Christ, une innovation en Italie), c’est à nouveau le Mauvais Larron qu’il représente de dos. Le cavalier brandissant un étendard est un symbole de la Victoire, du côté du Bon larron.
Crucifixion (détail)
Domenico Crespi, 1729, Brera, Milan
Dans sa Crucifixion, elle-aussi en contreplongée mais sans les larrons, son maître Crespi reprendra le même détail, mais pour signifier l’inverse : la défaite du paganisme, à côté d’un juif en rouge, lui aussi abattu.
Chez Poussin
Crucifixion Poussin, 1645-46, Wadsworth Atheneum, Hartford |
Crucifixion pour l’église San Nicolo della Lattuga Véronèse, 1575-80, Accademia, Venise |
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Dans l’unique Crucifixion de Poussin, le détail du joueur de dés qui se retourne vers le mort sortant du sol ne peut provenir que de la composition de Véronèse. C’est là également que Poussin a trouvé l’idée du Bon Larron vu de dos et à contrejour, un paradoxe que Véronèse avait essayé de gommer tandis que Poussin en fait au contraire un point fort de sa composition très anticonformiste. Pour un analyse plus détaillée, voir Les pendants de Poussin 2 (1645-1653).
Crucifixion
Jacques Stella, 1646, collection particulière
Cette copie d’époque permet d’apprécier toute la force de la composition de Poussin.
Autour de Rembrandt
Crucifixion
Thomas de Keyser, 1635-44, Catharijneconvent, Utrecht
Ce Calvaire vu de biais a des aspects originaux pour la peinture hollandaise de l’époque. Le roseau tombé par terre conduit l’oeil jusqu’au pot de vinaigre, attribut du Mauvais larron, négatif comme sa vue de dos. L’autre vue de dos du tableau est au contraire positive : la grande silhouette rouge de Joseph d’Arimathie apportant le linceul, du côté du Bon Larron.
Portraitiste reconnu, de Keyser n’était pas un spécialiste de la perspective : ce pourquoi son Bon larron est nettement trop grand.
Les Larrons vus de dos de Rembrandt (SCOOP !)
Lamentation sur le Christ mort, Rembrandt, 1635 , National Gallery
A cause de la vue de dos du larron de gauche et de l’allure christique de celui de droite, on considère habituellement que cette huile sur papier était prévue pour être inversé, projet pour une gravure qui n’a pas été réalisée [29]. Cependant l’orientation de la composition correspond bien au mouvement de la Déposition, de la croix vers le sol. Et il n’est pas logique que le halo lumineux auréole le Mauvais larron.
Ces difficultés disparaissent dès lors que l’on remarque le bandeau sur le yeux et la ligature des bras en arrière : Rembrandt a tout simplement décidé de moderniser, en la représentant de biais, la célèbre Déposition de Campin.
Crucifixion, Rembrandt, 1641, Rijksmuseum, Amsterdam
Cette gravure un peu postérieure prouve assez que Rembrandt a persévéré dans l’idée de représenter le Bon Larron vu de dos, et même qu’il allait plus loin que Campin dans la représentation paradoxale du Mauvais larron : ici encore il a un visage christique, qui plus est tourné vers le Christ. C’est seulement son corps dans l’ombre qui traduit qu’il n’est qu’une sorte de négatif du divin.
Le Christ sur la Croix entre les deux larrons
Rembrandt, 1642-55, Louvre
Il réitère la même idée une troisième fois, dans cet dessin dont l’authenticité n’est plus discutée, mais dont la datation reste incertaine [30].
1er état | 5ème état |
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Les Trois croix, Rembrandt, 1653 [31]
Dans cette composition plane délibérément passéiste, Rembrandt réutilise la posture « à la Campin », de profil plutôt que de dos, en l’appliquant cette fois au Mauvais Larron. L’inconvénient est que, le bandeau sur les yeux étant peu visible, on peut avoir l’impression contreproductive qu’il baigne dans la lumière divine.
Aussi, dès le 5ème état, Rembrandt reprend en profondeur la composition : tout en faisant tourner la croix pour suggérer la vue de dos, il plonge définitivement le Mauvais larron dans les ténèbres.
Un Calvaire rembranesque
Calvaire, Govert Flinck, 1649, Kunstmuseum, Bâle | Descente de Croix, Rembrandt, 1633, Alte Pinakothek, Münich |
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La croix en biais et le spot de lumière sont les seuls éléments qui rattachent lointainement la composition de l’élève à celle du maître.
Dans la zone éclairée, une famille en habits contemporains vulgarise et rend presque triviaux les personnages sacrés : Joseph d’Arimathie en grand-père, la Vierge allongée montrant ses pantoufles, Marie-Madeleine qui a laissé tomber son châle, le Centurion dont on devine à peine l’épée. Se rajoutent deux anonymes, la mère qui pleure avec son enfant. Les deux larrons s’escamotent dans la pénombre, de même que deux chiens qui se reniflent en bas au centre.
