Les autoportraits allégoriques de Léopold Armand Hugo (2 / 2)
Dans l’oeuvre graphique de Léopold Hugo, une série de trois gravures fait exception : non pour sa qualité, mais pour les questions qu’elle pose sur le fonctionnement d’un ego aussi hypertrophié qu’attachant. Enigme biographique et oeuvre ultime, elle sont le véritable testament artistique de Léopold Hugo.
Il est recommandé de lire auparavant le premier volet de cet article : Les autoportraits allégoriques de Léopold Armand Hugo (1/2)
1861, collection privée | 1883, Maison de Victor Hugo, Hauteville House [1] |
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Pendant vénitien, Léopold Hugo
Le clou de l’oeuvre graphique de Léopold est sans doute ce pendant, dont le moindre des mystères est le délai de 22 ans qui sépare les deux estampes.
Les dates
D’un côté, la date est inscrite en chiffres romains, sur une banderole entre les deux portraits : forme de solennité propre à commémorer un événement. Mais est-elle vraiment la date de la gravure ? C’est possible : Léopold date rarement ses gravures mais lorsqu’il le fait, c’est de manière ostensible, comme partie intégrante du dessin ( voir « Le Sphinx » et la « Boîte en maroquin »).
De l’autre, la date est inscrite sur un cube orné d’un compas, double symbole de la géométrie. Comme pour le 1881 de la « Boîte en maroquin », les chiffres arabes ont pu être préférés par raison de symétrie, ou par concision ( MDCCCLXXXIII ).
En inversant la gravure, on voit que Léopold s’est probablement trompé sur le dernier chiffre : la date n’est pas 1888, mais bien 1883.
Les signatures du dessinateur
Le texte est quasiment identique des deux côtés : L.HUGO Pinx.IPS.F. (pinxit ipse fecit : a peint et a fait lui-même).
Mais dans la gravure la plus ancienne, Léopold a mentionné son titre de comte, ce qui est tout à fait exceptionnel : dans toutes ses autres estampes, il signe sans son titre, qu’il ne rechignait pourtant pas à préciser dans toutes les autres situations (épistolaires, scientifiques, professionnelles) : mais en tant qu’artiste – probablement pour ne pas passer pour un dilettante _ il ne le met jamais, sauf ici. Nous allons voir pourquoi dans un instant.
A propos, voyez-vous ce que signifient les quatre lettres MVSA autour de l’étoile à cinq branches ?
A noter que, dans les deux cas, il n’a pu s’empêcher de signer une deuxième fois juste à côté : sur un livre et sur un médaillon.
Autoportrait, collection privée |
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Le dessin à la plume est bien le croquis du médaillon de marbre exposé au salon de 1874 : on le voit ici posé entre une branche de laurier, les outils du sculpteur, la palette du peintre, et les diagrammes du géomètre.
Les signatures du graveur
On sait que Léopold a confié la gravure de ses oeuvres tardives à la jeune toulousaine Rose Maury (voir Le secret des soeurs Duvidal). Mais ici, de manière, très extraordinaire, c’est un membre de la famille qui s’est chargé de cette tâche fastidieuse.
Coté signature du graveur, on note la même mention de Comte, mais uniquement dans la première gravure. Ce détail va nous aider à identifier cet énigmatique A. de Montferrier.
Le comte Anatole de Montferrier (1833-1887)
Né à Pont-à-Mousson le 28 avril 1833, il était le frère du quatrième marquis de Montferrier, Antoine-Edgar, et en tant que cadet portait le titre de Comte. On ne sait pas grand chose sur lui : il écrivit plusieurs opuscules politiques autour de 1870, fut directeur d’un journal éphémère « Le Châtiment », se maria sur le tard le 25 novembre 1873, à Nancy, avec Adèle de Frongoust et mourut à Paris en 1887.
Cousin de Léopold, il aurait donc pu être en théorie être l’auteur des deux gravures : mais pourquoi aurait-il signé avec son titre en 1861, et pas en 1883 ? Un autre candidat est plus problable.
Le marquis Antoine-Edgar de Montferrier (1832-1894)
Son frère aîné Antoine-Edgar .était très lié avec Léopold, puisque celui ci fut son témoin de mariage (le 7 mai 1860 à Paris 6ème), avec la fille d’une célébrité du Second Empire, Abel Villemain, Secrétaire Perpétuel de l’Académie Française. Ceci facilita son ascension sociale puisque, de rentier à Metz, il devient en 1861 sous-préfet de Tonnerre, où naît son fils Antoine-Abel le 17 avril 1861.
