L'oiseau chéri
Quelques oiseaux favoris…
Philis se jouant d’un oiseau
Gravure de Bonnart, vers 1682-86,
Recueil des modes de la cour de France
Cet oiseau que Philis abuse,
En le leurrant de ses douceurs
Ressemble aux amants qu’elle amuse
Par d’imaginaires faveurs
L’oiseau fasciné par les deux cerises qu’on lui tend en lieu et place d’autres appas plus consistants représente donc ici le soupirant berné et facile à mener.
Notons qu’à cette époque, outre la connotation amoureuse, l’oiseau est souvent pris comme symbole du Toucher.
Jeune femme au perroquet
Vers 1730, pastel de Rosalba Carriera
Il arrive que le soupirant soit plus coriace et prétende se payer en nature, tel ce perroquet s’attaquant à la dentelle d’un décolleté prometteur.
Jeune fille à la colombe
Greuze, date inconnue, Musée de la Chartreuse, Douai
Ce tableau est typique de la tactique d’ « ensemblisation » mise au point par Greuze, et ainsi nommée par Norman Bryson : il s’agit de concentrer dans le tableau, au risque parfois de l’absurde, la quantité maximale de bonheur :
« Si le bonheur est quantifiable, alors je peux simplement ajouter une variété de bonheur à une autre, les combiner tous à la même place, par « ensemblisation ». » [2] p 133
L’enfant-femme constitue une première addition de bonheurs parfaitement contradictoires, à laquelle vient s’adjoindre une seconde chimère : la colombe, à la fois oiseau dé la Sainte Vierge et oiseau de Vénus :
:
« la colombe ne peut pas être interprétée comme celle du Saint Esprit ; ni même comme une colombe, tant elle unit si pudiquement l’idée d’un jeu d’enfant (‘elle a retrouvé son oiseau’) et celle de la sexualité (l’oiseau, avec sa position suggestive, déclenche des connotations de palpitation, douceur, rondeur, dangereusement proches du ‘sein virginal’). L’image joint ces oppositions dans un scandale à la fois logique et sexuel, où le bonheur fusionnel de la sensibilité est devenu une transgression ouverte ». [2] p 133, (à propos de la variante de ce thème, « La colombe retrouvée » conservée au musée Pouchkine)
La blancheur évoque la pureté : or si cette colombe est pure comme une attachement enfantin, elle ne peut éviter le symbolisme de l’amant chéri, du substitut emplumé que l’on serre dans ses bras avec passion.
Bien sûr, la jeunesse de la belle enfant fait écarter avec horreur cette hypothèse !
Il faut alors couper le tableau par une ligne horizontale au niveau de la table : en haut, les bras dodus enlacent un oiseau dont la blancheur sauve plus ou moins les apparences ;
en bas, les genoux ronds comme des fesses s’offrent à la pénétration d’un pied de table, à l’effigie d’un quadrupède bien connu dans la littérature enfantine :
« Les chairs ramollies se prêtent, le sentier s’entrouvre, le bélier pénètre; (…) » Sade, Justine ou les malheurs de la vertu, cité par [1].
