Accueil » Interprétations » Jean Wirth » Remarques sur la Vierge à l’Enfant dans la statuaire française du XIVe siècle (inédit)

Remarques sur la Vierge à l’Enfant dans la statuaire française du XIVe siècle (inédit)

 

Introduction

Nous possédons plus d’un millier de Vierges à l’Enfant françaises du XIVe siècle. Elles ont intéressé l’histoire de l’art du siècle passé, mais la sculpture de la période est progressivement devenue un quasi-monopole des conservateurs du Musée du Louvre. Il s’ensuit que leur impact dans les pays voisins n’a guère été étudié que par les savants étrangers et que l’impact des pays voisins sur la production française a pratiquement cessé de l’être. Les conservateurs ne formant pas d’étudiants, les travaux se sont raréfiés et cette sculpture n’intéresse plus grand monde. Ce serait une raison suffisante de revenir sur le sujet, mais il y en a encore une autre.

Sur toutes ces Vierges à l’Enfant, il n’y en a que deux pour lesquelles le nom de l’artiste est documenté et sept pour lesquelles la donation est datée[1]. Imaginons comment nous traiterions la peinture des siècles suivants dans une telle disette de noms et de dates. Pourrait-on croire que le maître de la Jeune fille à la perle (Vermeer) et celui du Casque d’or (Rembrandt ou entourage) travaillaient au même moment dans le même pays ou placer encore les dernières œuvres de Turner dans la première moitié du XIXe siècle ? Nous chercherions certainement à utiliser les affinités entre les œuvres pour établir leur chronologie et situerions Delacroix peu de temps après Rubens. Il s’agirait d’établir des évolutions aussi régulières que possible, en ne laissant à chaque artiste qu’un petit pas à faire pour se distinguer de ses prédécesseurs. Il serait même possible, lorsque l’une des trop rares dates connues contredirait la chronologie ainsi obtenue, qu’on la mette à l’écart. Cette petite expérience de pensée obligera à se poser quelques questions sur la manière dont nous traitons notre sujet.

La Vierge à l’Enfant est de loin l’image religieuse dominante durant la période, car elle n’a cessé de se multiplier depuis le Xe siècle. Si nous la pensons comme une image de la Vierge, elle était supposée être une des trois représentations du Christ, au côté de sa majesté trônant et du Crucifié[2]. Les autres statues de saints, comme Jean-Baptiste ou Catherine ne se comptent que par poignées. Si la Majesté fait trembler, si le Crucifié est effroyable, il s’agit de plus en plus d’une image gracieuse et plaisante. Au moment qui nous intéresse, l’aristocratie en fait le cadeau de prédilection à une église, souvent avec un autel marial. Nous ne détaillerons pas ici les raisons théologiques de son importance, car l’examen de son iconographie nous montrera qu’elles ne jouent plus un rôle décisif. Au vu de ce qui reste, il ne devait pas y avoir beaucoup d’églises qui n’en avaient pas acquis une au XIVe siècle. Aujourd’hui, nous en trouvons souvent deux ou plus de cette époque dans le même édifice. Cela est largement dû à la récupération de celles qui ornaient des lieux de culte lors de leur destruction. A quoi s’ajoutent celles qui sont dans les musées, en France ou à l’étranger, dont un bon nombre aux États-Unis, celles qui sont en collection privée et celles qui continuent à passer en vente.

Il est impossible de mesurer les pertes dues à l’iconoclasme protestant et à celui de la Révolution, mais ces œuvres mobiles, souvent bien plus petites que la grandeur nature, étaient assez faciles à dissimuler et à sauver. Souvent aussi, les iconoclastes protestants se sont contentés de s’attaquer à l’Enfant en tant qu’image de Dieu, ce qui explique probablement le nombre de ceux qui sont décapités ou dont la tête est moderne.

En étudiant les Vierges à l’Enfant du XIVe siècle, on couvre l’essentiel de l’histoire de la sculpture dans la période à partir d’une série d’œuvres comparables. Le seul autre genre quantitativement important est le tombeau. Il est bien mieux documenté, de sorte qu’il sert souvent de référence, mais les pertes sont considérables. Dans de trop nombreux cas, nous n’en conservons que des relevés approximatifs antérieurs à la Révolution, inutiles pour l’étude stylistique.



Autour de la Vierge de Mainneville : les prototypes parisiens

Wirth V1. Vierge à l'Enfant, église de Mainneville (S.W.)

1. Vierge à l’Enfant, église de Mainneville (S.W.)

De 1305 à 1310, le puissant conseiller de Philippe le Bel, Enguerrand de Marigny, se fait ériger un château à Mainneville, dans le Vexin normand, avec une chapelle dédiée à saint Louis. En 1311, il fonde non loin de là, à Écouis, une collégiale consacrée en 1313. Les deux entreprises ont fait l’objet d’une ancienne mais excellente étude par Louis Régnier[3]. A Mainneville, l’église paroissiale contient deux œuvres provenant de la chapelle détruite, une statue de saint Louis et une Vierge à l’Enfant, qu’il attribue à la commande d’Enguerrand (ill.1 et 2). Plus de quatorze statues contemporaines de la construction, dont une Vierge à l’Enfant, décoraient la collégiale d’Écouis et neuf s’y trouvent toujours (ill. 3).


Wirth V2. Saint Louis, église de Mainneville (Thierry Leroy Inventaire)2. Saint Louis, église de Mainneville (Thierry Leroy/Inventaire) Wirth V3 Vierge à l'Enfant, église d'Écouis (S.W.)3. Vierge à l’Enfant, église d’Écouis (S.W.)

La datation de la Vierge de Mainneville a été contestée une première fois par Louise Lefrançois-Pillion en 1935[4]. Elle jugea la date précoce incroyable et proposa 1325-1330, par analogie avec la Vierge en vermeil de Jeanne d’Évreux (Musée du Louvre). Elle a été suivie par Francis Salet, puis par Françoise Baron, l’un et l’autre sans la moindre argumentation[5].

Lorsqu’on place cette Vierge à cette date tardive, on doit admettre, tout en reconnaissant sa haute qualité, qu’elle n’innove en rien et on n’en parle plus guère. Quant à la Vierge d’Écouis, personne ne semble avoir mis en doute sa datation précoce, mais il est significatif qu’on n’en parle pas davantage: Françoise Baron semble l’avoir évitée dans ses publications sur la collégiale et sa statuaire[6].


Wirth V4 Vierge de Mainneville (détail, S.W.)4. Vierge de Mainneville (détail, S.W.) Wirth V5 Saint Louis de Mainneville (détail, sw)5. Saint Louis de Mainneville (détail, S.W.)

 

La datation haute de la Vierge de Mainneville avait pourtant été solidement argumentée par Régnier. Elle repose sur la parenté avec la statue de saint Louis, indubitablement liée à la dédicace de la chapelle et datant selon toute vraisemblance de la fondation. Régnier constate d’abord que les deux œuvres sont de mêmes dimensions: le saint Louis est haut de 153 cm, la Vierge de 151. Il note ensuite la manière identique de rendre les détails, comme les pierreries de la couronne, le modelé de la bouche, des yeux et du cou[7]. Selon lui, il s’agit du même sculpteur. On ajoutera à sa démonstration que la conduite du drapé est semblable, ce que dissimule la différence entre d’une part le fort plissement du voile, du manteau et de la robe de la Vierge, d’autre part la simplicité du costume royal. Mais dans les deux cas, de petits plis courbes partent de l’épaule droite et de gros plis saillants relient les avant-bras, surmontant des plis brisés de profondeur décroissante. La différence des physionomies n’est pas un argument pour désolidariser les deux œuvres (ill. 4 et 5). Il y a des rides discrètes sur le visage du roi, mais il ne saurait être question d’en donner à la Vierge. En outre, les deux bouches sont pratiquement identiques et on repère la même superposition de mèches à l’avant de l’oreille. Principale différence, la paupière inférieure de la Vierge remonte davantage sur l’œil, ce qui appartenait au canon de la beauté féminine.

Les restes de la polychromie semblent entièrement d’origine[8]. La robe de la Vierge, la robe et le manteau de saint Louis sont bleus. L’or devait tenir une place importante. En effet les couronnes sont revêtues d’un ocre jaune qui ne pouvait être qu’une préparation pour l’or et ce même ocre jaune recouvre le manteau de la Vierge, les bordures et le semis de lys du manteau et de la robe du roi. Les revers des manteaux sont rouge dans les deux cas, tandis que le grand voile blanc de la Vierge s’orne de petits motifs bleus. Les deux statues forment donc un tout. Se trouvaient-elles côte-à-côte sur l’autel dans une sorte de tabernacle? Ce n’est pas impossible, mais la dualité n’est pas prisée au Moyen Age et on voit mal quelle image aurait pu figurer entre celle du roi et celle de la Vierge pour former un groupe de trois. Or la chapelle, dédiée à saint Louis, mesurait 30 pieds sur 22 d’après un document de 1770[9]. Ces dimensions sont suffisantes pour imaginer comme jubé une mince barrière séparant les autels de la nef et du chœur, comme à la Sainte-Chapelle. L’autel majeur était normalement celui du chœur et exhibait l’image du dédicataire, tandis que la Vierge pouvait occuper celui de la nef.

Refuser la datation bien argumentée de Régnier, c’est à la fois faire fi des indices donnés par les œuvres elles-mêmes et considérer qu’il n’en existe pas d’exceptionnelles. Ce refus n’est d’ailleurs pas général. Robert Suckale avait maintenu la datation haute dans sa thèse sur les madones d’Île-de-France, Michael Viktor Schwarz dans la sienne sur la sculpture courtoise, puis Brigitte Béranger-Menand dans son ouvrage sur les madones normandes[10]. Il faut dire qu’Enguerrand de Marigny était aussi un commanditaire exceptionnel: l’importante statuaire de la Grande Salle, au Palais de la Cité, avait été placée sous sa direction[11]; il a probablement engagé les mêmes sculpteurs pour Mainneville, Écouis et également Le Plessis à Touffreville, une autre de ses résidences normandes. Conseiller le plus puissant de Philippe le Bel, il fut accusé à sa mort de tous les maux du royaume, condamné et pendu en 1315. Dans la longue liste de griefs exposés par le procureur Jean d’Asnières figure l’extraction de quatre mille pierres et de cinquante-deux statues des carrières royales de Vernon pour sa collégiale d’Écouis[12]. Cela semble un peu excessif, mais la statuaire d’Écouis et de Mainneville est effectivement en pierre de Vernon, tandis que le nombre inhabituel des statues préservées à Écouis laisse imaginer le cycle des rois de France qui ornait la grande salle du Palais, d’autant plus que les deux ensembles comprenaient une statue d’Enguerrand.

Pour juger de l’intérêt de la Vierge de Mainneville, il faut d’abord la comparer à ce que nous connaissons de la production vers 1300. Plusieurs œuvres s’en rapprochent, en particulier la Vierge supposée provenir du prieuré de Poissy (Anvers, Musée Mayer van den Bergh) et la Vierge-reliquaire en noyer de la collection Timbal au Musée de Cluny, enregistrée sous la référence Cl. 10839, (ill. 6 et 7).

La Vierge conservée à Anvers a été acquise par Fritz Mayer en 1897, avec toute la collection du mouleur parisien Carlo Micheli[13]. Elle est en buis, ce qui a entraîné des doutes sur son authenticité, car nous possédons assez peu d’œuvres médiévales et beaucoup de falsifications dans ce matériau. Avant de la prendre en considération, il importe de clarifier la situation.

Francis Salet en avait fait péremptoirement un faux, en s’appuyant uniquement sur la supposition orale d’un conservateur du Rijksmuseum d’Amsterdam, Jaap Leeuwenberg, mentionnée dans le catalogue du Musée Mayer van den Bergh dont il faisait le compte rendu[14]. Puis c’est au tour de Françoise Baron qui fait état d’un article de Peter Bloch[15]. Cet article est en fait la seule charge argumentée contre l’authenticité de l’œuvre[16]. Il prend à témoin une lettre adressée en 1906 à la mère de Fritz Mayer, décédé prématurément, par l’orfèvre et collectionneur Jan Brom qui possédait un moulage de l’œuvre et attribuait cette dernière au sculpteur néo-gothique Nikolaus Elscheidt qu’il avait fréquenté personnellement. Brom dit connaître de lui des pièces « d’autres modèles, mais toutes dans le même style et travaillées de la même façon excellente ». Par ailleurs, il lui prêtait des procédés de faussaire. On est donc très étonné que Bloch dénie à Elscheidt la volonté de tromper et refuse de le considérer comme un faussaire. En outre, les œuvres qu’il lui attribue sont stylistiquement disparates[17]. Par ailleurs, Elscheidt travaillant à Cologne, il prétend la Vierge modelée sur des modèles colonais, alors que son style est clairement parisien, qu’elle soit authentique ou non, et a été acquise à Paris. En outre elle porte au dos une étiquette qui indique comme provenance le prieuré de Poissy. Cette étiquette date au plus tard de l’époque de Micheli, car Molinier faisait état de cette provenance en 1896[18].


Wirth V6. Vierge à l'Enfant, Anvers, Musée Mayer van den Bergh (musée)6. Vierge à l’Enfant, Anvers, Musée Mayer van den Bergh (musée) Wirth V7. Vierge à l'Enfant Cl. 10839, Paris, Musée de Cluny (musée)7. Vierge à l’Enfant Cl. 10839, Paris, Musée de Cluny (musée)

Robert Didier avait réhabilité l’œuvre, tout en montrant qu’une autre vierge, celle de Herresbach en Belgique, était moderne et avait été copiée sur elle par l’intermédiaire d’un moulage, sans doute réalisé par Micheli et conservé aux Musées Royaux de Bruxelles[19]. En la situant vers 1300, il la présentait comme un prototype dont l’influence s’est manifestée dans toute l’Europe jusqu’à la fin du siècle, à moins qu’elle soit elle-même le reflet d’un prototype disparu. Il a été suivi par Robert Suckale qui a encore élargi la liste des œuvres qui en dépendent si elle est authentique. Il la considérait comme telle, mais souhaitait qu’une étude technique résolve définitivement le problème. Ses vœux ont été exhaussés lors de l’exposition pragoise consacrée à l’empereur Charles IV[20]. La Vierge a été soumise au test du carbone 14 qui a donné la fourchette approximative 1256-1316 pour la formation de l’arbre.

Bien sûr, la datation du matériau n’est pas celle de l’œuvre, mais trois conditions seraient nécessaires pour qu’elle ne soit pas authentique. Il faudrait d’abord que le faussaire ait acquis une sculpture d’époque (le buis n’étant pas un matériau de construction) et l’ait sacrifiée à son projet. Ensuite, il faudrait qu’il ait pressenti qu’il serait un jour possible de dater les bois anciens et voulu tromper la postérité au lieu de se contenter d’un bénéfice immédiat. Enfin, il aurait eu une connaissance suffisamment précise du style parisien vers 1300 pour imaginer l’œuvre qui aurait pu servir de modèle à tant d’autres. Compte tenu des connaissances de l’époque, il aurait été de loin le meilleur historien de l’art médiéval. Comme ces conditions auraient été très difficiles à satisfaire, nous pouvons considérer cette Vierge comme authentique.

Cela admis, il devient plus que probable qu’elle soit liée aux travaux royaux pour le prieuré de Poissy, entre 1297 et 1304, et nous l’appellerons désormais la Vierge de Poissy. La comparaison avec la Vierge de Mainneville fait immédiatement ressortir un point commun. L’une et l’autre possède un grand voile qui retombe sur les avant-bras et, dans les deux œuvres, l’Enfant nu est langé par le voile. Sur la Vierge de Poissy, il tient de la main droite un livre posé sur la poitrine de la Vierge, la gauche étant libre ; à Mainneville, il caresse la joue de sa mère de la droite et tient une pomme de la gauche. La position des pieds de la Vierge est semblable, mais elle est habituelle. Le déhanchement engendré par le port de l’Enfant est d’une amplitude comparable.

Les différences méritent aussi d’être notées. Le visage de la Vierge de Mainneville est impassible comme celui d’une déesse gréco-romaine. Elle regarde devant elle sans que le regard soit clairement fixé sur l’Enfant et il est probable qu’il en serait de même si la polychromie de l’iris était conservée. En fait, l’ambiguïté est produite grâce au déplacement de l’Enfant vers l’avant, de telle sorte que la Vierge semble plus ou moins le regarder et plus ou moins offrir son visage au spectateur. Du coup, le visage de l’Enfant apparaît en profil dérobé si le groupe est vu de face. L’emplacement de l’Enfant est semblable sur la Vierge de Poissy, mais son visage est pleinement de profil et celui de la Vierge, soucieux, se referme sur lui.

Par ailleurs, le manteau de la Vierge de Poissy est posé ouvert sur les épaules, ce qu’on ne voit pas, mais qui se déduit des deux pans latéraux qui émergent sous le voile. Cette formule se retrouvera plus d’une fois par la suite, en particulier sur la Vierge de Gosnay, due à Jean Pépin de Huy et datant de 1329 (Arras, Musée des Beaux-Arts)[21]. Le manteau de la Vierge de Mainneville repose sur les avant-bras et se termine au niveau des genoux, donnant l’impression d’un tablier. Or cette disposition riche d’avenir, n’a pas de tradition dans l’art du XIIIe siècle. Elle a par contre des précédents dans le costume féminin de l’Antiquité gréco-romaine.

Robert Didier et Robert Suckale ont montré l’influence internationale de la Vierge de Poissy, mais il y a plus troublant. Deux œuvres anciennes en sont de véritables copies. L’une à la Walters Art Gallery de Baltimore (27.271) est supposée provenir de Meulan dans les Yvelines, l’autre vient de l’église de Montmerrei (Orne) et se trouve actuellement au Musée Départemental d’art religieux à Sées (ill. 8 et 9). On note à Baltimore un élargissement de la silhouette et une petite modification: l’Enfant tient le livre de la main gauche et la droite repose sur le voile. En revanche, la Vierge de Montmerrei est une réplique exacte de celle de Poissy, également en buis, presque aussi habile et à peine plus haute (51 cm contre 49,2), où le livre est bien dans la main droite (nous verrons plus loin l’intérêt de ce détail). Contrairement à son modèle, elle est recouverte d’une épaisse polychromie moderne qui ne l’avantage pas et a subi plusieurs mutilations dont la tête et le bras gauche de l’Enfant. L’observation directe laisse apparaître des traces d’une dorure apparemment ancienne, en particulier dans les cheveux, mais une analyse par un spécialiste serait bienvenue, ainsi qu’un éventuel décapage de la polychromie moderne[22]. Cette copie exacte qui n’avait jamais été repérée semble un cas unique, mais aucun indice n’engage à y voir un faux, pas plus que dans son modèle dont elle confirme le prestige.


Wirth V8. Vierge de Meulan, Baltimore, Walters Art Gallery (musée)8. Vierge de Meulan, Baltimore, Walters Art Gallery (musée) Wirth V9. Vierge de Montmerrei, Sées, Musée d'art religieux (S.W.)9. Vierge de Montmerrei, Sées, Musée d’art religieux (S.W.)

La Vierge en noyer du Musée de Cluny est censée provenir de l’Île-de-France ou de ses environs immédiats[23]. Le visage très ovale, les yeux un peu bridés et le très léger sourire laissent encore supposer le XIIIe siècle, de sorte que Robert Didier propose une date entre 1280 et 1310. La Mère regarde l’Enfant qui bénit vers la droite. Il est probable que son geste s’adresse à des Rois mages ou plutôt à un donateur, comme ce sera le cas de la Vierge commandée à Évrard d’Orléans en 1341 par l’évêque Guy Baudet pour la cathédrale de Langres. À nouveau, un grand voile couvre tout le haut du corps de la Mère et lange l’Enfant nu. Sans être identiques, les plis suivent approximativement le même tracé qu’à Mainneville. En revanche, le manteau est ouvert et tombe en deux pans latéraux comme sur la Vierge de Poissy. Vues de dos, la Vierge en noyer et celle de Mainneville suivent le même dessin général, plus sommaire sur la première (ill. 10 et 11).


Wirth V10. Vierge Cl. 10839, Paris, Musée de Cluny (musée)10. Vierge Cl. 10839, Paris, Musée de Cluny (musée) Wirth V11. Vierge de Mainneville (archives départementales de l'Eure)11. Vierge de Mainneville (archives départementales de l’Eure)

On constate donc que la Vierge de Mainneville n’est pas trop isolée au début du XIVe siècle et qu’il n’y a aucune raison de la rajeunir d’un quart de siècle. En revanche, la disposition du manteau qui évoque un tablier ne se retrouve dans aucune des œuvres médiévales qui sont ou pourraient être aussi ancienne. Cette nouveauté peut sembler insignifiante, mais son succès, comme celui du tracé des plis sur le « tablier », fait de cette Vierge l’un des principaux prototypes de la sculpture du XIVe siècle. On ne peut exclure formellement qu’il ne s’agisse pas du reflet d’un prototype disparu. Mais ce qui reste des commandes d’Enguerrand de Marigny milite pour une œuvre originale: on serait bien en peine de trouver l’œuvre qui aurait servi de modèle au saint Louis de Mainneville ou à une statue d’Écouis. En fait, on a l’impression que le « tablier » est un emprunt direct à l’Antiquité, où le manteau des dames, la palla, tombe ainsi, et nous n’avons trouvé aucun exemple de son adaptation byzantine – le maphorion – qui aurait pu servir d’intermédiaire.



Une abondante postérité

Le point le plus étonnant est l’insignifiance de la vue de côté dans des œuvres de cette qualité: elles sont en quelque sorte aplaties aux dépens de leur tridimensionnalité. Cela restera une règle dans la sculpture parisienne et d’influence parisienne. On peut donc supposer que ces Vierges étaient normalement placées dans des tabernacles rendant impossible le point de vue latéral, tout comme le dos peu élaboré et même souvent à peine esquissé. Il n’en reste pas moins que les Vierges adossées aux trumeaux de portails, comme celle d’Écouis, étaient visibles latéralement sans que la profondeur soit exploitée. D’une manière ou d’une autre, l’avantage de l’aplatissement est évident, surtout pour les Vierges en pierre, très majoritaires, car il réduit la quantité du matériau et donc son coût, mais aussi son poids, facilitant le transport de la pierre vers l’atelier et de l’œuvre vers sa destination. Mais ce n’est sans doute pas la vraie raison, car la même chose se produit sur les pièces de dimension modeste où l’économie n’aurait pas été substantielle. En fait, la tâche principale des sculpteurs était certainement les tombeaux, au point qu’on les qualifiait volontiers de « tombiers ». Or la faiblesse des profils tient à l’aplatissement du dos, lequel va de soi dans le cas des tombes. Il semble donc qu’ils reportent sur les statues proprement dites les manières de faire qui leur sont habituelles pour les gisants. Cela les distingue fortement des sculpteurs du siècle précédent, habitués à placer dans les portails des statues fortement tridimensionnelles.