La vue en biais sert à rapprocher les trois Croix et à les compresser dans la partie droite, ce qui fait ressortir d’autant ce qui intéresse Flinck : transposer la Lamentation aujourd’hui.
Hommages au Tintoret
Crucifixion
Tintoret, 1565, Scuola Grande di San Rocco, Venise
Dans cette immense toile panoramique, la grande nouveauté était de représenter le Calvaire en dynamique : la croix du Bon larron en train de s’élever tandis que celle du Mauvais larron est encore au sol.
Crucifixion
Giovanni Lanfranco, 1638-40, Certosa di San Martino, Naples, photo Catalogo generale dei Beni Culturali
Au siècle suivant, Lanfranco applique la même idée à Naples, mais en inversant le chronologie : c’est la croix du Bon larron qui est par terre tandis qu’on dresse celle du Mauvais.
Luca Giordano, 1704-05, Santa Brigida, Naples
Au début du siècle suivant, toujours à Naples, Luca Giordano relève le défi en montrant la croix du Bon larron plantée, mais de guingois, et celle du Mauvais larron en cours de mise en place, poussée par derrière. Ainsi, au moment où le cavalier s’approche pour porter le coup de lance, le Bon larron et le Christ sont déjà partenaires, réunis dans la même immobilité de part de d’autre de la lumière divine.
Au XVIIIème siècle
Les calvaires de Tiepolo
La Crucifixion
Tiepolo, 1745-50, Musée d’Art, St. Louis
Un siècle après Flinck, le goût rococo pousse encore plus loin le travestissement théâtral : le Calvaire est relocalisé dans les Alpes, sur un pic encombré d’orientaux en turban au milieu desquels surnage un emblème romain. Le premier plan est une scène de bataille , avec un tambour et un lancier qui charge en diagonale, dans le sens de la lecture. Cette interruption incongrue crée un effet de surprise, et détourne l’oeil de l’autre lance, celle qui est en train de percer discrètement le flanc du Christ.
La vue de biais sert ici cette esthétique du coup de théâtre. Le Mauvais Larron, immobilisé et vu de dos, complète, orthogonalement le lancier vu de dos qui traverse l’histoire sans s’arrêter.
1755 | 1755-60 |
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Lamentation, Tiepolo, , National Gallery
Tiepolo s’inspire par deux fois de la Lamentation de Rembrandt, qu’il pu voir dans dans la collection de Joseph Smith, le consul britannique à Venise entre 1738 and 1762. Tout en reconnaissant cette évidente paternité, le site de la National Gallery prétend, contre toute vraisemblance iconographique, que le Larron vu de dos est le Mauvais [32]. En fait, Tiepolo, qui ne pouvait pas comprendre la référence à Campin, a surtout retenu l’idée du contrejour. Tout en accentuant l’ombre, il a clarifié la composition en inclinant vers le bas la tête du Bon Larron, de manière à suggérer qu’il continue à regarder le Christ après la Déposition. Dans la même optique de clarification, il a rejeté en arrière celle du Mauvais Larron.
Tandis que chez Rembrandt, Marie-Madeleine se jetait à plat-ventre pour embrasser les pieds du Christ, Tiepolo augmente le pathos en la plaçant, dans la même pose, en oreiller pour le soutenir.
Des fresques bavaroises
Crucifixion
Johann Georg Dieffenbrunner, 1751, Pfarr- und Wallfahrtskirche St. Michael in Violau
Cette fresque du plafond d’un des bas-côtés fait partie de la série des Sept douleurs de Marie. C’est au pied de la mauvaise croix que la douleur plante son épée dans sa poitrine de Marie tandis que Jean le visionnaire cache ses yeux dans son mouchoir. L’ellipse presque totale du Bon Larron laisse le Christ en tête à tête désespéré avec son Mauvais compagnon.
Vision de Saint Bernard de Clairvaux
Johann Georg Dieffenbrunner, 1751, Pfarr- und Wallfahrtskirche St. Michael in Violau
Juste avant l’arc triomphal, cette autre contreplongée virtuose réussit le tour de force de montrer simultanément deux visions de Saint Bernard :
- à l’arrière, Marie découvre un sein pour abreuver le Saint d’un jet de lait ;
- à l’avant, le Christ l’abreuve d’un jet du sang de sa plaie.
La vue de dos est la seule solution pour que le flanc droit soit visible.
Au XIXème et XXème siècle
Deux vues de dos radicales
The soèldiers casting lots for christ’s garments
William Blake, 1800, aquarelle pour Thomas Butts, Fitzwilliam Museum
Cette composition frappante unifie les trois Croix dans une sorte de vision panoptique, où les larrons semblent montrer les deux flancs du Christ caché.