L’année 1861, celle de la première gravure, est donc très significative pour le quatrième marquis : c’est l’année où il assure sa descendance. De plus, il porte encore le titre de Comte puisque son père, le troisième marquis, ne mourra qu’en 1868. Léopold, quant à lui, était Comte Hugo depuis la mort de son père Abel en 1855.
Il est assez logique que sur la gravure de 1861, les deux cousins aient fait figurer, par symétrie, leur titre commun.
Autre conséquence de la mention Comte de Montferrier : la première gravure date au plus tard de 1868 Il est donc très vraisemblable que la date de 1861 soit .la bonne, et que Léopold Hugo ait fait appel à son cousin parce qu’à cette époque, il n’avait probablement encore jamais gravé.
Amicitiae, 1864
La première estampe datée de Léopold est celle-ci, et ses talents de graveur laissent encore à désirer. Vu la couronne comtale qui domine l’ensemble, il est plus que probable que les amis ici célébrés ne sont autres que nos deux cousins.
Les armoiries
1861 | 1883 |
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Les armoiries dont exactement les mêmes dans les deux gravures : on reconnaît dans la moitié gauche celle des Hugo, dans la moitié droite celle des Duvidal.
Armories familiales
Léopold Armand Hugo, Maison de Victor Hugo, Hauteville House
En tant qu’armes d’alliance de ses deux parents, ce sont les armories de Léopold. Mais on peut tout aussi bien les considérer ici comme l’emblème de la collaboration des deux comtes et cousins, , Hugo et Duvidal.
Deux aspects de Venise
Venise est vue sous deux aspects : vue intérieure d’un palais, et vue extérieure vers l’église de la Salute (représentée très approximativement), depuis la place Saint Marc, de l’autre côté du Grand Canal.
1861 : un Autoportrait en Doge
Autoportrait à la Toque, 1861, BNF |
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On reconnait l’Autoportrait à la Toque, daté justement de 1861 : c’est donc à l’occasion de cette première peinture importante que Léopold a eu l’idée de cette gravure commémorative.
Portrait du doge Marino Grimani, Tintoret (inversé) |
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Mais en recadrant le portrait et en ouvrant le manteau comme une cape, il l’a transformé en portrait de doge.
1861 : Muse et courtisane
Posé de biais sur le sol, le tableau est observé par une femme dont on voit le profil dans le miroir, et dont les seins nus indiquent qu’il s’agit d’une courtisane.
Deux Vénitiennes, Carpaccio (extrait inversé) | La courtisane Véronica Franco, Le Tintoret, 1555, Prado, Madrid |
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Ce fantasme trouve sa source dans un édit qui prescrivait aux courtisanes de se montrer gorge nue à leur balcon, pour détourner les hommes des vices honteux qui s’étaient développés à Venise au contact des civilisations orientales.
Le titre de la banderole s’applique probablement moins à la femme elle-même ( AUG<usta> ou ALL<egra> VENEZIANA) qu’à l’ensemble de la gravure : « ALLEGORIA VENEZIANA ».
La présence de cette Muse dénudée explique aussi peut être la délocalisation des travaux à Tonnerre : en 1861, Léopold vit avec sa femme et sa petite fille à Paris. Ses deux seules autres gravures dénudées, bien anodines et largement postérieures à sa période maritale, sont toutes deux des fantasmes parfaitement autorisés : Sirène ou Naïade courtisée par deux dauphins.
1883 : un diptyque léonin
En 1883, les deux « vignettes », portait et miroir, sont remplacées sur le rideau par une sorte de diptyque :
- à gauche un lion est marqué au front d’une croix ancrée (l’emblème des Templiers) et est surmonté par les mots SANCTUS écrits en miroir (avec des erreurs) et sans doute le mot MARCUS interrompu faute de place ;
- à droite on reconnait, cadré au plus juste, l’Auto-portrait en Sculpteur modelant le buste de V.H.
Ainsi, tout comme le pendant de 1861 commémorait l’Autoportait en explorateur, celui de 1883 commémore l’Autoportait en sculpteur.
Sur la banderole à droite, la devise GNOTI SEAUTON est sans doute à mettre en pendant avec cet étrange portrait biface, où Léopold en blouse se reflète en chevalier maudit, et en lion.
Les grandes étapes de la vie de Léopold
A ce stade, il parait utile de récapituler quelques points intéressants de la biographie de Léopold (qui n’a jamais été étudiée en détail).