Wirth V12. Vierge du portail nord du transept, Paris, Notre-Dame (J.W.)12. Vierge du portail nord du transept, Paris, Notre-Dame (J.W.) Wirth V13. Vierge du portail Saint-Honoré, Amiens, cathédrale (Thomon)13. Vierge du portail Saint-Honoré, Amiens, cathédrale (Thomon)

Un second point commun des Vierges de Mainneville, de Poissy et de la collection Timbal est le chevauchement des plis, ceux du manteau épousant ceux de la robe, ceux du voile ceux du manteau, au moins là où le voile n’est pas transversal. Le procédé existait déjà, mais il devient une règle et joue un rôle majeur dans l’organisation du drapé. En outre, l’un de ces plis domine les autres. Il part du côté gauche au niveau de la taille et descend obliquement pour finir écrasé par le pied droit. Ce pli apparaît déjà au milieu du XIIIe siècle à Notre-Dame de Paris, sur la Vierge du trumeau au portail nord du transept (ill. 12). Il donne aux œuvres un beau mouvement, mais il est contestable du point de vue des lois de la pesanteur. S’il n’affectait que le manteau, comme sur la Vierge dorée de la cathédrale d’Amiens (ill. 13), il découlerait normalement de sa retenue par l’avant-bras gauche. Mais à Paris, le pli du manteau se moulant sur celui de la robe, c’est ce dernier qui donne le mouvement oblique alors qu’il n’est retenu que par la ceinture et devrait tomber plus ou moins verticalement, comme il le fait à Amiens.

L’emboîtement des plis du manteau et de la robe oblige soit celui du manteau à tomber verticalement, soit celui de la robe à prendre une trajectoire oblique. Qu’il s’agisse d’une inconséquence du point de vue mimétique ressort aussi de la comparaison avec les Vierges à manteau ouvert sur lesquelles la chute de la robe est le plus souvent normale. Mais dans la grande majorité des cas, le manteau se ferme sur la robe et, dans ce cas, le pli oblique de la robe reste préférable au pli vertical du manteau, car on peut toujours ressentir l’oblicité du pli de la robe comme la conséquence d’un hanchement vigoureux. En outre, ce pli fait transition entre ceux qui tombent sous l’avant-bras gauche et la succession de plis courbes ou cassés sur le ventre.


Wirth V3 Vierge à l'Enfant, église d'Écouis (S.W.)

14. Vierge à l’Enfant de l’église d’Écouis (S.W.)

La Vierge d’Écouis est l’une des toutes premières dans la postérité de celle de Mainneville et d’une qualité comparable (ill. 14). Enguerrand de Marigny semble avoir voulu éviter les redites: elle est encore coiffée du voile court comme au siècle précédent; le manteau est tenu par un fermail, enveloppe le bas du corps de l’Enfant, pourtant vêtu d’une robe, et le triangle de plis qui se forme sur le ventre, déplacé vers la hanche droite par la verticalité des plis, est réduit et simplifié. Seul le traitement du manteau en tablier donne aux deux œuvres une allure comparable.

Si la Vierge de Mainneville illustre parfaitement la solution du pli oblique, celle d’Écouis en prend le contrepied : les gros plis verticaux de la robe dictent leur loi au manteau qui pend mollement sur le ventre comme sur le buste. La Vierge en perd tout dynamisme et semble moins déhanchée, alors qu’elle l’est à peu près autant. Il ne s’agit pourtant pas d’une erreur, car cela convient parfaitement à l’impression de tristesse, voire de lassitude, qui se dégage du visage, plongé dans le pressentiment de la Passion. Des deux solutions alternatives, c’est celle de Mainneville qui semble majoritaire, mais nous verrons que celle d’Écouis a également été souvent suivie.


Wirth V15. Vierge de Jeanne d'Évreux, Paris, Louvre (Shonagon)15. Vierge de Jeanne d’Évreux, Paris, Louvre (Shonagon) Wirth V16. Vierge de l'église de Lisors (médiathèque de patrimoine)16. Vierge de l’église de Lisors (médiathèque de patrimoine)

La postérité de la Vierge de Mainneville dépasse largement sa dette envers l’art de son temps. L’exemple le plus étonnant en est la Vierge en vermeil promise par Jeanne d’Évreux à l’abbaye de Saint-Denis en 1339, puis offerte en 1343 et aujourd’hui au Musée du Louvre (ill. 15)[24]. On considère qu’elle a été réalisée entre l’accession de Jeanne à la royauté en 1324 et la promesse de 1339. Il s’agit d’une copie de la Vierge de Mainneville en modèle réduit, son visage fixant davantage l’Enfant. Cela vaut aussi de dos où la seule différence notable est la présence de trois gros plis du manteau sur les jambes au lieu de cinq moins profonds. La Vierge exhumée en 1936 en l’église de Lisors, toujours dans le Vexin normand, suit le même modèle en refermant également le regard de la Vierge sur l’Enfant (ill. 16)[25]. Le sculpteur a accentué le déhanchement et décoré les bords de la robe et du manteau avec des incrustations, lui donnant une allure plus maniérée, au goût du jour une génération après Mainneville. La qualité de l’œuvre dépassant sensiblement la production locale, dont une autre imitation de la Vierge de Mainneville au trumeau du portail occidental de Saint-Gervais et Saint-Protais à Gisors donne une bonne idée, il s’agit sans doute à nouveau d’une œuvre parisienne, comme l’a pensé Brigitte Béranger-Menand[26].

L’imitation de la Vierge de Mainneville est aussi évidente sur un nombre important d’œuvres dont Françoise Baron a fait le groupe de Rampillon (ill. 17)[27]. Elles se caractérisent par un voile nettement plus court qu’à Mainneville, ce qui permet à l’Enfant d’en saisir l’extrémité. Le groupe a été formé à propos des Vierges de Seine-et-Marne, mais on constate aisément qu’ils comprend nombre d’œuvres situées en Île-de-France, en Normandie, en Picardie ou en Bourgogne, en somme dans toutes les directions à partir de Paris, ce qui permet de lui supposer une origine parisienne.


Wirth V17. Vierge de l'église de Rampillon (Poschadel)

17. Vierge de l’église de Rampillon (Poschadel)

A Rampillon, l’Enfant possède une robe, le voile de la Vierge étant trop court pour le protéger. Le déhanchement est plus prononcé qu’à Mainneville, tandis que la bordure du manteau et l’encolure de la robe sont incrustées de verroteries. Comme l’encolure large qui semble se mettre en place vers 1320 au vu des enluminures, ces caractères supposent une date plus récente. En revanche, le drapé de la robe et du manteau suit scrupuleusement le modèle, comme dans les pièces de qualité du reste du groupe. Mais des œuvres qui n’entrent pas dans le groupe ont aussi une dette envers la même Vierge. Il serait fastidieux de vouloir les énumérer et on se contentera de citer quelques-unes des plus intéressantes: celles de Fontenay, de Juaye-Mondaye, de Meung-sur-Loire et de Saint-Quentin-les-Anges. Nous évoquerons plus loin le cas de la Vierge des malades à Tournai et de celles qui en dépendent.

La Vierge entrée au Musée du Louvre comme provenant de Maisoncelles, a été reconnue comme celle de Blanchelande grâce à sa parenté avec les œuvres normandes qu’elle a inspirées (ill. 19)[28]. Il s’agit en fait d’une synthèse entre celles de Mainneville et d’Écouis. Elle emprunte à la première la caresse du visage par l’Enfant, la torsion prononcée du corps, à la seconde le voile court, la chute du manteau sur la poitrine, tout en remplaçant le fermail par un cordon, enfin la robe de l’Enfant. Mais une œuvre plus tardive dépend davantage encore de la Vierge d’Écouis, celle de Magny-en-Vexin qui a été donnée par Jeanne d’Évreux à l’abbaye de Saint-Denis comme la Vierge en vermeil, en 1340 soit presque au même moment (ill. 25)[29]. Cette fois, le style s’est renouvelé, mais la stature, le voile court, la retombée du manteau tenu par un fermail indiquent clairement la source. A travers cette œuvre, la Vierge d’Écouis en inspire indirectement tout une série que William Forsyth a rassemblée dans le groupe un peu hétérogène qu’il a baptisé Rhône-Meuse, sans remarquer sa source ultime[30]. Que Jeanne d’Évreux ait commandé successivement et offert à Saint-Denis deux œuvres inspirées par les commandes d’Enguerrand de Marigny laisse de prime abord perplexe, car on ne lui connaît pas de connexions particulières avec le Vexin. En fait, les Vierges de Poissy, de Mainneville et d’Écouis, sont devenues de véritables références. Pendant plusieurs décennies, la tâche des sculpteurs semble avoir été de les gloser, de les interpréter librement plutôt que d’inventer de nouvelles solutions. Jeanne d’Évreux peut avoir joué un rôle dans cette évolution, mais il s’agit d’un phénomène général.

Il reste à savoir par quels procédés se faisaient la copie et l’imitation, parfois à grande distance du modèle, comme l’atteste le succès des formules françaises dans l’empire germanique. Robert Didier pense à de petites œuvres tridimensionnelles, car les imitations prennent aussi les dos en considération[31]. Il suggère la médiation des ivoires, souvent exportés, pour la diffusion des formules parisiennes de la seconde moitié du XIIIe siècle à Liège. Cette médiation à certainement continué à jouer un rôle ensuite, mais il faut en relever les limites. Tout d’abord, les Vierges en ivoire debout semblent se raréfier dans la ronde-bosse au profit du relief des diptyques[32]. Ensuite, la forme de la défense d’éléphant détermine la torsion du corps et limite l’amplitude des gestes. Si on compare à la Vierge de Poissy les ivoires du même type, le bras droit se replie excessivement sur le corps au détriment de l’équilibre (ill. 18). Enfin, l’imitation des pièces du début du siècle se poursuit pendant des décennies et les ateliers ont dû avoir longtemps les modèles à disposition, alors que les ivoires étaient destinés à la vente.


Wirth V18. Vierge en ivoire, collection privée (Suckale 2002, p. 157)

18. Vierge en ivoire, collection privée (Suckale 2002, p. 157)

On pense alors à de petits modèles dans des matériaux moins onéreux que les ateliers conserveraient. Il y a des exemples, mais plus tardifs, ainsi vers 1500 dans l’atelier de Tilman Riemenschneider[33]. En outre, la Vierge de Poissy est de petites dimensions (49.2 cm) et pourrait avoir joué ce rôle, mais son état de conservation suggère qu’elle a été soigneusement traitée, plutôt que de traîner dans des ateliers. En tout cas, elle a dû rester à Poissy, alors qu’elle a été imitée un peu partout. Des modèles tridimensionnels auraient-ils d’ailleurs été nécessaires? En fait, les types de dos semblent se limiter à deux. L’un, hérité du siècle précédent, fait partir les plis entre les épaules; ils s’orientent symétriquement à droite et à gauche pour se briser et se relever en direction des avant-bras. L’autre, qui apparaît à partir de la Vierge du Musée de Cluny (ill. 10), présente un grand voile sur le haut du corps, plissé symétriquement. En-dessous, les plis du manteau rejoignent les avant-bras, contournent les fesses par le bas, puis se succèdent plus ou moins brisés jusqu’aux pieds[34]. Or le choix de l’un ou l’autre de ces deux types dépend de l’ensemble du drapé et ils sont l’un et l’autre assez faciles à mémoriser. Il n’est donc pas sûr qu’un modèle tridimensionnel ait pu servir à grand-chose.

Il reste finalement le dessin, en tout cas pour la vue de face, le dos et le profil pouvant se déduire de celle-ci. Bien qu’antérieurs d’un siècle, les dessins de Villard de Honnecourt donnent une idée de ce que cela devait être. Mais, dans un cas comme dans l’autre, il faut se demander s’il s’agissait de dessins d’invention ou d’imitation[35]. La réponse est assez aisée pour nos Vierges, du fait de l’inlassable répétition des formules du début du siècle. Souvent, deux œuvres qui n’appartiennent visiblement pas au même sculpteur sont iconographiquement identiques et suivent stylistiquement le même dessin. A des niveaux de qualité très variable, les Vierges de Rampillon, de Jambville, de la cathédrale de Sées, la RF 579 du Musée du Louvre, celles de Lévis-Saint-Nom, de Monchy-Humières, d’Ully-Saint-Georges se répètent totalement. Parfois, un détail change: c’est ainsi que le manteau se replie sur la robe, montrant un pan de plus à Cucharmoy ou sur une belle Vierge du Metropolitan Museum (référence 37.159). L’innovation est parfois plus importante. La Vierge de Rampillon, peut-être le prototype du groupe, se déduit de celle de Mainneville une fois la caresse de la joue de la Vierge remplacée par la saisie du voile, ce qui suppose la substitution au voile long d’un voile de taille moyenne, rabattu par l’Enfant sur la poitrine de sa mère. En fait, les dessins devaient être le plus souvent les adaptations de dessins antérieurs avec de légères modifications.

Il semble en effet peu probable que les sculpteurs se soient rendus à Mainneville, à Écouis ou à Rampillon pour copier les originaux. Si cette pratique a vraiment existé, nous n’en avons pas d’indices. On a parfois supposé que Villard de Honnecourt faisait ainsi, mais tout indique qu’il recopiait généralement des dessins dans la fabrique de l’édifice visité, en dehors de simples schémas comme celui d’un carrelage qu’il dit avoir vu en Hongrie (fol. 15v de son Album). Parfois, comme pour les élévations de la cathédrale de Reims, il s’agit d’édifices en construction avec des variantes importantes par rapport à la solution définitive. De même que Villard proposait son Album comme manuel, les sculpteurs du siècle suivant pouvaient donner accès à leurs dessins et non pas les garder secrets pour se protéger de la concurrence. Il est aussi possible que le commanditaire demande à un sculpteur le « pourtrait », c’est-à-dire le projet dessiné, et confie la réalisation à un autre. La pratique est attestée pour des œuvres plus complexes, comme un portail ou une châsse, mais nous connaissons trop peu de commandes de statues pour exclure cette possibilité.

Sur quel support pouvaient avoir été réalisés les dessins ? On a objecté le prix du parchemin à son utilisation, mais l’exemple de l’Album de Villard et plus généralement celui des manuels techniques réfutent l’objection. Il pouvait aussi s’agir de tablettes de cire « à pourtraire »[36]. On en trouve effectivement dans l’inventaire de la succession du sculpteur Jean de Liège[37]. La conservation de modèles pendant des décennies pourrait en faire douter, mais nous conservons toujours des comptes rédigés sur ce support. Ces tablettes n’étaient donc pas réservées aux notations éphémères.

Certains détails des œuvres militent aussi pour l’utilisation du dessin. Sur plusieurs d’entre elles, les deux pans du manteau ouvert sont reliés par un cordon qui pend en demi-cercle, ainsi sur la Vierge de Blanchelande (ill. 19 et 32). Mais sur certaines autres, comme la Vierge de la Victoire au Musée de Senlis ou la Vierge CL. 3270 du Musée de Cluny (ill. 20), le cordon semble remplacé par un pli de la robe au tracé semblable, comme si un dessin avait été mal interprété. Comme on l’a remarqué plus haut, la position oblique de l’Enfant permet à Mainneville un compromis entre le regard de la Vierge vers l’Enfant et vers le fidèle. Cette ingénieuse disposition ne semble pas avoir été imitée. Or le dessin médiéval la rabat généralement dans le plan, ce qui évite le profil dérobé, encore rare. Un sculpteur n’ayant pas étudié l’original sculpté et ne disposant que d’un dessin de face perd donc l’indication.

Le cas de la Vierge de Baltimore est semblable (ill. 8). Lorsqu’on regarde une photographie de la Vierge de Poissy vue de face, il est difficile de déterminer quelle main de l’Enfant tient le livre et il est facile de croire que la main droite repose sur le voile, ce qui est le cas à Baltimore et serait finalement plus logique. Sur un dessin, l’illusion serait la même. En revanche, la Vierge de Montmerrei, exacte jusque dans les proportions, reste fidèle au modèle sur ces gestes aussi. Elle reproduit de minuscules détails qui ne seraient pas visibles sur un dessin de face, ainsi une petite saillie du voile dépassant de l’avant-bras gauche qui le retient. Elle a certainement été copiée directement sur l’original et semble bien être l’exception qui confirme la règle.


Wirth V19. Vierge de Blanchelande, Paris, Louvre (musée)19. Vierge de Blanchelande, Paris, Louvre (musée) Wirth V20. Vierge, Paris, Musée de Cluny cl. 3270 (musée)20. Vierge, Paris, Musée de Cluny cl. 3270 (musée)

Il va de soi que la transposition des modèles par le dessin, telle que nous la supposons ici, est une hypothèse sujette à révisions. Quoi qu’il en soit, le cas des Vierges de Mainneville et de Poissy, plus encore que celui d’une petite poignée d’autres, est significatif d’un tournant. Il s’agit à la fois d’œuvres profondément novatrices, puis glosées sans cesse. On en a un équivalent dans la pensée scolastique: deux figures émergent autour de 1300, Guillaume d’Ockham et Jean Duns Scot ; on ne compte plus ensuite les ockhamistes et les scotistes. Or l’époque de Philippe le Bel est un moment de grands bouleversements, suivis de difficultés croissantes qui culminent dans la Guerre de Cent Ans.

Philippe le Bel s’était pratiquement érigé en chef de l’Église de France et avait fait succéder à Boniface VIII un pape complaisant siégeant en Avignon. Qu’il s’agisse du procès des templiers ou du procès posthume de Boniface, il n’avait pas hésité à faire accuser ces hommes d’Église d’hérésie, de sodomie et de culte du démon. Cette posture exigeait en contrepartie de se présenter en modèle de vertu chrétienne et on la retrouve chez ses proches, à commencer par Enguerrand de Marigny. Du point de vue artistique, cela supposait de belles donations religieuses, telles que le prieuré de Poissy pour l’un, la collégiale d’Écouis pour l’autre. Cela supposait aussi un art puritain. Si on compare les livres de prière réalisés pour la cour et ceux des villes du nord de la France, comme Arras, on s’aperçoit que les drôleries impertinentes qui les décorent ailleurs auraient été scandaleuses à Paris. Pour ne prendre qu’un exemple, dans le psautier d’Isabelle de France, fille de Philippe le Bel, on trouve en bas de page un cycle de l’Ancien Testament et un bestiaire à la place habituelle des drôleries[38].

Comme l’a bien vu Robert Suckale, cette tendance puritaine et ascétique explique largement le tournant stylistique de la sculpture sous le règne[39]. Les accessoires de mode, comme le cordon agrafé aux deux pans du manteau pour le retenir, se raréfient et encore plus le sourire avenant de la Vierge. Elle porte toujours la couronne, le plus souvent le sceptre ou un équivalent symbolique, et marque une distance royale face au fidèle. Ces traits s’atténueront parfois au cours du siècle, mais sans que les modèles parisiens de son début soient remisés. Il faut attendre les deux dernières décennies pour voir céder ce paradigme, en particulier chez deux puissants apanagistes, les ducs de Berry et de Bourgogne, alors que le roi est trop jeune pour gouverner, puis sombre dans la folie.



Evolution de la sculpture parisienne jusqu’au milieu du XIVe siècle

Peu d’époques ont connu une transformation du vêtement aussi radicale que celle du XIVe siècle. Alors que la différence des sexes était atténuée par la mode du siècle précédent, elle est à nouveau mise en valeur. De larges surcots cachaient les formes corporelles et la barbe était passée de mode; il ne restait guère que la longueur des cheveux et celle de la robe, cachant la cheville, qui distinguait les femmes des hommes. Progressivement, l’encolure s’élargit au lieu de se réduire à une fente fermée par un bouton, soit sur la poitrine, soit dans la nuque, ce qui permit d’enfiler la robe plus facilement, mais aussi de jeter un regard sur la poitrine des femmes. Chez l’homme, la barbe revint affirmer la virilité. Mais la transformation la plus radicale du vêtement est l’apparition de la coupe cintrée. Au lieu que la cotte soit cousue dans une pièce de tissu trapézoïdale et que seule la ceinture marque la taille, la coupe se met à épouser le corps, marquant entre autres la rotondité du sein féminin. L’apparition du pourpoint dégage les jambes de l’homme, revêtues seulement de chausses, et met en évidence la puissance de la cage thoracique.

Mais l’essentiel de ces transformations ne nous concerne pas, car la Vierge Marie les ignore, refusant les séductions profanes. Elle évolue à contresens, remplace souvent le voile court que portent les autres dames par un voile long évoquant la palla antique et ne correspondant à rien dans le costume de l’époque. Elle porte moins souvent des bijoux tels que le fermail ou les médaillons qui permettaient de retenir le manteau par un cordon, cache volontiers sa riche ceinture sous le manteau. La couronne royale peut donc rester son seul bijou visible. Sur un point cependant, elle finit par suivre la mode: son encolure s’élargit assez soudainement autour de 1320 comme celle de l’Enfant lorsqu’il est habillé et celle de tout un chacun. Il s’agit d’un jalon chronologique important qui ne semble avoir été suffisamment exploité. En effet, aucune madone plus ou moins datée, parisienne ou dont le modèle est parisien, n’en témoigne avant cette date. Nous savons pourtant que l’élargissement de l’encolure était pratiqué dès la seconde moitié du XIIIe siècle, mais il pouvait passer pour une séduction vulgaire et il suscitait des critiques[40]. Il finit par s’imposer à Paris aussi vers 1320 et l’encolure fermée devint rare pendant plusieurs décennies. Mais l’encolure de la Vierge ne s’élargit plus et ne se transforma pas en véritable décolleté, alors qu’elle se mit une vingtaine d’années plus tard à dégager les épaules des autres femmes.