La douce captivité
Lagrénée, 1763, Collection privée
Difficile de partager aujourd’hui les émotions hyperboliques qu’un telle iconographie pouvait susciter à l’époque :
« Il représente une femme à moitié nue qui caresse une colombe attachée avec un ruban lilas. Figurez-vous une femme belle et désirable dans le moment où la volupté s’empare de ses sens : une rougeur séduisante anime tous ses appas, ses yeux brillent d’un feu céleste, et paraissent cependant troublés ; l’oiseau qu’elle tient dans ses bras s’élance pour la becqueter : elle le retient faiblement; sa bouche appelle les baisers et semble disposée à les rendre : elle ne parait pas agitée de désirs, mais livrée à une douce rêverie, et pénétrée d’attendrissement et de langueur« , Mathon de la Cour, cité par [3]
La polysémie de l’oiseau fonctionne ici à plein, comme l’explique Démoris :
« l’innocence de la relation avec l’oiseau autorise à représenter le surgissement du désir, dont on ne sait s’il relève du souvenir d’un amant, de l’auto-érotisme ou de la perversion – et le contact physique entre les partenaires, le serin sorti de sa cage symbolisant en outre le consentement au plaisir » [3] p 37
Un roman de 1736 de Charles de Fieux de Mouhy [4] pousse à l’extrême cette passion pour l’oiseau chéri : une dame, telle Peau d’Ane avec sa bague, se donne à celui qui lui ramène son serin perdu. Il vaut la peine de citer la scène-choc, où la robe de nuit couvrant la dame et le tissu couvrant la cage, ainsi que l’oiseau et son aimable découvreur, se confondent dans un style Sainte-Nitouche ingénument équivoque :
« Ah voyons voyons monsieur, s’écria madame du Coudrai, après qu’on lui eut passé une robe de lit ; je tremble que ce ne soit pas Serinet, on m’en a déjà tant apporté… Ah! mi mi, mi mi, c’est toi, s’écria-telle, la cage se trouvant entièrement découverte; cher petit coeur, qu’il est joli, viens, viens, hélas ! le pauvre enfant me reconnaît ; voyez, monsieur, comme il me baise les doigts ; …elle ouvrit au serin ; le petit animal élevé par sa jeune maîtresse, la reconnaissant à sa voix, prit son vol et vint se reposer sur elle. Il n’y fut pas plutôt qu’il se mit à siffler; battit des ailes et dit : baisez, baisez. Avouez qu’il est aimable, s’écria-t-elle…. »
Jeune fille tenant dans ses bras une colombe | Jeune fille tenant dans ses bras un chat et un chien |
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Fragonard, 1775-80, collection particulière
Fragonard sacrifie à la même sensualité des Lolitas se frottant aux plumes ou aux poils (voir Les pendants de Fragonard ) .
Fragonard 1785, Musée Fragonard, Grasse | Marguerite Gérard (copie), collection privée |
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L oiseau chéri
Vers la fin du siècle, la sensibilité évolue : après la sempiternelle femme-enfant, c’est la femme en tant que mère et éducatrice qui est désormais sublimée. Fragonard et son élève et belle-soeur Marguerite Gérard délaissent les thèmes galants pour célébrer les joies de la famille et de la maternité.
Les deux versions diffèrent dans les détails (position du berceau, emplacement du paravent) mais pas par l’idée : la jeune mère sort de son berceau-cage son nouveau chéri, pour lui montrer les favoris qui l’ont précédé dans son affection et qui, oiseaux de Vénus, symbolisent aussi l’amour dont il est issu.
Jeune femme peintre tressant une couronne de fleurs
Garnier, 1789, collection particulière, 45 x 37 cm
L’année-même de la Révolution, Michel Garnier campe cette splendide image à la fois libératoire et libertine d’une jeune femme qui dépasse les poncifs de la Peinture (la fillette au pigeon et son antithèse, le portrait de vieux noble) pour narguer son serin, mettre au feu sa guitare, s-offrir à elle-même des roses et exhiber ses jolis mollets à la barbe du spectateur.
Cette variante traite le même thème un peu différemment : le portrait miniature qu’elle vient de recevoir de son « mari », accompagné d’une déclaration d’amour, est destiné à tenir compagnie au canari dans la cage. Au trophée de plumes qui orne le chapeau, on comprend que la belle a déjà fait des ravages parmi la gens aviaire.
Un bon siècle plus tard, l’oiseau, redevenu érotique et volontiers exotique, est de retour pour un dernier tour de piste…
Les oiseaux d’amour
Adolfo Belimbau, fin XIXème, Collection privée
Dans la première version, une fille en robe violette est assortie à l’iris qu’elle tient, cueilli dans le massif près de laquelle elle est assise. Une fille en robe verte est quant à elle assortie à la tige et au couple d’ « inséparables » qui s’y est perché. Outre leur rôle décoratif, Robe Violette et Robe Verte s’émerveillent de la fidélité légendaire de ces petits volatiles : celle qui tient la tige sourit, l’autre rêve. Le rosier enserrant la colonne, derrière nos deux extasiées, illustre le but implicite qui leur est proposé : embellir et retenir l’Homme.