- 1840 (11 mars) : baptisé à 12 ans (pourquoi ?), Léopold a pour parrain l’ancien roi d’Espagne Joseph Bonaparte, dont son père Abel avait été le page [2]
- 1855 :
- mort de son père le 8 février,
- mariage à Versailles le 22 octobre 1855 avec Marie Jeanne Clémentine Solliers, une dijonnaise décorative, roturière mais fille d’un Chevalier de la Légion d’Honneur (Léopold a-t-il attendu la mort de son père pour convoler ?)
- 1856 : naissance de sa fille Zoé le 30 juillet (soit 9 mois après le mariage : contrairement à ce que dit Wikipedia, Clémentine n’était donc pas enceinte lors du mariage) ;
- 1861 :
- premier pendant et Autoportait à la Toque
- nomination de Antoine Edgar Duvidal de Montferrier comme sous-préfet de Tonnerre
- le 17 avril, naissance à Tonnerre de Antoine Abel Duvidal de Montferrier
- 1865 : mort de sa mère Julie
- 1866 à 1877 : parution de ses écrits mathématiques
- 1869 : Clémentine quitte le domicile familial
- 1870 : Clémentine a une fille avec un officier allemand, elle vit ensuite à l’étranger, utilise le prestige du nom d’Hugo et fait à Léopold de fréquentes demandes d’argent [3] ;
- 1874 et 1878 : il expose des sculptures au Salon
- 1876 : mort de sa fille chérie (« Sainte Zoé » selon une de ses gravures) ;
- 1883 : second pendant (dernière gravure datée de Léopold) et Autoportait modelant le buste de VH
- 1885 :
- 1er mars : mise à la retraite ;
- 25 mars : jugement de divorce avec Clémentine (qui réside à Rome)
- 22 mai : mort de son oncle Victor Hugo ;
- 15 septembre : prononcé du jugement de divorce : le bon cousin Antoine-Edgar est témoin.
- 1885-89 : parution de plusieurs oeuvres musicales, dont « Les Déchirements trois déplorations pour le piano forte » en 1885
- 1894 : le 10 novembre, mort de Antoine-Edgar Duvidal de Montferrier à Paris XVIème
1895 : le 19 avril, décès dans la solitude, après six mois de maladie. Son légataire est Antoine-Abel Duvidal de Montferrier.
Deux périodes contrastées
Autrement dit, les deux pendants se placent dans des années sans événement marquant, mais dans des phases contrastées de sa vie :
- pour le premier, il est marié, père comblé, et son épouse n’a pas encore – à ce qu’on sait – donné de signes d’infidélité : la femme de la gravure n’est donc probablement pas un portrait à charge de Clémentine en courtisane (Léopold était par ailleurs peu porté sur l’humour et l’autodérision) ;
- pour le second, il a perdu celles qu’il aimait (sa mère et sa fille), s’est séparé de corps d’avec sa femme, et il donne dans ses écrits de sérieux signes de dérangement.
Un souvenir de Léon Daudet, de l’époque ou Rodin faisait le buste de Hugo (1883), jette (s’il n’est pas inventé) une lumière triste sur ces années où Léopold, pour sauver les apparences, se rendait encore en couple chez son oncle :
« Mais celui-ci (Lockroy) aimait surtout faire tourner en bourrique Léopold Hugo, fils d’Abel Hugo, charmant homme, légèrement « demeuré », avec un grand front génial et une parole lente, dont Hugo et Jean Aicard courtisaient concurremment l’aimable femme.
— Mon cher Aicard, disait Hugo, nous avons ce soir à dîner mon neveu le comte Hugo et sa femme, la comtesse Hugo… Aicard haussait dans un sourire sa face barbue et perforée, pareille, selon Mistral, « à une pierre ponce trouvée au fond du Rhône », et répondait :
— Mon cher maître, je serai ravi de me trouver avec eux.
— Vous ne me comprenez pas, mon cher Aicard. Nous avons ce soir à dîner mon neveu, le comte Hugo et sa femme, la comtesse Hugo, ma nièce. .
Aicard cette fois comprenait, bredouillait quelques mots d’excuse et allait prendre son vestiaire. » [4]
Le graveur du second pendant
Le marquis de Montferrier et le chevalier de Baillarguet
Dessin de Abel de Montferrier, gravure de Léopold Armand Hugo
Cette gravure date des années 1880, période où Léopold, à la fin de sa vie, faisait les portraits de ses ancêtres. Il s’agit ici de son arrière-grand-père maternel, le troisième marquis de Montferrier, accompagné de son frère cadet, Jacques Duvidal de Montferrier, chevalier de Baillarguet.