Il faut attendre le siècle suivant pour voir à nouveau la Vierge s’intéresser à la mode. Cela dit, une distinction doit être faite entre la séduction du personnage et sa soumission à la mode. Depuis les environs de 1100, les artistes médiévaux mettent leur talent à la rendre toujours plus séduisante et il y a bien une tendance à lui faire suivre la mode. En revanche, cette tendance est en contradiction avec le modèle antique. Au début du XIIIe siècle, elle abandonne momentanément les longues robes à la mode pour se draper d’une sorte de péplum moulant le corps de ses plis serrés afin d’en mettre les formes en valeur, puis au contraire abandonne cette tenue pour porter un lourd manteau aux gros plis cassants. Au XIVe siècle, c’est principalement l’élégance du visage et du déhanchement qui assure la séduction de la Vierge. Sa poitrine est presque inexistante, tandis qu’au siècle suivant, elle ne craint plus les décolletés.

Entretemps, le refus de la mode par la Mère de Dieu a été celui d’une confrontation à une réalité changeante. Cela est particulièrement évident dans la statuaire qui ne donne à voir que le corps et le vêtement. Il s’agit certainement d’une raison majeure pour laquelle la sculpture religieuse française se renouvelle si peu, particulièrement les madones.

Pour voir ce qui change et quand, il faut se contenter des rares œuvres documentées. Pour l’essentiel, il s’agit d’œuvres parisiennes, c’est-à-dire produites à Paris par des sculpteurs de n’importe quelle origine. De fait, Paris est un creuset où les artistes fusionnent dans un même style. Parmi les œuvres que nous allons évoquer, il n’y a guère que la Vierge de la cathédrale de Sens dont le lieu de production soit vraiment incertain. Prenons-les par ordre chronologique.


Wirth V21. Reliquaire de la cathédrale de Séville (Jl FilpoC)

21. Reliquaire de la cathédrale de Séville (Jl FilpoC)

L’identification des donateurs a donné la date du reliquaire de Philippe V et de Jeanne de Bourgogne conservé à la cathédrale de Séville : entre 1316 et 1322 (ill. 21)[41]. Il s’agit d’un petit tabernacle d’or et d’argent doré abritant une Vierge à l’Enfant, sur lequel se refermaient des volets émaillés montrant les donateurs en prière présentés par deux saints. Comme à Mainneville, la Vierge est enveloppée d’un manteau, mais, au lieu de retomber horizontalement en tablier, celui-ci se replie sur lui-même à l’aplomb de l’Enfant, donnant à voir deux pans superposés. Il s’agit d’une complexification du schéma que nous retrouverons pendant longtemps, comme nous l’avons vu. Pour le reste, le drapé ne montre pas de nouveauté significative.

Les comptes de l’Hôpital Saint-Jacques à Paris nous renseignent précisément sur les statues d’apôtres commandées pour la chapelle dont cinq subsistent au Musée de Cluny[42]. Les six premières ont été réalisées par Guillaume de Nourriche entre 1319 et 1324, les six autres par Robert de Launay entre 1326 et 1327. Comme aucune autre œuvre de ces sculpteurs n’est connue et qu’elles sont proches stylistiquement, les tentatives d’attribution à l’un et à l’autre sont très incertaines et nous ne nous y aventurerons pas.

On repère d’abord entre ces pièces un souci de variété : le déhanchement va de fort à inexistant, le manteau tombe depuis les épaules, retenu par l’avant-bras ou le couvrant. Mais la plupart des plis sont faibles et espacés, les plus gros et les plus énergiques occupant ici l’emplacement du ventre, là tout le bas du corps (ill. 22). Enfin, des retombées plus ou moins fournies pendent sous l’avant-bras gauche.


Wirth V22. Statue d'apôtre de l'Hôpital Saint-Jacques à Paris, musée de Cluny (musée)

22. Statue d’apôtre de l’Hôpital Saint-Jacques à Paris, musée de Cluny (musée)

Les mêmes tendances s’observent sur les tombeaux de Philippe le Bel et de Charles IV à Saint-Denis, réalisés de 1327 à 1329[43]. On y retrouve l’opposition entre des plis très plats et les plis très creusés que fait le manteau sur le ventre, tandis que les plis tuyautés retombent cette fois des deux avant-bras. C’est sans doute le contraste un peu forcé entre les zones calmes et agitées, mais aussi la domination des plis courbes sur les plis cassés, qui caractérise le mieux ce moment stylistique.

En 1329, Mahaut d’Artois commande à Jean Pépin de Huy une Vierge en marbre, aujourd’hui conservée au Musée des Beaux-Arts d’Arras, pour la chartreuse de Gosnay dans le Pas-de-Calais (ill. 23)[44]. De dimensions modestes (65 cm), elle est la première madone datée dans ce matériau, souvent utilisé ensuite, bien que le calcaire polychrome soit nettement majoritaire. Les statuettes en ivoire et les travaux d’orfèvrerie avaient conduit depuis longtemps à apprécier l’absence ou la limitation de la polychromie au profit de la beauté du matériau. L’influence de la sculpture italienne en marbre a pu aussi jouer un rôle pour le mettre à la mode, tandis que la monochromie est toujours plus appréciée comme le montre le livre d’heures de Jeanne d’Evreux. Enfin, le marbre s’était imposé des 1275 environ dans la sculpture des tombeaux[45] ; Pépin de Huy était « tombier » et maîtrisait donc ce matériau.


Wirth V23. Jean Pépin de Huy, vierge de Gosnay, Arras, Musée des Beaux-Arts (S.W.)

23. Jean Pépin de Huy, vierge de Gosnay, Arras, Musée des Beaux-Arts (S.W.)

Il s’agit d’un sculpteur mosan installé à Paris que Mahaut d’Artois apprécie particulièrement, puisqu’il travaille avec d’autres pour la tombe de son mari Otton de Bourgogne en 1311 comme pour celles de ses fils Jean et Robert d’Artois en 1314 et en 1320[46]. Contrairement au drapé contrasté des œuvres précédentes, celui de la Vierge de Gosnay est très homogène, dominé par les plis moyens. Ce n’est pas surprenant, car le modèle est la Vierge de Poissy. Comme on le voit, l’imitation des œuvres du temps de Philippe le Bel empêche toute évolution régulière du style. Ce qui change est ailleurs, dans le visage rond et juvénile, avenant et très légèrement souriant de la Vierge, dans la masse de sa chevelure ou la poitrine discrètement suggérée. Le type de visage se retrouve sur le gisant de Robert d’Artois, mort à quinze ans, à Saint-Denis. Il contraste avec la gravité dominant en France et il est significatif que plusieurs Vierges proches de celle de Gosnay, comme celles de Sées, de Coutances et de Pont-aux-Dames possèdent le même visage rond, à cette différence qu’il est inexpressif. L’exception est une autre Vierge de marbre au Louvre (RF 579), également de petites dimensions (55 cm). Elle possède un visage identique jusqu’à la fossette du menton à celui de la Vierge de Gosnay et pourrait bien être aussi de Pépin de Huy. Nous retrouverons chez les sculpteurs mosans ce genre de visages avenants qui est resté une de leur marque de fabrique dans le creuset parisien. Un autre trait exceptionnel, contribuant à la grâce juvénile, caractérise le gisant de Robert d’Artois : son déhanchement comparable à celui de plusieurs apôtres de l’Hôpital Saint-Jacques, mais absolument étranger aux conventions de la sculpture funéraire, est paradoxal pour une figure qu’on ne voit pas de face. Il a toutefois été imité sur le tombeau de Philippe le Bel.


Wirth V24. Vierge de la cathédrale de Sens (médiathèque du patrimoine)

24. Vierge de la cathédrale de Sens (médiathèque du patrimoine)

La Vierge de Sens a été offerte à la cathédrale par le chanoine Manuel de Jaulnes en 1334 (ill. 24)[47]. C’est une Vierge-reliquaire assise, comme on en trouve quelquefois en Bourgogne, mais il peut s’agir d’une spécificité de la commande qui n’implique rien sur le lieu de production. Cela dit, une autre Vierge assise conservée au Musée du Louvre (RF 1486) présente des traits apparentés, en particulier son drapé, certes plus cohérent, mais tout aussi tubulaire, avec ses superpositions de plis mollement moulés les uns sur les autres. On remarque aussi la couronne aux fleurons végétaux semblablement développés. Or cette Vierge provenait selon le vendeur de la région entre Sens et Joigny. On ne peut donc exclure la possibilité d’une production locale.

Le visage grave de la Vierge de Sens n’a rien d’original, contrairement à une abondance de tissu encore jamais atteinte. Outre le voile long, deux manteaux semblent superposés sur ses jambes, parfois trois, formant des volutes tuyautées repliées sur elles-mêmes comme des coquilles d’escargots. Et pourtant, le buste découvert par le voile ne montre aucune trace d’un manteau. Jusqu’à présent, les drapés respectaient la cohérence du vêtement, mais cette fois, le sculpteur ne semble pas s’en être soucié. Il s’est seulement souvenu que la quantité de textile porté montrait la richesse et le rang de la personne. L’originalité s’obtient ici par la surenchère.


Wirth V25. Vierge de Magny-en-Vexin (Poschadel)

25. Vierge de Magny-en-Vexin (Poschadel)

Comme on l’a vu, la Vierge en marbre de Magny-en-Vexin avait été donnée en 1340 par Jeanne d’Évreux à Saint-Denis (ill. 25). Elle est loin de ces excès et les plis tuyautés sont bien moins abondants qu’à Sens. C’est à nouveau du fait du retour à un modèle déjà ancien, la Vierge d’Écouis. Le sculpteur s’est servi d’un dessin de cette Vierge, en faisant davantage de plis et les rendant plus étroits, à l’exception d’un gros sur le ventre qui domine toute la composition. La tendance au contraste qu’on avait repérée sur les Apôtres de l’Hôpital Saint-Jacques se retrouve ici. En même temps, il s’agit de compliquer le dessin d’Écouis en animant tout le manteau au lieu de laisser des plages lisses. Que la Vierge de Magny ait été à son tour très imitée montre combien le renouvellement se faisait attendre.


Wirth V26. Vierge et Guy Baudet, cathédrale de Langres (médiathèque de patrimoine)

26. Vierge et Guy Baudet, cathédrale de Langres (médiathèque de patrimoine)

En 1341, l’évêque de Langres Guy Baudet, chancelier du roi, commande à Évrard d’Orléans une Vierge pour sa cathédrale, ainsi que sa propre statue, à genoux et en prière face à l’Enfant qui le bénit (ill. 26)[48]. La Vierge en noyer de la collection Timbal, au Musée de Cluny, devait déjà faire partie d’un groupe semblable à la fin du XIIIe siècle. Apparaissant comme peintre à Paris dans les rôles de la taille dès 1292, mort en 1357, Évrard est désigné comme peintre du roi dès 1304. Le roi et les grands, comme Mahaut d’Artois, lui confient non seulement des travaux de peinture, mais aussi d’architecture et de sculpture durant une longue carrière. Cette polyvalence n’a pas de quoi surprendre de la part d’un artiste médiéval, mais est-ce bien de cela qu’il s’agit ? En effet, nous savons que certaines de ses commandes sont sous-traitées. En 1313, il est engagé par Mahaut d’Artois pour « faire une tombe », probablement celle de son époux Othon de Bourgogne, mais il confie la sculpture à Jean Pépin de Huy et la peinture à Jean de Rouen. Évrard est certainement un homme de métier, mais il est aussi un entrepreneur au service de la cour, une sorte d’intendant des arts dont le rôle exact dans une commande n’est pas évident. Françoise Baron fait cependant de lui l’auteur de l’autel de Maubuisson, commandé vers 1340 par Jeanne d’Évreux, de la Vierge et de l’évêque Guy Baudet en prières devant elle à la cathédrale de Langres l’année suivante, enfin de saint Mammès au portail de cette cathédrale. La chose est très incertaine et serait difficile à prouver, puisque ce sont les seules œuvres qu’elle puisse lui attribuer. Les similitudes qu’elle dégage lui font penser qu’il s’agit de la même main, mais ne nous disent pas si c’est celle d’Évrard. Nous verrons en fait que le retable et la Vierge ne sont pas de la même main.

Dans cet article, Françoise Baron ne juge plus la Vierge, alors qu’elle émettait en 1981 une juste réserve[49]. En fait, le fort déhanchement est bizarre au point qu’elle semble souffrir d’une scoliose. Cela est dû à la verticalité des jambes qui devraient être obliques pour déporter le bassin vers la gauche et compenser ainsi le déplacement du torse vers la droite. En outre, le visage de la Vierge est lourd et disgracieux. La bouche étant trop proche du nez, le menton devient énorme, tandis que, comme à l’ordinaire, l’Enfant ressemble à sa mère. La tendance à placer la bouche assez haut est générale, mais tout de même pas à ce point. Le drapé a une nouvelle fois perdu sa cohérence. Le manteau retenu par l’avant-bras droit rejoint le gauche en tablier, de sorte qu’on ne comprend pas d’où vient le pan qui tombe sur la jambe droite. Ce qui n’est ni une qualité, ni un défaut, il n’y a plus que des plis courbes, en dehors des plis tuyautés très saillants qui tombent des avant-bras.


Wirth V27. Virgen blanca de Huarte (Cátedra APIN - NOMA Katedra)

27. Virgen blanca de Huarte (Cátedra APIN / NOMA Katedra)

Une inscription sur le socle nous renseigne sur la provenance de la Vierge conservée en l’église de Huarte, près de Pampelune (ill. 27): « En l’an du Seigneur 1349, Martin Duardi, marchand de Pampelune, fit transférer cette image de la ville de Paris dans cette église et la donna en l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie. Priez pour lui »[50]. De meilleure qualité, l’œuvre est également en marbre et confirme les tendances précédemment décrites : trois pans de manteau sont superposés et il est impossible de comprendre le drapé. Les plis brisés ont disparu ou profit des courbes et des chutes de tuyaux resserrés.

La date de cette Vierge est aussi celle de la fin d’une époque. Aucune commande n’est connue sous le règne piteux de Jean le Bon et il faut attendre Charles V pour en trouver de nouvelles à Paris. Auparavant, l’évolution stylistique pouvait se résumer à la multiplication des pans de manteau superposés et à un drapé toujours plus chargé de plis courbes, le dessin général reproduisant une poignée de modèles du début du siècle. Il reste à expliquer cet immobilisme, antérieure à la peste et aux désastres de la Guerre de Cent Ans. Il est bien connu que le règne de Philippe le Bel marque le terme d’une longue période d’expansion démographique et de dynamisme. Ce n’est pas propre à la France, car dans le cas de l’Italie, c’est aussi la période d’une transformation décisive, avec l’apparition de la perspective picturale. Mais la génération suivante y est inventive et il serait absurde de traiter Simone Martini ou les Lorenzetti comme de simples suiveurs.

Sous Philippe le Bel, Paris prend une importance inouïe dans le paysage français avec plus de 100000 habitants. Entre 1298 et 1312, un impôt exceptionnel permet d’y dénombrer 235 sculpteurs et peintres[51]. On ne peut que se demander si la stagnation française n’était pas la rançon d’une centralisation précoce, étouffant les initiatives locales, réduisant la concurrence et les échanges entre des villes soumises à Paris. Au XIIIe siècle, la production artistique était dominée par la construction des cathédrales, dont la splendeur était largement fonction de la puissance des évêques et des chapitres. Nous avons pu relativiser considérablement l’importance de la cathédrale parisienne, face à celles de Reims et de Chartres dans les ouvrages que nous avons consacrés aux deux dernières. La raréfaction des chantiers jointe à l’importance politique croissante de Paris, à la nouveauté et à la qualité de la production parisienne fournissant le roi et la cour ont mis la capitale dans une position dominante, attirant les meilleurs artistes, avant d’évoluer en vase clôt et de se répéter. Seuls les sculpteurs mosans, dont nous étudierons plus en détail l’activité chez eux et à Paris, échappent à la stagnation.



Le conservatisme iconographique

L’iconographie n’évolue pratiquement pas. Même autour de 1300, il ne se passe pas grand-chose de neuf en dehors de l’apport italien, en particulier de la nudité de l’Enfant. On la trouve en effet sur la Vierge Timbal du Musée de Cluny, celles de Poissy, de Mainneville et du musée de Salins-les-Bains. Le motif semble apparaître concurremment ou à peine plus tôt dans la peinture italienne, ainsi vers 1283 dans la madone de Cimabue à Castelfiorentino (Museo di Santa Verdiana), puis chez Duccio dans le triptyque conservé à la National Gallery de Londres. Il ne s’agit pas de la nudité totale qui n’apparaît qu’à une date tardive. Si dans les exemples italiens, le voile cachant le bas du corps de l’Enfant-Dieu est bien distinct du maphorion ou du voile de la Vierge, celui-ci est langé dans le grand voile de sa mère à Mainneville et dans son sillage. Le détail est un peu saugrenu, sauf si l’Enfant avait non seulement la science, mais aussi la propreté infuse.

Pour les autres innovations, la priorité revient plus clairement à la peinture italienne. L’oiseau tenu par l’Enfant apparaît déjà chez Guido da Siena sur la maestà de Saint-Dominique de Sienne. Si l’Enfant n’est pas porté sur le bras droit de la Vierge avant le milieu du XIVe siècle en France, il l’est déjà sur une madone de Coppo di Marcovaldo en l’église des Servi à Sienne vers 1268. L’Enfant saisit le voile de la Vierge dans celle de Crevole par Duccio au Museo del Duomo de la même ville, vers 1283-84. La Vierge tient le pied de l’Enfant dans la Madonna del Bordone de Coppo, également aux Servi de Sienne, datée de 1261, mais elle le fait déjà dans une statuette mosane du début du XIIIe siècle au Musée du Louvre (réf. OA 10925).

L’apport iconographique italien avait été clairement perçu par Emile Mâle et situé correctement autour de 1300[52]. Il a su le mettre en relation avec les échanges artistiques connus, l’envoi du peintre Étienne d’Auxerre à Rome par Philippe le Bel en 1298, ainsi que l’arrivée en France d’un peintre romain nommé Bizuti dans les textes, mais qui pourrait être Filippo Rusuti[53]. En revanche, il a sans doute exagéré l’apport d’un texte dévot, les Meditationes vitae Christi du Pseudo-Bonaventure. Selon l’étude récente et rigoureuse de Sarah McNamer, la première version du texte qui peut avoir été écrite par une femme est en italien et pourrait effectivement dater des environs de 1300[54]. Contrairement à l’idée reçue, la comparaison avec les œuvres d’art montre qu’elle s’en inspire plutôt que de les avoir inspirées.

Les motifs que nous venons d’énumérer reviennent inlassablement durant tout le siècle. Louise Lefrançois-Pillion avait déjà mis en garde contre la surinterprétation, jugeant la part du symbolisme très faible, en dehors du symbolisme nuptial, mais elle n’a pas toujours été suivie[55]. On lit en effet trop souvent des commentaires puérils : le voile symboliserait la virginité ; la ceinture symboliserait la virginité ; le manteau replié sur la poitrine symboliserait encore la virginité. C’est oublier qu’une femme mariée porte la voile, qu’une dame en ayant les moyens porte une riche ceinture et que le manteau replié sur la poitrine est un héritage antique. Certes, un prédicateur médiéval est susceptible de trouver du symbolisme dans n’importe quel objet, mais la tâche de l’historien de l’art n’est pas de faire des sermons à sa place. Il peut arriver, par exemple, que l’oiseau fasse allusion à la Passion, ainsi lorsque l’Enfant lui ouvre les ailes en croix ou lorsque l’oiseau est un rouge-gorge, le rouge évoquant une plaie. Mais il faut rappeler que l’enfant ayant attrapé un oiseau existait déjà dans l’Antiquité païenne et qu’on le retrouve dans l’art profane de l’époque moderne, par exemple chez Pigalle. Il s’agit avant tout de montrer l’habilité précoce de l’enfant comme un heureux présage.

Cela dit, le symbolisme nuptial mis en place dans l’art dès le XIe siècle a effectivement survécu. Le couple de la Vierge et de l’Enfant en est imprégné au point de tenir lieu de l’Époux et de l’Épouse dans l’initiale « O » du Cantique des Cantiques, c’est-à-dire dans l’incipit Osculetur…: « Qu’il me baise des baisers de sa bouche ». L’intimité du couple est souvent soulignée, ainsi par les gestes de tendresse de l’Enfant ou lorsque Marie lui touche le pied[56], lorsqu’il lui saisit la ceinture et à plus forte raison lorsqu’il lui met la bague au doigt[57]. Mais dans l’ensemble, il s’agit d’un symbolisme banal et répétitif.

Parmi les motifs qui ont probablement gardé leur sens, il faut aussi mentionner le sacerdoce de la Vierge[58]. En fait, c’est celui qu’on a le moins remarqué. Il tient à un détail qui passe aujourd’hui souvent inaperçu mais qui ne pouvait qu’être évident aux contemporains: le manteau tenu sur la poitrine par un gros fermail n’appartient pas au costume des dames, mais au costume liturgique.

Face à cette série de motifs présents dès le début du siècle ou auparavant, il y en a finalement un qui n’apparaît qu’au milieu : l’allaitement de la Vierge. Il n’était ignoré ni de la peinture italienne, ni de la sculpture antérieure au nord des Alpes. Il réapparaît avec une Vierge en marbre mosane du Musée des Beaux-Arts de Lille et avec celle de l’église de Muneville (Manche) qui, comme nous le verrons, vient certainement du même milieu. Or Liège possède toujours un prestigieux relief sur le thème que la légende associe au théologien Rupert de Deutz (Liège, Musée Curtius). Le motif pourrait donc bien être à nouveau un apport étranger.

Les commandes de tombeaux sont beaucoup mieux documentées que celles de madones. Elles décrivent l’iconographie demandée avec exactitude, ainsi pour les attributs du gisant[59]. Les rares commandes de madones que nous possédons ne disent rien de l’iconographie. En 1325, les comptes de l’hôtel d’Artois donnent 19 livres à l’imagier Jean le Seleur « pour une ymage de Nostre Dame a tabernacle »[60]. En 1341, Evrard d’Orléans se voit commander « une ymage d’albastre et un tabernacle aussi lons et aussi grans et de autele facons et de grandeur comme sont l’ymage et le tabernacle des frères Meneurs ou Praescheurs de Paris […] Et aura dedenz un evesque d’albastre, de deux piez de lonc, et aura les mains jointes contre l’ymage de Notre Dame »[61]. Si le modèle à suivre est bien incertain (frères mineurs ou prêcheurs?), le tabernacle est décrit, mais il n’y a pas plus de précisions sur l’iconographie de la Vierge.