Dans la seconde variante, plus équivoque, les deux filles portent la même robe, ce qui accentue l’effet sororal. La répartition des rôles est toujours la même : la fille active (celle qui porte les oiseaux) sourit, l’autre rêve. Le doigt tendu en guise de perchoir supprime tout accessoire floral, et crée un contact charnel entre les deux perruches et la fille active, qui de l’autre bras enlace sa compagne. Du coup, les oiseaux amoureux, accolés seulement par la taille, semblent en être à un stade d’intimité moins proche que celui des dem-oiselles, lesquelles se frôlent le chignon. L’arrière-plan est un rideau transparent orné de branches et de papillons ; l’avant-plan un bras de fauteuil d’un bleu céruléen, en forme de cygne, dont le long cou est coupé aux limites du tableau et de la décence.
L’actrice Clara Bow
Charles Gates Sheldon, couverture de Photoplay Magazine, avril 1929
Il est possible que les deux perruches portées en bagues temporaires sur l’annulaire de la main gauche fassent allusions aux amants simultanés de cette rousse scandaleuse.
Les perruches et le chat
Louis Icart, vers 1920
Icart connait sur le bout des doigts son alphabet XVIIIème, et donne volontiers aux petites femmes de Paris une profondeur historique : ici, la thématique de l’Oiseau Chéri se combine avec celle de la Femme-chat (voir Pauvre Minet ) et celle de l’appétit naturel (voir Le chat et l’oiseau) dans cette scène charmante : Minet en noeud blanc joue avec le noeud bleu de sa maîtresse, laquelle joue avec l’un de ses favoris, de couleur assortie.
Les dames de Ney,
1914-18, cartes postales
La dame au chat | La dame au pigeaon |
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Etrangement, la thématique est ici exactement la même que chez Icart : le noeud du chat, portant un grelot, est analogue à celui de la dame, portant un bijou. L’oiseau convoité est réduit à la plume.
Le pigeon retourné est caressé par l’une de ses propres plumes, ornée d’une cocarde tricolore. Dans cette iconographie surprenante, il faut sans doute comprendre que le pigeon patriote rentre du front, juste à pic pour se faire enlacer par sa maîtresse au saut du lit.
Le remplaçant
Illustration de Edouard Touraine pour « La vie parisienne », 1916
« Quelle terrible chose que la Guerre ! Depuis que mon mari est parti, je n’ai plus que cet animal-là à tourmenter ».
Cette garçonne autonome, dont la chevelure rousse et la cigarette dominent la crête et le bec de son perroquet isomorphe, joue avec la peur du remplacement et l’espoir d’une concurrence anodine.
Taquinerie
Illustration de Chéri Hérouard pour « La vie parisienne », 1922
Avec mes beaux amoureux, ta ressemblance est parfaite
Mon Jacquot, tu as comme eux, plus de toupet que de tête.
Après guerre, la Femme Fatale a pris le dessus : le perroquet n’est plus isomorphe qu’à son chrysanthème, qu’elle exhibe pour une érection générale des ailes au plumet.
Autre exemple de dialogue muet entre un cacatoès et une poule…
Imperia
Gravure de Norman Lindsay, 1920
Detrôné Léo Fontan, 1928 | Mauvaises Langues Georges Leonnec, mars 1927 |
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Ici le perroquet n’est plus une métaphore de l’amant domestiqué, mais de la maîtresse elle-même, qui le remplace avantageusement quant aux plumes et au caquet.
Enoch Bolles, couverture pour Film Fun, Novembre 1936 | « Disconnected » Weston Taylor, 1942, Calendrier pour The C. Moss Company |
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Deux perroquets s’intéressant de près aux soutiens-gorge pigeonnants.
Le petit canard
Pinup de Fritz Willis, Avril 1967
Cette pinup manipule impunément des symboles explosifs : une très grosse cruche, hors de proportion par rapport au petit canard dans la cuvette – version ridiculisée du canari dans la cage.
La bouteille de Chianti qu’elle frôle du pied indique que l’homme n’est guère plus qu’un récipient à vider…
… et à remettre dans son panier une fois que le moment de plaisir est passé.
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