Le dessin, réalisé « d’après d’anciens documents », est signé « Cte Abel de Montferrier » : ce qui va nous ouvrir de nouvelles perspectives.
Deux styles très différents
1861 | 1883 |
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Si l’on compare les éléments communs aux deux pendants, par exemple les armoiries ou les rideaux, on est frappé par la différence de style. Est-il vraiment possible que ces différences s’expliquent par le vieillissement d’Antoine-Edgar ? Maintenant que nous savons que Léopold collaborait artistiquement avec son petit cousin, Antoine-Abel, âgé de 22 ans en 1883, celui-ci devient un candidat très sérieux pour la gravure du second pendant.
Ainsi, ce pendant familial, débuté en 1861 par le quatrième marquis de Montferrier, aurait été terminé en 1883 par le son fils, le futur cinquième marquis, qui avait pour cela trois excellentes raisons :
- sa collaboration attestée avec Léopold pour une autre gravure familiale, celle des deux frères Montferrier et Baillarguet ;
- ses propres talents artistiques (pour une illustration de sa main, voir Autour de Julie Duvidal : les marquis de Montferrier) ;
- le fait que le premier pendant datait de l’année de sa propre naissance : reprendre le flambeau était donc un signe fort de continuité familiale chez les Montferrier, et d’amitié poursuivie avec Léopold Hugo.
La différence des signatures
Gravure Montferrier / Baillarguet | Pendant de 1881 |
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S’il s’agit bien du même auteur Antoine-Abel de Montferrier, la différence de signature peut s’expliquer assez simplement :
- dans la gravure dédiée à ses propres ancêtres, il est logique qu’il signe avec son titre et son prénom ;
- dans le second pendant, il ne mentionne pas son titre parce que Léopold ne le fait plus jamais ; et il ne précise pas Abel parce que cela ne le différencierait pas assez de la signature de son père (A.de MONTFERRIER) : il préfère indiquer « de Montferrier » en cursive, pour marquer discrètement qu’il ne s’agit pas du même graveur, tout en se plaçant dans la continuité.
Le premier pendant antidaté ?
Il existe une autre hypothèse : si Abel est le graveur du second pendant, ne serait-il pas aussi celui du premier, qui aurait été réalisé en même temps, en 1883, mais antidaté, comme tant d’autres gravures de Léopold ?
La difficulté est alors d’expliquer pourquoi le style des deux pendants est si différent, et pourquoi Abel aurait signé de trois manières distinctes trois gravures de la même époque.
La synthèse
Projet de façade
Léopold Armand Hugo, 1883, BNF
Dans ce document exceptionnel, qui ne porte d’autre date que celle inscrite à l’intérieur de la seconde gravure, Léopold nous révèle la destination des pendants : deux panneaux décoratifs dans un meuble.
Panneaux inversés
Léopold cette fois manié lui-même le burin, sans se compliquer la vie en inversant les gravures : il les a recopiées d’après les tirages papier, avec beaucoup de minutie : tous les détails y sont.
Leur répartition en diagonale et non côte à côte, peut sembler bizarre : à la réflexion, elle fait sens, si l’on considère les deux rideaux comme ceux d’un théâtre vénitien, l’un qui s’ouvre et l’autre qui se ferme…
…et la vie entre les deux comme une mélodie sifflée par une déesse sur une flûte de pan.
Il est alors logique que la jeunesse, la partie gaie, soit associée à la clé de sol ; et la vieillesse, la partie grave, à la clé de fa.
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Musica et Artes (Auto-portrait de Léopold Hugo ?) |
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Léopold Armand Hugo, BNF
La flûtiste personnifie la Musique : on la retrouve dans ces deux gravures. N’ayant pas identifié de musicien du XIXème siècle qui soit également peintre (voir la palette), je suppose que la gravure Musica et Artes, toujours confiée à Rose Maury, doit être rangée dans la série des auto-portraits (d’autant que le cadre, avec son décrochement, rappelle celui de l’auto-portrait en lion de 1883).
Enfin, il se peut que l’emblème du bas, sous le motif composé d’une palette et d’un burin, constitue un dernier portrait idéalisé de Léopold, assez similaire à la gravure du ritter et de l’ermite : ici LEX (la Loi) est symbolisée par l’épée, et PAX par la peau de lion.
Quant à la femme du haut, il est vraisemblable qu’il s’agisse d’un des deux amours de Léopold : sa mère Julie ou sa fille Zoé.