On comprend à de tels exemples que ce qui importe au commanditaire n’est pas de savoir si l’Enfant tient une pomme ou un oiseau. Que le gisant soit en prêtre ou en évêque est infiniment plus important. Clerc de Mahaut d’Artois, Thierry d’Hireçon avait été nommé évêque peu de temps avant sa mort. En 1327, il fallut rectifier sa tombe en lui greffant une mitre[62].



Une combinatoire de motifs

En étudiant les Vierges à l’Enfant de Seine-et-Marne, Françoise Baron a tenté de constituer des groupes à partir de combinaisons de motifs, nommés d’après une œuvre significative : le groupe de Rampillon (ill. 17) que nous avons déjà évoqué, ceux de Varennes-sur-Seine (ill. 28) et d’Esmans (ill. 29)[63]. Ces groupes n’ont rien à voir avec la personnalité des artistes : le type iconographique n’a aucun rapport avec le niveau de qualité et des œuvres stylistiquement très proches, comme les Vierges de Rampillon et de Varennes qui pourraient éventuellement appartenir au même artiste, sont les éponymes de deux groupes distincts. Ils caractérisent encore moins une provenance locale, car les œuvres les plus apparentées iconographiquement peuvent appartenir à des régions éloignées.

Les différences pertinentes pour distinguer les trois groupes se réduisent à peu de choses. Dans le cas de Rampillon et des œuvres semblables, des plis verticaux partent de l’avant-bras droit et bordent les plis en écuelle du tablier. Ils deviennent minuscules dans le groupe d’Esmans, mais se développent considérablement sous le bras gauche, de sorte que les plis du manteau se déplacent vers la droite et se brisent. On retrouve les deux chutes latérales dans le groupe de Varennes, mais celle de droite est retenue sous l’avant-bras.


Wirth V28. Vierge de l'église de Varennes-sir-Seine (tous droits réservés)28. Vierge de l’église de Varennes-sir-Seine (tous droits réservés) Wirth V29. Vierge de l'église d'Esmans (médiathèque du patrimoine)29. Vierge de l’église d’Esmans (médiathèque du patrimoine) Wirth V30. Vierge de l'église de Bornel (Poschadel)30. Vierge de l’église de Bornel (Poschadel)

Constatons d’abord l’absence de répliques exactes, le cas de la Vierge de Montmerrei restant isolé. On parlera en revanche de répliques totales lorsque tous les motifs iconographiques concordent, quel que soit l’écart stylistique. Reprenons les types de Françoise Baron. Dans le cas de la Vierge de Rampillon, il y a des répliques totales: Sées dans l’Orne, Jambville en Yvelines, Ully-Saint-Georges dans l’Oise. Elles sont à bonne distance les unes des autres, alors qu’on n’en a repéré aucune en Seine-et-Marne. Dans la plupart des cas, on note une ou plusieurs variations: Enfant à moitié-nu au lieu de porter une tunique, tenant un livre au lieu d’une pomme, caressant la poitrine de sa mère au lieu de saisir le voile, etc., ou encore une complexification du drapé, avec des pans de manteau superposés. Nous n’avons pas trouvé de répliques totales des Vierges de Varennes et d’Esmans, mais rencontré bon nombre de variantes. Dans le cas de Varennes, l’Enfant peut saisir le voile comme à Rampillon, il peut tenir une pomme à la place de l’oiseau, toucher le fermail ou le médaillon de sa Mère lorsqu’elle porte le voile en écharpe, tandis que le drapé peut également se compliquer.

Les Vierges de Rampillon et de Varennes sont peut-être des prototypes parisiens, mais ce n’est certainement pas le cas de celle d’Esmans. De haute qualité et probablement antérieure, la Vierge de Bornel dans l’Oise (ill. 30) doit être de facture parisienne. Contrairement à celle d’Esmans, elle possède des répliques totales: les Écrennes (Seine-et-Marne), Palaiseau (Essonne), Saint-Loup-de-Naud (Seine-et-Marne). C’est plutôt à partir d’elle qu’il faut noter les variations, comme la substitution d’une pomme à l’oiseau (Saint-Pierre des Minimes à Clermont-Ferrand), le geste de bénédiction de l’Enfant au lieu de la saisie du voile (Esmans), l’Enfant habillé, saisissant le fermail de la Vierge au lieu de son voile, etc.

Dans les trois cas, la localisation des répliques totales exclut une diffusion par proximité. Les deux les plus rapprochées sont les Vierges des Écrennes, vers Melun et de Saint-Loup-de-Naud vers Provins, distantes de 32 km. Or celles des trois œuvres qui peuvent être des prototypes, Rampillon et Varennes, n’ont aucun caractère régional et la diffusion du modèle dans toutes les directions, en particulier dans le groupe de Rampillon, signale un dessin parisien.

Il arrive aussi qu’un sculpteur provincial soit à même de dessiner des modèles, souvent à bonne distance de Paris, ainsi le maître des Vierges aux bouquets de roses dans le Cotentin que Brigitte Béranger-Menand a baptisé ainsi[64]. Lorsqu’une particularité iconographique est propre à une région, elle semble confirmer l’existence de sculpteurs locaux. C’est ainsi qu’en Normandie occidentale, on trouve une série de Vierges qui tiennent à la main un pan de leur manteau, comme celle de Juaye-Mondaye (Calvados). De même nous verrons que la présence de Moïse et du Buisson Ardent aux pieds d’une Vierge qui lève souvent la main droite signale la production des confins burgondo-champenois et son extension dans l’Oise. Il est difficile de trouver la raison de ces spécificités : peut-être s’agit-il de faire allégeance à une Vierge localement prestigieuse ? Mais, le plus souvent, soit les œuvres sont importées de Paris, soit elles reposent sur un dessin parisien. Dans tous les cas, un jeu de motifs perdure pendant au moins la moitié du siècle, caractérise les œuvres, mais ne se confond ni avec le style, ni avec une iconographie particulière, car les variations sont quasiment aléatoires. Essayons de le décrire.

Le manteau de la Vierge connaît de nombreuses variantes. Il est porté sur les épaules et peut pendre librement, être retenu par un cordon ou refermé sur la poitrine par un fermail. Il peut retomber sur l’un des avant-bras ou sur les deux et, dans ce dernier cas, se terminer horizontalement ou en demi-cercle comme un tablier, formant deux grandes chutes latérales. Lorsqu’il ne repose que sur l’un des avant-bras, il tombe obliquement comme il le faisait au siècle précédent. Parfois, sa chute est retenue sous un avant-bras pour que sa lourde cascade ne traîne pas par terre ou encore, en Normandie, la Vierge le prend à pleine main. Le manteau en tablier avec deux retombées latérales est très majoritaire sur les modèles parisiens.

La Vierge porte la couronne lorsqu’elle n’est pas amovible et n’a pas disparu. Ce n’est qu’à partir du milieu du siècle qu’il lui arrive de s’en passer, peut-être par humilité. Elle tient le sceptre, autre insigne royal, sinon une fleur ou un bouquet de fleurs. En fait, le sceptre est lui-même en forme de fleur de lys, de sorte que cette fleur implique la royauté. Mais la rose la remplace souvent au XIVe siècle pour mettre l’accent sur les noces spirituelles avec le Christ. A partir du milieu du siècle, la Vierge peut se défaire de ces emblèmes, en particulier pour allaiter. Le voile se présente sous trois formes. Il peut rester court comme au siècle précédent, être mi long, souvent pour que l’Enfant puisse le saisir, être très long pour envelopper le corps en s’inspirant de la palla antique. Il repose alors sur les avant-bras comme le manteau et peut servir de lange à l’Enfant nu.

L’Enfant est généralement porté sur le bras gauche. Lorsqu’il l’est sur le droit, c’est le plus souvent pour allaiter. La Vierge lui tend souvent le bras droit et il arrive, comme on l’a vu, qu’elle lui prenne le pied. Lui-même peut être vêtu d’une tunique ou nu, mais le bas du corps langé d’un voile. Il porte parfois une cape, qu’il soit habillé ou nu en-dessous. Il tient généralement un objet d’une main ou des deux, le plus souvent une pomme, un oiseau ou un livre. De la droite, il peut caresser sa mère, saisir son voile, le cordon de son manteau ou sa ceinture, bénir un personnage qui se trouve ou se trouvait à la droite de sa mère. Il lui arrive aussi de la couronner.

Les corrélations entre deux termes sont fréquentes et souvent faciles à comprendre: comme on l’a dit, la saisie du voile de la Vierge par l’Enfant est aisée avec le voile mi long et pour que le voile lange l’Enfant, il doit être long. Certaines ne semblent s’expliquer que par la diffusion d’un dessin, ainsi celle entre le toucher du pied de l’Enfant et le manteau coincé sous l’avant-bras droit, dominante dans le groupe d’Esmans. Mais alors, elles ne sont pas systématiques: les deux motifs peuvent se trouver l’un sans l’autre. Enfin, la plupart des variations n’implique pas la consultation de deux dessins: rien n’est plus facile que de remplacer l’oiseau par une pomme ou l’inverse.



Identifier quelques mains

La présence de Vierges très semblables dispersées dans un rayon de plus de deux cents kilomètres de Paris nous a fait supposer que les modèles étaient parisiens et que bon nombre de ces œuvres, sans doute les plus fortes, venaient de la capitale. On aimerait donc identifier un certain nombre de mains parmi les plus expertes, mais l’entreprise est difficile pour plusieurs raisons. Il y a d’abord la forte conventionnalité du style, l’absence de recherche de l’originalité. En outre, l’état des pièces est loin d’être toujours satisfaisant. Sur bon nombre d’entre elles, il ne reste plus de polychromie, ou encore les polychromies postérieures n’ont pas été décapées. Sur un visage, la moindre initiative du peintre, aussi respectueuse soit-elle de la sculpture, peut en modifier totalement l’expression. Enfin, il arrive que des Vierges en calcaire polychrome et en marbre soient très proches, mais nous ignorons si les mêmes sculpteurs travaillaient ces deux matériaux. Bien entendu, il n’est pas question d’utiliser les rapprochements iconographiques pour détecter les mains : nous avons vu que des œuvres iconographiquement identiques peuvent diverger considérablement par le niveau de qualité. Même à un niveau de qualité comparable, il serait aventureux de donner à la même main trois Vierges de Seine-et-Marne pourtant si proches, celles d’Esmans, de Saint-Loup-de-Naud et du Plessis-l’Évêque. La récurrence des formules en fait plutôt les répétitions d’un type.

Le sculpteur de la Vierge de l’église Saint-Aignan à Soisy-sur-École (Essonne), conservée au musée d’Étampes, se laisse facilement identifier depuis que les fragments de cette œuvre, brisée à la Révolution, ont été recollés en 1988 (ill. 31)[65]. Il ne s’agit de rien de moins que de celui de la Vierge d’Écouis (ill. 3), sans doute à une date proche. On le reconnaît immédiatement au visage mélancolique, mais aussi à la retenue du déhanchement et à la chute d’un drapé souple et sobre, organisé autour d’un pli saillant sur le ventre. On avait compris depuis Régnier que ce sculpteur était parisien et la présence des deux œuvres en des endroits distants ne fait que le confirmer.


Wirth V31. Vierge de Soisy-sur-Ecole, musée d'Etampes (Poschadel)

31. Vierge de Soisy-sur-Ecole, musée d’Etampes (Poschadel)

Les ressemblances évidentes entre la Vierge de Blanchelande, aujourd’hui au Louvre, et celle de Fontenay sont plus difficiles à exploiter (ill. 32 et 33). L’allure générale du drapé est plus que compatible, tandis que leur sourire est aussi semblable qu’il est original. Il entraîne des fossettes et, comparé à ceux d’autres Vierges de la période, il manque totalement de discrétion et semble forcé. On est donc tenté d’y voir la particularité d’un même sculpteur, une fois admis que les deux œuvres dont parisiennes.

Plusieurs observations vont pourtant en sens contraire. Le drapé très souple de la Vierge de Blanchelande a la mollesse du caoutchouc alors que des plis fins animent parfois la surface à Fontenay qui pourrait être plus tardive de cinq à dix ans environ. Mais un sculpteur peut évoluer. Il est plus gênant que la chevelure soit traitée de manière très différente : mèches fluides à Blanchelande, grosses boucles cylindriques à Fontenay, ce qui relève plutôt de la manière propre au sculpteur. On laissera donc la question ouverte.


Wirth V32. Vierge de Blanchelande, Paris, Louvre (musée)32. Vierge de Blanchelande, Paris, Louvre (musée) Wirth V33. Vierge de Fontenay (Daniel Villafruela)33. Vierge de Fontenay (Daniel Villafruela)

En revanche, il semble possible d’attribuer au même sculpteur les Vierges de Varennes (ill. 28) et de Courtomer en Seine-et-Marne, celle de Saint-Martin d’Omerville (Val-d’Oise; ill. 34), celle de Gouvieux (Oise) et la seconde Vierge de Mainneville. On reconnaît sur les cinq le même type de drapé, le même visage mélancolique de la Vierge, la même chevelure bouclée, coiffée d’une couronne haute. Celles de Courtomer et de Gouvieux sont iconographiquement identiques, mais situées à une centaine de kilomètres de distance. L’Enfant ne saisit pas le voile de sa mère à Varennes et la Vierge ne tient pas le pied de l’Enfant à Omerville, ce qui entraîne une conduite différente du drapé du manteau qui n’est plus retenu par l’avant-bras droit. Le passage d’un type à l’autre est une mécanique bien réglée, à la disposition du sculpteur.

Au vu du visage et de la couronne, on peut se demander si ce sculpteur est aussi celui de Rampillon (ill.17) que nous retrouvons plus sûrement en l’église Saint-Pierre-aux-Liens de Brignancourt (Val-d-Oise; ill. 35). Sur ces deux dernières œuvres, le manteau donne à la Vierge une silhouette plus massive bien que fortement cambrée et est articulé par des plis plus puissants. Cela pourrait être mis sur le compte de la tenue de la fleur et non pas du pied de l’Enfant, mais le manteau de la Vierge d’Omerville qui est dans le même cas, présente un drapé beaucoup moins massif, dominé par un grand bec latéral. Si, comme il semble donc, le maître de Rampillon est distinct de celui de Varennes, on mesure a contrario le poids des conventions partagées à une date qui pourrait être le début des années 1320.


Wirth V34. Vierge de l'église d'Omerville (Poschadel)34. Vierge de l’église d’Omerville (Poschadel) Wirth V35. Vierge de l'église de Brignancourt (J.W.)35. Vierge de l’église de Brignancourt (J.W.)

Sans doute un petit peu plus récente, la Vierge de Champdeuil (Seine-et-Marne) tend à se libérer de ces conventions (ill. 36). Elle présente un nouveau visage, encore assez mélancolique, certes, mais plus ovale. Surtout, elle et l’Enfant se regardent comme sur la Vierge de Jeanne d’Évreux, ce qui est encore exceptionnel. Le manteau se replie sur lui-même comme dans le petit reliquaire de Séville et dégage l’épaule droite. Tout cela donne à l’œuvre quelque chose de moins solennel, de plus intime. On retrouve ces traits sur la Vierge de la Porte de l’Horloge à Amboise, aujourd’hui au musée Morin (ill. 37). Le manteau présente les mêmes pans superposés, mais il recouvre l’épaule au lieu de reposer sur l’avant-bras droit. Le couple se referme à nouveau sur lui-même : l’Enfant lisait, mais s’interrompt pour dialoguer avec sa mère tout en gardant la page de la main droite. Il semble lui faire un cours d’exégèse plutôt que de jouer avec un oiseau. La posture de la Vierge est aussi sinueuse qu’à Champdeuil et la polychromie est entièrement la même. La chevelure de la Vierge et la tête de l’Enfant sont si proches qu’il s’agit à l’évidence du même sculpteur, reconnaissable entre tous. Dans la longue série des Vierges en calcaire polychrome, ces deux œuvres apportent un renouvellement aussi considérable que passager, car elles sont isolées. Comme nous le verrons, c’est ailleurs et dans le marbre qu’il faut chercher soit leur source, soit leur postérité.

Au total, nous n’avons pu procéder qu’à quelques identifications dans l’abondante production parisienne aux environs de 1320, certaines étant en plus discutables. Bien que de haute qualité, elle dépend trop des chefs-d’œuvre du début du siècle pour laisser place à l’imagination.


Wirth V36. Vierge de l'église de Champdeuil (S.W.)36. Vierge de l’église de Champdeuil (S.W.) Wirth V37. Vierge de la Porte de l'Horloge, Amboise, musée Morin (J.W.)37. Vierge de la Porte de l’Horloge, Amboise, musée Morin (J.W.)



Limites et déclin de la suprématie parisienne

Il serait naïf de croire que les frontières artistiques suivent les frontières politiques ou même les frontières linguistiques. Il arrive que oui et il arrive que non. Nous avons vu des modèles parisiens pénétrer l’Empire jusqu’à Prague, mais ils sont bien moins imités en Lorraine, terre d’Empire proche de la France et en grande partie francophone. Les papes d’Avignon sont français, ainsi qu’une bonne partie des cardinaux, et pourtant Avignon est devenu un relai de la peinture italienne vers le Nord bien plus que de la sculpture française vers le Sud. Bordeaux est lié politiquement à l’Angleterre avec un solide sentiment anti-français et parle la langue d’Oc, mais sa cathédrale est une tête de pont de l’art français dans le Sud-Ouest. Les limites à l’autonomie des choix esthétiques sont plutôt techniques : construire une cathédrale gothique ne s’improvise pas et, pour y parvenir, il faut faire appel à des équipes françaises.

Le Languedoc

sb-line

La conquête française du Languedoc s’acheva dans les années 1240, mais n’entraîna pas immédiatement le changement artistique, dont on suit aisément la progression grâce à l’excellent ouvrage de Michèle Pradalier-Schlumberger[66]. On voit subsister un art roman attardé, mais on trouve quelques nouveautés gothiques affaiblies dans le décor sculpté des édifices, ainsi dès 1248 à la tour de Constance d’Aigues-Mortes. Il faut attendre le chœur de la cathédrale Saint-Nazaire-et-Saint-Celse de Carcassonne, dans les vingt dernières années du siècle, pour rencontrer une statuaire gothique. On y a sculpté en effet des statues de la Vierge et des Apôtres, non pas indépendantes de la construction comme à Montier-en-Der ou à la Sainte-Chapelle de Paris, mais intégrées à la structure des piles comme à la cathédrale de Naumburg. On les considère généralement comme françaises, dans la lignée des portails des cathédrales d’Amiens, de Reims et de Paris. Mais il faut y regarder de plus près.

Les œuvres caractéristiques du block style qui a inspiré le cycle ont souvent été datées tard, dans les années 1260. Mais on a montré que le portail Saint-Honoré de la cathédrale d’Amiens, où il apparaît sous la forme la plus pure, a été réalisé au milieu des années 1230[67]. Quant aux portails de la façade occidentale rémoise, ils sont entrepris vers 1240 et la dispersion des sculpteurs montre que le travail est terminé avant 1252[68]. Dès les années 1240, on constate un allègement du drapé par rapport à Amiens, ainsi à la Sainte-Chapelle, et il se généralise ensuite, sauf dans certaines périphéries. Le maître de Naumburg reste fidèle au block style dans les années 1240 et on retrouve un style proche dans l’Est de la France actuelle, ainsi dans un vestige d’un tympan du Jugement dernier qui peut dater des années 1260, provenant du portail sud de la cathédrale de Metz et conservé dans la crypte.


Wirth V38. Vierge à l'Enfant, chœur de la cathédrale de Carcassonne (tous droits réservés)38. Vierge à l’Enfant, chœur de la cathédrale de Carcassonne (tous droits réservés) Wirth V39. Vierge de l'Annonciation, chœur de la cathédrale de Carcassonne (tous droits réservés)39. Vierge de l’Annonciation, chœur de la cathédrale de Carcassonne (tous droits réservés)

Il serait en fait difficile de trouver à Paris un sculpteur travaillant encore dans ce style à la fin du siècle, mais on en trouve en Lorraine. La Vierge à l’Enfant du trumeau de Saint-Maurice d’Épinal et celle du cloître de la cathédrale de Saint-Dié (ill. 42 et 44) présentent en effet beaucoup de traits communs avec celle de Carcassonne et avec la Vierge de l’Annonciation du même cycle (ill. 38 et ill. 39). Dans les quatre cas, le manteau tombant des épaules contourne l’avant-bras droit puis rejoint le gauche sous lequel il est retenu pour produire une chute et pour que son extrémité inférieure descende de gauche à droite. Il s’agit toujours du dessin général de la Vierge dorée d’Amiens, à cela près que les plis de la robe et du manteau s’emboîtent. Sous le bras droit, les plis sont plus saillants dans la Vierge de l’Annonciation et celle de Saint-Dié, quasiment identiques sur la Vierge à l’Enfant de Carcassonne et celle d’Épinal. L’une est aussi peu déhanchée que l’autre, tandis que la Vierge de l’Annonciation l’est nettement plus, mais pas autant que la madone de Saint-Dié. Contrairement à celui de la Vierge amiénoise, le manteau tombe désormais assez bas pour laisser la ceinture visible. Les deux Vierges lorraines sont assez difficiles à dater. On peut envisager une date proche de 1280 pour la plus archaïque, celle d’Épinal, et nous verrons que celle de Saint-Dié devrait appartenir à la dernière décennie du siècle. Si le sculpteur de Carcassonne n’était pas lorrain, il pouvait venir d’une région où cette influence était forte, comme la Champagne ou la Bourgogne.