Les spectateurs se répartissent en trois lignes, analogues à l’inscription trilingue qu’ils nous font voir symboliquement :
- soldats romains indifférents, pour le Latin ;
- peuple en pleurs pour le Grec ;
- officiels dans la tribune pour l’Hébreux.
Surplombant les pointes des piques, des flèches d’église se distinguent à peine du fond.
Ainsi l’image vaut, triplement, par ce qu’elle nous dissimule.
« Jerusalem, ou Consummatum est »
Gérôme, 1868, Paris, Musée d’Orsay
Gérôme poussera au comble cette élision, en ne nous montant plus que l’ombre des croix vues de dos. Pour une analyse détaillée, voir 1 : Jésus et Ney.
Les Larrons sur les marges
Via Crucis stazione XII
Dessin de Luigi Sabatelli gravure G.B Cecchi litho G.Pera, 1800-10
La position des repose-pieds nous révèle, discrètement, que le Bon Larron est tourné vers le Christ tandis que le Mauvais lui tourne le dos. Le jeu des regards redouble le message : Marie regarde son Fils qui regarde le Bon Larron, Saint Jean ne lève pas les yeux.
Illustration de « The life of our lord », publié à Londres par The society for Promoting Christian Knowledge, vers 1880
Les deux larrons participent ici à une logique essentiellement décorative, dans l’esthétique « art and craft ». L’ombre qui couvre le Bon Larron n’a rien de symbolique : c’est celle de sa propre croix, la lumière venant d’en haut à gauche.
Une ambition panoramique
Pietro Gagliardi, 1847-52, église San Girolamo dei Croati, Rome
Trois siècles d’évolution de la peinture italienne et l’habitude des sacromonte peuplées d’innombrables statues ont conduit à cette composition panoramique, qui accumule les personnages démonstratifs et les effets théâtraux : le spot de lumièe aveuglante, l’arc en ciel, les anges qui pleurent dans les nuages, les arbres déracinés par les bourrasques, les rochers qui s’écroulent, les morts qui sortent de tous les tombeaux, le Mauvais larron au milieu des éclairs vomissant son âme come une bile. Dans cette débauche d’effets spéciaux, la vue de dos du Bon larron passe finalement pour un motif banal.
Les Calvaires de Gustave Doré
Le Calvaire | Le Calvaire (inversé) |
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Gustave Doré, 1858, Paru dans le Musée français, numéro d’Avril
Le choix de cette composition s’explique ici très bien : les bourreaux hissent la croix à rebours du sens de la lecture, ce qui la rend d’autant plus lourde. La composition inversée donne une impression de facilité.
La Mort du Christ | Les ténèbres à la Crucifixion |
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La Sainte Bible, Gustave Doré, 1866
Le décor identique crée entre les deux moments un effet pré-cinématographique :
- un spot de lumière en vue de près, au moment de la Mort,
- la nuit en cadrage plus large, pour la fuite des cavaliers après la Mort.
Des illustrations anglaises
Moins spectaculaires que les Bibles françaises de Doré, les différentes Bibles des éditions Cassell doivent leur succès à l’abondance des images, avec un grand nombre d’illustrateurs [33]
F. Philippotaux, Illustrated Family Bible, édité par Cassell de 1870 à 1874 | The Child’s Life of Christ », édité par Cassell de 1882 |
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La première est un Calvaire vue de biais très standard, mis à part le détail de l’échelle jetée par dessus la crevasse, qui symbolise l’humanité abattue par la puissance divine.
Le seconde se divise en deux plans :
- en avant, les saints personnages dans la lumière, autour de la Croix du Christ ;
- en arrière, une foule sombre, au dessus de laquelle, comme ballottées par ce flot, surnagent les croix désorganisées des larrons.
Les Crucifixions de Gebhardt
1873, Kunsthalle, Hamburg | 1884, Bavarian State Painting Collections, Münich |
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Eduard von Gebhardt, Crucifixion
Gebhardt s’est spécialisé dans les scènes religieuses transposées en costume médiéval.
La Crucifixion de 1873 installe une vision panoramique, dans laquelle la croix du Mauvais larron ouvre une échappée vers la foule en contrebas et les cavaliers à l’arrière-plan. A gauche, un escalier de mains croisées conduit l’oeil, depuis les deux Maries et le vieillard en rouge, jusqu’à celles de la Vierge qui les élève vers son Fils. De là l’oeil mesure l’écart entre les pieds meurtris et Marie-Madeleine, tombée sur le talus.