En conclusion
A l’issue de cette longue analyse, voici l’histoire reconstituée de cette extraordinaire série :
Le pendant de 1861
Léopold est si fier de son Autoportrait à la Toque qu’il décide à l’idée d’une gravure commémorative ; il en confie la réalisation à son confident et cousin Antoine Edgar qui, cette même année où Léopold se voit visité par la Muse, connait lui aussi un double succès : il est sous-préfet et il est père.
Ainsi, pour les deux comtes et cousins, le projet devient familial : un palais vénitien comme métaphore de la sous-préfecture de Tonnerre, une muse dénudée qui pourrait aussi une mère allaitante, et une gravure en commun, pour fêter tout cela.
Le pendant de 1883
Vingt deux ans plus tard, Léopold a blanchi, perdu ses êtres chers et ses illusions, et c’est Rodin qui lui a soufflé l’apogée de sa carrière de sculpteur, le buste de son oncle Victor. Aussi, comme d’habitude, il compense : par l’Autoportrait en sculpteur modelant le buste de V.H. Le tableau a-t-il existé en réalité, où seulement dans la gravure commandée à Rose Maury ?
Chez les Montferrier en tout cas, on connait la solitude et les fictions de Léopold : son petit cousin Abel l’aime beaucoup, et propose, pour boucler la boucle amorcée par son père à sa naissance, de compléter le pendant vénitien.
La façade de meuble
Léopold envisage-t-il déjà d’abandonner la Gravure pour la Composition musicale, à laquelle il s’adonnera après sa retraite en 1885 ? Toute sa vie il a rêvé de réalisations monumentales, tapisseries ou tableaux géants, qui ne décorent que son imaginaire.
Le Chevalier aux lion Léopold Armand Hugo, BNFCette fois il a l’idée d’un meuble qui serait le résumé de sa vie artistique : encadrant une portée musicale encore vierge, il place ses deux autoportraits les plus intimes :
- il y a vingt deux ans, en explorateur et en doge visité par la Muse ;
- aujourd’hui, en sculpteur et en lion, crucifié mais sanctifié
Concluons par cette allégorie énigmatique, qui revêt la structure classique des doubles auto-portraits de Léopold, avec une sa vue principale, en scène d’extérieur, et sa vignette, en scène d’intérieur .
En vignette, un gentilhomme barbu, avec une fraise typique du début du XVIIème siècle, dans un cadre orné de deux têtes barbues, elles-mêmes coiffées d’un casque en forme de tête barbue : l’ensemble, dans le meilleure veine décorative de Léopold, est très réussi.
Dans le corps de la gravure, le même gentilhomme en casque et cuirasse aux armes d’Angleterre (les trois lions), la main droite posée sur son épée et devant sa bannière (ornée en haut d’un lion dressé)
Je n’ai pas réussi à identifier ce gentilhomme anglais. Et je soupçonne que, tout comme les reitres germaniques, il sort tout armé de l’imagination de Léopold. Car si la prolifération de têtes barbues et de lions saute aux yeux, un autre dispositif plus malin finit par éveiller l’attention : avec sa patte sur l’épée et son étendard dans le dos, le chevalier est exactement homologue – tel un cristal qui garde sa forme en changeant d’échelle – au lion la patte sur un chapiteau, et son étendard comtal sur le dos.
Lion de Venise ou Lion d’Angleterre : dans Léopold, il y a LEO.
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« Le moyen mis en avant pour lui forcer la main était simple : comme Mme Solliers séjournait tantôt à Londres, tantôt à Bruxelles, toujours dans de grandes villes, où l’éclat du nom d’Hugo avait pénétré, elle lui écrivait : « Si je n’ai pas d’argent, je vais donner des leçons de déclamation, de poésie, et j’indiquerai que le cours a lieu chez la comtesse Léopold Hugo. » Et le neveu du grand homme baissait la tête, se laissant ainsi rançonner . Un jour,- exactement le 3 mars 1894, — il avait cette idée précautionneuse de couper complètement les vivres à sa femme, sauf pour le cas où elle se remarierait. Il pensait qu’un second mariage l’arrêterait dans ses fantaisies — et lui serait une sauvegarde. Dans cette hypothèse, il lui assurait une rente viagère de 2,000 francs. Comme de juste, sa résolution était bien prise : enlever toute sa fortune — 500,000 francs environ — à l’ex-comtesse Léopold. Dans ce but, il avait, du reste, dés 1880, institué un neveu, M. le marquis de Montferrier, son légataire universel. » Le Journal, 18 juillet 1896
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