Michèle Pradalier-Schlumberger a noté la supériorité des deux Vierges de Carcassonne sur les Apôtres qui montrent encore des archaïsmes, tels que le double contour très graphique des yeux se poursuivant à la jonction des paupières qui évoque encore l’art roman. Elle fait donc des Apôtres les pièces les plus anciennes du cycle. Il semble plus probable que ce soit le travail moins abouti d’auxiliaires locaux du maître et que les statues totalement gothiques soient l’œuvre de cet étranger, le modèle plus ou moins bien compris celle des autres. Si le sculpteur qui a importé la statuaire gothique en Languedoc était lorrain et donc originaire de l’Empire, il ne pouvait être français que par la langue.


Wirth V40. Apôtre de la chapelle de Rieux, Toulouse, musée des Augustins (musée - Daniel Martin)40. Apôtre de la chapelle de Rieux, Toulouse, musée des Augustins (musée/Daniel Martin) Wirth V41. Notre-Dame de Bonnes-Nouvelles, Toulouse, musée des Augustins (musée)41. Notre-Dame de Bonnes-Nouvelles, Toulouse, musée des Augustins (musée)

De 1324 à 1343, l’évêque de Rieux Jean Tissandier fait construire sa chapelle en l’église des franciscains de Toulouse. Ce qui reste de l’admirable statuaire, au Musée des Augustins et à Bayonne, au Musée Bonnat, fait du maître de Rieux la deuxième grande impulsion façonnant le gothique languedocien (ill. 40)[69]. Son style repose sur une vaste connaissance de l’art de l’époque, comprenant la tradition de la grande sculpture gothique du siècle précédent, les raffinements maniéristes des années 1320, tels les drapés de l’enlumineur Jean Pucelle, enfin la peinture italienne installée en Languedoc, comme le montrent entre autres ses auréoles rayonnantes. Il sculpte de grosses boucles de cheveux en renchérissant sur des habitudes du siècle précédent pour parvenir à d’énormes tignasses et à de grosses barbes agitées répondant aux traits vigoureux du visage, proches de ce qu’on retrouvera dans la sculpture souabe au début du XVIe siècle, mais dont l’origine est à Saint-Nazaire de Carcassonne. En même temps, plusieurs autres pièces, comme saint Jean l’Évangéliste et saint Louis de Toulouse, expriment une incomparable douceur. Par rapport à la sculpture parisienne, l’élargissement de la gamme expressive est saisissant.

Le maître de Rieux se distingue non moins de ses collègues parisiens par la mise en valeur du corps. Alors que les plis larges et détendus des drapés parisiens le cachent, il l’enserre volontiers dans des plis tendus pour en faire ressortir les formes, ainsi sur saint Jean l’Évangéliste à la chapelle de Rieux. Le procédé est particulièrement efficace sur les madones, comme Notre-Dame de Bonnes-Nouvelles (Toulouse, Musée des Augustins; ill. 41) celle de Cardona en Catalogne qui peut être son œuvre et dans toutes celles qui manifestent son influence, ainsi la Vierge bien plus modeste d’Azille (Aude), sur laquelle le drapé moule la poitrine. On ne trouve la source du procédé ni dans la sculpture française ni dans la peinture italienne. Seule la sculpture antique peut l’avoir inspiré.

Il y a de fortes probabilités que le sculpteur vienne du chantier de la cathédrale Saint-André de Bordeaux, qu’il y ait travaillé précédemment au portail sud et il est possible qu’il soit le Petrus de Sancto Melio (Pierre de Saint-Émilion) mentionné par les archives toulousaines. Comme on l’a dit, Bordeaux nourrissait un profond sentiment anti-français et pourtant, sa cathédrale est profondément française. L’influence du maître de Rieux, formé à l’art français mais faisant la synthèse d’impulsions diverses, a déterminé largement la suite de la sculpture languedocienne. Peu d’œuvres témoignent d’une forte indépendance par rapport à son style. Il n’y a guère que la majestueuse Vierge de Bethléem, à la cathédrale de Narbonne, pour s’écarter partiellement de sa manière. La production courante dérive le plus souvent du maître de Rieux, comme en témoignent les chevelures abondantes, quelquefois de la Vierge de Bethléem, mais il n’y a plus de renouvellement avant la fin du siècle.


sb-line

Hors du royaume : la Lorraine

sb-line

Malgré un petit article bien senti de Paul Perdrizet, la sculpture lorraine du XIVe siècle n’est guère entrée dans la littérature scientifique que depuis William Forsyth, mais elle a fait l’objet d’un vaste travail de Josef Adolf Schmoll gennant Eisenwerth qui a montré son impact en Allemagne jusqu’à Cologne[70]. La plupart des Vierges lorraines sont faciles à identifier comme telles. Le plus souvent debout, elles exhibent une cambrure énergique, soulignée par les puissants plis obliques qui naissent sous l’avant-bras gauche lorsqu’il retient le manteau. Mais, dans un nombre à peu près égal de cas, le manteau porté sur les épaules est ouvert et dégage la robe, alors que sur les Vierges françaises, cette solution est très minoritaire. Comme nous l’avons vu, le manteau ouvert permet d’éviter qu’un grand pli de la robe parte sans raison de l’Enfant. La trajectoire des plis de la robe est ici d’une oblicité raisonnable, motivée par le hanchement.

Les deux formules – manteau ouvert ou fermé – se répètent à peu près immuables. Les visages sont larges, avec un front puissant, ce qui n’exclut pas une grâce juvénile sur les plus belles. Mais la plus grande différence avec la production parisienne est leur tridimensionnalité: la vue de côté est aussi plausible que la vue de face. On ignore évidemment comment elles étaient présentées, mais elles occupent parfaitement l’espace et peuvent se passer de tabernacle.


Wirth V42. Vierge du cloître de la cathédrale de Saint-Dié (tous droits réservés)42. Vierge du cloître de la cathédrale de Saint-Dié (tous droits réservés) Wirth V43. Vierge de Châtenois, New York, Metropolitan Museum (musée)43. Vierge de Châtenois, New York, Metropolitan Museum (musée)

Ces Vierges se situent donc dans la continuité de l’art du XIIIe siècle dont elles conservent les habitudes. Le manteau dégage volontiers le bras et même l’épaule droite, le bras bloquant les plis latéraux pour qu’ils ne traînent pas par terre, formule qu’on retrouve assez souvent, par exemple sur une Vierge lorraine conservée à Berlin (Skulpturensammlung, n° 7689), mais qu’on remarque déjà sur la Vierge du trumeau au portail principal de Notre-Dame de Marle (Aisne). Si plusieurs de ces Vierges, à commencer par celle de Saint-Dié, ignorent totalement les nouveautés parisiennes du début du siècle, d’autres montrent des emprunts à leurs dessins. Certaines portent le manteau en tablier au lieu qu’il retombe obliquement, ainsi l’une au Metropolitan Museum (réf. 32.100.406) qui rappelle le dessin de celle de Mainneville et une autre au Musée de Cluny (cl.18944), dépendant au contraire de celle d’Écouis. Il y a là l’indication d’une chronologie relative, mais on ne la remarque pas immédiatement, tant l’aspect général des Vierges parisiennes et lorraines est dissemblable.

En l’absence d’œuvres documentées, on a proposé des datations à la louche et contradictoires. C’est ainsi que la superbe Vierge du cloître la cathédrale de Saint-Dié qu’on considère généralement – sans doute avec raison – comme un prototype, car elle ne s’écarte en rien des habitudes du XIIIe siècle, était datée de la seconde moitié du siècle par Forsyth, du premier tiers par Béatrice de Chancel-Bardelot, de 1330-1340 dans le catalogue Figures de madones et de 1310-1320 par Schmoll (ill. 42)[71]. Dans ces conditions, parvenir à dater une œuvre majeure serait un grand pas en avant.

Le Metropolitan Museum de New York possède une remarquable Vierge lorraine qui a gardé une bonne partie de sa polychromie (réf. 17.120.256; ill. 43). Elle a été trouvée dans le cimetière de Châtenois (Vosges) ainsi qu’une seconde Vierge qui semble nettement plus tardive et partiellement inspirée d’elle (réf. 25.120365), par le sculpteur et collectionneur George Grey Barnard, de qui Forsyth tenait le renseignement.

La Vierge de Saint-Dié et la première Vierge de Châtenois sont d’un type bien différent: le manteau de l’une remonte vers l’avant-bras gauche, tandis que celui de l’autre, tenu par un cordon, tombe ensuite librement ; ici l’enfant est vêtu d’une tunique, là il est demi-nu. Mais, si on fait abstraction de la présence de la polychromie à Châtenois et de sa perte à Saint-Dié, les traits communs apparaissent: même posture des deux femmes, visages on ne peut plus semblables, tant de la mère que de l’Enfant. Il est même possible qu’elles soient toutes les deux de la même main. En outre, les deux formulations iconographiques se retrouvent sans cesse ensuite en Lorraine dans des œuvres sans doute un peu plus récentes, comme la Vierge déjà citée du Musée de Cluny (Cl. 18944) et une autre à Berlin (Staatliche Museen, inv. 8/87)[72].

Si le site du Metropolitan Museum ignore la provenance de la Vierge de Châtenois, elle n’a pas échappé à un érudit local lorrain, Christophe Labays[73]. Il a été alerté par une reproduction dans un magazine avec une inscription au stylo: « Châtenois, ancienne église. Elle se trouve dans un musée à New York. La Capeluche 1296 ». Labays s’est souvenu qu’il y avait effectivement une chapelle Notre-Dame de la Capluche au prieuré de Châtenois. On en possède l’acte de fondation par Raoul, abbé de Saint-Evre de Toul de 1289 à 1297, le 24 juin 1294 (et non pas 1296)[74]. Il va de soi que la fondation d’une chapelle mariale requiert une Vierge et, comme il n’y a pas de raison qu’on l’ait remplacée une ou deux décennies plus tard, celle de Châtenois date encore du XIIIe siècle et celle de Saint-Dié en est trop proche pour dater nettement plus tôt ou plus tard. La Vierge du trumeau à Saint-Maurice d’Epinal (ill. 44) doit être sensiblement antérieure et l’œuvre du sculpteur de Carcassonne s’insère parfaitement dans une telle chronologie. De même, Erwin Panofsky proposait une date vers 1290 pour la Vierge située au revers du portail occidental de la collégiale de Fribourg-en-Brisgau qui montre clairement la connaissance d’un modèle du type de Châtenois[75]. On comprend mal que Schmoll date la Vierge de Châtenois vers 1320 et mette celle de Morhange au début de la production lorraine dans les années 1290[76]. Cette dernière reprend la formule française du grand voile dans lequel est langé l’Enfant et est probablement plus tardive. Ce sont bien les modèles de Châtenois et de Saint-Dié qui ont été sans cesse imités et adaptés au goût du jour avec plus ou moins de talent. Cela dit, il y a des œuvres qui ne reposent pas sur leur modèle et peuvent être plus anciennes, à commencer bien sûr par la Vierge d’Épinal, mais aussi celle d’Ubexy (Vosges), conservée au musée de Metz[77]. Enfin, l’enracinement des Vierges de Châtenois et de Saint-Dié dans les habitudes stylistiques du XIIIe siècle, en particulier le puissant déhanchement de la Vierge, s’explique mieux ainsi que par le prétendu retard stylistique, sans cesse invoqué lorsqu’une chronologie est trop tardive.


Wirth V44. Vierge du trumeau, Épinal, basilique Saint-Maurice (Ji-Elle)

44. Vierge du trumeau, Épinal, basilique Saint-Maurice (Ji-Elle)

Ce qui se passe ensuite est difficile à décrire, car il faut attendre la fin du siècle pour apercevoir un net renouvellement des formes. Comme ailleurs, le vêtement prend de l’ampleur, avec des plis parfois énormes et le goût des contrastes vigoureux, ainsi sur la Vierge de la Tour-aux-Rats (Metz, Musée de la Cour d’Or). Jusque-là, on ne constate que de petites variations sur les deux types principaux, comme l’Enfant passant l’anneau nuptial au doigt de Marie sur la charmante Vierge de Maxéville, ou encore un travail grossier comme sur la seconde Vierge de Châtenois. L’encolure des Vierges étant dès la fin du XIIIe siècle assez large pour passer la tête, puis ne s’élargissant plus, tandis que les plis latéraux ne s’enroulent jamais en tuyaux d’orgue, on ne dispose pas de tels critères approximatifs de datation, en dehors des rares emprunts à Paris déjà notés.


sb-line

Mussy et la Lorraine

sb-line

En 1968, Pierre Quarré a défini un groupe d’œuvres dont il a situé la production à Mussy-sur-Seine (Aube)[78]. Il a été suivi par Schmoll genannt Eisenwerth qui a fait dériver la sculpture lorraine du XIVe siècle de ce groupe[79]. Il n’y a en effet aucun doute que le groupe de Mussy soit précoce. Guillaume de Mussy, l’un des puissants officiers de Philippe le Bel, qui a fait reconstruire l’église dans les années 1290 ou tout au moins a financé sa construction, est mort entre 1306 et 1308[80]. Ce proche de Nogaret fait penser à Enguerrand de Marigny, car il est lui aussi très pieux et grand donateur, ce qui ne l’empêche pas de s’enrichir par tous les moyens. On suppose que son tombeau a été érigé immédiatement à sa mort, de sorte qu’il sert de repère pour la chronologie du groupe d’œuvres. Un autre repère est donné par la Vierge au Buisson Ardent de l’Hôtel-Dieu de Tonnerre qui appartient à ce même groupe et devrait avoir été mise en place à la fin de la construction, en 1295 ou 1296[81].

Schmoll a fait observer que l’atelier ne se situait pas obligatoirement à Mussy : Langres, Tonnerre ou Troyes sont d’autres possibilités[82]. Il n’en reste pas moins que beaucoup d’éléments militent pour Mussy : le nombre d’œuvres conservées dans l’église, la présence d’un château de l’évêque de Langres où il résidait souvent et de carrières à Mussy. En outre, on y repère deux sculpteurs nommés tous deux Geoffroy, l’oncle qui était mort en 1319 et son neveu, ce qui s’accorde bien à l’évolution du style du groupe. Or un Geoffroy, peut-être l’oncle, a été appelé comme expert sur le chantier de la cathédrale de Troyes en 1297 et a été soupçonné d’être l’architecte de l’église[83]. Tout cela reste bien entendu hypothétique et nous ne parlerons du groupe de Mussy que pour simplifier.

Le groupe a de nombreux traits caractéristiques (ill. 45). La plupart des Vierges portent un voile court et le manteau ouvert, tenu par un cordon. Plusieurs lèvent la main droite, ce qui a été interprété par Quarré comme un geste d’oraison. Cela serait plus évident si elles levaient les deux mains, mais elles ne pourraient le faire sans lâcher le bébé. Plusieurs ont à leur pied Moïse face au Buisson Ardent. L’Enfant est toujours vêtu d’une tunique. Enfin, les oreilles de la Vierge sont curieusement décollées. C’est fréquent dans les représentations d’enfants, plus inhabituel pour les madones.


Wirth V45. Vierge à l'Enfant, église de Mussy-sur-Seine (médiathèque du patrimoine)45. Vierge à l’Enfant, église de Mussy-sur-Seine (médiathèque du patrimoine) Wirth V46. Vierge à l'Enfant, église de Chamant (Poschadel)46. Vierge à l’Enfant, église de Chamant (Poschadel)

Ces traits ont permis à Françoise Baron de repérer des œuvres du groupe dans l’Oise, ainsi la Vierge de l’église de Baron (simple homonymie) provenant de l’abbaye de Chaalis, celles de Betz et de Chamant (ill. 46)[84]. Elle ne parvient pas à expliquer le fait. Or la sculpture de la région ne présente au début du siècle aucune originalité par rapport à la production parisienne et il est peu probable qu’un atelier local se soit développé. Cela pourrait avoir poussé un sculpteur du groupe de Mussy à s’y installer quelque temps.

Tandis que ces œuvres de l’Oise appartiennent clairement au groupe, on peut se poser des questions sur d’autres, bien plus proches de Mussy, surtout une fois révisée la chronologie de la sculpture lorraine qui était systématiquement datée trop tard. On peut se demander par exemple si la Vierge de Gyé (Aube), avec son manteau retenu sur le bras gauche, au drapé typiquement lorrain, lui appartient vraiment. La même question se pose pour celle de Bayel (Aube) dont on a fait une œuvre maîtresse du groupe à ses débuts et dont le drapé est du même type (ill. 47). On donne comme argument pour rattacher les deux Vierges à ce groupe leurs oreilles décollées, mais elles existent aussi en Lorraine, ainsi sur la Vierge d’Ubexy, qui nous semble l’une des plus anciennes (ill. 48) et sur celle de Ligny-en-Barrois (Meuse). Elles apparaissent sur la Vierge d’Étrepy (Marne), également lorraine ou d’inspiration lorraine. On les trouve aussi dans des œuvres plus anciennes, sur la façade occidentale de la cathédrale de Strasbourg, ainsi sur l’une des vertus terrassant les vices et sur l’une des vierges sages, et déjà au portail central de la cathédrale d’Amiens, sur la Patience du cycle des vices et des vertus. Comme l’a montré Tina Anderlini, il s’agit d’une conséquence du port sous le voile d’une coiffe gonflée par la chevelure qui rabat les oreilles vers l’avant[85]. Il est donc impossible de ne faire de ce détail qu’une caractéristique d’un sculpteur ou d’un groupe particulier et on peut juste constater qu’il est fréquent dans le groupe de Mussy.


Wirth V47. Vierge de l'église de Bayel (GO69)47. Vierge de l’église de Bayel (GO69) Wirth V48. Vierge provenant d'Ubexy (Olivier Petit, tous droits réservés)48. Vierge provenant d’Ubexy (Olivier Petit, tous droits réservés)

En outre, il est discutable de vouloir faire du tympan de l’église templière de Libdeau (Nancy, Musée Lorrain), forcément antérieur à la dissolution de l’ordre en 1307, un exemple de l’influence de Mussy sur la Lorraine (ill. 49). La Vierge qui s’y trouve entre bien plus sûrement dans la postérité de Saint-Dié. En suivant à la trace les oreilles décollées, Schmoll attribue celles des Vierges de Libdeau et d’Ubexy à l’influence du groupe, mais l’argument est circulaire et ne tiendrait que si on pouvait se fier à sa chronologie. En effet, cela peut aussi bien servir d’argument à l’influence de plusieurs œuvres lorraines sur le groupe de Mussy.


Wirth V49. Tympan de l'église de Libdeau, Nancy, Musée Lorrain (musée)

49. Tympan de l’église de Libdeau, Nancy, Musée Lorrain (musée)

La recherche a raisonné comme si Mussy était une étape entre Paris et la Lorraine, mais il n’en est rien. La sculpture lorraine ne dépend en rien de la nouvelle sculpture parisienne à ces dates et, si le groupe de Mussy a infiltré la région de Beauvais, on chercherait en vain en Lorraine des œuvres qui lui appartiennent clairement. Inversement, la sculpture lorraine s’est diffusé tôt en Champagne et au nord de la Bourgogne. Forsyth a publié une Vierge que le Metropolitan Museum avait acquise (réf. 39.63) et qui rappelle celle de Châtenois, bien qu’elle soit assise et plus tardive[86]. Elle provient probablement de Saint-Chéron (Marne) et personne ne songerait à la situer dans l’orbite de Mussy. Plusieurs Vierges qui nous semblent clairement lorraines se trouvent dans la même région que Mussy, dont celle d’Herbisse et celle de Baroville que Schmoll attribue lui-même à un atelier lorrain[87].

Il y a quelque chose d’étrangement paradoxal dans le raisonnement de Schmoll. Selon lui, il n’y aurait pas de précédents locaux à la nouvelle sculpture lorraine, ce qui ne serait pas le cas de Mussy: « Etant donné que les rares témoignages de la sculpture lorraine qui s’est développée au milieu et à la fin du XIIIe siècle sont d’un tout autre caractère (il n’existe aucune étude exhaustive à ce propos), celle qui s’est épanouie dans cette région autour de 1300 semble être le fruit d’une impulsion étrangère dont il conviendrait de rechercher la source dans les ateliers du sud de la Champagne et du nord de la Bourgogne »[88]. Mais qu’en est-il aux confins de la Champagne et de la Bourgogne? Schmoll propose une formation du maître qu’on peut soupçonner d’être à l’origine du groupe à Troyes, auprès du sculpteur responsable des deux prophètes supposés provenir de Saint-Urbain, aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de cette ville[89]. Au vu des drapés agités et presque déchiquetés de ces deux statues, on a beaucoup de peine à en faire l’origine de son style (ill. 50). Inversement, Schmoll a lui-même recherché, depuis lors, les précédents des madones lorraines et en a trouvés de bien plus convaincants : les reliefs du portail de Notre-Dame-la-Ronde à la cathédrale de Metz, bien sûr la Vierge du trumeau d’Épinal, mais aussi et surtout celle de Saint-Nicolas-de-Port en Meurthe-et-Moselle (ill. 51)[90]. Il n’a pas cru bon de changer d’avis pour autant.


Wirth V50. Prophète, Troyes, musée des Beaux-Arts (S.W.)50. Prophète, Troyes, musée des Beaux-Arts (S.W.) Wirth V51. Vierge à l'Enfant, basilique Saint-Nicolas-de-Port (G. Garitan)51. Vierge à l’Enfant, basilique Saint-Nicolas-de-Port (G. Garitan)

Le cas de la Vierge de Saint-Nicolas-de-Port est pourtant emblématique. Elle fait transition entre la Vierge dorée de la cathédrale d’Amiens et celle de Saint-Dié, comme le montre le dessin du manteau. En revanche, le voile est plus long qu’à Saint-Dié et tombe aussi droit qu’à Carcassonne, l’Enfant dont le jeu de jambes et les pieds nus restent les mêmes, est encore tenu à hauteur de la taille, la robe de la Vierge possède toujours un fermail et son visage est resté ovale : la face n’a pas encore acquis la forme d’un blason qui sera caractéristique des madones lorraines. La datation de cette Vierge par Schmoll vers 1270-1280 est tout à fait acceptable et on se demande pourquoi il place celle de Saint-Dié quarante ans plus tard. Il est vrai, comme le montre le cas de la Vierge dorée d’Amiens, que l’autorité d’un modèle peut-être très durable, mais la date de la Vierge de Châtenois montre que la nouvelle sculpture lorraine est apparue avant le XIVe siècle.