Toute en gardant les mêmes principes, la version de 1884 resserre la composition, ce qui conduit à placer la première Marie à genoux et à supprimer la scène en contrebas. La mauvaiseté du Larron est accentuée par sa croix en bois brut et par sa barbe satanique.
La provocation de Klinger
Crucifixion
Max Klinger, 1890, Museum der bildenden Künste, Leipzig
Cette oeuvre monumentale et ambitieuse, élaborée durant trois ans, renoue avec la tradition des Crucifixions germaniques, mais au ras du sol. Dans un crescendo de gauche à droite, la frise enchaîne les provocations [35] :
- l’aveugle Longin fait de l’oeil à une Vénus plantureuse ;
- des Juifs gesticulant dictent le panonceau à un scribe ;
- un grand prêtre arbore un habit de cardinal ;
- Marie est une vieille femme desséchée, que Saint Jean ne soutient pas ;
- en revanche, en plein centre, une Marie-Madeleine plantureuse, qui se tord les mains dans une pose hystérique, est l’objet des attentions de tous ;
- le Bon larron est un autoportrait de Klinger ;
- deux bourreaux nus passent dans une attitude équivoque (sous l’alibi de ceux dont Michel-Ange avait peuplé l’arrière-plan de son Tondo Doni) ;
- le Christ, nu, blond et sans aucune blessure, est intégralement nu, l’entrecuisse posée sur une traverse ;
- le fessier du Mauvais larron s’incruste dans le bois.
Il ne faut pas comprendre cette « germanisation » du Christ comme une charge anti-chrétienne, mais au contraire comme une volonté de moderniser la religion, en cassant les représentations traditionnelles au profit d’une interprétation purement psychologique : ainsi la douleur conventionnelle de Marie est extériorisée par Marie-Madeleine, par l’entremise de l’Artiste par excellence : un Saint Jean au visage beethovenien [36].
Le Calvaire de Tissot
En 1894, Tissot expose à Paris 350 aquarelles qui décomposent avec un extraordinaire réalisme tous les épisodes de la Vie du Christ, et en renouvellent de fond en comble l’iconographie [34]. Sur les trente aquarelles consacrées au Golgotha (286 à 316), dix présentent des vues de dos :
296 : Le pardon du bon Larron, Tissot, Brooklin Museum | 297 : Les vêtements tirés au sort |
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Elles commencent par un travelling arrière, en descendant le long du chemin qui tourne autour de la colline, à partir de la croix du Mauvais Larron.
300 : Stabat Mater | 301 : Mater dolorosa |
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La caméra se place ensuite derrière la croix du Christ, pour capter la douleur de sa mère.
303 : J’ai soif. Le vinaigre donné à Jésus.
Le larron vu de dos et le soldat qui tend le roseau à l’envers et de la main gauche démontrent, par ces inversions, leur appartenance au camp du Mal. La Bon larron vu de face compatit avec le Christ.
306 : La foule s’en va en se frappant la poitrine | 307 : Le tremblement de terre |
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Après la mort du Christ, travelling avant par un autre chemin, un escalier qui monte droit jusqu’à l’arrière de sa croix.. Le tremblement de terre est figuré très sobrement, par le nuage qui frappe la terre et les vivants qui s’affalent.
313 : On rompt les jambes aux larrons
La vue de biais permet d’imbriquer le couple verso recto des soldats, et celui recto verso des larrons.
315 : Le coup de lance | 316 : Confession de Saint Longin |
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L’épisode sur le Golgotha se conclut par un dernier mouvement de caméra qui, placée derrière la croix vide du Mauvais larron, capte le coup de lance et la conversion juste après, le temps que le bourreau soit descendu de l’échelle.
Au XXème siècle
Epuisé par la virtuosité de Tissot, le thème du Calvaire ne donnera plus lieu à aucune oeuvre majeure.
J. Aniwanter, 1890-1900, Yaroslavl Museum of Fine Arts | 1915, Providence Lith. Co, éditions G.F.Callenbach, Catharijneconvent, Utrecht |
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Ces deux compositions, opposées par le format, montrent la grande liberté de cadrage dont profitent désormais les artistes, stérilisés par une esthétique photographique ou cinématographique.
Dans la lithographie hollandaise, le soldat romain dans la tranchée est une allusion transparente à la guerre en cours.
Le Golgotha, Camille Lambert, 1900-20
Dans le veine symboliste, ce Calvaire dresse trois croix surdimensionnées sous les yeux d’un moine médusé, sa cordelière à la main : on comprend qu’il s’agit d’une vision suscitée par la pénitence.
Crucifixion
Egon Schiele, 1907, collection particulière
Le Mauvais Larron apparaît comme l’avatar sombre du Christ, avec la lune rouge comme auréole inatteignable.
https://archive.org/details/gtu_32400006997922/page/250/mode/1up?view=theater
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