1 Le coin des historiens d'art
Durant ses années de formation à Copenhague, le jeune Caspar David Friedrich réalise une aquarelle représentant un belvédère dans un parc. Dessiné par toute autre personne, ce paysage anodin n’aurait rien pour retenir l’attention.
A la lumière de la future carrière du peintre, cette oeuvre de jeunesse a été repérée comme une étape importante par les historiens d’art, car elle contient en germe les prémisses du style de Friedrich.
Paysage avec pavillon,
Caspar David Friedrich, 1797, Kunsthalle, Hamburg
Cliquer pour agrandirDes oppositions marquées
La cabane rustique du premier plan contraste avec l’élégant belvédère XVIIIème . De même, l’arbre mort au dessus de la cabane contraste avec les arbres verts du parc, inaccessible à l’arrière plan.
L’ allégorie chrétienne
« La hutte dont la porte est restée ouverte n’est qu’un abri provisoire, contrairement à la forme cubique du pavillon qui offre une image de solidité et de durée ». Helmut Börsch-Supan, Caspar David Friedrich, Biro, 1989, p 186
Pour H.Börsch-Supan, l’aquarelle serait une allégorie chrétienne : la pauvreté de notre existence terrestre contrastant avec les enchantements du paradis. Celui-ci peut seulement être atteint en traversant la barrière et le pont, symbole double de la barrière de la mort et du chemin de la foi chrétienne.
Cette interprétation de l’aquarelle comme un « paysage moralisé », dans lequel le spectateur serait mis en balance entre le vieux et le neuf, le bas et le haut, la pauvreté et la richesse, le périssable et le durable, le fini et l’infini, la mort et la vie, doit être, comme nous allons le voir, largement nuancée.
Une oeuvre d’élève
Le dessin de Friedrich s’inspire probablement d’un tableau de son maître Jens Juel, « Paysage avec aurore boréale« , Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhagen.
Cliquer pour agrandirLes éléments sont similaires : un chemin fermé par une barrière de bois, puis des rochers à droite, menant à une cabane sous un arbre, ouverte vers la gauche, tandis qu’un édifice carré se dresse à l’horizon. Mais ici, la scène se veut sublime, opposant la magnificence de l’aurore boréale à la faible lueur de la lampe du fumeur qui, blasé, regarde ailleurs.
Des symétries marquées
Pour J.L.Koerner, Friedrich a repris les mêmes ingrédients que son maître, mais au sein d’une composition bien plus subtile. En décentrant le chemin vers la gauche, il introduit une symétrie rigoureuse entre la charnière de la barrière et celle de la porte de la cabane. Les quatre madriers posés en biais sur le toit font écho aux quatre étais du pont, dont les quatre piliers verticaux rappellent, peut être, les quatre piliers de la balustrade du belvédère. Il s’établit ainsi des équivalences visuelles entre la cabane et la barrière d’une part, entre la tour et le pont d’autre part.
« Tout en faisant la description d’un lieu bien spécifique, l’artiste rajoute avec soin une structure (…) à ce qui semble à première vue n’être que le fruit du hasard naturel : Friedrich aspire à faire apparaître le sens, non comme une invention construite par l’artiste, mais comme le résultat du travail de mise en ordre, d’interprétation, qu’effectue le spectateur lui-même. » J.L.Koerner, Caspar David Friedrich and the subject of landscape, Reaktion books Ltd, 2009, p 102
L’objet central énigmatique
Koerner a remarqué, sans l’expliquer, que le point central de ces symétries est marqué par un petit pilier de bois décoré d’une boule, à côté d’une haute palissade. Des barres de bois pointues y sont clouées en oblique, comme un peigne ( le bout pointu étant orienté vers la gauche et vers le bas). Refléchissez à ce que cela peut être : nous verrons plus loin que ce pivot joue un rôle crucial pour la signification du dessin.
Koerner exprime magnifiquement ce qui fait la nouveauté et la complexité de cette petite aquarelle :
« Depuis notre place en exil, à l’extérieur du belvédère panoptique, nous ne pouvons nous considérer comme le point focal de l’allégorie, comme l’homo viator in bivio (le voyageur au carrefour) sommé de choisir entre le chemin de la vie et celui de la mort. Ici, en 1797 déjà , et dans un style graphique ô combien hésitant, Friedrich a commencé à redéfinir le sujet du paysage. Ni représentation d’un lieu précis, ni allégorie moralisante, ses paysages aspirent à refléter dans leur structure picturale et sémantique, les contradictions et la constitution de la subjectivité per se ». Koerner, op.cit. p103
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Bonjour,
Je suis très admiratif de la manière dont vous abordez ces grandes peintures de grands maitres (très connus ou moins). J’ai particulièrement apprécié dans l’article consacré à Caspar David Friedrich la phrase « Dessiné par toute autre personne, ce paysage anodin n’aurait rien pour retenir l’attention ». Du coup possédant aussi un « paysage anodin » je me demande si vous accepteriez de l’examiner et surtout de m’indiquer ce que vous pensez du regard de l’animal qui a l’air de nous questionner. Qui regarde-t-il si directement vu qu’aucun personnage n’est là pour troubler sa quiétude de cet instant rare mais qui n’est pas exempt de questionnement. Est-ce nous qu’il regarde? En outre il ne serait pas impossible que la symbolique du cercle soit utilisée dans ce paysage.
Dites-moi, si cela vous intéresse, comment envoyer une photo.
D’avance merci.