Une fois corrigée la chronologie de la sculpture lorraine, il paraît difficile de la faire dépendre du groupe de Mussy et l’inverse devient bien plus probable. L’évolution stylistique se moque des frontières politiques. Guillaume de Mussy, un grand officier royal, était le commanditaire d’un sculpteur que rien ne rattachait à Paris et dont on peut même se demander s’il n’était pas lorrain. Cela dit, on ne peut faire non plus comme s’il n’y avait pas eu de sculpture dans l’Aube avant Mussy et au même moment. A Troyes en particulier, les pertes dues à la Révolution sont considérables, sans compter celles qu’avait entraînées depuis le XVIe siècle le renouvellement du décor dans une ville riche. C’est finalement la présence d’œuvres lorraines dans la région et l’absence d’œuvres du groupe de Mussy en Lorraine qui indique le sens des emprunts.

D’ailleurs, l’influence lorraine ne s’est pas limitée à ce groupe. Plusieurs Vierges bourguignonnes en témoignent à leur tour. L’une des plus belles est celle de Châteauneuf-en-Auxois (Côte-d’Or; ill. 52) qui suit largement le dessin de celle de Mainneville. Elle s’en distingue pourtant clairement dans le bas du corps, bien plus large et la campant solidement. Plutôt que de former un « tablier », le voile et le manteau se terminent en deux obliques, partant de l’Enfant vers la jambe et le pied droits, de sorte que les proportions s’apparentent davantage à celles des Vierges lorraines du type de Saint-Dié. Elle semble pourtant bien bourguignonne, comme le montre la proximité avec le visage, la chevelure et le drapé de la Vierge de Saint-Thibault (Côte d’Or) qui n’a rien de lorrain et pourrait également être de sa main. Mais le cas n’est pas isolé. Deux autres Vierges bourguignonnes sont nettement apparentées à celle de Châteauneuf et ont le déhanchement lorrain : celles de Tregny et de Villevallier dans l’Yonne. Aucune de ces Vierges n’est précoce, de sorte qu’il serait aberrant d’en faire des prototypes que la Lorraine aurait suivis. Cela confirme simplement que les modèles lorrains font concurrence aux modèles parisiens en Bourgogne comme en Champagne.


Wirth V52. Vierge de l'église de Châteauneuf-en-Auxois (GO69)

52. Vierge de l’église de Châteauneuf-en-Auxois (GO69)

Il reste à savoir en quoi consiste vraiment le « groupe de Mussy ». Selon Thomas Morel, conservateur au Musée des Beaux-Arts de Troyes (communication orale), il pourrait bien s’agir de tout ce qui reste de la production locale et non pas d’un atelier parmi d’autres. Effectivement, on serait bien en peine de trouver dans la région des œuvres de la première moitié du XIVe siècle qui témoignent d’une autre direction stylistique. Seules celles qui sont clairement lorraines s’en distinguent. Dans certains cas, comme nous l’avons vu à propos des Vierges de Bayel et de Gyé, il est difficile de trancher. C’est finalement l’apparition de deux particularités iconographiques qu’on ne trouve pas en Lorraine – le geste d’oraison et la présence du Buisson Ardent – qui caractérisent le mieux la production locale et son intrusion dans l’Oise.


sb-line

Le renouveau mosan

sb-line

 

Wirth V53. Vierge de la cathédrale d'Anvers (S.W.)53. Vierge de la cathédrale d’Anvers (S.W.) Wirth V54. Vierge de Diest New York, Metropolitan Museum (musée)54. Vierge de Diest New York, Metropolitan Museum (musée)

Tout le monde savait que l’un des rares sculpteurs parisiens du début du XIVe siècle tant soit peu documenté, Jean Pépin de Huy, était mosan comme son nom l’indique et venait donc de l’Empire. Autour de 1900, Louis Conrajod avait insisté sur l’apport des « franco-flamands » à la sculpture parisienne et leur attribuait l’apparition progressive du « réalisme » durant le XIVe siècle, en fait de la diversification des traits du visage et du refus de leur idéalisation qui mènent au portrait ressemblant[91]. Il a été largement suivi, ce qui entraîna en 1957 la protestation de Pierre Pradel[92]. Celui-ci remarqua avec raison que l’appellation de franco-flamand, voire de flamand, était totalement inappropriée, en particulier pour les Mosans. Puis il s’acharna à minimiser l’apport des gens du Nord, à commencer par Pépin de Huy. Son importance serait une illusion due à la conservation des comptes de Mahaut d’Artois dont c’était le sculpteur favori. De même, les portraits ressemblants de Jean de Liège étaient tout simplement dans l’air du temps. Bref, ces étrangers n’ont rien apporté au génie français. A sa suite, la recherche française, dominée par les conservateurs du Louvre, ne s’est plus intéressée à d’éventuels apports étrangers et a tout fait dériver de Paris.

C’est donc principalement à un Américain, William Forsyth, puis à un Belge, Robert Didier, qu’on doit aujourd’hui une meilleure connaissance de la sculpture mosane[93]. Ils ont progressivement défini un groupe important et inégal, celui des madones mosanes, à la tête duquel se trouvait un maître auquel on doit entre autres la Vierge de la cathédrale d’Anvers (ill. 53) et celle de Diest, datée de 1345 (New York, Metropolitan Museum, réf. 24.215; ill. 54). Mais le groupe comprend également une Vierge provenant de Pise (Berlin, Staatliche Museen, détruite) et une Annonciation restée au baptistère de Carrare, ce qui confirme le succès international que laissait supposer la présence de Pépin de Huy puis de Jean de Liège à Paris[94]. La génération précédente présente également un maître intéressant, celui de La Gleize, identifié par Didier. Malheureusement, ces œuvres ne sont pas datées en dehors de la Vierge de Diest. Aussi sérieuses soient-elles, les estimations de Didier restent forcément incertaines.

La recherche de la possible influence de ces maîtres en France dans la première moitié du siècle n’est pas facilitée par les phénomènes d’osmose. En fait, la sculpture mosane doit beaucoup à la française autour de 1300, peut-être à l’importation de statuettes d’ivoire comme le pense Didier[95]. A Paris, Pépin de Huy tend à se fondre dans le paysage. Nous avons vu combien la Vierge de Gosnay était tributaire des modèles français. Toutefois, nous avons aussi remarqué que son visage juvénile, presque mutin, la différenciait des autres, sauf d’une petite Vierge en marbre du Louvre (RF 579) qu’il faut certainement attribuer à ce sculpteur.

Comme la Vierge de Gosnay, le gisant de Robert d’Artois possède un visage juvénile et presque souriant qui change de la gravité imposée sous Philippe le Bel, tout comme son déhanchement. La diversification des types se poursuit à Paris dans un groupe d’œuvres depuis la fin des années 1320. Gerhard Schmidt, suivi par Michael Viktor Schwarz, a remarqué le visage disgracieux donné à Charles d’Anjou sur son gisant à Saint-Denis en 1326, mais aussi les traits vigoureux du comte Aymon sur le sien en l’église de Corbeil[96]. Le mendiant auquel saint Martin donne la moitié de son manteau sur un groupe sculpté de l’église abbatiale de Saint-Martin-aux-Bois (Oise), daté 1344, montre un type de visage que nous retrouverons chez les apôtres dans le relief dit de la Cène à Maubuisson qui représente en fait l’institution de l’eucharistie (ill. 57)[97]. A la suite de Gerhard Schmidt, il attribue ces œuvres à un Maître du comte Aymon de Corbeil, dépendant de l’art de Pépin de Huy. Il est évidemment impossible de dire si ce sculpteur vient également de Liège, mais il est clair qu’il s’intègre dans le courant mosan.

Gerhardt Schmidt oppose son Maître du comte Aymon à Pépin de Huy, considérant qu’ils représentent deux tendances opposées, mais Schwarz relève avec raison les points communs. En fait, il suffit de remarquer le même contraste à Maubuisson entre la « Cène » et l’ange (ill. 58) pour comprendre qu’il s’agit du même phénomène d’opposition des types, que l’un ne va pas sans l’autre. Si on compare le gisant de Robert d’Artois à celui d’Aymon en oubliant un instant l’expression des visages, on s’aperçoit qu’ils sont de la même main ou en tout cas de la même équipe.

Il existe une parenté étonnante entre la Vierge de l’église de Champdeuil en Seine-et-Marne (ill. 36) et celle de la cathédrale d’Anvers, qui a intrigué Françoise Baron[98]. La comparaison des deux œuvres montre clairement qu’elles reposent sur le même dessin, tant pour le déhanchement que pour le drapé du manteau. Elles ont en commun une particularité aussi rare en France qu’en pays mosan : le manteau qui repose sur l’avant-bras droit dégage totalement la robe sur l’épaule. Dans les deux cas, la Vierge et l’Enfant se regardent bien en face, ce qui referme le groupe. Il est arrivé qu’on s’en approche en France, surtout avec la Vierge de Jeanne d’Évreux, mais ce n’était déjà plus la tendance depuis la Vierge de Poissy, car le groupe répugne à exclure totalement le fidèle.

En même temps, les deux œuvres présentent des différences notables : l’une est en calcaire polychrome ; le visage plus rond de la Vierge d’Anvers respire le bonheur, l’autre l’inquiétude, tout en étant plus menu mais non moins gracieux. Françoise Baron fait dériver la Vierge d’Anvers de celle de Champdeuil, alors qu’elle considérait cette dernière comme isolée dans la production régionale et même française. Comme celle d’Anvers s’insère parfaitement dans la production mosane, cela indiquerait plutôt que le dessin de la Vierge d’Anvers a circulé en France et a permis que la Vierge de Champdeuil se dégage des conventions.

Pourtant, nous avons attribué au même artiste la Vierge d’Amboise. Or celle-ci ne repose pas sur le dessin de celle d’Anvers malgré son évidente parenté avec celle de Champdeuil. En fin de compte, une fois la Vierge de Champdeuil sortie de son isolement en France, il devient difficile de dire si elle imite celle d’Anvers ou le contraire. Notre connaissance de l’évolution stylistique n’est pas assez sûre pour garantir l’antériorité de l’une ou de l’autre. Robert Didier propose une date dans les années 1330 pour la Vierge d’Anvers. Celle de Champdeuil s’apparente davantage par sa qualité et sa spontanéité à des œuvres parisiennes de la décennie précédente qu’aux surenchères de la période suivante. Françoise Baron pourrait bien avoir eu raison de la croire antérieure. Une chose est sûre : l’emprunt s’est fait entre deux sculpteurs de premier plan.

On repère une ressemblance moins poussée entre la Vierge de Villers-Saint-Frambourg (Oise) et une Vierge du Musée des Beaux-Arts de Lille, appartenant au groupe des Vierge mosanes en marbre (ill. 55 et 56). Toutes deux sont des Vierges en train d’allaiter l’Enfant et lui prenant le pied. Le manteau en tablier est d’un drapé très semblable, bordé de deux chutes retenues sous les avant-bras qui lui donnent un évasement faisant penser à une jupe. Le procédé semble dériver des Vierges qui tiennent le pied de l’Enfant et que Françoise Baron a rassemblées sous le nom de groupe de Varennes, mais il est nettement plus prononcé. La Vierge de Villers est clairement française et il s’agit à nouveau de savoir laquelle imite l’autre. Cette fois, il est facile de répondre: la retenue du manteau par l’avant-bras droit est convaincante à Lille, tandis qu’à Villers, l’avant-bras situé trop bas et trop loin du corps ne parvient pas à faire croire qu’il retient le manteau. Selon toute vraisemblance, la seconde imite la première, directement ou par des médiations.


Wirth V55. Vierge de l'église de Villers-Saint-Frambourg (Poschadel)55. Vierge de l’église de Villers-Saint-Frambourg (Poschadel) Wirth V56. Vierge mosane, Lille, musée des Beaux-Arts (S.W.)56. Vierge mosane, Lille, musée des Beaux-Arts (S.W.)

Le retable de Maubuisson montre au plus haut point l’importance qu’a prise en France le courant mosan. Il revient à Françoise Baron d’avoir réuni les pièces éparses qu’il en reste et les documents disponibles pour proposer une restitution convaincante de son aspect[99]. Le retable fait partie de la commande faite en octobre 1340 par Jeanne d’Évreux de la chapelle Saint-Paul et Sainte-Catherine en l’abbaye de Maubuisson[100]. Jusque-là, on ne peut que la suivre avec admiration.

Dans le même article, elle confronte le retable à deux autres œuvres, le groupe de la Vierge à l’Enfant et de l’évêque Guy Baudet ainsi que la statue de saint Mammès, commandés à Evrard d’Orléans en 1341 pour la cathédrale de Langres. En rapprochant ces pièces, elle arrive à la conclusion qu’elles sont d’Évrard et qu’on a enfin des témoins de son style.

Comme on l’a dit et comme elle le savait, Évrard d’Orléans, connu comme peintre du roi, a été durant sa longue carrière une sorte d’intendant des Beaux-Arts au service du roi et de la cour, de sorte qu’il a beaucoup sous-traité, ce que montrent les comptes de Mahaut d’Artois. En outre, les critères sur lesquels Françoise Baron prétend l’identifier, comme l’absence du contour des ongles ou au contraire le souci du détail sont trop généraux pour emporter l’adhésion. Il suffit d’ailleurs de prendre en considération le drapé pour se demander si la Vierge et l’évêque sont de la même main. Surtout, les apôtres et les prophètes de Maubuisson possèdent des traits qu’on ne retrouve pas à Langres et qui mènent dans une tout autre direction.


Wirth V57. Retable de Maubuisson, l'Institution de l'eucharistie (SiefkinDR)

57. Retable de Maubuisson, l’Institution de l’eucharistie (SiefkinDR)

Il est en effet difficile de partager son enthousiasme pour le relief central du retable (ill. 57). Le Christ et les apôtres, tassés comme des sardines dans une boîte, surprennent par leur monotonie et leurs moues grincheuses. Les épaules étroites qui se chevauchent donnent le sentiment que les têtes barbues sont surdimensionnées, la faible profondeur du bloc de marbre n’arrangeant pas les choses. Cela veut clairement inciter à la dévotion, mais risque plutôt d’inspirer l’ennui. On s’étonne qu’on puisse créditer ce relief d' »exclure la monotonie ». Les six patriarches et prophètes qui flanquaient le relief sont un peu moins à l’étroit, tandis que l’ange aux burettes est juvénile et élégant (ill. 58). Qu’il s’agisse de l’élégance de l’ange, des épaules étroites ou des mines renfrognées des apôtres et des prophètes, il y a des points de comparaison évidents dans la sculpture mosane.

Plusieurs figures masculines ont en effet un physique comparable à celui des apôtres. On retrouve ce type de personnages bien serrés, l’épaule gauche de l’un cachant l’épaule droite de l’autre, sur l’un de deux groupes mosans en chêne à l’église Notre-Dame de Louviers (Eure), avec des traits masculins assez brutaux (ill. 59)[101]. Deux groupes sculptés de la Passion dans la collection du prince du Ligne, également très compacts, montrent la même anatomie masculine aux épaules étroites, tout comme un apôtre liégeois au musée d’art de l’Université du Michigan parmi bien d’autres exemples[102]. Par ailleurs, nous avons déjà rencontré le type de visage chez le Maître du comte Aymon, certainement un mosan installé à Paris. Enfin, l’ange aux burettes, si différent avec son visage gracieux, se rapproche des madones mosanes. Il contraste avec les figures d’hommes mûrs, ce qui est caractéristique de l’art mosan et tient à une volonté d’élargir la gamme expressive. C’est peut-être ce qui a plu à Jeanne d’Evreux chez le sculpteur du retable de Maubuisson, malgré sa relative médiocrité. Nous allons trouver un second indice de son intérêt pour les Mosans.


Wirth V58. Retable de Maubuisson, l'ange aux burettes, Paris, Louvre (Langopaso)58. Retable de Maubuisson, l’ange aux burettes, Paris, Louvre (Langopaso) Wirth V59. Groupe sculpté mosan en l'église Notre-Dame de Louviers (médiathèque du patrimoine)59. Groupe sculpté mosan en l’église Notre-Dame de Louviers (médiathèque du patrimoine)

La petite Vierge allaitant de Muneville-le-Bingard (Manche) fait partie des rares madones datées (ill. 60). L’inscription suivante se trouve en effet sur son socle: « Mestre Henri de Dompare, personne de Muneville, clerc reine Jeanne d’Evreux, donna ceste ymage et une chasuble de veluyau l’an 1343 »[103]. Louise Lefrançois-Pillion avait été à la fois troublée et séduite par l’originalité de l’œuvre[104]. Brigitte Béranger-Menand s’est d’abord demandé si elle n’était pas antérieure à sa donation, car elle correspond mal au style français de la période. Revenant sur le sujet, elle est bien plus hésitante, car elle a remarqué une étonnante parenté avec une Vierge conservée à la fondation Gulbenkian de Lisbonne que Françoise Baron a attribuée à Jean de Liège et supposé dater vers 1364 (ill. 61)[105]. Les deux remarques sont moins contradictoires qu’on le croirait, car la Vierge de Muneville entre mal dans la production française du milieu du siècle.


Wirth-V60.-Vierge-de-leglise-de-Muneville-mediatheque-du-patrimoine60. Vierge de l’église de Muneville (médiathèque du patrimoine) Wirth V61. Vierge à l'Enfant, Lisbonne, fondation Gulbenkian (musée)61. Vierge à l’Enfant, Lisbonne, fondation Gulbenkian (musée)

Le plus troublant reste l’évidente parenté avec la Vierge Gulbenkian. Les deux œuvres sont en marbre, les dimensions sont proches, respectivement 57 et 63 cm, les visages encore plus, ceux de l’Enfant quasiment identiques, plus proches encore l’un de l’autre qu’ils ne le sont de celui du gisant de Bonne de France (Anvers, Musée Mayer van den Bergh). Ce dernier étant attribué à Jean de Liège, il a entraîné l’attribution de la Vierge, confortée par le manteau tenu sous le coude, semblable à celui de Charles IV sur son gisant des entrailles, œuvre attestée de Jean[106]. L’Enfant est porté sur le bras droit, tandis que le manteau passe dans les deux cas sous les avant-bras et se resserre donc à la taille pour s’évaser comme une jupe jusqu’à la hauteur des genoux, comme sur une autre Vierge allaitant, celle du musée de Lille[107]. Non seulement la parenté est telle entre la Vierge de Muneville et celle de Lisbonne qu’on peut les donner au même sculpteur, mais encore qu’on s’étonne d’un écart de vingt et un ans.

Notons d’abord que l’attribution de la Vierge Gulbenkian à Jean de Liège ne fait pas l’unanimité. Elle ne figure pas dans l’article de Gerhard Schmidt, ce qui est normal puisqu’elle a été proposée plus tard, mais Michael Viktor Schwarz la rejette en observant qu’elle s’écarte de son style au profit d’une forte parenté avec les madones mosanes et préfère la donner à un suiveur du Liégeois[108]. Mais qu’en est-il des dates ? N’étant pas de grande taille, la Vierge de Muneville pourrait avoir été sculptée avant 1343 pour un usage privé, mais certainement pas plus tard, car l’inscription est certainement due au donateur et on voit mal pourquoi il aurait falsifié la date. Le cas de la Vierge Gulbenkian est différent, car 1364 n’est qu’une estimation fondée sur la ressemblance avec la tête de Bonne de France. Elle a été retrouvée à Paris, au faubourg Saint-Antoine où elle servait d’enseigne à un boulanger, et on suppose qu’elle provenait de l’église Saint-Antoine-des-Champs. Cette provenance est très probable, mais ne suffit pas à dater la Vierge, plus proche de celle de Muneville que de la tête de Bonne de France. Cela dit, nous n’avons aucune mention de Jean de Liège en France avant 1361, ni même ailleurs.

Deux indices suggèrent pourtant qu’il y a travaillé avant cette date. Son testament contient en effet un legs pour les ayant droit de la reine Jeanne de Boulogne, épouse de Jean le Bon morte en 1360, tandis qu’il lègue à ceux d’Elie Talmont, bourgeois de la Rochelle, « une ymage d’alebastre faite en manière d’un bourgoiz vestu et en houce »[109]. Or ce dernier personnage a été quatre fois maire de sa ville entre 1328 et 1343. Son nom disparaît ensuite et il ne semble pas avoir eu d’héritier mâle, encore moins du même prénom. Il n’est donc pas invraisemblable que Jeanne d’Evreux ait connu Jean de Liège dès 1343 et soit à l’origine de la commande de la Vierge de Muneville. Si c’est bien lui, la parenté incontestable de cette œuvre et de la Vierge Gulbenkian avec le maître des madones mosanes montre dans quel milieu il s’est formé et explique que son style ne soit pas encore celui de sa maturité. Cela dit, l’ange de l’Annonciation du Metropolitan Museum (17.190.390) et l’Évangéliste saint Jean du Musée de Cluny, que Gerhard Schmidt lui attribuent, conservent une animation qui rappelle encore ce maître[110]. Il faut donc reprendre le problème du rôle des liégeois et plus généralement des gens du Nord en France là où l’avait laissé Conrajod. Les liégeois ont une prédilection pour les Vierges en marbre et on peut se demander si Pépin de Huy n’a pas au moins contribué à les mettre à la mode en France. Mais ce n’est pas un point décisif, car, compte tenu de l’importance des tombes, et donc des « tombiers », cela se serait certainement produit sans lui.

Il en va différemment de la diversification des types. Chez le Maître des Madones mosanes, des hommes au visage marqué, sévère ou même brutal, contrastent avec les Vierges et les anges, gracieux et juvéniles, au point que nous avons pu attribuer à un sculpteur mosan le retable de Maubuisson. Cette dualité a été bien notée à Paris : « La combinaison d’anges et de prophètes, alors fréquente, correspond à la dualité profonde de l’art gothique international : la figure du vieillard barbu servant en quelque sorte de faire-valoir à celle, juvénile, de l’ange, où s’affirment le raffinement et l’élégance »[111]. Ce n’est pas du retable de Maubuisson qu’il s’agit ici, mais de l’art parisien vers 1400, soit soixante ans plus tard. Il serait difficile de trouver un meilleur démenti à la négation de l’influence mosane à Paris.



La domination du Nord

La seconde moitié du siècle est marquée à Paris par un destin artistique contrasté. Le règne de Jean le Bon (1350-1364) est un étiage attribuable aux malheurs de la guerre, à l’instabilité politique et à la peste. On ne repère aucune commande sculpturale de la cour. La situation se stabilise à la fin du règne grâce au dauphin Charles. Le règne de ce dernier (1364-1380), remarquable en tous points, voit la relance des grands chantiers, à commencer par le nouveau Louvre, mais sa mort et l’arrivée au pouvoir de Charles VI (1380-1422) ouvre une seconde période catastrophique. Il n’y a plus de grandes commandes à Paris. Seules l’enluminure et l’orfèvrerie semblent connaître un vrai éclat. En fait, les grands chantiers et les grands sculpteurs se sont déplacés vers les apanages, chez Jean de Berry, Louis d’Orléans et Philippe le Hardi. En ce qui concerne la production des madones qui datent manifestement de cette période, il serait téméraire de vouloir la localiser.

Après le milieu du siècle à Paris, lorsqu’il y a du travail, les sculpteurs des Flandres et du Hainaut s’ajoutent à ceux de la Meuse. Comme nous l’avons vu, les Mosans avaient commencé par se fondre dans le style existant, puis l’ont fait évoluer d’abord à peine, puis en se libérant de plus en plus. Deux points méritent particulièrement l’attention, l’évolution des physionomies et celle de la conduite du drapé.

Les traits gracieux, faisant contraste avec ces visages d’hommes mûrs et barbus aux traits accusés parfois jusqu’à la brutalité, se sont précisés dans les madones mosanes, des mères adolescentes et souples qui s’étaient débarrassées de la couronne et du sceptre. Une forte différenciation des types a remplacé l’idéalisation placide qui était restée longtemps dominante à Paris. Ce point nous paraît essentiel : la diversification des types et la recherche d’expressivités sont indispensables à l’adoption du portrait ressemblant, avec ce qu’il peut avoir de disgracieux.

Si on fait abstraction des hypothèses fumeuses sur la ressemblance des gisants antérieurs au règne de Charles V et sur l’utilisation peu probable de masques mortuaires, le premier portrait ressemblant connu en France est celui de Jean le Bon au musée du Louvre, un panneau peint en triste état. Le personnage n’étant pas couronné, il a dû être réalisé lorsqu’il était encore dauphin, sans doute peu avant 1350. Le phénomène est antérieur en Italie et semble remonter aux portraits de Boniface VIII. Le visage peu sympathique d’Enrico Scrovegni se rencontre ensuite dans sa chapelle à la fois sur la fresque du Jugement dernier de Giotto et sur sa statue orante. Autre œuvre de Giotto, le retable Stefaneschi, au Musée du Vatican, montre deux fois le donateur de profil, encore juvénile. Nous voyons ensuite Jacopo Stefaneschi vieillir dans le codex de saint Georges (Bibliothèque du Vatican, fol. 17r et 41r), puis sur le tympan de Notre-Dame-des Doms à Avignon, peint par Simone Martini. On peut donc se demander si le portrait de Jean le Bon n’est pas dû à un peintre italien passé à Avignon ou à un Français formé par les Italiens. Il s’agit encore d’une œuvre exceptionnelle en France.

Un article de Georgia Sommers Wright pose très bien le problème de l’apparition du portrait ressemblant, constatant les discontinuités dans son usage[112]. En Bohème, il apparaît au château de Karlstein sous l’empereur Charles IV, mais connaît une éclipse sous son successeur Venceslas. Elle en déduit qu’une des conditions de son existence est son acceptation par le commanditaire, évidente dans le cas de Charles IV en Bohème, mais aussi en France dans celui de Charles V qui l’a fait sculpter et peindre plusieurs fois de son vivant, alors qu’il n’était pas bel homme. Elle est également consciente que cette tâche nouvelle n’était pas facile pour les artistes, ce qui pose le problème de leur formation. Or, parmi ceux qui ont fait le portrait du roi, il y a le peintre brugeois Jean Bondol dans la Bible de Jean de Vaudetar qui nous donne son nom (La Haye, Musée Meermanno-Westreenianum, ms 10 B 23) et le sculpteur André Beauneveu, originaire de Valenciennes auquel il a commandé son tombeau de Saint-Denis en 1364[113]. Nous n’avons aucun portrait de Charles V qu’on puisse attribuer avec certitude à Jean de Liège. On a parlé à son propos de pseudo-portraits et il est possible que les gisants de Charles IV et de Jeanne d’Evreux en soient[114]. Mais c’est à lui qu’a été commandé en 1367 le gisant de Philippa de Hainaut à Westminster. La disparition de la taille et le visage bouffi de la reine qui était dans la cinquantaine font supposer qu’elle aimait la bonne chère et il serait étonnant que cette œuvre peu conventionnelle, mais parfaitement cohérente, ne soit pas un portrait ressemblant.

Sous Charles V, les trois seuls artistes dont on peut assurer qu’ils maîtrisaient le portrait ressemblant sont donc des gens du Nord n’appartenant pas au royaume. Si, dans le cas de Liège, on comprend comment la représentation de types physiques diversifiés y a conduit, on ne peut en dire autant de la Flandres et du Hainaut : trop d’œuvres ont été détruites pour que nous ayons une idée claire[115]. Mais les œuvres restantes d’André Beauneveu et la tapisserie de l’Apocalypse de Jean Bondol montrent qu’ils ont dû parcourir un chemin semblable.


Wirth V62. Vierge de Saint-Donatien de Bruges, Anvers, Musée Meyer van den Bergh (S.W.)

62. Vierge de Saint-Donatien de Bruges, Anvers, Musée Meyer van den Bergh (S.W.)

Si la conquête du portrait n’affecte pas directement les madones, il n’en va pas de même de la diversification des types. Celle-ci avait eu lieu bien avant (qu’on pense par exemple au maître de Naumburg), mais les Vierges françaises avaient conservé des visages idéalisés. Or on en trouve à présent qu’on aurait pu rencontrer dans la rue sans y faire attention, comme la Vierge de la collection Aynard due à André Beauneveu avec son visage rond au nez épais ou encore celle de Claus Sluter à la chartreuse de Champmol avec son double menton.

Une Vierge provenant de l’église Saint-Donatien à Bruges (Anvers, Musée Meyer van den Bergh; ill. 62) est encore plus révélatrice de la nouvelle tendance. Les visages pleins de la Vierge et de l’Enfant respirent une bonhommie et une jovialité qu’on ne leur avait encore jamais vues. Que le manteau dégage la poitrine est loin d’être une nouveauté, mais cela met en valeur une paire de seins bien ronds comme on n’en avait pas encore vus non plus: la Vierge est devenue femme.

L’évolution du drapé est moins perceptible dans un premier temps, car les formules inventées au début du siècle ont gardé une grande autorité. Les chutes de plis en tuyaux d’orgue partant des avant-bras existent toujours, mais elles sont de moins en moins développées depuis les madones mosanes, comme la Vierge Gulbenkian que nous attribuons à Jean de Liège, ou alors, comme celles de Diest ou de Lille, elles ne présentent plus rien de comparable.

De nombreux plis courbes ni profonds ni clairement hiérarchisés caractérisent les Vierges de Langres et du Huarte dans les années 1340. Au même moment, les Mosans tendent à en réduire la quantité, les brisent lorsqu’il y a lieu et les organisent autour d’un pli massif sur le ventre qui donne la ligne directrice. Il y a un gain évident de clarté qu’on retrouve une génération plus tard dans l’œuvre d’André Beauneveu.

Les attributions à Beauneveu ont été longtemps hésitantes, mais un noyau de trois œuvres paraît aujourd’hui hors de doute: le gisant de Charles V à Saint-Denis, la sainte Catherine de Courtrai et la Vierge de la collection Aynard[116]. On y retrouve la même clarté des formes avec un drapé légèrement plus lourd et mou, comme si le tissu du manteau était devenu plus épais. Les œuvres flamandes apparentées manifestent bien plus clairement la nouvelle tendance avec une silhouette qui s’élargit du fait de la masse de tissu, principalement dans le bas du corps. C’est évident sur la Vierge de l’église Saint-Just à Arbois et sur les deux Vierges de l’église de Hal. On parvient ainsi à une solide construction qui s’éloigne du modèle parisien même lorsqu’elle le suit par ailleurs, et rappelle davantage les Vierges lorraines.

La Vierge d’Arbois est significative du changement survenu (ill. 63)[117]. On peut situer assez précisément sa commande à Tournai vers 1375, soit environ trois ans après la sainte Catherine de Beauneveu. Elle a en effet été commandée par Philippe d’Arbois, évêque de Tournai de 1351 à sa mort en 1378, pour l’une des chapelles qu’il a fait construire en l’église Saint-Just. Elle assure la transition entre la sainte Catherine et la première Vierge de Hal, celle du portail sud. Sa provenance est attestée par la dépendance envers la Vierge des malades au portail occidental de la cathédrale de Tournai (ill. 64) laquelle dépend à son tour de la Vierge de Mainneville. En dehors du visage de la Vierge et de l’Enfant tout entier, refaits après avoir été victimes des protestants, elle en reprend en effet le dessin avec une modification de la partie inférieure. Le tablier est plus court et recouvre deux pans du manteau, l’un oblique, l’autre tombant du bras gauche presque jusqu’au sol. Cette modification du modèle se retrouve approximativement sur le reliquaire de Philippe V et de Jeanne de Bourgogne à Séville qu’on peut dater entre 1316 et 1322 (ill. 21) et la Vierge des malades pourrait en être à peu près contemporaine. Tournai étant linguistiquement, économiquement et politiquement lié à la France, cela n’a rien d’étonnant, pas plus que le retour en France de son dessin.


Wirth V63. Vierge de l'église Saint-Just d'Arbois (médiathèque du patrimoine)63. Vierge de l’église Saint-Just d’Arbois (médiathèque du patrimoine) Wirth V64. Vierge des malades de la cathédrale de Tournai (Institut du patrimoine)64. Vierge des malades de la cathédrale de Tournai (Institut du patrimoine)

Déjà en effet deux œuvres bourguignonnes difficiles à dater, mais clairement antérieures à la Vierge d’Arbois semblent dépendre de celle de Tournai : les Vierges déjà évoquées de Châteauneuf (Côte-d’Or; ill. 52) et de Villevallier (Yonne). On y retrouve en effet assez exactement le dessin du bas du tablier et du manteau. Si l’élargissement du bas du corps est déjà perceptible à Tournai, il s’amplifie cette fois comme sur les Vierges lorraines et tourne nettement le dos aux habitudes parisiennes. Nous retrouverons tous ces traits vers 1375 sur la Vierge d’Arbois, puis sur la Vierge du portail sud de Hal, près de Tournai. Il s’agit clairement d’un développement qui se produit à l’écart du style parisien.

L’étape suivante est la renonciation totale à la faible profondeur des Vierges antérieures, qui n’occupent vraiment que deux dimensions, au profit d’une véritable tridimensionnalité. Deux témoignages brugeois de cette révolution se situent à son début : la Vierge de Saint-Donatien déjà citée et les consoles de l’hôtel de ville (Bruges, Musée Gruuthuse), auxquelles le même maître semble avoir travaillé[118]. La Vierge de Saint-Donatien donne l’impression d’occuper tout l’espace, mais, vue de profil, elle reste encore assez figée, tout comme la Vierge d’Arbois. En revanche, sur la console qui représente un couple d’amoureux, la torsion vigoureuse du personnage masculin occupe complètement les trois dimensions de l’espace, ce que les Vierges se mettront à leur tour à faire dès la décennie suivante. Or nous savons que l’hôtel de ville a été construit de 1376 à 1379. A cette date, il serait difficile de trouver un précédent dans la sculpture française.

L’élargissement et l’épaississement des plis aboutissent au retour d’une sorte de block style. Le néerlandais Claus Sluter en donne la formulation la plus impressionnante à partir de 1389 au portail de la Chartreuse de Champmol. Il réhabilite les plis en tuyaux d’orgue, mais plus déchiquetés, contrastant avec les grands plis obliques partant de l’Enfant. Au Puits de Moïse de la même chartreuse, les trognes des prophètes font contrepoint au drapé. Contrairement à la sculpture lorraine qui conservait des ingrédients du block style, la sculpture française avait pris progressivement la direction contraire dans la seconde moitié du XIIIe siècle et avait abouti à un style de plus en plus précieux, parfois même mièvre, durant le siècle suivant. La réaction était encore timide chez Beauneveu : elle est désormais violente, durable et assez générale.

Pour les Vierges de la période en France, nous ne possédons pratiquement ni de véritables repères chronologiques, ni d’indications sur la provenance des sculpteurs. Mais il est clair qu’elles participent au renouvellement. L’une des plus représentatives est celle de l’église Notre-Dame de Taverny (Seine-et-Oise) (ill. 65). Sa silhouette gracile et souple est emmitouflée dans un énorme manteau aux plis démesurés. Mais la torsion du corps est bien visible, soulignée par l’inclinaison de la tête vers l’Enfant et le geste de la main droite qui guide la chute du drapé.


m

Wirth V65. Vierge de l'église de Taverny (S.W.)

65. Vierge de l’église de Taverny (S.W.)

On retrouve les mêmes tendances sur plusieurs Vierges remarquables de la fin du XIVe siècle, comme la Vierge de l’église Saint-Laurent à Auzon (Haute-Loire), la Vierge allaitant de l’abbaye de Royaumont (Val-d’Oise), ou la Vierge assise du musée d’art de Cleveland (Inv. 70.13)[119]. Dans le cas de la Vierge allaitant du Louvre (RF 2333), nous avons une provenance amiénoise confirmée par l’origine du calcaire[120]. Pour les autres, on relève une tendance assez mécanique à les attribuer à l’Île-de-France, mais il est plus raisonnable de considérer que nous n’avons aucune idée de l’origine des artistes. Du point de vue du style, Schwarz fait dériver la torsion du corps des statues de la Grande Salle du palais de Poitiers, probablement l’œuvre de Guy de Dammartin au service du duc de Berry[121]. Cette filiation est probable et n’implique en rien une domiciliation parisienne des sculpteurs.

Comme l’ont montré Robert Didier et Roland Recht, de telles œuvres sont comparables aux Belles Madones germaniques qui présentent le même contraste entre l’élégance corporelle de la Vierge et l’exubérance du drapé, mais la relation entre les deux milieux n’est ni très étroite ni très claire. Elle semble surtout liée au souvenir de commandes françaises bien antérieures. Quoi qu’il en soit, le rôle important que joue encore la France est certainement dû au mécénat des apanagistes et aux artistes qu’ils ont cherchés là où ils se trouvaient, les grands sculpteurs que nous savons d’origine française, comme Guy de Dammartin, étant minoritaires.

Avec la diversification des types physionomiques et l’apparition du portrait ressemblant, la conduite excentrique du drapé donne son allure à l’art de la fin du siècle et mène au suivant. Avec ses disciples, Sluter l’impose dans une grande partie de la France actuelle. En peinture, on trouve à Champmol le brabançon Henri Bellechose, et Jean Malouel, originaire de la Gueldre comme ses neveux les frères Limbourg. Leur art est bien plus gracieux et inaugure l’autre face du XVe siècle. Une nouvelle époque artistique s’est ouverte sous l’impulsion des artistes du Nord.



Conclusion

En fin de compte, le XIVe siècle que nous avons parcouru a une vingtaine d’années d’avance sur le calendrier : il va approximativement de 1280 à 1380. Le moment de loin le plus inventif correspond approximativement au règne de Philippe le Bel. Ce n’est pas propre au royaume, car il en va de même ailleurs, comme en Lorraine, pour ne rien dire du lac de Constance et de l’Italie de Giotto. En ce qui concerne la France, le roi et son entourage immédiat jouent un rôle décisif, en assurant le rôle dominant de Paris et en commandant les œuvres qui serviront longtemps de modèles. L’ambiance particulière de la cour produit des Vierges majestueuses et distantes qui ne sourient plus, somptueusement vêtues, mais évitant d’exhiber d’autres bijoux que la couronne. Tout en s’inspirant de ces modèles, les sculpteurs des décennies suivantes atténueront leur sévérité.

La rapidité du changement stylistique n’a pas toujours été perçue, du fait de la tendance à diluer la chronologie. Les Vierges de Mainneville et d’Écouis étaient pourtant suffisamment documentées pour donner un bon jalon. Non moins importante, celle de Poissy était soupçonnée à tort d’être un faux. Faute de comprendre combien les modèles du début du siècle avaient conservé de prestige, il pouvait paraître normal de dater la Vierge de Mainneville par rapport à celle de Jeanne d’Évreux. Tout le monde n’était pas tombé dans le piège, mais l’influence de cette œuvre restait sous-estimée.

Une fois admise la rapidité du changement, il faut constater que les décennies suivantes n’apportent guère que des inflexions, des incrustations de verroterie dans les bordures, souvent un déhanchement plus affirmé, plus généralement l’amincissement des plis du manteau et leur multiplication dans les chutes latérales. Le répertoire de motifs iconographiques reste inchangé, mais on en explore toutes les combinaisons possibles. Passé le milieu du siècle, il devient difficile de trouver un développement original des Vierges parisiennes dont l’origine ne soit pas étrangère.

Le développement indépendant de la sculpture lorraine est remarquablement parallèle. La date probable de la Vierge de Châtenois s’accorde avec la présence d’un sculpteur lorrain ou influencé par la Lorraine à Carcassonne pour indiquer que le nouveau style était acquis dès la fin du XIIIe siècle et ne s’était guère renouvelé, sinon parfois dans une direction plus sentimentale. La tentative de faire dépendre la sculpture lorraine d’un foyer burgondo-champenois qu’elle avait en fait inspiré avait empêché de percevoir sa précocité. Il est plus difficile de comprendre la suite. Surtout, on se demande ce qui s’est passé après les troubles du milieu du siècle. Une production de qualité ne réapparaît qu’à la fin du siècle. Entretemps, les mêmes formules semblent avoir persisté, simplement alourdies. C’est peut-être ce qui se serait passé à Paris, si la forte demande n’avait attiré des sculpteurs étrangers.

Récemment conquis par la France, le Languedoc se dote d’une véritable sculpture gothique de la fin du XIIIe siècle au milieu du XIVe siècle. Entretemps la peinture italienne avait déjà pénétré et elle avait infléchi le style des sculpteurs, ce qui a permis un développement original au lieu de la répétition des formules acquises. Mais la veine se tarit rapidement là-aussi avec des imitations de plus en plus faibles des chefs-d’œuvre.

Les sculpteurs du Nord, à commencer par les Mosans, s’installèrent à Paris en nombre croissant, se fondant d’abord dans le style de cour, avant de l’infléchir et d’imposer les nouvelles formules de chez eux. Passé le milieu du siècle, qu’on parle de Vierges ou de tombeaux, les rares sculpteurs dont nous connaissons les noms sont pour la plupart venus de là.



Bibliographie

 

Anderlini (Tina), Le costume médiéval au XIIIe siècle (1180-1320), Bayeux, 2014.

Baron (Françoise),

  • « Enlumineurs, peintres et sculpteurs parisiens des XIIIe et XIVe siècles d’après les rôles de la taille », Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, n. s. t. 4 (1968), p. 37-121.
  • « Enlumineurs, peintres et sculpteurs parisiens des XIIIe et XIVe siècles d’après les archives de l’hôpital Saint-Jacques-aux-Pèlerins », Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, n. s. t. 6 (1971a), p. 77-115.
  • « Le maître-autel de l’abbaye de Maubuisson au XIVe siècle », Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, t. 57 (1971b), p. 129-151.
  • « Le décor sculpté et peint de l’hôpital Saint-Jacques-aux-Pèlerins », Bulletin Monumental, t. 133 (1975), p. 29-72.
  • « La statuaire mariale dans le département de l’Oise à la fin du XIIIe et au XIVe siècle », L’art gothique dans l’Oise et ses environs (Colloque du GEMOB), Beauvais, 2001, p. 191-205.
  • « La collégiale d’Ecouis », Bulletin national des Antiquaires de France, 2006, p. 283-291.

Bautier (Robert-Henri), « Guillaume de Mussy, bailli, enquêteur royal, panetier du France sous Philippe le Bel », Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, t. 105 (1944), p. 64-98.

Béranger-Menand (Brigitte), La statuaire médiévale en Normandie. La Vierge à l’Enfant, s. l., 2004.

Bloch (Peter), « Neugotische Statuetten des Nikolaus Elscheidt », in: Festschrift für Otto von Simson zum 65. Geburtstag, éd. Lucius Greisebach et Konrad Renger, Francfort/M., Berlin – Vienne, 1977, p. 504-515.

Bordier (Henri-Léonard), « Les statues de Saint-Jacques l’Hôpital au Musée de Cluny », Mémoires de la Société impériale des Antiquaires de France, t. 28 (1865), p. 111-132.

Brown (Elizabeth A. R.), »Jeanne d’Evreux: ses testaments et leur exécution », Le Moyen-Age, t. 119 (2013), p. 57-83.

Chefs-d’œuvre du Gothique en Normandie. Sculpture et orfèvrerie du XIIIe au XVe siècle (exposition Caen, Musée de Normandie), Milan, 2008, p. 101-109.

Conrajod (Louis), Leçons professées à l’Ecole du Louvre (1887-1896), Paris, 1903.

Dehaisnes (Chrétien), Documents et extraits divers concernant l’histoire de l’art dans la Flandre, l’Artois et le Hainaut avant le XVe siècle, Lille, 1886.

Delisle (Léopold), Mandements at actes divers de Charles V (1364-1380), recueillis dans les collections de la Bibliothèque Nationale, Paris, 1874.

Didier (Robert),

  • « Contribution à l’étude d’un type de Vierge française du XIVe siècle. A propos d’une réplique de la Vierge de Poissy à Herresbach », Revue des archéologues et historiens d’art de Louvain, t. 3 (1970), p. 49-72.
  • « Mater Dei. A propos de quelques sculptures de la Vierge », Feuillets de la cathédrale de Liège, n° 11 et 12 (1993a), p. 3-16.
  • La sculpture mosane du XIVe siècle, Namur, 1993b.
  • “La Vierge ‘Aynard’ à Bruges, Beauneveu, la sainte Catherine de Courtrai et des sculptures brugeoises”, Handelingen van het Genootschap voor Geschiedenis; t. 146 (2009), p. 231-268.

Didier (Robert), Henss (Michael) et Schmoll gennant Eisenwerth (Joseph Adolf), « Une Vierge tournaisienne à Arbois (Jura) et le problème des Vierges de Hal. Contribution à la chronologie et à la typologie », Bulletin Monumental, t. 128 (1970), p. 93-113.

Didier (Robert) et Recht (Roland), « Paris, Prague, Cologne et la sculpture de la seconde moitié du XIVe siècle. A propos de l’exposition des Parler à Cologne », Bulletin Monumental, t. 138 (1980), p. 173-219.

Die Parler und der schöne Stil 1350-1400. Europäische Kunst unter den Luxemburgern (exposition Cologne, Schnütgen-Museum, 1978), Cologne, 1978.

Dieulafoy (Marcel), La statuaire polychrome en Espagne, Paris, 1908.

Dutilleux (A.) et Depoint (J.), L’abbaye de Maubuisson (Notre-Dame-La-Royale). Histoire et cartulaire, Paris, 1882.

Erlande-Brandenburg (Alain), Le roi est mort. Etude sur les funérailles, les sépultures et les tombeaux des rois de France jusqu’à la fin du XIIIe siècle, Paris, 1975.

Figures de Madones. Vierges sculptées des Vosges, XIIe/XVIe siècle (exposition, Epinal, Musée départemental d’art ancien et contemporain), Epinal, 2005.

Forsyth (William H.)

  • « Mediaeval Statues of the Virgin in Lorraine Related in Type to the Saint-Dié Virgin », Metropolitan Museum Studies, t. 5 (1936), p. 235-258.
  • « A Fourteenth-Century Statue of the Virgin and Child », The Metropolitan Museum of Art Bulletin, t. 34 (1939), p. 248-250.
  • « A Group of Fourteenth-Century Mosan Sculptures », Metropolitan Museum Journal, t. 1 (1968), p. 41-59.
  • « Madonnas of the Rhone-Meuse Valleys », The Metropolitan Museum of Art Bulletin, février 1970, p. 252-261.

Gardner (Julian), « Bizuti, Rusuti, Nicolaus and Johannes: Some Neglected Documents concerning Roman Artists in France », The Burlington Magazine, t. 129 (1987), p. 381-383.

Heinrichs-Schreiber (Ulrike), Vincennes und die höfische Skulptur. Die Bildhauerkunst in Paris 1360-1420, Berlin, 1997.

Huard (Georges), Communication dans le Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 1938, p. 95-103.

Les journaux du Trésor de Philippe VI de Valois, éd. Jules Viard, Paris, 1899.

Les journaux du Trésor de Charles IV la Bel, éd. Jules Viard, Paris, 1917.

Kaiser Karl IV. Erste Bayerisch-Tschechische Landesausstellung. Ausstellungskatalog, éd. Jiři Fajt et Markus Hörsch, Prague, 2016.

Kimpel (Dieter) et Suckale (Robert), « Die Skulpturenwerkstatt der Vierge dorée am Honoratusportal der Kathedrale von Amiens », Zeitschrift für Kunstgeschichte, t. 36 (1973), p. 217-265.

Kurmann-Schwarz (Brigitte), « Des œuvres d’art commanditées pour un hôpital: l’exemple de Notre-Dame-des-Fontenilles à Tonnerre », Hospitäler in Mittelarter und Früher Neuzeit.

Hôpitaux au Moyen âge et aux Temps modernes, éd. Gisela Drossbach (Pariser Historische Studien, t. 75 (2007)), p. 175-198.

Lalou (Elisabeth), « les tablettes de cire médiévales », Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, t. 147 (1989), p. 123-140.

L’art au temps des rois maudits. Philippe le Bel et ses fils (exposition, Grand Palais), Paris, 1998.

Laurentin (René), Maria. Ecclesia. Sacerdotium. Essai sur le développement d’une idée religieuse, Paris, 1952.

Lefrançois-Pillion (Louise), « Les statues de la Vierge à l’Enfant dans la sculpture française au XIVe siècle », Gazette des Beaux-Arts, t. 14 (1935), p. 129-149 et 204-223.

Les fastes du gothique. Le siècle de Charles V (exposition, Paris, Grand Palais), Paris, 1981.

Les grandes chroniques de France, éd. Paulin Paris, Paris, 1836-1838.

Mâle (Emille), L’art religieux de la fin du Moyen Age en France, Paris, 1925.

McNamer (Sarah), « The Origines of the Meditationes vitae Christi« , Speculum, t. 84 (2009), p. 905-955.

Molinier (Emile), Histoire générale des arts appliqués à l’industrie du Ve à la fin du XVIIIe siècle, Paris, 1896-1902.

Nash (Suzie) et alii, André Beauneveu. Artist of the Courts of France and Flanders (exposition, Bruges, Groeninger Museum), Londres, 2007.

Panofsky (Erwin), Die deutsche Plastik des elften bis dreizehnten Jahrhunderts, Munich, 1924.

Paris 1400. Les arts sous Charles VI (exposition, Paris, Musée du Louvre), Paris, 2004.

Perdrizet (Paul), « Maria sponsa filii Dei », Bulletin mensuel de la Société d’archéologie lorraine, 1907, p. 100-108.

Pradalier-Schlumberger (Michèle), Toulouse et le Languedoc. La sculpture gothique (XIIIe-XIVe siècles), Toulouse, 1998.

Pradel (Pierre),

  • « Les ateliers des sculpteurs parisiens au début du XIVe siècle », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et Belles-Lettres, t. 101 (1957), p. 67-74.
  • « Les tombeaux des quatre derniers Capétiens directs, Philippe le Bel et ses fils », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et Belles-Lettres, t. 113 (1969), p. 180-181.

Quarré (Pierre), « Les statues de la Vierge à l’Enfant des confins burgondo-champenois au début du XIVe siècle », Gazette des Beaux-Arts, t. 71 (1968), p. 193-204.

Régnier (Louis), L’église Notre-Dame d’Ecouis, autrefois collégiale: l’édifice, le mobilier, la statuaire, les tombeaux, le trésor, la chapelle du Plessis, le château et les statues de Mainneville, Paris, 1913.

Rhin-Meuse. Art et civilisation 800-1400 (exposition Cologne, Schnütgen-Museum), Cologne – Bruxelles, 1972.

Ronot (Henry), « Deux statues d’Evrard d’Orléans identifiées (1341) », Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1933, p. 193-204.

Salet (Francis),

  • « Une statue de la Vierge à l’Enfant trouvée à Lisors (Eure) », Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, t. 36 (1938), p. 173-186;
  • Compte rendu de Joz. De Coo, Museum Mayer van den Bergh. Catalogues 2.Beeldhouwkunst, Plaketten, Antiek, Anvers, 1969, Bulletin Monumental, t. 128 (1970), p. 175.

Schmidt (Gerhard),

  • « Drei Pariser Marmorbildhauer des 14. Jahrhunderts », Wiener Jahrbuch für Kunstgeschichte, t. 24 (1971), p. 161-177.
  • « Beiträge zur Stil und Œuvre des Jean de Liège », Metropolitan Museum Journal, t. 4 (1971), p. 81-107.

Schmoll genannt Eisenwerth (Josef Adolf),

  • « La sculpture gothique en Lorraine et ses relations avec les régions voisines (Bourgogne, Champagne, Alsace, Rhénanie) », Bulletin de la Société des Amis du Musée de Dijon, 1970, p. 28-36.
  • « Die Madonna von Bayel (Südchampagne) und ihre Schlüsselrolle für die lothringische Skulptur des frühen 14. Jahrhunderts », Wiener Jahrbuch für Kunstgeschichte, t. 46-47 (1993-1994), p. 641-657.
  • Die lothringische Skulptur des 14. Jahrhunderts: ihre Voraussetzungen in der Südchampagne und ihre ausserlothringischen Beziehungen, Petersberg, 2005.

Schwarz (Michael Viktor), Höfische Skulptur im 14. Jahrhundert. Entwicklungsphasen im Vorfeld des Weiche Stils, Worms, 1986.

Simon (Elisabeth), « Eine Lothringische Madonna », Berliner Museen, t. 44 (1923), p. 79-82.

Sommers Wright (Georgia), « The Reinvention of the Portrait Likeness in the Fourteenth Century », Gesta, t. 39 (2000), p. 117-134.

Suckale (Robert),

  • Studien zur Stilbildung der Madonnenstatuen der Ile-de-France zwischen 1230 une 1300, Munich, 1971.
  • « Uberlegungen zur Pariser Skulptur unter König Ludwig dem Heiligen (1236-70) und König Philipp dem Schönen (1285-1314), repris dans: Id., Das mittelalterliche Bild als Zeitzeuge. Sechs Studien, Berlin, 2002, p. 123-171.
  • Auf den Spuren einer vergessenen Königin. Ein Hauptwerk der Pariser Hofkunst im Bode-Museum, Berlin, 2013.

Tilman Riemenschneider, Master Sculptor of the Late Middle Ages (exposition Washington – New York), New Haven, 1999.

Tomasi (Michele),

  • « La pala d’altare di Maubuisson: note sull’iconografia, in: « Conosco un ottimo storico dell’arte… ». Per Enrico Castelnuovo. Scritti di allievi e amici pisani, éd. Maria Monica Donato et Massimo Ferretti, Pise, 2012, p. 125-130.
  • « Made in Cologne: New Perspectives on the Kremsmünster Workshop », in: Gothic Ivory Sculpture: Content and Context, éd. Catherine Yvard, Londres, 2017, p. 30-45.

Toulouse 1300-1400. L’éclat d’un gothique méridional (exposition, Paris, musée de Cluny), Paris, 2022.

Trésors sacrés, trésors cachés. Patrimoine des églises en Seine-et-Marne (exposition Paris, Musée du Luxembourg), Melun, 1988.

Vidier (Alexandre), « Un tombier liégeois à Paris au XIVe siècle. Inventaire de la succession de Hennequin de Liège (1382-1383) », Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France, t. 30 (1903), p. 281-308.

Wirth (Jean),

  • L’image du corps au Moyen Age, Florence, 2013.
  • Villard de Honnecourt, architecte du XIIIe siècle, Genève, 2015.
  • La sculpture de la cathédrale de Reims et sa place dans l’art du XIIIe siècle, Genève, 2017.
  • « La madone de la cathédrale de Constance », repris dans: Id., Art et image au Moyen Age, Genève, 2022, p. 471-490.

Wirth (Jean) et alii, Les marges à drôleries des manuscrits gothiques (1250-1350), Genève, 2008.



Notes

  1. Baron 2001, encart p. 191.
  2. Guillaume Durand, Rationale divinorum officiorum, l. I, ch. 3, § 6.
  3. Régnier 1913.
  4. Lefrançois-Pillion 1935.
  5. Salet 1938; Les fastes du gothique, p. 84.
  6. Baron 2006; Chefs-d’œuvre du Gothique en Normandie, p. 101-109; L’art au temps des rois maudits, p. 103 et ss.
  7. Régnier 1913, p. 403 et s.
  8. C’est l’occasion de remercier chaleureusement Madame et Monsieur Patrick Trancart pour l’accès à ces œuvres, leurs informations et leur amabilité.
  9. Régnier 1913, p. 387.
  10. Suckale 1971, p. 181; Schwarz 1986, p. 50; Béranger-Menand 2004, t. 1, p. 144.
  11. Les grandes chroniques de France, t. 5, p. 209 (1314): Philippe le Bel « fist faire à Paris par Enguerran son coadjuteur et gouverneur de son royaume un neuf palais de merveilleuse et coustable euvre, le plus très bel que nul, si comme nous creons en France, oncques véist ». La réfection du palais est déjà mentionnée p. 199 à la date de 1313.
  12. Id., p. 216: « Que de la pierre de Vernon il fist mener quatre mil pierres à Escouies, et cinquante-deux images chacune du prix de quarante livres ».
  13. Rita Van Dooren, curatrice du musée, m’a donné accès à l’œuvre et à son dossier. Je l’en remercie vivement.
  14. Salet 1970.
  15. Les fastes du gothique, p. 67.
  16. Bloch 1977.
  17. Comme l’a bien vu Tomasi 2017, remarquant au passage la tendance de certains à prendre trop vite les pièces pour des faux.
  18. Molinier 1896-1902, t. 2, p. 190. La mention légèrement inexacte est celle de l' »abbaye » de Poissy.
  19. Didier, 1970.
  20. Suckale 1971; Kaiser Karl IV, n° 9.5, p. 426 et s (Markus Hörsch).
  21. Schmidt 1971 fait à tort de la formule une nouveauté influente de Pépin de Huy.
  22. Mes remerciements à Mme Florence Caillet pour avoir pu l’observer attentivement.
  23. Mes remerciements à Damien Berné qui a attiré mon attention sur elle et m’a permis de l’examiner dans une réserve du musée.
  24. Brown 2013.
  25. Salet 1938; Chefs-d’œuvre du Gothique en Normandie, n° 11, p. 146.
  26. Elle parle plus exactement d’une œuvre d’Île-de-France, mais on peut se demander si ce qu’on appelle ainsi n’est pas simplement la production des sculpteurs installés à Paris, quelle que soit leur origine. Il serait en effet étonnant que les sculpteurs se dispersent dans les bourgades environnantes: ils ont plutôt tendance à habiter le même quartier.
  27. Trésors sacrés, trésors cachés, n° 66, p. 170 et n° 69, p. 176.
  28. L’art au temps des rois maudits, n° 57, p. 110 (Françoise Baron); Béranger-Menand 2004, t. 2, p. 315 et ss. L’une et l’autre considèrent l’œuvre comme normande. La parenté surprenante avec la Vierge de Fontenay paraît difficilement compréhensible dans cette hypothèse et, après avoir découvert son emplacement d’origine, on a peut-être exclu trop vite une production parisienne.
  29. Huard 1938.
  30. Forsyth 1970.
  31. Didier 1993.
  32. Ce que suggère la consultation de la base des ivoires gothiques mise en ligne par l’Institut Courtauld.
  33. Tilman Riemenschneider, n° 19, p. 239 et ss.
  34. Nous faisons ces remarques sur un nombre insuffisant d’observations : le dos des Vierges est généralement inaccessible lorsque les œuvres sont sur place, tandis que leurs photographies sont rares, y compris pour celles que conservent les musées.
  35. Certains dessins de Villard sont certainement des inventions, tandis que d’autres modernisent des œuvres existantes. Cf. Wirth 2015, passim.
  36. Lalou 1989.
  37. Vidier 1903, p. 285.
  38. Wirth et alii 2008, p. 355.
  39. Suckale 2002 et 2013.
  40. Wirth 2013, p. 73-94.
  41. L’art au temps des rois maudits, n° 151, p. 228 et ss.
  42. Baron 1975 et 1971a; Bordier 1865.
  43. Pradel 1969 (article médiocre); Les journaux du Trésor de Charles IV, col. 1658 et s. et Les journaux du Trésor de Philippe VI, p. 32.
  44. Dehaisnes 1886, p. 280.
  45. Erlande-Brandenburg 1975, p. 112.
  46. Dehaisnes 1886, p. 198, 215 es s., 231.
  47. Les fastes du gothique, n° 25, p. 79 et ss.
  48. Baron 1971b.
  49. Les fastes du gothique, n° 31, p. 87 et s.: « La Vierge de Langres, œuvre de vieillesse, sinon œuvre d’atelier… »
  50. Les fastes du gothique, p. 113; Dieulafoy 1908, p. 59: An(no) D(omi)ni MCCCXL°IX fecit Martinus Duardi mercator de Pampelone transferre hanc imaginem de villa Parisien(si) in ecclesiam ista(m) et dedit illa(m) in honore Beate Mariae Virginis. Orate pro eo.
  51. Suckale 2013, p. 38.
  52. Mâle 1925, p. 3 et ss.
  53. Gardner 1987.
  54. McNamer 2009.
  55. Lefrançois-Pillion 1935, p. 214.
  56. Wirth 2013, p. 93-118.
  57. Perdrizet 1907.
  58. Laurentin 1952.
  59. D’excellents exemples dans Dehaisnes 1886, en particulier le tombeau de Guillaume Catel en 1325, p. 261 et ss, et celui qu’a commandé Béatrice de Louvain en 1339, p. 330 et ss.
  60. Dehaisnes 1886, p. 263.
  61. Ronot 1933, p. 193-204. Il s’agit de la Vierge en marbre de la cathédrale de Langres, mais le mot « albâtre » est utilisé indifféremment pour l’albâtre et le marbre dans les textes du XIVe siècle.
  62. Dehaisnes 1886, p. 272.
  63. Trésors sacrés, trésors cachés, nos 64 à 70.
  64. Chefs-d’œuvre du gothique en Normandie, nos 16 et 17, p. 150 et ss.
  65. Fiche médiocre sur le site du patrimoine. Indications sommaires mais utiles dans une brochure locale sur l’église: https://soisysurecole.fr/fr/rb/569246/leglise-saint-aignan.
  66. Pradalier-Schlumberger 1998.
  67. Kimpel et Suckale 1973.
  68. Wirth 2017, p. 111 et ss, 137 et ss.
  69. En dernier lieu, Toulouse 1300-1400, p. 162 et ss.
  70. Perdrizet 1907; Forsyth 1936; Schmoll, 1970 et 2005.
  71. L’art au temps des rois maudits, n° 67, p. 121; Figures de madone, n° 3, p. 28 et ss; Schmoll 2005, n° 136, p. 209 et s.
  72. Simon 1923.
  73. Dans un billet hébergé sur le site internet BLeLorraine, tenu par Thomas Riboulet. Je les remercie tous deux pour leur aimable collaboration.
  74. Archives départementales des Vosges, Série h clergé régulier avant 1790, réf 6 h prieuré Saint-Pierre de Châtenois, liasse VI H 31.
  75. Panofsky 1924, t. 1, p. 169 et ss.
  76. Schmoll 2005, n° 146, p. 232, suivi par Schwarz 1986, p. 71.
  77. Schmoll 2005, n° 116, p. 174, date la pièce du milieu du XIVe siècle, alors que rien n’indique une date postérieure à 1300. Anne Adrian, conservatrice du musée, m’a fait part d’incertitudes concernant l’origine de la pièce et je l’en remercie.
  78. Quarré 1968.
  79. Schmoll 2005; Schmoll 1993-1994.
  80. Sur le personnage, Bautier 1944; néanmoins, Quarré et Schmoll fixent sa mort en 1306 précisément.
  81. Brigitte Kurmann-Schwarz 2007.
  82. Schmoll 2005.
  83. Quarré 1968.
  84. Baron 2001
  85. Anderlini 2014, p. 121 et ss.
  86. Forsyth 1939.
  87. Schmoll 2005, n° 348, p. 519 et n° 350, p. 523.
  88. Schmoll 1970.
  89. Schmoll 1993-1994.
  90. Schmoll 2005, n° 3, p. 43, n° 6, p. 47 et n° 13, p. 54.
  91. Conrajod 1903, passim.
  92. Pradel 1957.
  93. Forsyth 1968; Didier 1993a et b; Rhin-Meuse, p. 358 et ss; Schwarz 1986, p. 74 et s.
  94. Notons au passage une étrange particularité iconographique des Vierges d’Anvers et de Pise: le pied gauche est nu, alors que les pieds de la Vierge sont toujours décemment chaussés avant la Renaissance.
  95. Didier 1993a.
  96. Schmidt 1971a; Schwarz 1986, p. 106 et ss.
  97. Comme l’a vu Tomasi 2012, On chercherait en vain Judas, tandis que saint Paul fait pendant à saint Pierre. Il s’agit d’une représentation symbolique de l’institution de l’eucharistie.
  98. Trésors sacrés, trésors cachés, n° 65, p. 168; je remercie Madame Valérie Levillain qui m’a ouvert l’église et permis un examen attentif de l’œuvre.
  99. Baron 1971b. On conserve de ce retable de marbre le relief dit de la Cène, aujourd’hui en l’église parisienne Saint-Joseph des Carmes, une statue d’ange tenant des burettes, trois reliefs représentant la communion de saint Denis et six prophètes, tous au musée du Louvre. On a perdu les statues d’un second ange tenant des parfums, de Jeanne d’Évreux, de Charles IV et de leurs filles Marie et Blanche présentés par saint Paul et sainte Catherine, ainsi que les probables marbres d’encadrement.
  100. Dutilleux et Depoint 1882, p. 24 et 236 et s.
  101. Didier 1993b, ill. 29, p. 21.
  102. Didier 1993b, ill.71a, 71c et 74, p. 45 et ss.
  103. Béranger-Menand 2004, t. 1, p. 30, t. 2, p. 234 et ss; Chefs-d’œuvre du gothique en Normandie, n° 12, p. 146 et s. Le seul toponyme qui ressemble à « Dompare » est Dompaire (Vosges). Le clerc de Jeanne d’Evreux serait-il originaire de là?
  104. Lefrançois-Pillion 1935.
  105. L’art au temps des rois maudits, n° 66, p. 117 et s.
  106. L’art au temps des rois maudits, n° 65, p. 116 et s.
  107. Rhin-Meuse, n° O13, p. 384 (R. Didier).
  108. Schmidt 1971b; Schwarz 1986, p. 131 et ss.
  109. Vidier 1903, p. 287.
  110. Schmidt 1971b.
  111. Paris 1400, p. 367 et s. (Elisabeth Antoine).
  112. Sommers Wright 2000, p. 117-134. L’article est excellent, mais on comprend mal pourquoi elle se contente, dans les cas de Scrovegni et de Stefaneschi d’une simple allusion dans les notes 25 et 35.
  113. Delisle 1874, n° 109 et 144.
  114. Heinrichs-Schreiber 1997, p. 92, à la suite de Schwarz 1986, p. 137.
  115. Pour la Flandre, cf. Didier 2009.
  116. Nash et alii 2007.
  117. Didier, Henss, Schmoll 1970.
  118. Die Parler und der schöne Stil, t. 1, p. 81 et ss; Didier et Recht 1980.
  119. Paris 1400, nos 212 et 214, p.334 et ss; Schwarz 1986, p. 212 et ss.
  120. Paris 1400, n° 209, p. 332 et s.
  121. Schwarz 1986, p. 213.

Aucun commentaire to “Remarques sur la Vierge à l’Enfant dans la statuaire française du XIVe siècle (inédit)”

Leave a Reply

(required)

(required)